Bonjour à toutes et à tous,

Merci à Chlio pour son commentaire, ainsi qu'à Matagiita pour la mise en favori ! Merci également aux lecteurs silencieux.

Je me suis officiellement lancée dans la relecture de cette histoire, maintenant que la rédaction est terminée. Je vous avoue que ça me fait bizarre de revenir aux premiers chapitres. Je les ai beaucoup modifié, et même maintenant je n'en suis pas encore complètement satisfaite. J'ai l'impression que les personnages comme mon écriture ont changé depuis : je crois que j'ai mis du temps à trouver mes marques. De plus, le début de l'histoire est vraiment le moment où je suis restée le plus proche du jeu, et j'ai commencé à vraiment m'amuser quand je me suis permise de différer de la base. Je suppose qu'il est difficile d'être entièrement satisfait de ses propres écrits. En tout cas, j'avance, et espère pouvoir imprimer le bébé courant septembre.

Question pour les connaisseurs du site : si j'update les chapitres avec leur version finale, cela envoit-il une notification ? J'aimerais autant éviter que vous vous en preniez vingt d'affilé pour de la mise à jour.

Réponses aux reviews :

Chlio : Merci pour tes félicitations ! Je suis contente que tu aies apprécié cette plongée dans le passif de Nymuë et Revan, leur histoire aura de l'importance pour la suite. Et tu l'as bien analysé ! Je suis tout à fait d'accord avec toi au sujet de la scène avec la dryade. Je trouve que le regard envoyé par Astarion à "Tav" est absolument adorable, si tu réponds correctement au test, mais ça ne me paraît pas trop coller au personnage. Même Neil Newbon, dans sa propre partie, à trouvé contre-intuitif de se romancer lui-même lors de ce passage ! Quant à ce qui est prévu... les réponses tout de suite !

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 34 :

Bienvenue en Aigreterre

"Brindille ?" s'exclama la musicienne, sous le choc.

Le kobold était tout simplement tétanisé. La gueule à demi ouverte, il levait au-dessus de sa tête une pancarte représentant les artistes du Cirque des Derniers Jours. Son regard zigzaguait de Nymuë à ses camarades.

"Que fais-tu ici ?" questionna l'elfe noire.

La demande eu le mérite de le tirer de sa torpeur, au point qu'il manqua lâcher son écriteau :

"Ny… Nymuë ? balbutia-t-il. Par les dieux, tu es en vie ? Je n'arrive pas à y croire !

- Je peux le concevoir, répliqua froidement la jeune femme. Aux dernières nouvelles, toi et le reste de la compagnie aviez prévu de me vendre.

- Tu ne peux pas nous en vouloir. Nous cherchions à survivre, tout comme toi ! La Séri, elle… enfin… elle nous terrorisait, tu sais.

- Est-elle ici ?"

La musicienne promena un œil anxieux sur les tentes colorées. Un brouhaha joyeux résonnait, presque singulier au cœur de la misère ambiante. Brindille tripota son chapeau entre ses longs doigts griffus :

"La Séri ? Oh non… Tu es bien placée pour le savoir, étant donné que tu t'es enfuie avec ses économies…

- Serait-ce un reproche, Brindille ?

- Nu-nullement… Disons juste que, après ça, la matrone n'a eu d'autre choix que de mettre la clé sous la porte. Et nous avec… Elle avait pas mal de dettes."

Il se dandina face à l'absence d'expression de son interlocutrice :

"Bon débarras, hein ? glapit-il. Après ce qu'elle nous a fait subir à tous… Après Elyon…"

La musicienne se rapprocha d'un cran :

"Je ne me répéterai pas, siffla-t-elle. Que fais-tu ici ? Et où sont Aktas et Tim ?

- Partis, bredouilla le kobold. Aktas s'est fait embaucher par un ensorceleur. Il disait qu'il voulait utiliser ses deux cerveaux à bon escient. Qu'avec le temps, son frère siamois et lui avaient fini par s'accommoder de leur situation, alors pourquoi ne pas aider sur des domaines où deux têtes en valaient mieux qu'une ? Je n'ai pas eu de nouvelles depuis, mais je crois qu'il ne se débrouille pas trop mal. Quant à Tim, suite à la chute de la Séri, elle l'a supplié de la sortir de ce pétrin. Il a juste tourné les talons et n'est plus jamais revenu."

Il prit une brève inspiration :

"Et moi, j'ai continué à faire ce que je savais faire, à savoir divertir les foules. Avec la Séri, nous avons eu vent du Cirque des Derniers Jours, une compagnie se produisant sur tous les plans de l'univers ! On a réussi à obtenir un entretien avec eux. Mes talents d'illusionniste leur ont plu, et ils m'ont embauché.

- Et Dame… Et la Séri ?

- Que voulais-tu qu'elle leur apporte ? Elle n'a jamais rien fait de ses dix doigts ! Tout le monde savait au sein de la troupe que c'était son mari qui faisait tourner la boutique. Quand il est mort, l'affaire a tenu encore quelques temps, grâce à ses économies et…

- Grâce à La Parade Exotique !" cracha Nymuë.

Brindille hocha la tête d'un air las.

"En effet. Ma nouvelle patronne, Lucretious, n'a pas été impressionnée par son petit spectacle de monstres. Elle en a vu d'autres à force de voyager, et les prouesses de Séri ne l'ont pas convaincue. Elle l'a renvoyée, et je ne suis pas sûre de ce qu'elle est devenue... J'ai entendu dire qu'elle s'était remariée."

Une couche de glace enveloppa le cœur de Nymuë. Séri, sa persécutrice, responsable de la mort d'Elyon… avait eu le droit à une fin heureuse. Elle avait retrouvé un mari, un foyer, et peut-être même une fortune. Ce n'était pas juste. La musicienne aurait voulu la savoir six pieds sous terre. Elle aurait aimé imaginer son désespoir alors qu'elle gisait, affamée et humiliée, au milieu d'une ruelle. Elle ignorait d'où lui venait ce vide béant, soudain, dans sa poitrine. Il menaçait de l'engloutir.

Les tourments reçus durant un siècle, tout cela ne servait à rien. Naïvement, la jeune femme avait cru que Séri paierait le prix de ses actions passées. Mais voilà que justice n'était pas faite. Nymuë n'obtenait pas réparation, et Elyon ne revenait pas à la vie.

Elle serra les poings : quelle valeur donner aux épreuves subies ? Comment les histoires pouvaient-elles chanter les sacrifices des héros, ainsi que les châtiments des mauvais, quand Séri vivait et elle-même était peut-être sur le point de mourir ? La vision de l'elfe noire se brouilla, tandis qu'elle muselait son cri interne. Elle avait envie de hurler. Elle avait envie de punir.

Des doigts froids caressèrent les siens, les éloignant subtilement de son poignard :

"Je constate que vous êtes un meilleur illusionniste que ce que Nymuë nous a raconté." observa Astarion.

Brindille pivota vers lui, impressionné par son regard rouge et perçant. Ses yeux glissèrent vers la carrure impressionnante de la githyanki, puis sur l'expression sévère de la prêtresse :

"Vrai… vraiment ? bredouilla-t-il.

- Oh oui. Vous maîtrisez tellement bien votre art que j'ai cru vous voir posséder un semblant de dignité."

La honte traversa le visage du kobold. Pendant une seconde, Nymuë eut presque de la peine pour lui. Il avait été une victime, tout comme elle. Et tout comme elle, il avait fui.

Mais sa pitié fut noyée lorsqu'elle entendit les pleurs de l'enfant. Brisant l'atmosphère joyeuse, les gémissements perçaient avec difficulté le mur de rires et de quolibets, de l'autre côté du cirque :

"S'il vous plaît ! criait la petite. Je voulais juste prendre quelques herbes… pour ma maman ! Je ne voulais pas…

- Les voleurs, ça ne peut connaître qu'un seul châtiment ! s'exclama une voix aiguë. Pas vrai, Copain le chien ? Il faut leur couper la main… car ils ont le bras long !"

Un tonnerre d'applaudissements salua cette - mauvaise - boutade, tandis que l'elfe noire s'avançait. Entre deux tentes arc-en-ciel, une série de bancs avaient été installés. Devant eux, sur une estrade élevée, se tenait un clown. Ses vêtements rouges et dorés, ainsi que ses cheveux violets le rendaient difficile à manquer. Son maquillage grotesque donnait une allure surnaturelle à son sourire, comme s'il lui faisait le tour du visage. Actuellement, ce rictus était adressé à une petite fille agenouillée à ses pieds. Des liens entouraient ses poignets, et un chien énorme - presque de sa taille - lui tournait autour en grognant de façon menaçante.

"Ah ça, soupira Brindille. Pauvre gosse. C'est la fille de l'ancienne guérisseuse. Sa mère est partie cueillir des simples, il y a une dizaine de jours… et ma foi, on ne l'a plus revue depuis. Avec ce qui traîne dans les environs en ce moment, elle est probablement tombée sur une mauvaise surprise…

- Personne ne s'est occupé de la petite ensuite ? s'indigna Ombrecoeur.

- Qui a le temps de jouer la nourrice en cette période ? La gamine est persuadée que sa mère va revenir. Elle s'est mise en tête de voler des herbes à Lucretious, soi-disant que si elle ramenait à la maison ce que sa mère cherchait, alors ça la ferait rentrer. Enfin bref… elle s'est faite attraper, et sa punition est de monter sur scène avec Baveur.

- De se faire humilier."corrigea Nymuë.

Le kobold eut la décence de paraître embarrassé.

"Et tu oses me dire que la Séri vous terrorisait… C'est encore et toujours la même histoire, semble-t-il. Tu me déçois, Brindille."

Elle planta son ancien collègue, ignorant pour de bon sa détresse. Accompagnée de ses compagnons, Nymuë se précipita à l'intérieur du cirque. Baveur continuait son petit numéro sous les hourras de la foule :

"Comment, donc ? Tu ne veux pas que Copain te grignote ? Ne fais pas ta tête de… chien battu !"

Certains des spectateurs se tenaient les côtes, hilares. La musicienne retint sa respiration alors que le clown sortait un couteau de sous sa veste. Elle ignorait pourquoi, mais elle avait un très mauvais pressentiment.

Ses yeux se posèrent sur la petite fille, saisie de tremblements. Elle avait des cheveux roux. Des yeux verts.

"Ça suffit !" hurla-t-elle.

Le bouffon se tourna vers elle, et Nymuë se figea. Là, au milieu de la scène, elle faisait face à un public au grand complet. C'était comme si une fenêtre sur le passé venait de s'ouvrir ; des dizaines d'individus la fixaient, les lèvres retroussées. Prêts à mordre.

"Bouh ! cria quelqu'un. Vous gâchez le spectacle !"

Une autre voix se joignit à elle, un concert de protestations et d'injures. Baveur avait entamé une petite danse en se rapprochant des aventuriers :

"Hey, hey ! s'exclama-t-il. Vous connaissez l'histoire de l'épouvantail qui s'est pris une raclée ? Je vous le dis ! Ce n'était qu'un homme de paille ! WAHEY !

- Relâchez cette enfant ! rugit Nymuë.

- Oh, là, là, qu'est-ce qu'on s'amuse les amis ! Dommage qu'on ait à s'arrêter…"

L'assistance s'excita de plus belle, pointant du doigt ces inconnus ayant osé ruiner leur divertissement.

"Bon très bien ! reprit Baveur. Si vous INSISTEZ… que diriez-vous d'un petit tour de magie ? Nous avons déjà une volontaire avec des nerfs d'acier et le cœur d'un lion ! Allons, en piste !"

Et tout en gesticulant, le comique fendit l'air de sa lame… pour trancher la gorge de son animal. Le sang jaillit du gosier de la créature, alors qu'elle lâchait un couinement suraigu. Les hurlements de l'audience changèrent de registre ; de furieux, ils devinrent épouvantés. Ombrecoeur se précipita en direction de l'enfant, tandis que Baveur tapotait la tête de son chien avec contentement. Son sourire torve paraissait de nouveau trop grand pour sa figure. Ses yeux étaient pâles, trop pâles, comme le regard d'un aveugle.

"Après tout, susurra-t-il, vous êtes bel et bien la personne la plus spéciale de ce cirque, et même de tout Baldur's Gate ! Car mon regard est braqué sur vous."

D'une torsion de ses mains, le clown se tordit la nuque. Nymuë observa avec horreur sa peau devenir aussi laiteuse qu'une statue de cire, tandis qu'un gloussement furieux - et indéniablement féminin - s'échappait de sa bouche. Quand il remit ses vertèbres en place, ses chairs s'évaporèrent en une multitude de particules, laissant découvrir… Orin. La femme aux yeux morts, et aux cheveux plus dorés que le soleil. Revêtue des restes rougeâtres de ses anciennes victimes… l'une des trois Élus.

Les spectateurs se dispersaient maintenant aux quatre vents, s'époumonant de toutes leurs cordes vocales. D'ici quelques minutes, les Poings Enflammés rappliqueraient, et les dieux seuls pouvaient deviner le chaos qui s'en suivrait. Nymuë serra son poignard chaîné, les épaules tendues. Si elle frappait Orin, jamais elle n'arriverait à bout de son adversaire avant l'arrivée de la garde. Cela créerait une émeute générale…

Le sourire de la changeline s'accentua face au désarroi des aventuriers. Elle savait leurs options limitées, et s'en délectait.

"Donc... voilà les lèches-bottes ayant écrasé l'esclave du Seigneur des Os."

Elle joignit les mains en prière, ses traits simulant les mêmes expressions grotesques que Baveur :

"Êtes-vous venus nous-nous… supplier de vous re-remettre nos pierres ? Gortash ne va pas aimer ça. Une gorge que sa main noire ne peut pas étrangler… Il trouvera votre point faible, insinuera une lame à cet endroit et écartera la plaie pour vous ouvrir de l'intérieur. A moins que vous ne le preniez de vitesse ?"

L'elfe noire s'immobilisa :

"Êtes-vous en train de nous demander de… tuer Gortash ?

- Le Seigneur du Meurtre exige votre sang. Il le sait goûteux, et délicieux… mais pas tout de suite. Il vous voit telle une lame émoussée, indigne de travailler la chair ! Mais il est possible de vous affûter, de vous rendre votre mordant… Oui, je vous dirai ce qu'il faut faire.

- Laissez-moi vous montrer mon mordant !" cracha Lae'zel.

La guerrière githyanki s'avança d'un pas, tandis qu'Orin partait d'un grand éclat de rire :

"Oui, oui, dirigez-le vers la gorge du tyran ! Il ne fait que pleurnicher et se languir de la Couronne de Karsus, rêvant de la posséder pour lui tout seul. Oh, comme j'aimerais imprimer de ma lame un sourire éternel sur son répugnant visage… mais les termes de notre alliance m'empêchent de lever la main sur lui."

L'assassin se mit à tourner autour des aventuriers, caressant au passage les cheveux de l'enfant. La fillette gémit de plus belle.

"Gortash ne voulait pas de moi, au début... Il ne me faisait pas confiance. Il m'a fallu le convaincre, faire le serment de ne jamais le pendre à un crochet et laisser son sang couler lentement dans la gorge de mon Père…

- Votre père ?" répéta Nymuë.

La changeline gloussa avec coquetterie en se penchant à son oreille :

"Bhaalspawn." murmura-t-elle.

L'elfe noire frissonna des pieds à la tête. Une rejetonne du Dieu du Meurtre. Pas simplement son Élu… mais une descendante directe de son sang divin. L'incarnation de sa soif de sang sur terre. Les siens étaient rarissimes ; d'aucun les pensaient même éteints. Et si Nymuë se fiait aux textes d'histoire, la dernière fois qu'un Bhaalspawn s'était manifesté à Baldur's Gate, la ville avait failli y passer…

Elle croisa le regard de ses compagnons, aussi consternés qu'elle. Les dieux morts étaient déjà déterminés à venger la perte d'un de leurs Élus… mais qu'en était-il si, maintenant, ils envoyaient également leur sombre progéniture les confronter ?

"Entendez mes paroles, chaudes dépouilles, poursuivit Orin. Vous devez tuer le tyran, prendre la pierre infernale sur son cadavre, puis la ramener dans mon temple. Ensuite, nous nous entredéchirerons, et les pierres reviendront au vainqueur. Ce qui restera de l'autre appartiendra à Bhaal !"

"Tout n'est pas perdu.", songea Nymuë. Il y avait une faille à exploiter dans le plan de l'Absolue… une lésion, entre la disciple de Bhaal et celui de Baine. Si les Elus comptaient sur leur venue imminente pour se trahir, pourquoi ne pas exploiter cette opportunité ? S'ils étaient trop occupés à se faire la guerre entre eux, alors ils ne pouvaient s'occuper de leur cas… "Reste à savoir, pensa la jeune femme, si ce Gortash est tout aussi enclin à faire ami-ami."

"Si nous acceptons, quelles sont nos garanties ? avança la musicienne. Nous devons survivre jusqu'à cette ultime confrontation, après tout…

- Humm. Acceptez, et je rappellerai mes assassins. La ville est fermée pour une raison, adorable tas de viande… Mes ombres sont partout, et vous observent. Elles ne demandent qu'à vous saigner à blanc !"

Astarion lâcha un juron, que l'elfe noire se retint d'imiter. Ce n'était pas un hasard si Orin les avait trouvés dès leur arrivée… Elle les attendait. Ses hommes avaient dû les repérer, la veille au soir. Par les dieux, si Orin avait été avec eux, elle aurait pu se faufiler au sein de leur campement sans éveiller la moindre méfiance ! Ils ne pouvaient gérer la double menace que représentaient les Élus, s'ils devaient également surveiller leur propre groupe… Cette alliance n'était plus juste une tactique pour diviser leurs ennemis. Un refus entraînerait sans doute une chasse à mort de la part des assassins de Bhaal… Et ils ignoraient encore de quoi ce Gortash était capable.

S'ils jouaient à ce jeu, la partie serait serrée. Leur meilleure carte était celle du bluff.

"C'est d'accord, accepta-t-elle. Nous tuerons Gortash, et en échange vous retenez vos hommes. Ensuite, nous nous battrons pour la dernière pierre infernale.

- Des promesses d'effusion de sang ! exulta la changeline. De douleur, d'humiliation, de rivières écarlates dans les caniveaux ! Ne sous-estimez pas la Garde d'Acier du tyran. Bientôt, vous la rencontrerez ; qu'elle soit emportée dans la rouille et le sang ! Une fois fait, vous pourrez savourer la mise à mort du seigneur de pacotille…"

Orin bondit, agrippant soudainement la nuque de Nymuë. Celle-ci leva une main au moment où ses compagnons empoignaient leurs armes. Le couteau d'Orin frôlait la peau fine de sa gorge :

"Mais écoutez attentivement, fléau des ossements… ronronna la meurtrière. Si vos pas vous mènent dans mon domaine alors que le tyran est encore de ce monde, vos crânes feront un superbe trophée à la gloire de votre échec. Ainsi que ceux de vos alliés.

- Nos alliés ? déglutit Ombrecoeur.

- Ceux restés à Hautelune. Ceux déjà en marche pour vous rejoindre. Je vous l'ai dit : mes hommes sont partout. Voici l'offre de Bhaal. Sachez qu'Il n'en fera pas d'autres."

Orin relâcha sa proie alors que les cris des Poings Enflammés se faisaient entendre. Sur un dernier sourire, elle fit tourner un anneau à son doigt… et disparut. Nymuë toussa bruyamment quand Astarion posa une main sur son épaule. Elle sentait encore l'odeur de l'Élue du Meurtre sur sa peau. Celle de la flétrissure des chairs et de la moelle des os.

Les dés étaient lancés.


L'enfant s'appelait Yenna. Au vu de sa taille, elle devait être âgée d'une dizaine d'années, tout au plus. Ses grands yeux verts étudiaient les aventuriers avec un mélange de peur et de déférence. Quand les soldats débarquèrent au milieu des tentes colorées, Nymuë lui mit de force un baluchon entre les mains :

"Des rations, indiqua-t-elle. Et des herbes, pour ta mère."

La petite se précipita vers les Poings Enflammés. Avec un peu de chance, ceux-ci la recueilleraient dans leur caserne pour la nuit, ce qui lui éviterait de nouvelles mésaventures. Les compagnons profitèrent de la confusion pour s'éclipser.

"Ce n'était pas comme ça que j'imaginais retrouver Baldur's Gate, avoua Astarion.

- Comment vous sentez-vous, Nymuë ? s'enquit Ombrecoeur.

- Je vais bien. Orin a soif de sang, mais elle n'était pas assez stupide pour faire couler le mien.

- Je ne parlais pas d'Orin."

L'elfe noire grimaça en sentant le regard de ses camarades. Mal à l'aise, elle soupira :

"Je suppose que, moi aussi, je m'attendais à tout autre chose. Je suis heureuse de savoir que certains de mes anciens collègues aient entamé une nouvelle vie mais… ça ne change rien. L'ancienne matrone est toujours là. Les humiliations publiques sont toujours adorées. L'histoire se répète, encore et encore.

- Je n'en suis pas convaincu, darling, objecta Astarion. L'histoire s'est modifiée, aujourd'hui. Quelqu'un est monté sur scène pour aider cette gamine. Vous êtes montée.

- N'est-ce pas la preuve que cette Séri n'a que peu d'influence ?" sourit la prêtresse.

Nymuë étudia la question, songeuse. Peut-être que le seul mal que Séri pouvait lui faire venait du pouvoir qu'elle lui accordait. Peut-être que son fantôme gravitait uniquement car elle l'autorisait à la hanter.

"Ou sinon, ajouta Lae'zel, nous pouvons toujours la retrouver et l'éliminer, ainsi que son nouveau mari."

L'expression de stupeur d'Ombrecoeur - mêlée de fatigue - eut raison d'elle. La musicienne éclata de rire. Il était bon de savoir qu'au cœur de ses tourments, la githyanki saurait toujours lui apporter un point de vue pragmatique.

"Gardons nos lames pour nos ennemis, sourit-elle. Il y a peu de chances que nous croisions à nouveau d'anciennes connaissances d'ici notre arrivée en ville…"

Elle n'aurait pu se tromper davantage. Plus ils se rapprochaient de la porte Sud, plus les camps de réfugiés se multipliaient. Des centaines de fugitifs, d'origines et d'ethnies différentes, se rassemblaient près de Baldur's Gate dans l'attente d'un laisser-passer. L'un de ces groupes était en pleine cérémonie… et parmi eux, se trouvait un visage que les aventuriers ne pensaient pas retrouver.

"Est-ce… le chasseur de monstres ?" souffla Ombrecoeur.

Astarion écarquilla les yeux, plus pâle encore que de coutume si cela était possible. L'elfe noire suivit le regard de la prêtresse : c'était bien là Gandrel, le Gur qu'ils avaient croisé à proximité du Bosquet d'Emeraude. A l'époque, elle soupçonnait le roublard de dissimuler quelques sombres secrets, mais était encore loin d'imaginer qu'elle avait affaire à un vampire…

Gandrel, lui, le savait. Il s'était lancé à la recherche d'Astarion, probablement engagé par Cazador Szarr. Seule la capacité du roublard à marcher en plein soleil - grâce à la larve - lui avait évité d'être le parfait suspect.

"Nous devrions faire un détour, lança-t-il précipitamment. Partir avant que…

- Il nous a vus, Astarion, le dissuada Lae'zel. Si je me rappelle bien, le chasseur ignorait à qui il avait affaire quand vous l'avez croisé. Aucune raison qu'il nous traque.

- Il fait grand jour, ajouta Nymuë, et les Poings Enflammés pullulent. Il ne peut rien nous faire."

Le vampire ne semblait guère convaincu, mais Gandrel s'approchait déjà de leur petit groupe, accompagné d'une femme âgée en armure. Une autre Gur, en déduisit l'elfe noire.

"Bonjour à vous, amis de la forêt, salua Gandrel. Je ne pensais pas vous revoir ici. Vous non plus, mon ancienne proie.

- Oh, chuchota Astarion. Euh… bonjour ?"

D'une manière ou d'une autre, le Gur avait donc appris l'identité de ses interlocuteurs. Ils ne pourraient pas compter sur une nouvelle mascarade, cette fois-ci. Toutefois, les chasseurs ne semblaient guère hostiles ; leur expression était sévère et déterminée.

"Du calme, les rassura Gandrel. Il ne vous sera fait aucun mal. Ma cheffe ici présente a mis un terme à votre traque. Elle souhaite vous parler.

- Comment nous avez-vous retrouvés ? demanda la musicienne. Et comment avez-vous appris, pour Astarion ?

- Mon amie, vous et votre camarade êtes de bons comédiens, mais je chasse depuis le plus jeune âge. Sans vous offenser, vous n'avez pas été particulièrement discrets. Nos informations nous ont révélé que la disparition d'Astarion coïncidait avec l'attaque du Nautiloïd. La carcasse du vaisseau n'était qu'à quelques kilomètres de là où je vous ai trouvés… et il m'a suffi d'une ou deux questions au Bosquet d'Emeraude pour savoir que vous étiez les uniques survivants du naufrage. Le reste ne fut pas trop long à comprendre, pour qui a déjà eu affaire à un vampire. J'avais trouvé le sanglier, après tout.

- Et nous savions que vous reviendrez, rejeton."

La femme avait pris la parole. Les cheveux courts, grisonnants, elle dégageait une aura impérieuse. Ses yeux froids donnaient l'impression d'avoir assisté à maintes chasses aux monstres, et d'être encore de ce monde pour pouvoir en parler…

"J'ai vu beaucoup de choses, au cours de ma vie, reprit-elle. Mais je ne pensais pas croiser un vampire capable de marcher en plein soleil.

- Vous n'avez pas répondu à toutes nos questions, cingla Astarion.

- La dernière fois que vous êtes venus dans notre camp, vous avez enlevé nos enfants, accusa la Gur. Vous avez volé notre avenir. Nous vous cherchions afin de vous interroger, en premier lieu. Afin de découvrir comment sauver les nôtres… puis, pour vous détruire."

Les épaules du roublard se tendirent. Il était prêt à saisir son arc à tout instant. Nymuë lui adressa une oeillade apaisante, avant de se tourner vers la doyenne :

"Vous n'avez donc aucun commerce avec Cazador Szarr ? interrogea-t-elle.

- Commerce ? cracha-t-elle. Avec ce monstre ? Jamais ! Mais Cazador vous cherche, petit rejeton, et ses sbires ont murmuré votre nom dans les bas-fonds. Beaucoup sont ceux ayant fouillé la ville-basse pour vous retrouver. Quand Gandrel m'a rapporté être tombé sur quatre survivants, dont un correspondant à votre description, en plein jour… Je n'y ai pas cru.

- Puis, il y a eu d'autres attaques de l'Absolue, compléta le chasseur. D'autres rumeurs, de plus en plus inquiétantes… Et Cazador, lui, continuait de vous chercher.

- Il nous a semblé évident qu'il nous fallait accepter l'impossible. Un rejeton de vampire avait pu échapper à son maître, et pouvait désormais déambuler à la lumière du soleil. Toutefois, malgré ces nouveaux atouts, vous n'êtes pas encore complètement libre. Il vous faut affronter votre ancien seigneur si vous souhaitez dormir pleinement sur vos deux oreilles.

- C'est donc sur ça que vous avez misé ? ricana Astarion. Le bref espoir que je retourne affronter Cazador ? J'aurais pu fuir sans jamais me retourner…

- Et pourtant, vous êtes là, conclut la doyenne. Et la piste suivit par Gandrel menait vers Baldur's Gate."

Le roublard se tut, laissant une grimace amère déformer ses lèvres. Si ces Gurs avaient deviné son retour, fort était à parier que Cazador ne tarderait pas à l'apprendre, lui aussi…

"Êtes-vous venus achever le travail, en échange de vos enfants ? s'enquit Nymuë. Je vous préviens, attendez-vous à subir des pertes.

- Les choses ont changé, tempéra la Gur. Votre ami aussi, peut-être. Il a au moins gagné le droit à une deuxième chance. Appelez-moi Ulma.

La vieille femme soupira, portant le poids de son âge pour la première fois depuis le début de la conversation. Nymuë sentait le malaise d'Astarion, à ses côtés. Elle savait que son compagnon avait apporté maintes proies à Cazador, durant ces années de servitude, des soupirants comme des enfants. Seulement, connaître cette réalité et y être confronté étaient deux choses différentes. Peut-être le vampire n'avait-il jamais eu affaire aux familles de ses victimes, auparavant.

"Nous avons déjà essayé de sauver nos enfants en attaquant le palais de Cazador Szarr à l'aube, continua Ulma. Mais bien que le soleil fût déjà levé, l'endroit était imprenable. Mais… si son propre rejeton revenait ? Quelqu'un qu'il pense avoir sous son contrôle ? Il vous ouvrirait sa porte en grand et vous accueillerait à bras ouverts."

Nymuë jeta un œil à son compagnon. Cela ne lui paraissait pas un si mauvais plan. Après tout, ils avaient prévu de confronter Cazador, afin de l'empêcher d'effectuer le rite de l'Ascension… Le seul mystère étant ce qu'il adviendrait après.

"Vous ne connaissez pas Cazador comme je le connais, chuchota le vampire. Il est implacable."

Sa voix était plus lourde que du plomb. Son visage, fermé et creusé par des centaines de souvenirs.

"Vous voudriez que je me jette dans la gueule du loup pour sauver vos enfants, reprit-il. Mais je peux vous promettre qu'ils sont déjà morts.

- Vous n'en savez rien, Astarion, contredit doucement l'elfe noire.

- Bien sûr que si ! J'ai passé deux cents ans à lui amener des victimes, et toutes ont aussitôt été conduites dans ses quartiers pour qu'il puisse boire leur sang à loisir.

- Mais vous ne l'avez jamais vu boire leur sang ? poussa Ulma. De vos propres yeux ? Peut-être les gardait-il en vie pendant plusieurs nuits avant de les tuer.

- Je sais qu'il y a peu d'espoir, murmura Gandrel. Mais s'il nous reste encore une chance de les sauver, nous devons absolument la saisir.

- Et si nos enfants sont vraiment morts, nous exigeons le prix du sang. Je sais que c'est un langage que vous êtes en mesure de comprendre, rejeton."

Astarion fronça les sourcils. Tant de risques, pour une bande de gamins probablement déjà enterrés… C'était insensé. La larve de Nymuë frémit, alors que son camarade se tournait vers elle. Sans ouvrir la bouche, la jeune femme lui communiqua ses pensées :

"Vous essayez de fermer votre coeur Astarion, mais vous leur devez bien ça."

Le vampire hocha la tête avec réticence :

"Très bien. La vengeance… c'est dans mes cordes.

- Merci, répondit Ulma. De notre part à tous. Si vous pouvez faire cela pour nous, nous serons vos obligés. Vous avez mené une existence de violence et de péchés. Vous avez tué des gens, brisé des familles et causé des souffrances inimaginables. Sauver nos enfants n'effacera pas tous vos crimes.

- Si vous cherchez à m'encourager, persifla le roublard, laissez-moi vous dire que vous vous y prenez mal.

- Mais ce serait un début. Vous pouvez peut-être encore vous racheter."

Pendant une seconde, une étrange émotion traversa le vampire. La rédemption était un concept qu'il avait abandonné depuis longtemps. Il était damné, maudit, et rien ne saurait lui rendre la vie qu'il avait perdue. Il s'estimait perverti et corrompu. Pourtant, une part de lui était encore capable de faire ce qui était juste. Il avait lui-même ses propres espoirs insensés.

Nymuë l'observa longuement alors qu'il tournait les talons. Ce fragment de sa personne subsisterait-il s'il menait le rituel de Cazador à terme ? Saurait-il être meilleur que son maître s'il accédait à une puissance incommensurable ?

Son cœur battit à rythme effréné. Ses yeux gris examinèrent l'expression sereine et fière de son tendre compagnon, tandis qu'il avançait vers la Porte Sud. Elle grava cette image dans sa mémoire, pour figer cet instant à jamais.

Comme si elle s'apprêtait à le perdre.


Notes de fin :

Je suis très curieuse de connaître vos hypothèses sur la suite !

Ne me tapez pas, mais non, l'antagoniste de Nymuë ne reçoit pas sa juste punition. Pourquoi ? Parce que tous les agresseurs ne payent malheureusement pas le prix de leur action. Bien souvent, c'est à la victime d'apprendre à vivre avec ses traumas et/ou malgré ceux-ci. Je ne dis pas que cela doit devenir une fatalité, au contraire ça ne doit JAMAIS être le cas. Simplement, réapprendre à vivre est un choix tout aussi valide que de rendre justice. Ce qui compte, c'est la sérénité que vous trouvez dans votre vie. Avec Nymuë, mon objectif était d'écrire l'histoire de quelqu'un ramassant les miettes de son cœur brisé, afin d'aimer à nouveau. Je sais que je ne ferai pas l'unanimité, j'espère donc juste que vous n'êtes pas déçus et comprenez cette décision.

A côté de ça, j'ai beaucoup aimé écrire Orin, bien qu'elle ne soit pas mon Elue favorite. Quant à Astarion, on prépare doucement le terrain pour la suite.

Merci de votre lecture et à bientôt !