Introduction –

Edgar Jacobs lui-même aimait les femmes et aimait les dessiner. Il suffit, pour s'en persuader, de chercher ses dessins de mode pour les catalogues des grands magasins... ou ses dessins de nus. Il a pu créer des personnages comme Sylvia ou Ica dans Le Rayon U. Cependant, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la censure presque draconienne des lois sur les publications destinées à la jeunesse lui a interdit de proposer des personnages féminins un tant soi peu séduisants. Dans une interview réalisée par François Rivière en 1975 et publiée en 2000 sous le titre Les Entretiens du Bois des Pauvres (éditions du Carabe), suite à une question de Rivière sur l'absence de femmes dans la série Blake et Mortimer, Jacobs a répondu : « Oui, d'ailleurs j'avais dit un jour à un confrère [...] que si j'avais eu l'occasion de pouvoir me servir d'une japonaise ou d'une eurasienne, j'aurais pu employer un personnage féminin dans mon histoire. » (informations tirées du blog blake-jacobs-et-mortimer, article « Blake, Jacobs, Mortimer et les femmes »)

Au moment où j'ai découvert Blake et Mortimer, et en particulier Le Secret de l'Espadon, la France s'apprêtait à gagner sa première Coupe du Monde de football, j'avais une dizaine d'années, et déjà dans mon esprit s'esquissait une première ébauche de cette fanfiction. Pour faire court, il s'agissait d'une réécriture très mièvre des albums de Jacobs. Rien n'est impossible dans la tête d'une enfant esseulée et débordante d'imagination... ! Et sans avoir encore connaissance de cette interview de Jacobs (que je découvrirais seulement à l'aube de mes vingt ans), apparaissait une jeune femme qui complétait le duo formé par Blake et Mortimer...

Cette histoire n'a pas abouti, mais a continué de se développer, de progresser. Jusqu'en 2014... année de parution du Bâton de Plutarque. Pour Yves Sente et André Julliard, Philip Mortimer a travaillé à Bletchley Park jusqu'en 1946, en tant que cryptanalyste, et y a réalisé certains de ses travaux, dont l'Espadon. À la fin de l'album Le Bâton de Plutarque, au moment où l'amiral Gray insiste sur leur importance face à la menace de l'Empire de Basam-Damdu, Mortimer dit ceci : « Mon équipe et moi approchons du but, Amiral. Soyez confiant. » On peut donc supposer – ou plutôt, j'ai supposé – que l'Espadon n'a pas été engendré de la main d'une seule personne. C'est humainement impossible.

Mais 2014 a aussi été l'année de la sortie d'un film que j'ai trouvé génial, The Imitation Game. Je me suis dit : « Bah m*** alors, ça aurait été rigolo que Mortimer discute avec Alan Turing, ou joue aux échecs avec Hugh Alexander... Pourquoi Sente et Julliard n'y ont pas pensé... ? ». Là, mon esprit (un peu tordu, je l'avoue) s'est remis en route et a ressorti cette vieille histoire de Secret de l'Espadon... l'a associée au Bâton de Plutarque... ajoutez à cela la magie intemporelle des « Et si... ? », ou des « On dirait que... »... imaginez enfin des pièces de puzzle qui s'emboîtent soudain toutes seules pour former un motif cohérent... Tadaaaa !

J'ai sans doute fait pas mal d'erreurs, historiques, chronologiques, mathématiques... et la plus grosse des entorses, c'est que « mon » personnage féminin est loin d'être celui dont rêvait Jacobs. J'espère que vous ne m'en voudrez pas et que vous apprécierez quand même cette histoire... bien qu'elle ait conservé un côté assez niais.

Au passage, j'en profite pour dire que le musée du GC&CS, à Bletchley Park, a été inauguré en juillet 1994. J'aime à penser que Mortimer faisait partie des premiers visiteurs, et que, à l'ombre de cet étrange manoir au style éclectique, l'espace d'un instant, il s'est senti projeté dans le passé...

Bonne lecture !