Chapitre 4: Cœurs de loups

La meute était cachée au plus profond de la forêt proche du village Faol. Les non-initiés ne pouvaient pas y pénétrer d'eux-mêmes. Les boites aux lettres de toutes les familles de lycanthropes se trouvaient au niveau de la maison des gardes forestiers accessibles aux yeux des touristes. Dans ce cabanon se trouvaient des bibelots et des souvenirs en tout genre, des cartes et un employé prêt à répondre à n'importe quelle question.

La maison que Teddy partageait avec sa meute personnelle n'était pas dans le domaine de Timothy à proprement parler mais n'était pas très éloignée. Teddy marchait jusqu'au domaine d'un pas mal assuré. Il avait promis la veille à Henri qu'il passerait voir tout le monde. Il était obligé après tout. La meute savait qu'il était revenu et Teddy voulait soutenir ses amis pour le concours qui déterminerait la succession de l' Alpha actuel. Sa famille d'adoption aurait besoin de lui pour surveiller les lieux lors des affrontements notamment. En tant que membre, il ne devait pas faillir à son rôle.

Le jeune homme finit par arriver dans la clairière. Il s'approcha d'un des pins les plus imposants et posa sa main sur son tronc. La barrière qui les protégeait des humains ou des loups extérieurs à la meute se disloqua sous ses mains et il poussa le mur feuillu juste derrière l'arbre gigantesque.

La meute vivait dans un véritable petit village autosuffisant. Il s'agissait du village de loups-garous le plus grands dans le secteur. Ils étaient au total soixante-quinze membres. Il y avait un ensemble de maisons mitoyennes, des aires de jeux pour les enfants, un immense champ pour les barbecues, les potagers et vergers participatifs. Des lieux pour pratiquer du sport sous la forme d'humain ou de loups avaient été agencés non loin des espaces sauvages. Certains loups sous leur forme animale aimait jouer avec des bibelots et des jouets pour chien qui étaient disséminés dans des bacs un peu partout dans les aires de jeu. Il y avait également une bibliothèque contenant tous les livres, récits et savoirs sur les loups conservés par Maria et une de ses disciples choisie de manière assidue. À côté de ce terreau de savoirs, on trouvait la maisonnette où plusieurs pièces servaient de classes pour les petits louveteaux qui y allaient tous les weekends après avoir passé toute une semaine avec les humains.

Teddy avait galéré pendant ces cours mais c'était là qu'il avait appris à vivre avec ses congénères et à comprendre d'où venait les membres de sa propre communauté. Même s'il ne faisait pas partie d'une famille originellement louveーdes sortes de sang-purs du côté des loups ー le jeune garçon avait trouvé l'histoire des guerres de clans très intéressante.

Bien entendu, au centre de tout ce lieu autogéré, se trouvait le bâtiment qui faisait office de salle de rassemblement. C'était une petite mairie où avaient lieu les rencontres avec des invités spéciaux, et où se tenaient les réunions sur la vie de la meute. La première partie des cérémonies d'entrée d'un nouveau membre, mordu ou âme-sœur d'un des résidents, se déroulait également dans cette bâtisse.

Dès son entrée dans le domaine de la meute, Teddy fut accueilli par trois petits louveteaux surexcités:

« Teddy! Teddy! On t'a senti mais tu ne viens que maintenant! se plaint un Lucas de six ans avant d'être interrompu par sa meilleure amie.

— Elle est où ton amoureuse Teddy ?

— Tu reviendras nous faire un atelier contes ce dimanche?! s'écria un garçon plus jeune en s'accrochant à sa jambe pour le câliner.

— Moi aussi, je suis content de vous voir mais là vous allez m'étouffer. » déclara Teddy, amusé, alors que l'attroupement se détachait enfin de lui.

Il parla plusieurs minutes avec chacun d'eux, s'enquérant de leurs résultats scolaires et des nouveautés dans leur vie. S'il y avait une chose que Teddy appréciait, c'était partagé des choses avec les plus petits de la meute. Tout le monde pensait que les enfants n'étaient que des individus un peu niais et ingénus mais ils étaient beaucoup plus perspicaces que ce que l'on pouvait croire. Et le jeune homme aimait connaitre le regard que portait ses futurs adultes sur le monde qui les entouraient. Ils étaient parfois tellement moins perdus que lui. Et cela avait tendance à l'amuser. Teddy fut interrompu dans sa discution par la voix grave et poser de l'Alpha de cette grande famille:

« Tu te décides enfin à remettre les pieds à la maison, Teddy, déclara Timothy avec un regard plein de bienveillance.

— Excusez-moi Alpha, répondit le plus jeune la tête basse, honteux.

— Cela ne sert à rien de se focaliser sur ça. Viens avec moi. Nous avons beaucoup à discuter. » déclara l'homme qui approchait de la soixantaine.

Teddy suivit Timothy d'un pas empressé. C'était l'homme qui lui avait permis de trouver une nouvelle famille. L'Alpha avait pris des cheveux blancs depuis leur première rencontre, alors qu'il n'était qu'un enfant chétif et apeuré. Ses yeux bleus aussi clairs que ceux de sa fille, semblables à l'eau d'un lac trouble, se posaient sur le monde avec une sagesse et une puissance qui forçaient le respect. Il ne dirigeait pas la meute avec violence mais avec force, écoute et mesure. Il écoutait toujours les améliorations possibles et était un fervent défenseur de la paix entre les clans, de la sauvegarde de leur patrimoine et de la protection des humains. Au sein de sa famille composée, aucun loup n'avait été mordu contre son gré et il recueillait des louveteaux perdus comme Teddy l'avait été à une époque. Le jeune homme comprenait pourquoi autant de monde craignait qu'il cède sa place. Timothy était aimé, respecté de tous et sa voix comptait beaucoup au Conseil des Loups britanniques qui avait lieu tous les ans, à Londres.

Il avait pris part à la guerre qui s'était déroulée à la même époque que la Deuxième Guerre des Sorciers. La quatrième Guerre des Loups. Au cours des affrontements dans lesquels plusieurs clans s'étaient dressés contre Fenrir Greyback, associé au mage noir, sa femme Eleanor, une Alpha renommée et connue pour sa puissance et sa magnanimité, avait perdu la vie.

Qui pourrait prendre la place de ce grand héros? Teddy fut sorti de ses tergiversations par son ainé.

« Tu as perdu ta connexion avec la meute Teddy, commença sans préambule l'Alpha en lui servant du thé.
— Quoi ? croassa le concerné abasourdi.
— Tu n'as pas remarqué Teddy ? Après avoir découvert ton âme sœur, tu as coupé ta communication avec une bonne partie de la meute. Tu t'es retiré et les loups aimeraient bien savoir pourquoi. Surtout après tous les efforts que tu as fait pour avoir un lien avec nous tous.
— Je... Je ne m'en suis pas rendu compte je...
— Teddy. Détends-toi mon garçon. Tout ceci n'est pas grave. Il arrive que certains loups soient très possessifs avec leur âme-sœur et souhaitent se retirer quelques temps de la meute pour revenir mais toi, tu n'es pas avec elle aujourd'hui. Où est-elle ?
— Je ne sais pas, murmura le jeune homme la voix blanche. Il se sentait étrangement détaché de lui-même.
— Et tu ne veux pas la chercher ? Demanda Timothy préoccupé.
— Non... Je sais... Je sais que ce n'est pas normal ... Mais je ne veux pas...
— Ce n'est pas une question d'être normal ou pas c'est surtout que je connais très peu de loups qui ont réagi comme ça. Et beaucoup ont mal fini , Soupira le plus âgé. Mais cela ne veut rien dire. Tu as peut-être besoin d'un peu plus de temps que les autres. Tu as toujours ton lien avec Jane et Henri, n'est-ce pas ?
— Oui, souffla Teddy.
— Alors ça devrait aller. N'oublie pas tout ce que tu as parcouru mon garçon. Quoi qu'il arrive, tu auras toujours une place parmi nous en tant que Gamma. Tu n'as qu'à la prendre avec assurance.

— D'accord Timothy... »

Comment le jeune homme pouvait lui avouer qu'il était tellement perdu qu'il ne savait même pas s'il voulait de cette place au plus profond de lui ? Comment lui expliquer que malgré tous ses efforts, il n'arriverait jamais à avoir un lien assez puissant avec les autres loups de son entourage ? Il se sentait comme un imposteur.

« D'ailleurs, Daniel a déjà commencé à construire ta maison car il pensait que tu viendrais avec cette jeune femme. J'imagine que tu ne veux pas t'installer là-bas pour l'instant... Ajouta Timothy pensif.
— Je... J'irai le remercier avant. Merci, répondit le jeune homme une masse au creux de l'estomac.
— N'oublie pas de passer chez Maria. Elle veut te parler. La réunion pour l'organisation des premières épreuves pour le statut d'Alpha aura lieu à quinze heures.
— Bien. A tout à l'heure. »

Teddy sortit du bâtiment, l'esprit en compote, déjà épuisé à l'avance en pensant à son entretien avec Maria. Il n'eut pas vraiment le temps de réfléchir car il tomba sur la vieille dame, revenue de cueillette, un panier plein de framboises sous le bras. La vieille femme qui avait atteint l'âge de cent douze ans, âge honorable même pour les loups qui pouvaient vivre jusqu'à cent soixante ans, étaient ferme sur ses appuis malgré sa vieillesse. Et ses yeux bruns comme ceux de sa forme louve grisonnante le fixait avec incision.

« J'attendais ta venue, jeune Edward.
— Bonjour Maria, commença le concerné, gauche.
— Je sais que tu ne voulais pas me voir. Plus besoin de faire semblant à mon âge. » déclara sans fioriture l'Omega avant de l'intimer d'un signe de tête de la suivre jusqu'à sa maison.

Comme dans toute meute qui se respectait, la hiérarchie était très importante chez les lycanthropes. L'âge était un facteur déterminant bien entendu mais la place que le loup avait dans la meute également. Le statut de chacun était lié de manière très intime avec sa personnalité, ses affinités avec les autres membres et une part de mystère non élucidée.
Il existait communément quatre classes, les Alphas, les Bêtas, les Omégas et les Gammas.
Les Alphas n'étaient généralement pas plus de deux dans une meute, au maximum quatre. C'étaient les leaders, les chefs, les mères et pères spirituels de celle-ci. Ils devaient allier force, écoute et courage pour souder les membres de leur famille. C'étaient eux qui avaient la capacité de faire entrer un loup dans la meute via une cérémonie spécifique. Les Bêtas correspondaient à la majorité des loups même s'il y avait une hiérarchie entre eux. C'étaient des adjuvants, des protecteurs, des amis et le bêta plus proche de l'Alpha pouvait prendre sa place de manière temporaire. Les Omégas étaient très rares. Souvent, ils avaient des pouvoirs spéciaux, une longévité plus longue et la capacité d'enfanter plus que la moyenne. C'était l'une des raisons pour lesquelles ils étaient parfois fragiles, enviés et recherchés. Ils avaient une affinité avec l'enseignement et finissaient souvent par enseigner au plus jeune des rites ancestraux. Ils étaient le ciment qui maintenait une meute soudée. Puis il y avait les Gammas. Les loups instables. Ceux qui avaient souvent un rôle de guetteur, de protecteur volatile. Ces loups avaient comme spécificité d'être moins territoriaux que les autres et de pouvoir changer de meute ou de statut en cas de pépin.
Avoir des Gammas était important pour une meute car c'étaient généralement d'excellents espions, des guetteurs et des combattants rusés. Teddy aurait été utile s'il arrivait déjà à être un membre qui respectait les bases du vivre ensemble.

La maison de Maria était semblable à sa personne. Une maison de grand-mère avec son lot de pelotes de laine, sa petite télévision, sa boîte à biscuits et ses babioles en tout genre. Néanmoins, des livres s'amoncelaient partout ainsi que des artefacts mystérieux que personne ne pouvait toucher. Les lieux étaient aussi abracadabrantesques qu'au Terrier, la magie en moins. Même si Teddy trouvait que certaines pratiques de Maria, notamment la divination, s'apparentaient à de la magie.

« Est-ce que tu as réfléchi à ce que je t'ai dit la dernière fois ? Est-ce la raison de ta désertion ? Tout loup qui se respecte doit combattre et faire face aux intempéries. » déclara avec froideur la femme en commençant à nettoyer la peau des fruits cueillis.

Être fort. Toujours. Teddy en avait marre de cette maxime constante.

« Vous aviez dit que je voulais échapper à ma condition. Et je n'ai pas compris. J'ai tout fait pour accepter mon loup.
— Et pourtant, tu as cassé le lien faible qui te reliait à la plupart d'entre nous. Ta femme est une étrangère et en plus c'est une sorcière. Avec tout ce qui se passe en ce moment, avais-je tort ? déclara avec solennité la louve.
— Ce n'est pas moi qui ai choisi mon âme-sœur. Vous dites que c'est une étrangère mais si ça se trouve, elle a vécu toute sa vie au Royaume-Uni en plus...
— C'est Mère Nature qui l'a cherchée pour toi afin qu'elle soit un miroir de ton propre cœur, continua-t-elle sans laisser place à aucune discussion.
— Ce sont des histoires… murmura Teddy en se détournant, excédé.
— Un jour, tu comprendras peut-être, ronchonna Maria. Il ne faut pas sous-estimer les forces supérieures. C'est ton loup qui avait besoin de cet ancrage, quoi qu'il signifie. »

Teddy aida son ainée à ranger ses fruits et à nettoyer sa table de travail dans un silence pesant. L'Omega n'était pas méchante mais en tant que gardienne des histoires et des us et coutumes, elle était parfois un peu trop intransigeante lorsqu'elle voyait quelqu'un sortir des clous de sa pensée.

« Tes cheveux ne sont pas colorés avec une simple teinture, n'est-ce pas ? questionna Maria d'un seul coup, sans préambules.
Ses deux iris imperturbables le fixèrent et Teddy crut défaillir sous cette aura scrutatrice. Personne, pas même Harry, n'avait remarqué.
« Je...
— Teddy. Parfois j'ai l'impression que tu n'es pas là avec la famille, la meute, avec nous. Es-tu réellement un Gamma ? Si tu ne peux pas répondre à cette question, tu n'arriveras jamais à être un loup à part entière de cette meute. Qui es-tu ?»

Ce furent les derniers mots que lui adressa Maria avant d'aller à la réunion, le laissant seul, déboussolé, ses derniers mots un brin trop philosophiques sous le bras.


Jane avait toujours apprécié la terrasse que sa petite amie avait aménagée au collège. Elle donnait directement sur la forêt et avec la jolie baie vitrée qui la surplombait, on avait l'impression d être seul au monde. Lily était assise au sol, sous une tente en toile blanche assez grande pour accueillir au moins dix personnes à l'intérieur. Celle-ci regorgeaient d'une multitude de duvets et de coussins pour être agréable et de peluches de son enfance. Cela ressemblait à une tanière réconfortante ou à un nid. La rousse lui avait dit qu'elle avait imaginé cette disposition pour être la plus confortable possible mais Jane se demandait si elle n'avait pas fait des recherches pour savoir que son loup apprécierait ce type de disposition. Cela ressemblait éminemment au lit nuptial d'antan. Jane entra à l'intérieur de ce cocon de douceur, encore transformée, faisant attention à la propreté de ses pattes. La louve grise aux yeux clairs s'avança vers son amante avec tranquillité. Lily ne bougea pas et la laissa se lover contre elle alors qu'elle scrollait sur son téléphone.

Elles se connaissaient depuis que Lily avait emménagé chez Harry à ses cinq ans. Jane se rappelait la première fois qu'elle avait rencontré Lily, cachée derrière le corps plus imposant de Teddy. Elle avait été si frêle à cette époque, si peu sûre d'elle. Immédiatement, Jane avait voulu la prendre sous son aile à l'école, à l'extérieur et très vite, elles étaient devenues meilleures amies.
Lily était tout ce qu'elle n'était pas :attentive aux autres, amusante, douce. Aucun rire n'égalait le sien, aucun sourire. Elle prenait des photos et se lançait dans ses passions qu'étaient la bande-dessinée et les univers alternatifs avec une ferveur adorable. Elle était une personne sur laquelle on pouvait compter. Et elle n'avait pas peur. Elle ne craignait pas les étrangetés autour d'elle. Lily n'avait jamais craint son loup. Et son loup la considérait comme étant sienne en partie. Elles avaient pris tellement de temps avant de tomber amoureuses. Cela ne s'était pas fait en un claquement de doigts.

Jane avait compris très tôt son attirance exclusive pour les femmes. De son côté, Lily avait découvert plus tard son attirance pour celles-ci. Après une autre relation qui s'était malheureusement terminée à cause d'un départ de son petit ami de la région, Lily avait commencé à remarquer cette part d'elle qu'elle avait préféré ignorer. La louve aurait pu rester son amie pour toujours parce que leur relation n'avait pas tant évolué que ça si ce n'était sur l'aspect tactile, sexuel. Tout était toujours plus simple avec Lily.
Sauf que l'amitié avait fini par se muer en amour et l'Alpha n'avait trouvé aucune raison suffisante pour se stopper. Jane aimait Lily. Et Lily l'aimait.
Ennuyée à force de ne rien faire, Jane finit par se transformer et laissa son corps nu se prélasser sur les draps.

« Va t'habiller avant que quelqu'un n'arrive déclara rougissante Lily en se rendant compte qu'elle se trouvait dans le plus simple appareil.
— C'est comme ça que tu m'accueilles… se plaignit avec un outrage démesurée Jane, souriante. Même pas un baiser pour accueillir ta délicieuse amante...
— Licencieuse plutôt.
— Délicieuse, sexy, c'est du pareil au même. Embrasse-moi, quémanda la louve.
— Qu'est-ce que tu peux être mal élevée. » rit Lily avant d'enfin offrir à ses lèvres asséchées un baiser.

Sa bouche était humide comparée à la sienne mais toujours aussi désirable. Jane se fraya un chemin jusqu'à sa langue et le gémissement qu'elle reçut valut tout l'or du monde.
La louve voulait plus. Son corps demandait plus. Ses entrailles grondaient à l'intérieur d'elle-même et elle eut soudainement très chaud. Elle se mit à caresser la nuque de Lily d'une main tout en frayant sa main en dessous de son tee-shirt. La jeune femme frissonna sous son toucher. Elle était si froide, ses tremblements séduisaient Jane plus que de raison.

« Je peux… souffla la blonde en frôlant le sein blanc dénué de tout soutien-gorge.

— Pas ici…» répondit frémissante sa petite amie au bord du gouffre.

Electrisée par sa réponse, Jane se releva dans un seul bond, prenant avec elle un bout de drap pour se couvrir. Précaution inutile puisqu'elle finirait nue sous les doigts de Lily mais elle ne voulait pas casser l'ambiance. Elle se retourna, attendant que son amie la suive. Elle était belle, échevelée ainsi, ses joues rouges, ses pupilles dilatées. Jane ne put empêcher un sourire qui se voulait séducteur de franchir ses lèvres.

« Arrête de me regarder comme si j'étais un steak! s'effaroucha la rousse.

— Ne fais pas la prude Lil'. Tu me veux autant que moi j'espère?» demanda Jane sans se démonter.

Il n'y avait pas si longtemps, elle aurait été beaucoup plus embarrassée d'être honnête ainsi. Mais il n'y avait que la vérité qui permettait d'être proches. Et proches, Jane le désirait plus que tout.

Alors que Lily la rejoignait, elle hocha la tête. Timide. Encore si timide. Mais ce n'était pas grave car ce n'était que Jane qui avait accès à cette œuvre qu'était son corps. Elles entrèrent dans la chambre de son amoureuse.

Rose bonbon délavée. La couleur était un brin ridicule mais cela n'avait aucune importance. Jane se saisit de la taille de Lily avec frénésie pour plaquer son corps contre le sien. Lily se laissa faire, de son propre gré, étouffant un gémissement de plaisir alors que son amante mordilla son cou tout en commençant à toucher ses seins à travers le tissu de son haut. L'odeur de Lily emplissait les narines de Jane.

Savon floral et lait de sa peau. La blonde passa une jambe entre les cuisses de sa compagne, malléable sous ses bras et elle ne put s'empêcher de se frotter contre elle. Jane voulait plus. Son misérable bout de tissu s'écroula au sol à l'instant où les mains, les tendres doigts de Lily l'en dépêtrèrent.

« Jane, déshabille-moi…» geignit l'humaine de plus en plus éperdue, mouillant déjà alors qu'elle n'avait pas été touchée au niveau de ses parties intimes qui brûlaient de désir.

La louve se décida à la dévêtir, de plus en plus empressée. Elle aussi ne pouvait plus attendre, elle voulait être touchée. Les deux jeunes femmes s'écrasèrent sur le lit. Lily était enfin nue à ses côtés, son corps offert contre elle, gémissant, se secouant pour qu'elles aient plus de contact. Dans quel état se trouvait Jane? Elle n'aurait su le dire. Pour ses yeux sans doute brillants à cause du désir et de la perte de contrôle, il n'y avait que cette fleur offerte qu'était Lily.

Elle s'empressa de nettoyer ses mains et ses doigts avec une bouteille d'eau trainant sur la table de chevet de Lily qui accepta l'eau offerte avec empressement. Puis, Jane retrouva la bouteille de lubrifiant et y plongea ses phalanges. Elles s'embrassèrent. Leur ballet de langues était indomptable. Puis Jane se décida à descendre plus bas, plongeant son visage entre les seins de son amante, elle se mit à mordiller le mamelon de l'un d'eux avant de glisser sa main, telle une cascade, suivant les contours de son corps pour se trouver au niveau de sa toison de poils et d'atteindre son clitoris qu'elle frôla par intermittence avant de le secouer en rythme avec leurs mouvements synchronisés. Les balancements de leurs corps en feu étaient de plus en plus saccadés, les gémissements étouffés de Lily ensorcelants alors que Jane elle-même perdait pied. De sa main, elle commença à la doigter, faisant mourir ses gémissements dans un nouveau baiser. Lorsque Lily tomba au bord du précipice, Jane faillit venir à son tour. C'était moite, chaud, doux. Son esprit était embrumé.

Lily se fraya à nouveau un passage dans sa bouche, reprenant son souffle après son orgasme.

«Alpha, viens…» soupira-t-elle en fermant les yeux. Ses bras tendus autour de son cou pour rapprocher leurs deux corps, juste en dessous de Jane était une vision fantasmagorique. La louve rapprocha leurs deux intimités, relevant le corps frêle de Lily pour qu'elle soit positionnée entre son antre. Les muqueuses de leur vulve se frôlèrent enfin et cette petite boule de plaisir qui leur faisaient voir des étoiles étaient stimulée au point de leur faire perdre la raison.

Jane aimait tellement cette position, la sentir si proche. Leur bas ventre se déchainait l'un contre l'autre jusqu'à ce que Lily ne la touche directement avec ses mains, entre leurs deux intimités accolées. Jane étouffa un cri avant d'atteindre les étoiles. La louve eut besoin de tout son self-control pour ne pas mordre son amante, pour ne pas la marquer aux yeux de tous et la faire sienne pour toujours.

Lily et Jane restèrent longtemps au lit, à s'embrasser. Aucune n'avait la volonté de se lever pour se rincer, obnubilés par les lèvres rouges en face. Après plusieurs minutes, Jane traçait des cercles sur le ventre de Lily qui avait pris un livre pour s'occuper. Leurs jambes étaient enlacées dans ce lit dans lequel elles avaient dormies ensemble en tant qu'amies puis amantes. Jane trouvait la scène particulièrement domestique. Elle aimait ça. Et son loup grogna de contentement.

« J'espère qu'il n'y a personne qui est passé devant la porte, déclara d'un coup Lily, rouge comme une tomate.

— C'est trop tard pour se poser ce genre de questions! éclata de rire Jane.

— Nan mais si Harry avait entendu un truc pareil ce serait tellement gênant. Ou Albus! Oh mon Dieu… Ils sont tous les deux à la maison.

— Au moins ce sont des sorciers, ils ont peut-être mis un sort d'insonorisation sur la porte qui sait! déclara la lycanthrope. Vois le côté positif de la situation.

— Arrête de dire des bêtises ! » se plaignit Lily.

Lorsque Lily était comme ça entre ses bras, à peine vêtue et échevelée, Jane avait vraiment envie de la faire sienne.

« J'ai tellement envie de te transformer Lil… gémit Jane en la serrant contre elle.

— Jane… Tu sais bien que…commença la concernée.

— Je sais, soupira la blonde. Tu ne veux pas être un loup. Mais tu pourrais quand même recevoir ma marque pour devenir ma compagne. Louve ou pas, tu serais avec moi pour toujours.

— Je ne suis pas prête, se referma Lily en détournant le regard.

— Hmmm… Je comprends… Je ne te forcerai jamais à rien mais penses-y bien.

— Okay, murmura sa petite amie en posant son front contre le sien.

— Pourtant tu as décidé de venir avec moi à la fac… dit tout haut ce que pensait l'Alpha.

— Ce n'est pas la même chose que d'être littéralement mariée à toi et tu le sais, rétorqua avec gentillesse Lily. Ne fais pas cette tête de chien battu.»

Jane grogna mais n'ajouta pas un mot alors que son amoureuse se leva pour aller se nettoyer dans la salle d'eau attenante.

La louve pouvait comprendre les réticences de son amie mais elle devait avouer qu'elle aimerait lui faire visiter la meute. Chose impossible si Lily ne devenait pas sa compagne officielle jusqu'à la fin de ses jours. Elle voulait présenter officiellement à toute sa meute la fille pour laquelle elle pourrait décrocher le Soleil. Jane souhaitait partager avec Lily ses accomplissements pour devenir l'Alpha de la meute. La jeune femme savait que les autres loups auraient droit à leur âme-sœur pour les soutenir dans cette épreuve. Mais elle serait définitivement seule.

Teddy la soutiendrait mais il était aussi du côté de Henri sans équivoque. De plus, il semblait rassurer que Lily n'ait pas accepté la proposition, la première fois qu'elle lui avait faite après un cours d'histoire. Selon son ami, c'était trop précipité. Pourtant pour Jane, cela semblait être une évidence que Lily était la fille dont elle avait besoin, avec qui elle voulait passer le restant de sa vie de louve.

Teddy lui avait rétorqué que sa sœur avait le choix de faire ce qu'elle voulait et qu'elle ne pouvait pas lui retirer cette possibilité. Jane en avait conscience. C'était la raison pour laquelle elle attendait. Pour que la décision vienne de Lily. Mais c'était de plus en plus difficile alors que son loup hurlait de la faire sienne pour toujours, une bonne fois pour toute.

Jane devait s'assagir. Il en devait de la survie de son couple et de son amitié avec Teddy.


Le bureau de Neville était peuplé de plantes en tout genre comme s'il se trouvait dans la serre qui lui faisait office de salle de classe. Harry ne savait jamais trop où se mettre entre toutes ces plantes que l'homme qualifiait de bébés et finit par trouver un fauteuil assez proche du directeur de la maison Gryffondor et assez éloigné de ces bestioles.
Neville parlait avec une de ses élèves qui semblait assez anxieuse et lui offrit un mouchoir avant de lui donner un autre rendez-vous. Harry lisait donc un manuscrit qui trainait pour s'occuper avant de se rendre compte qu'il ne comprenait rien aux articles relatifs aux plantes venimeuses tueuses de gobelins.
Son ami finit enfin par s'asseoir en face de lui en retenant un soupir. Avec sa cape nouée autour de son cou, son début de cheveux gris un peu précoce et les lunettes de lecture sur son nez, Neville avait vraiment le profil d'un enseignant.

« Ça ira pour elle ?
— Euh oui. Elle est juste très stressée car elle a raté ses derniers examens et que ça ne se passe pas bien dans sa famille. Elle fera un devoir de rattrapage... expliqua avec bienveillance Neville en se servant du thé.
— Ah... D'accord...Et Hannah, elle va bien ?
— Partie avec les enfants en Islande. Je les rejoins dans une semaine après ma ronde. » expliqua le professeur.

Cela faisait cinq ans que Poudlard restait ouvert l'été, pour les sessions de rattrapage des élèves qui avaient raté leurs examens de façon exceptionnelle et ceux qui ne pouvaient pas rentrer chez eux à cause de leur environnement familial. C'était une belle initiative coordonnée par Neville. Le directeur de maison eut cette idée après s'être rendu compte que beaucoup trop d'élèves se trouvaient dans des situations inextricables et révoltantes. Cela était sans doute liée au fait que par sa gentillesse, sa droiture et son ouverture d'esprit, de nombreux élèves le considéraient comme un adulte digne de confiance et se confiaient à lui. Il ne dégageait pas l'aura intimidante que trainaient parfois les autres héros de guerre. C'était une chose que Harry avait toujours admiré chez Neville. Sa propension à aider les plus faibles et à tendre la main. Il fallait une force incommensurable pour en être capable. Et il n'avait rencontré personne d'aussi apte que lui à le faire.

« Je ne pensais pas que tu viendrais à la réunion du Conseil. Tu t'es enfin décidé à faire une apparition dans les affaires du monde sorcier ? demanda Neville avec une satisfaction palpable.
— C'est uniquement parce que Hermione m'a supplié... répondit Harry, réservé.
— Ça veut dire que ma proposition est toujours un non ? S'enquit le buveur de thé, dépité.
— Je t'ai déjà dit que tu pourrais trouver mieux que moi. Je ne serais pas y faire avec les enfants ...
— Tu en as élevé quatre...
— Et c'est un miracle qu'ils soient encore en vie! Tu sais que j'ai toujours eu du mal à comprendre les gens...
— Ce n'est pas ce que je te demande. On a besoin d'un professeur de défenses contre les forces du mal compétent. Et tu as les compétences. Que ce soient ton ancienne carrière d'auror, tes livres qui ont vraiment amélioré les performances des élèves et ton expérience sur le champ de bataille et avec diverses créatures, tu es la personne idéale pour ce poste, Harry !
— Ce n'est pas la même chose d'écrire des livres et d'enseigner... Tu le sais mieux que quiconque...
— Ce poste est toujours aussi maudit... Notre prof s'est barré pour Dumstrang parce qu'il en avait marre de voir ses leçons être interrompues par des fantômes dont on n'a pas réussi à se débarrasser...renchérit le spécialiste en botanique. Ça ne te gênerait pas toi, pas vrai ?
— Oui mais si ça gênait Albus ?
— Mathilda et Jacob n'ont pas peur d'aller à Poudlard, roula des yeux Neville. Et ne me sors pas l'histoire de ton nom ou autre. Albus est un garçon un peu dans la lune mais assez sûr de lui pour ne pas se préoccuper des quand dira-t-on.
— Je... Je ne sais vraiment pas... Je suis bien avec mon café-librairie, mes plantes et mes livres et j'ai une vie du côté moldue.
— Lily et James passent dans le supérieur l'année prochaine, non ?
— Oui mais ils ne sont pas loin... Ils rentreront souvent à la maison rétorqua Harry embarrassé.
— Et tu n'as pas masse d'amis du côté moldu je me trompe ? Questionna Neville inquisiteur.
— Je...
— Harry réfléchis-y encore. Je ne veux juste pas t'imaginer seul avec tes livres pour le restant de tes jours dans ta maison perdue au milieu de nulle part.
— Je ne suis pas loin de la meute de Teddy... déclara-t-il de mauvaise foi.
— Tu vois ce que je veux dire. dit sans sourciller Neville.
— D'accord... J'y réfléchirai... »

Son ami sembla se satisfaire de cette réponse et ils discutèrent tous les deux des dernières qualifications de Quidditch avant que le coucou de Neville ne sonne l'heure tant redoutée marquant leur départ pour la réunion trimestrielle du Conseil des Sorciers.


Le Conseil des Sorciers était tenu dans un bâtiment construit après la guerre. Cette ancienne machinerie dans laquelle on fabriquait autrefois des objets insolites en tout genre avait été reconvertie en un immense édifice où les deux cent cinquante membres du Conseil se retrouvaient chaque trimestre pour voter des nouvelles lois et prendre les mesures nécessaires pour protéger le monde magique. Cette instance avait été créée après la Deuxième Guerre des Sorciers pour empêcher que le gouvernement ne puisse être corrompu aussi facilement si un sorcier se décidait à prendre le pouvoir. Et pour se faire, ils avaient décidé d'ouvrir, après référendum , différentes chambres qui devraient permettre de représenter différents corps de la société. Enfin pour la première fois, la politique n'était plus l'apanage exclusif des sang-purs même s'ils avaient un nombre de places toujours importants.

Le Conseil était composé de plusieurs chambres. La chambre ancestrale où se trouvait la majorité des familles en possession du pouvoir politique depuis les débuts de la société sorcière composée de cent membres, la chambre des civils divisés en plusieurs factions selon les corps de métiers représentaient environ 80 personnes. Il y avait un groupe constitué des héros de guerre décoré par l'Ordre de Merlin destituables par les civils à n'importe quel moment composé de quarante personnes et trente sièges répartis entre les membres vivants en marge de la société sorcière, c'est-à-dire les Cracmols et les autres créatures magiques.
Harry ne se sentait jamais très à l'aise dans ces lieux où tous se côtoyaient, cherchant à maximiser les chances de faire tourner les débats à leur avantage. Comme chacun des membres des héros de guerre, il possédait un droit que les autres n'avaient pas. Celui de veto quant au passage de certaines lois. Ce droit ne pouvait être utilisé que trois fois au cours de son existence et leur chambre finirait par disparaitre après cinquante ans de transition pour se mêler à celle des civils. Le survivant avait hâte que ce moment arrive même si les cheveux blancs et la vieillesse auraient déjà raison de lui à ce moment. C'était pesant d'avoir un tel pouvoir alors que pour sa part, il n'avait rien fait d'autre que tenter d'échapper à un fou suprémaciste qui voulait sa peau. Harry n'avait jamais vraiment eu le choix de prendre ce rôle de sauveur qui lui collait à la peau.
Harry suivait Neville à travers les larges couloirs illuminés du bâtiment en pierre qui semblait aussi vieux que Poudlard. Les divers tableaux se mouvaient alors que les deux hommes saluaient plusieurs des représentants et leurs connaissances en continuant leur progression jusqu'à la salle de réunion en forme d'hémicycle.

La place attribuée à chaque chambre variait au gré des envies de la pièce et il était nécessaire d'aller au guichet tenu par des Gobelins pour connaître le numéro de sa place qui était modifié selon l'humeur et les prises de positions des parties. Mieux valait être solidement cramponné à son siège pour ne pas glisser par mégarde lors d'un mouvement impromptu.
Accroché à Neville, Harry se mit juste derrière lui pour récupérer son ticket avant d'être arrêté par un journaliste nommé Monsieur Born.

« Bonjour Monsieur Potter, cela fait longtemps qu'on ne vous a pas vu participer à une réunion du conseil. Est-ce pour soutenir Monsieur Weasley pour sa prise de paroles et la levée de fond qu'il veut ouvrir pour son enquête ? Demanda le sorcier moustachu d'une quarantaine d'années , comme s'il était un paparazzi et non pas l'un des éminents membres de la société civile.
— Monsieur Born, il fallait me dire que vous étiez venu de la part de la Gazette, déclara avec un rire faussement aimable Harry qui n'avait qu'une envie, lui en coller une pour qu'il lui lâche la grappe.
— On garde toujours une âme de journaliste même en congé !» Déclara avec jovialité l'homme tandis qu'il patientait derrière eux.

Le rapace tenta vainement de soutirer des informations à Harry qui resta muet comme une tombe avec une patience qu'il n'aurait pas eu plus jeune avant de tenter de se rabattre sur Neville sans plus de succès. La séance promettait d'être longue. Les deux amis récupèrent enfin leurs billets et se trouvèrent sans surprise côte à côte. En entrant dans l'immense salle recouverte de bois de chêne, et aux tons bruns et ocre, Harry ne put s'empêcher de chercher du regard Draco. Il le trouva sans peine du côté des sangs-purs à l'emplacement dédié à ses familles d'appartenance Black et Malfoy. Il arrivait souvent que la chambre des sangs purs ne soit pas complète car les sièges ne s'ouvraient qu'aux sorciers considérés comme des héritiers et leur nombre fluctuait selon les âges des individus et les époques. En ce moment, ils n'étaient qu'une soixantaine de sangs-purs. Et depuis deux ans, un siège était apparu aux cotés de Draco, attendant un représentant de la famille pour le posséder. Tout le monde avait une idée de l'identité du possesseur de cette place mais ni Harry, ni Draco, ni le concerné n'avaient jugé bon de le mentionner.

Comme à chaque rendez-vous auquel il participait, Ron et Hermione se trouvaient à sa droite. Mais contrairement à d'habitude, ses deux amis n'étaient pas déjà installés sur leur siège. Ils finirent par arriver quelques instants avant la fermeture, essoufflés. Hermione avait une pile de dossiers sous le bras. Harry se demanda ce qu'ils avaient bien prévu de dire pour faire pousser la législation et les décisions à leur avantage pour leur enquête en cours. En quoi avaient-ils besoin de Harry s'ils étaient si bien rodés et préparés?

Le héros les gratifia d'un sourire auquel le couple répondit, tendu. Puis la séance commença en parlant de législation. Ce fut lors de la répartition des budgets et des phénomènes de société que Ron se leva pour prendre la parole. Tout le monde se tut alors que la voix puissante de l'auror d'exception qu'il était résonna dans la pièce. Avec une méthode implacable et une minutie qui transparaissait à chacun de ses mots, Ron présenta le dossier de disparition des mystérieuses disparitions de Cracmols.
Son ton était posé, calme et déterminé. Il montrait à quel point il voulait que le Ministère alloue à cette enquête brinquebalante et difficile une somme suffisante. Il savait comment amener la foule à s'inquiéter un tant soit peu pour ces êtres disparus. Avec son discours, personne ne pouvait douter des capacités de Ron. Il n'était pas placé aussi haut dans la hiérarchie des aurors de bonté de cœur.

Alors qu'il avait fini d'étaler ses raisons justifiant une augmentation des ressources de son secteur pour retrouver les disparus, Ron s'attaqua alors sur le plan à mener pour en savoir plus sur les évènements troubles. Et ce fut à cet instant que le monde de Harry tangua.

« Pour régler cette affaire sans faire de heurts tout en évitant de mobiliser un nombre d'aurors déjà sur le terrain sur l'affaire des reliques volées, j'ai décidé de former une équipe composée notamment du Docteur Granger et le consultant Monsieur Malfoy. »

Un brouhaha sans nom se répandit dans l'assemblée avant qu'un représentant des commerçants ne prenne la parole.

« L'équipe n'est pas un peu petite aux vues du nombre de personnes kidnappées ? Cela semble relever d'une organisation criminelle de grande envergure.

—Si des fonds sont levés, nous pourrons sans doute mettre plus de sorciers sur l'affaire.
— Les disparitions de Cracmols sont monnaie courantes depuis des siècles. Tous les journaux qui font une effervescence pour un sujet banal… coupa un sorcier au nez pointu.
— Comment osez-vous douter de la parole des familles ? Ayez un semblant d'humanité ! s'insurgea l'un des seuls représentants Cracmols du Conseil.
— Trente personnes ont disparu depuis dix mois, coupa d'une voix forte et sans appel Ron. Trente personnes de notre communauté. Comme je l'ai dit plus haut, il est hors de question que nous fermons les yeux sur cet état de fait. Mais d'après nos recherches, cette affaire va au-delà du monde sorcier et concerneraient les loups-garous. »

L'exclamation de surprise qui se répandit dans toute la salle était sans précédent. Alors que chacun se demandait comment toute cette histoire allait se régler, Harry se figea, blanc comme un linge, comprenant peu à peu la raison de sa venue.
Le monde des sorciers n'avait quasiment aucun contact avec le monde des loups qui vivaient en majorité avec les moldus. Méprisés par les faiseurs de sorts, ces créatures avaient toujours préféré vivre parmi les humains plutôt que subir le dédain et la peur des sorciers face à la rage contenue en eux.
Aucun rapprochement diplomatique n'avait eu lieu depuis des siècles excepté lors de l'ascension de Voldemort qui s'était lié à Fenrir Greyback. Ce loup-garou avait commis un carnage dans leurs rangs et beaucoup des sorciers mordus lors des attaques avaient fini par se suicider, par être tués ou par disparaitre dans la nature.
Cela avait renforcé la peur et le dégoût des sorciers vis-à -vis de ces créatures, qu'importe que l'un des héros de l'Ordre du Phoenix en était un.
Si Ron l'avait fait venir, c'était pour que Harry appuie son idée sur une potentielle alliance diplomatique avec les loups. Pour qu'il puisse rassurer cette foule vorace et paniquée. Cela aurait été normal s'il ne s'était agi que de ça mais le poids de ses mots était plus important. Une affaire entre loups. Une guerre.

« C'est une guerre qui se prépare en marge de notre monde, expliqua Ron. Une guerre dont nous ne pouvons pas rester spectateurs aux vues de l'implication de nos concitoyens. Pour éviter plus de dommages collatéraux parmi nos rangs, créer cette équipe d'élite est essentiel et la famille Black va nous y aider. »

Ce fut une bombe pour Harry. Il devait déjà assimiler le fait qu'une guerre entre loups dont il n'avait aucune connaissance se préparait dans l'ombre et à présent son ami impliquait Teddy dans ces histoires frontalement. Il ne restait que trois membres de la famille Black et parmi eux, un seul loup.

« Comment pouvez-vous vous assurer de ça ?! s'exclama le journaliste Born. Monsieur Edward Lupin ne s'est jamais rendu dans l'hémicycle !»

L'assemblée se tourna par réflexe vers le fauteuil vide à côté de Draco Malfoy. La place sur laquelle était gravée en lettres argent le nom de cet enfant loup dont le pouvoir sorcier ne s'était jamais révélé.

« Le futur ne lui en laissera pas le choix. » déclara Ron comme s'il s'agissait d'une simple formalité. Comme s'il n'avait pas jeté Teddy dans une fosse aux lions.

Harry n'écouta pas la suite du discours de son meilleur ami. La seule chose à laquelle il pensait était son filleul qu'il avait quitté ce matin après un petit déjeuner dans lequel le jeune homme avait été d'une apathie qui l'inquiétait. Il ne pouvait que penser à sa silhouette qui avait perdu quelques kilogrammes, à sa joie parfois éteinte, à ses sourires, à sa pugnacité et sa détermination. Teddy avait encore tant à vivre, à découvrir. Il avait d'autres combats à mener qu'une guerre assassine. Harry ne s'était pas battu pour que ses proches, que cet enfant qu'il considère comme son fils soient jetés sur un champ de bataille.

Par réflexe, secoué, il se leva prêt à confronter son ami avant de se rendre compte de l'endroit où il se trouvait : le Conseil.

Des centaines de paires d' yeux le fixèrent et la réalité le frappa. Il ne pouvait enfoncer Ron face à tous ces vautours qui n'avaient qu'une envie, dépecer cette tête brûlée qui avait déjà mis à mal plusieurs systèmes et affaires de corruption dans les hautes sphères. Sans son soutien, les familles des disparus n'auraient jamais le repos et peut-être même que des personnes verraient ses dires comme une porte ouverte pour les discriminer d'autant plus. Il fixa quelques instants son frère de cœur qui lui rendit un regard empli de fougue, d'angoisse, demandeur d'un soutien difficile. Et le survivant s'assagit:

«Je… Je me chargerai d'entrer en contact avec des meutes influentes de la région. Je soutiens les propositions de l'Auror Weasley.» déclara-t-il d'une voix blanche avant de se rasseoir, furieux.

Ron et Hermione ne lui avaient pas parlé de leurs plans car ils savaient qu'il n'aurait jamais accepté de mettre sur le devant de la scène son filleul. Ses amis savaient que Harry détestait utiliser son nom pour des affaires politiques. Que cela ne faisait que lui rappeler les tourbillons et bouleversements qui avaient eu lieu lors de la Restauration. Ses meilleurs amis savaient qu'il aurait refusé donc il l'avait acculé de telles sortes qu'il se sente obligé d'accepter et de soutenir leurs idées. Par loyauté.

Cela lui rappelait en pleine face qu'il n'avait jamais vraiment été maitre de son destin. Cela lui rappelait cet enfant qu'il était qui avait été obligé d'endosser un rôle trop grand pour lui pour sauver un monde dont il avait été écarté toute sa jeunesse. Harry avait été isolé pour être plus malléable sous les mains du sorcier qu'il aimait et respectait malgré tout: Albus Dumbledore.

Cette sensation d'absence de contrôle sur la suite des événements lui donnait envie de vomir. Cela lui donnait envie de brûler, de détruire quelque chose. Comment avait-il pu lui faire ça à lui, à Teddy ?


À la fin de la réunion, alors que les regards s'étaient enfin détachés de leur personne, Harry saisit le bras de Ron pour qu'ils puissent s'expliquer dans une salle fermée.

Lorsqu'ils se trouvèrent enfin seuls dans un des petits salons, le héros explosa:

« Comment est-ce que tu as pu me faire ça ?! Tu es censé être mon meilleur ami ! S'écria Harry hors de lui.
— Oui ! On est censé être amis ! Et normalement je n'aurais jamais eu à faire ça si tu prenais un peu au sérieux la gravité de la situation !
— Je la comprends très bien ! Tu veux jeter les Black dans cette guerre. Pour Draco je ne sais pas quel pacte vous avez fait je m'en contre fiche, il est adulte ! Mais Teddy, tu veux jeter Teddy dans ce bourbier comme si c'était un vulgaire pion...
— Teddy n'est plus un enfant, ce sera à lui de faire son choix.
— Je t'interdis de faire ça ! Il se sentira obligé d'accepter ! S'interposa Harry sans sourciller.
— Il n'est pas un enfant que tu peux garder dans une boîte pour qu'il n'affronte pas le monde extérieur ! Il n'est pas comme toi ! »

Les deux hommes se figèrent à la suite de cette critique à peine déguisée.

« Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Tu me dis que je ne me comporte pas comme un ami mais ce qui est en train de se passer va au-delà de nos petites querelles ! Des enfants sont en danger, des parents ont disparus, des personnes pleines d'avenir sont pourchassées parce qu'elles n'ont pas de pouvoirs merde ! Et tu viens me parler de loyauté ?! Nous ne nous sommes pas battus toute notre vie pour que des innocents perdent la vie ainsi! Et tu sais toi-même qu'il ne suffirait d'un rien pour que d'autres horreurs puissent se produire! Les gens n'en ont rien à foutre! Le Harry que je connaissais n'aurait jamais mis ça sous le tapis alors que tant de vies sont en jeu ! Alors qu'on pourrait faire quelque chose ! Tu as déjà été auror ! Tu es censé savoir ce que ça fait d'être impuissant dans ce genre de situation ! »

Harry ne le savait que trop bien mais cela n'amenuisait pas sa colère et sa peur. Sa peur de voir Teddy suivre le même chemin que lui. Ce qu'il avait vécu, il voulait que personne ne puisse subir une expérience comparable.

« Quelqu'un d'autre peut le faire à sa place...Tu aurais même pu m'utiliser si cela te chantait mais pas lui…
— La prophétie...
— Ou alors on peut tout simplement ignorer une stupide prophétie ! Je ne vois pas pourquoi mon filleul devrait risquer sa vie pour des personnes qu'il ne connait pas sous prétexte qu'un devin a encore ouvert sa bouche !
— C'est la seule piste...
— Trouvez-en une autre !
— Nous même on t'a suivi, bien plus jeunes !
— Vous n'auriez jamais dû me suivre ! C'était de la folie pure !
— Le plus grand bien nous intimerait de...
— Arrête de parler comme Dumbledore !
— Et toi arrête de parler comme si ces vies n'avaient aucune importance putain ! Je... Je sais que ce ne sont que des Cracmols et je pensais que toi parmi tous les autres tu comprendrais... Aucun sorcier ne se mouillera pour eux c'est pour ça que j'ai besoin de toi et de Teddy...
— Ce n'est pas moi... Je ne sais même pas comment tu as pu imaginer ça... Si tu pensais réellement que j'aurais accepté... Tu ne m'aurais pas dissimulé ce que tu comptais faire…
— Peut-être que tu as raison, peut-être que je n'aurai pas dû mais je ne reviendrai pas en arrière. J'ai cru qu'il restait en toi assez de bonté pour comprendre qu'on ne pouvait pas abandonner des personnes maltraitées toute leur vie par la société. Ces personnes seront sauvées. J'irai voir Teddy...»

Harry ne reconnaissait plus son meilleur ami. Il n'était plus maitre de lui non plus. Tout ce qu'il ressentait, c'était le goût amer de la trahison dans sa bouche. Il se sentait démuni et des mots assassins traversèrent son esprit agité.

«Haha... rit Harry sardonique. Le grand Auror Weasley veut mener sa loi pour aller sauver la veuve et l'orphelin comme s'ils étaient les seuls à crever comme des rats sur cette terre. Pour quel motif ? Pour ressentir encore plus de gloire et à nouveau faire la couverture des grands titres tel le grand héros qu'il est !
— Je me demande bien comment tu peux encore être considéré comme le héros du monde sorcier Harry. Je pensais pas que vivre dans ton coin comme ça t'avait rendu si individualiste et que t'avais des œillères ! Je pensais que la justice était aussi importante pour toi que pour moi...
— Ron... Essaya de l'arrêter Hermione qui venait de les rejoindre.
— Non Mione, laisse-le... Puisque Monsieur se targue de vouloir dicter ma vie... Laisse-le finir! s'énerva Harry.

Il avait envie d'exploser, de faire mal à Ron pour qu'il ressente au moins une once de sa propre peine.

— Tu me dis que je ne me suis pas comporté comme un ami ! Mais c'est QUAND ? C'est quand la dernière fois que tu as pris une initiative avec moi ?! Sans Mione, notre relation n'aurait plus aucun sens ! J'ai perdu mon meilleur ami ! On s'est perdu parce que tu ne prends pas le putain de temps de juste être là ! De ne pas te cloîtrer dans le monde des moldus comme un voleur ! Il n'y a pas que ma sœur qui est partie il y a huit ans. Tu es mort avec Ginny. »

Cette dernière phrase était une enclume. Ces derniers mots blessèrent Harry comme s'il s'agissait d'un Doloris. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas rester en ces lieux alors que Ron lui avait craché ça. Aucun mot ne sortit de sa bouche pour riposter et Harry craignit. Il craignit de s'effondrer comme un vulgaire château de cartes face aux sentiments de Ron, face à cette claque qu'il lui avait assenée.
Il n'avait plus rien à faire ici. Harry se retourna sans un regard, détruit. Il entendit à peine l'appel alarmé de Hermione.

Son champ de vision se rétrécissait. Sa honte, son angoisse grimpaient en flèche alors que les terribles mots emplis de vérité résonnaient dans son esprit. Il était mort. Mort. Mort. Et Ginny n'était pas là pour le réveiller. Ginn' n'était plus là. Et il se sentait seul. Seul même entouré dans ce monde trop grand qu'il n'arrivait plus à suivre. Encore. Harry pouvait encore sentir le spectre de sa douleur qui s'était réveillée à l'attaque de son ami. La détresse accablante. Il essaya de calmer son rythme cardiaque et sa tension en respirant dans un circuit de quatre étapes comme lui avait expliqué la psychomédicomage qu'il n'avait pas vu depuis cinq ans. Mais cette technique ne fit pas effet, augmentant son trouble. Harry se sentait enfermé, pris au piège et aucun mot n'arrivait à le libérer de cette sensation d'encloisonnement. Il devait partir. Il devait fuir avant de se déliter.
Harry dévala à toute vitesse les escaliers du bâtiment et au détour d'un couloir, aperçut Draco.

Sa première idée, complètement folle et farfelue quand il le vit, fut de se jeter dans ses bras. Harry avait besoin d'être loin d'ici. Mais cette idée passagère, démente, se fracassa à l'instant où il vit le professeur et chercheur Monsieur Silvius. Étaient-ils amants ? Ils l'étaient sans doute. Même si Draco était une personne discrète, cela ne signifiait pas qu'il ne pouvait pas entretenir des relations charnelles avec d'autres hommes. Et du scientifique, le blond en était définitivement proche. Le regard plein d'affection qu'il lança à l'homme au détour d'une parole, Harry en fut jaloux. Une partie de lui, avide, incontrôlable, souhaiterait avoir le droit à ce genre d'attention. Être le seul susceptible de... Qu'est-ce qu'il racontait ? Ces questionnements n'avaient aucun sens tout comme sa présence au sein de ce bâtiment. Harry ne se reconnaissait plus.
Décidant d'opérer un demi-tour avant qu'il ne soit trop tard, le survivant exécuta le seul sort qui pouvait le sauver : un transplanage bien rodé.


Cela faisait quatre jours que le père d'Albus n'avait cessé de renforcer les protections déjà importantes de la maison. Il faisait aussi des réserves alimentaires. Cela avait le don de questionner le jeune sorcier qui n'hésita pas à demander à son père quelles étaient les raisons de cette précipitation. Bien entendu, son géniteur avait été plus qu'évasif, prétextant que la téléportation d'Ayaba lui avait donné des idées pour les protéger. Il fallait toujours se préparer aux pires éventualités. C'était le mantra de son père. Et ne pouvant avoir plus d'informations, Albus était bloqué et devait se faire une raison. Néanmoins, il ne pouvait s'empêcher de ruminer et de fabuler sur la question.

Le sorcier se décida donc à partager ses pensées pour arrêter de tourner en rond avec :

«Tu ne trouves pas que Papa est tendu depuis quelques jours ? demanda Albus à Lily alors qu'ils étaient assis devant un film de super-héros que l'adolescent avait du mal à suivre.
—Pas plus que d'habitude, répondit la rouquine en fourrageant dans le bol plein de pop-corn qu'Albus ne cessait de picorer.
—Il m'a demandé de l'accompagner en forêt qu'une seule fois. D'habitude, je dois m'occuper plus souvent du jardin, continua Albus préoccupé.
— Ça te fait chier donc tu devrais être content… » dit Lily perplexe.

Sa sœur de cœur avait enfilé le sweatshirt de James parti à la salle de sport de la ville avec un de ses amis pour s'entraîner. Elle était toute à fait à l'aise et ses cheveux légèrement décoiffés cachaient un peu ses épaules. Cependant, ce n'était pas suffisant pour camoufler son cou. De sa position, Albus avait une vue sur l'énorme suçon laissée par une louve un peu trop possessive. Cette vision fit éclater de rire le garçon tout en entraînant chez lui un léger sentiment d'envie.

« Jane t'a pas loupée ! S'amusa Albus en pointant la tâche de sa cousine qui rougit de honte.
—Merde... C'est une vraie sangsue parfois... Ces Alphas maugréa-t-elle. Si Harry voit ça, là c'est sûr qu'il va stresser... »
La déclaration de Lily angoissa quelque peu le sorcier alors qu'un poids semblait peser sur son estomac.
« Euhh... Pourquoi... ? Il... Il n'approuve pas votre relation... ?
—Il flippe, déclara de but en blanc, la jeune femme. T'aurais vu sa tête lorsque je suis allée à la Pride avec Jane! J'ai jamais eu autant d'objets type bombe lacrymogène ensorcelée pour me protéger au cas où dans mon sac.
—Ahh... Okay... » soupira Albus soulagé.

Si son père n'avait pas accepté l'orientation sexuelle de sa cousine, le sorcier se serait senti encore plus angoissé. Il n'avait pas de raison pourtant. Son père l'aimait malgré toutes ses bizarreries. Il ne le rejetterait jamais mais Albus avait peur de le décevoir. C'était son seul enfant biologique après tout et son père faisait tout pour lui.

« Pourquoi tu fais cette tête ? Ne me dis pas que... Naannn... » commença Lily fébrile, les yeux ronds.

Sa sœur avait compris. C'était obligé qu'elle ait compris car Albus était incapable de lui cacher quoi que ce soit. Elle avait compris avant même qu'il ne lui annonce qu'il préférait les garçons.

« Donc tu sors avec Scorpius ?! S'exclama Lily surexcitée.
—Quoi ? Non ! C'est comme mon frère ça va pas ! En plus il est hétéro... » Répondit Albus outré.
Lorsque le Serpentard avait fait son coming-out à Rose pour avoir des informations sur un certain garçon de sa maison, sa cousine avait elle aussi pensé qu'il était fou amoureux de son meilleur ami. C'était extrêmement horripilant. Était-ce si difficile de voir deux garçons proches l'un de l'autre sans qu'on pense qu'ils étaient amoureux ?
« Nan mais je demandais au cas où puisque vous êtes proches et tout. Je t'aurais donné des conseils, tu sais ? expliqua Lily avec un grand sourire. Harry est pas au courant ? Tu devrais pas t'inquiéter...
—Ouais je sais pas pourquoi je flippe comme ça... C'est juste... Tu vois...
—Ça peut être flippant oui. Mais franchement Harry est bi comme moi donc détente...
—ATTENDS QUOI ?! » s'estomaqua Albus, manquant de faire tomber son bol.

Son père n'était pas intéressé que par les femmes. Depuis quand ? Comment cela se faisait qu'il ne lui avait jamais rien dit ? En réalité, ce n'était pas comme s'ils parlaient de sexualité tous les deux... C'était Teddy qui lui avait parlé de tout ce qui touchait au sexe, sans doute envoyé par son père trop embarrassé pour le faire lui-même.
Mais pourquoi Albus était toujours le dernier au courant ?

«Ben oui. Il a même eu quelques relations avec des gars... expliqua Lily exaspéré par son ignorance. Ça a mené nulle part mais t'étais peut-être trop petit pour t'en souvenir ou t'en rendre compte. Tu te rappelles le super beau randonneur qui est passé au café tout l'été de tes neuf ans ?
—Ah oui ! Ça me revient ! Je pensais qu'ils étaient amis moi...
—Et tu me juges parce que j'ai cru que tu sortais avec Scorpius, sérieusement Al ! » se moqua sa cousine avant qu'ils ne focalisent à nouveau leur attention sur le film.

Au moment où une énième bataille était jouée sur l'écran plat, le ronflement de Teddy commença à résonner dans le salon. Leur ainé avait fini par s'endormir devant le film. Il devait vraiment être épuisé parce qu'il adorait cet univers. Lui aussi semblait au bout du rouleau et cela inquiétait Albus. Normalement, Teddy devrait être sur un petit nuage avec son âme-sœur. Mais pour être honnête, Albus avait encore du mal à s'imaginer qu'Ayaba puisse vraiment être la sienne. Pourquoi les deux ne se parlaient pas ? Ne rataient-ils pas quelque chose en s'ignorant ainsi ? L'adolescent pensait que Teddy lui aurait posé plus de questions sur la sorcière mais ce n'était pas le cas.

Albus avait hâte que Scorpius vienne à la maison. Ainsi, il pourrait lui parler de ses petits tracas. Le sorcier ne savait pas pourquoi mais une ambiance étrange régnait autour de la forêt. L'adolescent se languissait d'entendre son meilleur ami parler de ses propres vacances avec son père et de ses propres questionnements et expériences.


Scorpius était un peu déboussolé bien qu'il ressentît aussi une once de joie incommensurable. Pour la première fois, son père et lui avaient fait un voyage ensemble en dehors du pays pour des vacances bien méritées. Il lui avait même permis de voir les aurores boréales magiques et les sorts et rituels qu'effectuaient les sorciers norvégiens. Ces quelques jours ensemble avaient été d'une importance capitale pour l'adolescent.

Il ne passait pas beaucoup de temps avec son paternel, toujours plongé dans son travail ou vaquant à des occupations en dehors de la maison. Parfois, il arrivait à Scorpius de se dire que leur relation aurait été différente si son père l'avait vraiment voulu. Ce n'était pas qu'il ne l'aimait pas. Son père l'aimait sinon il ne travaillerait pas autant pour redorer le blason infâme de la famille et ne ferait pas des pieds et des mains pour délier les chaines qui l'entouraient. C'était pour son travail qu'il avait écourté leurs vacances. Il allait effectuer une autre mission avec les aurors et pourrait être des jours entiers hors du manoir. Son père n'aurait jamais fait tout ses efforts s'il ne l'aimait pas.

Cependant, il était né pour permettre à la famille Malfoy et Black d'avoir une descendance sorcière. C'était la raison de sa naissance et Narcissa Malfoy le lui avait répété à maintes reprises lorsqu'il était enfant. Sa grand-mère aurait préféré que sa mère soit quelqu'un d'autre et une femme que son père aurait épousée mais aucun de ses rêves ne s'était réalisé. D'une part, Scorpius était né par insémination artificielle chez un maitre de potions spécialisé. En plus il était aussi lunatique que sa mère selon les dires de sa grand-mère et les allusions plus affectueuses de sa grand-tante Andromeda.

Scorpius était un demi-Malfoy. Il n'avait pas l'allure et la prestance d'un châtelain et le manoir enchanté semblait le lui rappeler tous les jours, exécutant ses ordres au gré de ses propres caprices.

Le jeune homme avait passé un nombre incalculable de jours dans l'immense demeure en compagnie de sa grand-mère quasiment mutique. Ces jours d'enfance n'avaient pas été malheureux. Mais ils n'avaient pas été foisonnants de bonheur non plus. Scorpius était un garçon plutôt solitaire et le fait de vivre entouré d'adultes poursuivis par leurs propres démons n'avaient pas aidé.

Sans Albus, le blond ne savait pas comment il aurait survécu à Poudlard. Son ami était une véritable lumière dans sa vie monotone. Qu'il avait hâte de le retrouver chez lui! Ce serait sans doute plus animé que ses murs froids et hantés.

Scorpius regardait par la fenêtre de sa vaste chambre, la forêt familiale qui s'étalait à perte de vue. C'était vraiment un beau cadre, plein de magie et d'une certaine mélancolie qui accompagnait souvent la sienne. Le soleil prendrait du temps à se coucher en cette journée chaude d'été et ce fut alors qu'il pensait à son repas que Scorpius se souvint des rosiers du lac.

Le lac était l'élément le plus singulier de leur domaine aux yeux de l'adolescent. Aucun des tableaux de la demeure ne le représentait ce qui laissait supposer qu'il était apparu récemment. Cependant, personne ne lui avait jamais expliqué son origine. Il émanait une atmosphère particulière de cette étendue d'eau entourée de fleurs. Et cela faisait plusieurs jours que personne n'avait arrosé les roses blanches qui l'entouraient. Habituellement, son père s'attelait à cette tache mais il était parti en vitesse pour son travail.

Le blond se retrouva donc avec un chapeau de paille sur la tête à marcher dans la forêt jusqu'au lac. Aucun pétale de fleurs ne semblait avoir flétri malgré l'absence d'une main humaine pour les étancher de leur soif. Scorpius invoqua un faible Aguamenti et laissa l'eau pleuvoir sur les plantes qui étaient d'une élégance exceptionnelle. Le sorcier n'avait pas le souvenir de les avoir jamais vues si resplendissantes. Il n'avait pas l'habitude de venir jusqu'ici. C'était le lieu de recueillement de son père. Et les seules fois où il avait aperçu la silhouette de son géniteur au bord de l'eau alors qu'il se promenait seul, l'adolescent n'avait pas osé l'interrompre dans sa contemplation.

Alors qu'il allait retourner au manoir, le sorcier remarqua une étrange plante parmi ces prototypes d'un blanc pur. Une rose d'un bleu cristallin. De la fleur émanait une chaleur magique d'une douceur saisissante. Scorpius se demanda d'où ce spécimen avait bien pu sortir sans remarquer qu'un Patronus venait de poser ses sabots sur l'eau limpide à quelques pas de lui avant de s'enfuir dans l'invisible.


L'agencement de cette équipe était étrange. C'étaient les seuls mots qui traversaient l'esprit de Draco alors qu'il attendait l'arrivée du couple Weasley-Granger en face du Département des Mystères. Le sorcier avait fermé sa boutique d'apothicaire le temps de cette mission dont la durée était pour l'instant indéterminée. Alors qu'il patientait, le blond se demanda une fraction de secondes s'il avait fait le bon choix avant de balayer ses doutes d'un revers de main. Le nom des Black avait déjà été mis sur le tapis par Ron Weasley. Le descendant ne pouvait revenir sur ces paroles. Néanmoins, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une inquiétude sourde. Une guerre. Ce n'était pas anodin. Et si son neveu Edward était impliqué, il était certain que Harry ne resterait pas les bras croisés.

Le maitre de potions ne connaissait rien du fonctionnement social des loups-garous. Il n'avait pas la possibilité d'avoir un aperçu de l'étendue réelle qu'aurait une deleur guerre. Et Draco ne supportait pas ce flou. Cela l'empêchait de pouvoir mettre au point une stratégie. Or, un Malfoy se devait d'être prévoyant. Il fut projeté hors de son esprit par les pas précipités de Granger qui accourait vers lui, seule. Sa blouse blanche de médicomage voltigeait à une allure ahurissante alors qu'elle se stoppait.

« Excuse-moi, j'ai eu une urgence à Sainte-Mangouste, expliqua la cheffe de clinique en reprenant son souffle.

— Tant que le travail peut être fait dans les plus brefs délais, déclara sans masquer son agacement Draco.

— Sans problème! Je n'ai pas l'habitude d'être autant en retard Monsieur Malfoy. » répondit sans se démonter Granger en lui lançant un sourire plein d'assurance qui aurait bouché un coin à plus d'une personne.

L'ancienne Miss-je-sais-tout n'avait rien perdu de son caractère de feu qui, malgré une tempérance augmentée due à l'expérience, continuait de transparaitre dans chacun de ses gestes, de ses regards scrutateurs et de ses prises de paroles. Ses cheveux étaient attachés en un chignon négligé et des boucles brunes et des frisottis dépassaient de çà et là.

« Laissez-moi en douter connaissant les retards de votre mari, se plaignit Draco.

— Ron ne pourra pas nous accompagner finalement, expliqua la sorcière. Il est à une réunion d'urgence mais dans tous les cas, j'ai de quoi enregistrer.

— Ah. »

Draco ne voulait pas le dire mais il était mal à l'aise à l'idée de se retrouver seul avec cette brillante sorcière. Il avait l'impression que Granger était capable de lire dans ses pensées et d'analyser ses actions avec beaucoup trop de facilité à son goût. Et Granger semblait ouverte à la discussion alors que lui souhaitait effectuer son travail le plus vite possible pour reprendre le train de sa vie morne. Draco la suivit jusqu'au bureau des langues-de-plomb qui effectuaient leur travail en silence. Granger montra son badge de consultante à un collègue au teint blafard qui les laissa monter dans un ascenseur exigu et poussiéreux.

« Les langues-de-plomb ne se rendent dans la salle des prophéties qu'une fois par an pour ranger ou annoter les nouvelles prophéties apparues, expliqua la brune alors que leurs épaules se touchaient.

— Ils pourraient tout de même passer un coup de balai, dit Draco en enlevant la suie qui avait taché son pantalon.

— Ils essaient peut-être de faire des économies mais je suis d'accord. » ricana Granger.

La sorcière lui expliqua tout le fonctionnement de la salle aux boules de cristal avec un sens du détail qui aurait pu être agaçant mais que Draco trouvait particulièrement bienvenu. Ils finirent par arriver dans la fameuse pièce aux milliers de boules renfermant des parcelles de destins passés et présents.

Ils marchèrent avec rapidité alors que les chuchotis emplissaient les oreilles du maitre en potions. Granger lui expliqua alors qu'Edward était mentionné dans la prophétie et que c'était la raison pour laquelle il avait été embauché dans cette équipe. Rien que cette idée laissa penser au sang-pur que le survivant avait forcément mal pris cette nouvelle. Comment allait-il ? Eliminant cette question inutile de son esprit, Draco se focalisa sur la boule censée présenter la prophétie tant convoitée par ses collègues.

« Elle n'a pas réagi à mon toucher ou à celui de Ron. Mais peut-être qu'avec toi…

— J'ai compris.» la coupa Draco sans sourciller.

Le sang-pur approcha sa main de la source lumineuse. A son toucher, celle-ci irradia de toute part alors que la voix forte de la divinatrice résonna autour de lui.

« Dans leur quête, ils devront apprendre à compter les uns sur les autres et même au-delà. Le Gamma sera aidé dans sa quête par trois sorciers. Trois sorciers … »

Sa voix s'éteignit dans un murmure inaudible alors que Draco peinait à reprendre son souffle. La boule avait parlé sous ses doigts. Granger avait enregistré ce vestige d'informations. Et le sang-pur comprit alors que le destin fatal avait relié son fil autour de lui et qu'il était impossible pour lui de fuir. Il était l'un des sorciers de la prophétie.