Bonjour à toutes et à tous,

Merci à Cassye pour son commentaire et merci à la communauté silencieuse.

Aujourd'hui, je ne vous publie non pas un, mais deux chapitres à la suite ! Et un peu en avance, en plus de ça. Ils précèdent le "final" de ce second Acte, qui aura lieu aux chapitres 31 et 32. Ainsi, dès la semaine prochaine nous aborderons les choses sérieuses.

Je vous conseille vivement d'écouter la recommandation musicale de ce chapitre qui, je trouve, colle à la perfection avec le moment choisi (vous le devinerez sans mal lors de votre lecture).

Réponse aux reviews :

Cassye : Cette scène avec Nightsong est tout simplement un chef d'œuvre, je peux la revoir mille fois, et être émue mille fois. Oui, la fin de Balthazar était un peu "gore", mais je me suis dit que cela collait au personnage. Pour Ombrecoeur, sache qu'au départ j'avais prévu quelques remarques sarcastiques de sa part, puis je me suis dit que comme Nymuë venait tout juste d'échapper à la mort, ses camarades auraient la gentillesse de la mettre en sourdine pour une fois x) Merci beaucoup pour tes encouragements ! La fin de cette fiction est aussi éprouvante qu'elle est passionnante, car je me lâche vraiment dans l'acte 3 !

Recommandation musicale : Dragon Age Inquisition : The Dawn Will Come de Rachel Hardy !


Chapitre 29 :

L'aube viendra

La lumière de Séluné avait envahi la demeure de sa jumelle. Un portail d'argent, cadeau de la déesse elle-même, s'était ouvert devant les aventuriers. Quant à Dame Aylin, enfin libre après un siècle de tristesse et de servitude, elle s'était envolée vers son ultime bataille : tuer Ketheric Thorm. L'Aasimar avait fendu le ciel nocturne de la Gisombre telle une étoile filante. Le cyclone autour des compagnons s'était déchaîné tandis qu'ils quittaient les lieux. Pendant une brève seconde, Nymuë avait senti des mains invisibles agripper ses jambes et ses poignets, la tirant inéluctablement en arrière. Shar n'avait pas l'intention de les laisser quitter son domaine si facilement. Près d'elle, Ombrecoeur s'était mise à hurler.

Quand arriva la libération, une chaleur familière les entoura, et chassa les ombres. Alors que la musicienne se dégageait de l'ouragan de ténèbres, quelqu'un lui prêta main forte. Jaheira et les Ménestrels se tenaient devant eux, rassemblés au grand complet. Certains observaient d'un air stupéfait le portail par lequel ils venaient d'émerger, tandis que d'autres pointaient du doigt une lueur ardente dans le ciel.

Ils étaient de retour à l'auberge de l'Ultime Lueur.

"Libérée de ses chaînes, elle s'élèvera de toute sa gloire à la lueur de la Lune et ouvrira un chemin de lumière jusqu'à la seconde mort du maudit, récita la doyenne. Ainsi parla le sage Alundo. Cette incarnation du courroux angélique s'en va affronter Ketheric, et elle ne le combattra pas seule. Vous avez réussi au-delà de l'inimaginable. Vous vous êtes rendus au cœur des terres maudites, et avez délivré l'enfant d'argent qu'elles gardaient captive. Pour la toute première fois depuis des lustres, le général est vulnérable.

- Sa tête va tomber !" clama Lae'zel.

La guerrière githyanki s'était déjà relevée, moins secouée que ses compagnons par ces retrouvailles soudaines. La Ménestrelle acquiesça :

"Il est temps pour nous de frapper. Prendre la tour ne sera pas facile, et si nous attendons trop longtemps, Ketheric rassemblera ses forces afin de riposter. Demain, dès l'aube, nous partirons pour cet ultime combat. Votre lumière guidera notre route jusqu'à Hautelune ; et nos lames perceront le cœur des cultistes. Repos, Ménestrels ! La mort est au bout du chemin !"

Les guerriers rugirent à cet appel, bougeant comme un seul homme autour des aventuriers afin de réunir armes, armures et pièges. Nymuë avait du mal à reprendre son souffle. Quelques instants seulement auparavant, ils étaient prisonniers de la Gisombre, luttant contre la Mère de l'Égarement. Et voilà maintenant qu'ils s'apprêtaient à démarrer une guerre ? Ses camarades affichaient, eux-aussi, une expression épuisée et hagarde. Seule Lae'zel débordait d'enthousiasme.

"Le moins que l'on puisse dire, soupira Astarion, c'est qu'on ne s'ennuie jamais avec vous.

- Enfin, l'Absolue va payer pour ce qu'elle nous a fait ! déclara la guerrière. Sa mort prouvera que, déesse ou non, son sang coule comme pour nous autres.

- J'apprécie vos ardeurs meurtrières, rappelez-moi d'ailleurs de vous laisser passer devant.

- Ombrecoeur ?" s'enquit Nymuë.

A l'écart de ses compagnons, la prêtresse serrait ses mains contre sa poitrine. Son regard était hanté et, quand elle parla, sa voix paraissait sur le point de se briser :

"Quand nous avons quitté la Gisombre… c'était comme un cauchemar. J'ai entendu les paroles de Dame Shar… elle m'accusait de trahison. Pire que tout, elle me reprochait de l'avoir défiée, sur la seule foi des allégations de cette Aasimar. Elle m'a punie pour l'avoir déçue, et je…"

La demi-elfe s'interrompit, observant la blessure sur sa paume comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre :

"Je pensais avoir une idée de ce qu'était la souffrance, mais je me trompais. Elle m'a fait comprendre qu'il y avait encore bien des douleurs que je pouvais apprendre. J'ai soudainement eu l'impression de ressentir les tourments de mille personnes en même temps. Mon sang bouillait, mes cheveux étaient en feu… La douleur était telle que j'avais envie de m'arracher le visage à coups d'ongles."

Astarion et Lae'zel cessèrent leurs chamailleries pour se rapprocher à leur tour. Ombrecoeur paraissait sous le choc, presque… absente. La torture l'avait laissée hébétée, tout comme le vide soudain dans son esprit.

"Ensuite, elle m'a libérée… continua-t-elle. Ou plutôt, elle m'a bannie. Elle a dit que j'étais une paria désormais, connue et honnie de tous ses enfants. Je suis toute seule."

Nymuë prit la main de sa camarade, la serrant doucement entre ses doigts :

"Vraiment ? murmura-t-elle. Regardez-mieux, Ombrecoeur.

- Je… je ne peux pas. Vous ne comprenez pas ? Je suis une cible, maintenant. Que puis-je faire ?

- Ayez foi.", répondit simplement l'elfe noire.

La prêtresse dévisagea ses camarades tour à tour, ses yeux glissant ensuite vers le dôme argenté surplombant l'Ultime Lueur. L'astre lumineux de la Vierge Lunaire scintillait au-dessus d'eux.

"Tout ce qui me reste à faire, décida-t-elle, c'est d'entendre ce qu'Aylin a à me dire. Puisqu'elle s'est lancée aux trousses de Ketheric Thorm, il ne nous reste plus qu'à hâter sa défaite.

- Enfin ! hurla la guerrière. Voilà qui est parlé comme la combattante que vous êtes.

- Je suppose que nous pouvons rajouter Shar à la liste d'immortels souhaitant notre mort, lâcha Astarion. Après tout, il commence à y avoir foule…"

La musicienne haussa les sourcils quand, d'une voix magnanime, Lae'zel annonça ensuite qu'elle "annulait" l'entraînement du lendemain. Ses remerciements furent presque aussi acerbes que ceux du roublard, tandis qu'ils avançaient de concert vers leur campement. Ombrecoeur les suivait, toujours un peu en retrait. Ses pas étaient plus légers.


Il aurait été sûrement trop optimiste de croire que, même à la veille d'une gigantesque bataille, les aventuriers puissent vivre une soirée paisible. A peine eurent-ils monté leur tente et allumé un feu, qu'une voix déplaisante - et ô combien familière - vint rompre l'harmonie de leur sanctuaire :

"Savez-vous ce qui se passe quand un diable se fait "tuer" sur ce charmant plan d'existence ?" demanda Raphaël.

Comme à sa grande habitude, le cambion avait surgi d'on ne sait où, se contentant de débarquer au milieu de leur baraquement. Il paraissait d'une humeur joviale, à l'opposé de la fatigue apparente des compagnons. Nymuë espéra que cela soit de bon augure pour la suite.

"Il retourne aux Enfers, poursuivit-il. Plus précisément, à l'endroit même où il se trouvait avant de les quitter. Dans le cas de notre ami Yurgir, l'orthon que vous avez si brillamment vaincu, il est réapparu dans ma Demeure de l'Espoir. Il était tout penaud mais en pleine forme, sans la moindre blessure.

- Il a bien de la chance.", rétorqua froidement l'elfe noire.

Le cambion lui offrit un sourire aimable, quoique non dénué d'ironie, en pointant ses bandages :

"Je peux vous assurer que nombre des adversaires de Yurgir auraient aimé s'en tirer à si bon compte. Ce gros balourd s'attendait à ce que je le démembre sans attendre, mais comme il peut encore m'être utile, j'ai décidé de le rééduquer.

- Nous vous avons offert votre diable, intervint Astarion. Maintenant, j'exige ce que vous m'avez promis. Nous avions un accord.

- En effet ! s'exclama leur invité avec ravissement. J'ai découvert tout ce qu'il y avait à savoir sur vos cicatrices, et c'est une histoire particulièrement sordide… et pourtant, je suis quelqu'un qui a les idées larges. Préparez-vous, Astarion, car nous sommes sur le point de dévoiler votre destin…"

Ombrecoeur et Lae'zel s'étant rapprochées, le groupe d'aventuriers formait désormais un cercle menaçant - mais attentif - autour du cambion. Cela ne l'amusa que davantage :

"Ce qui est gravé dans cette peau d'ivoire, c'est une partie d'un contrat infernal passé entre l'archidiable Méphistophélès et votre ancien maître, Cazador Szarr. Ce contrat stipule que le diable communiquera à Cazador le moyen d'accomplir un rituel infernal si ignoble que nul ne l'a jamais tenté. Le Rite d'Ascension Profane."

Nymuë se creusa la tête, en vain : ce nom ne lui disait rien. A Astarion non plus, si elle se fiait à son air impassible. Il était d'ailleurs étonnant de le voir si serein, compte tenu du sujet de leur discussion…

"Cela promet d'être une merveilleuse cérémonie, continua Raphaël. Très élaborée, incroyablement ancienne, et on ne peut plus diabolique. Si Cazador parvient à accomplir le rituel, il deviendra un être d'un genre nouveau, le tout premier vampire ascendant. Non seulement toutes les forces naturelles des vampires seront accentuées mais, en plus, il redeviendra vivant.

- Vivant ?", répéta Ombrecoeur, dubitative.

Le cambion confirma d'un hochement de tête :

"Il retrouvera tous les appétits d'un homme normal et, contrairement à Astarion, il n'aura nul besoin d'un parasite pour se protéger du Soleil. Comme tout ce qui compte vraiment toutefois, ce rituel a un coût important. S'il veut véritablement connaître l'ascension, le seigneur Cazador va devoir sacrifier un certain nombre d'âmes, y compris celles de ses rejetons. Imaginez donc ce qu'il a dû ressentir quand l'un de ses "précieux" enfants a subitement disparu."

Nymuë se figea, stupéfaite. Sacrifier ? Les cicatrices d'Astarion le marquaient comme une proie destinée à l'abattoir ? Il était affreux de se dire que lui et ses congénères avaient survécu à l'horreur pendant des siècles, juste pour subir une telle fin… Cela ne se pouvait pas. Cela ne se ferait pas. Un monstre comme Cazador ne devait en aucun cas accéder à un tel pouvoir, et Astarion n'était plus sous son emprise. "Tous les appétits d'un homme normal", avait dit Raphaël… Ce postulat débordait de sarcasme. La voracité de Cazador était sans limite.

Il y avait autre chose, cependant, qui perturbait la musicienne. Un élément aussi terrifiant que la perspective d'un seigneur vampire marchant en pleine lumière dans les rues de Baldur's Gate. Le rituel nécessitait "un certain nombre d'âmes"…

"Combien ?", demanda Nymuë.

Le cambion haussa un sourcil, manifestement agacé d'être interrompu en pleine tirade :

"Plaît-il ? susurra-t-il.

- Combien d'âmes nécessitent d'être sacrifiées, pour le Rite d'Ascension Profane ?"

L'irritation de Raphaël disparut immédiatement, remplacée par une délicieuse exaltation.

"A combien mesurez-vous un tel enjeu ? l'interrogea-t-il. C'est là une question des plus délicates… L'archidiable Méphistophélès, quant à lui, ne l'estime pas à moins de sept mille âmes."

Les aventuriers déglutirent, à l'exception d'Astarion qui resta de nouveau incroyablement calme. Comment pouvait-il être si placide, après cette nouvelle ? Sept mille âmes, dont la sienne et celles de ses frères et sœurs ! La cruauté de Cazador était-elle à ce point démesurée pour que cela ne lui fasse même pas lever un sourcil ?

"Le seul ingrédient manquant, c'est Astarion, sourit doucereusement le diable. Vous êtes la dernière pièce dont votre ancien maître a besoin pour accomplir le rituel. Vos cicatrices vous y lient. Votre âme sera alors sacrifiée pour offrir à Cazador cette vie pervertie qu'il désire tant. Et ainsi, chers amis, mon récit se finit."

Sans leur laisser le temps de poser une ultime question, Raphaël claqua des doigts afin de disparaître aussi rapidement qu'il était venu. Ombrecoeur et Lae'zel se mirent à pester âprement :

"Les vampires sont de redoutables adversaires, mais vous seriez fou de sous-estimer vos alliés, Astarion. Aucun réel pouvoir ne survient de rituel conclut avec des infernaux : la vraie puissance vient de la force de votre bras, et de la fermeté de votre esprit.

- Ce que Lae'zel veut dire, ajouta la prêtresse, c'est que le prix de ce rite est incroyablement lourd. Si lourd, en réalité, qu'il doit marquer l'âme de celui effectuant la cérémonie. Au bout du compte, ce sont sept mille et une vies qui sont sacrifiées. Vous devriez fuir, Astarion."

Les deux femmes pivotèrent l'une vers l'autre, chacune exposant haut et fort les mérites de sa solution. Seul celui dont la vie était en jeu ne pipait mot. Sous le regard scrutateur de l'elfe noire, il se contenta de lâcher un "Hummm" pensif :

"Mais encore ? lança Nymuë.

- Cela fait beaucoup à intégrer d'un seul coup." répondit le roublard.

Pour un homme venant d'apprendre que les conditions de sa propre mort étaient gravées sur son dos, Astarion paraissait relativement détendu. Son expression devint plus sérieuse, alors qu'il se détournait du bruyant débat émis par leurs camarades pour lui faire face :

"Que devrais-je faire, selon vous ?"

Nymuë réfléchit : Ombrecoeur suggérait la fuite, et Lae'zel l'affrontement. La jeune femme était sensible aux réserves de la prêtresse au sujet du rituel ; elle-même trouvait cette perspective absolument terrifiante. Mais bien que leur amie githyanki réagisse avec fougue, il y avait une vérité indéniable dans son discours…

Elle avait senti, lors de ces quelques moments à coeurs ouverts avec son compagnon, que l'ombre du seigneur vampire planait toujours au-dessus de lui. Se cacher ou stopper le rituel ne serait pas suffisant ; pour un immortel, le temps n'était pas une limite. Cazador était patient. Il avait attendu plus de deux cents ans pour sacrifier ses rejetons, il pouvait attendre bien davantage si besoin était. Non, la seule solution était de frapper, et frapper fort.

Nymuë avait compris, à demi-mot, ce qu'Astarion n'avait pas réussi à lui avouer l'autre soir. Tant que Cazador hanterait ses pas, sa vie ne serait pas vraiment sienne. Les moments partagés, les instants de joie comme de tristesse… rien de tout ça ne serait authentique. Ce qui se construisait entre eux ne pourrait s'épanouir. Le seigneur vampire était trop présent, trop puissant. Le cœur du roublard avait peut-être cessé de battre, il demeurait néanmoins verrouillé, dissimulé, par crainte d'être brisé par son tortionnaire. Même si cela signifiait également qu'il ne pouvait l'offrir à qui que ce soit.

"Tant que Cazador vivra, chuchota la musicienne, vous ne serez pas libre.

- Je déteste vous donner raison sur ce point." répondit-il.

Il prit une grande inspiration :

"Je savais déjà qu'il ne me laisserait jamais tranquille quand je n'étais que l'un de ses nombreux jouets cassés. Mais si je suis la clé du pouvoir qu'il désire faire sien, il me traquera jusqu'au bout de Faerun. Je dois aller l'affronter… et je vais avoir besoin de votre aide pour cela."

Face à sa soudaine détermination, même Lae'zel et Ombrecoeur cessèrent de se disputer. Hochant la tête avec enthousiasme, les deux femmes se tournèrent d'un même mouvement vers Nymuë :

"Vous me devez toujours 40% de vos larcins, rappela la jeune femme.

- 15, corrigea-t-il avec douceur.

- A ce stade, ce serait une perte sur investissement. Vous pouvez compter sur moi.

- Nous traquerons le vampire et le tuerons ! jura la guerrière.

- Ou nous combattrons vaillamment en essayant, ironisa la prêtresse.

- Merci."

Le sourire du roublard était sincère alors qu'il dévisageait ses alliées, mais la musicienne ne pouvait s'empêcher de ressentir une forme de… malaise. Là, dans les profondeurs de ses pupilles écarlates, il y avait quelque chose qu'Astarion avait bien omis de leur partager. Une pensée, une aspiration soudaine étant née des révélations de Raphaël.

Nymuë savait qu'il finirait par leur en dire plus, en temps voulu. Pourtant, bien des heures plus tard, le trouble était toujours là.


Au petit matin, les aventuriers marchèrent en compagnie de Jaheira et des Ménestrels vers les Tours de Hautelune. Ils étaient une cinquantaine, une poignée compte tenu de la massive armée de Ketheric… mais la vétérante était loin d'être défaitiste.

"Votre rapport me fait comprendre que Ketheric a rassemblé le plus gros de ses forces à destination de Baldur's Gate, réfléchit-elle. Ce qui veut dire que les Tours, ainsi que le général lui-même, seront peu gardés.

- Il faudra tout de même s'attendre à un accueil en grande pompe, prévint Nymuë. La libération de Dame Aylin ne s'est pas vraiment faite dans la discrétion.

- En effet. C'est pourquoi nos effectifs auront pour mission de retenir les soldats de Ketheric au rez-de-chaussée, pendant que vous-mêmes rejoindrez la fille de Séluné. Là, au sommet des Tours, vous enseignerez enfin au général comment mourir."

Leur plan s'était peaufiné alors qu'ils passaient l'ancien avant-poste menant à Hautelune. Les ombres s'étaient resserrées autour de leur régiment, impatientes et voraces. "Elles sentent le conflit à venir", songea Nymuë. "Qu'importe qui perd, qu'importe qui gagne, elles se tiennent prêtes à dévorer ce qui restera". Les aventuriers furent surpris de constater à quel point les Tours avaient changé depuis leur dernière visite. Quelques jours seulement s'étaient écoulés, mais la protection translucide entourant le repère des cultistes avait presque entièrement disparu. Plus cendres que flammes, la lumière baignant autrefois Hautelune s'était dissipée au moment même où l'enfant de la Vierge Lunaire avait retrouvé sa liberté.

Quelques fidèles de l'Absolue les attendaient, à l'entrée des Tours, mais leur peau s'était putréfiée, et leurs yeux brillaient d'un feu vert inquiétant. La malédiction commençait déjà à reprendre ses droits. Près des compagnons, un groupe de Ménestrels fit quelques pas en arrière. Affronter une secte était une chose, combattre des créatures mortes-vivantes, ne craignant ni l'acier ni la magie, en était une autre ! Les rangs alliés s'agitèrent, les flammes de leurs torches tremblèrent. Nymuë entendit Jaheira aboyer un ordre afin de ramener un peu de calme, mais la pénombre se densifiait. Bientôt, leurs troupes se dilapideraient en cohortes paniquées, et les ténèbres n'auraient plus qu'à les cueillir.

Ombrecoeur tenta d'invoquer un cercle de lumière, en vain ; sans foi, point de sortilèges. La prêtresse observa ses mains avec épouvante. Elle devait croire, comprit la musicienne ; ils devaient tous croire. Sa voix ne fut qu'un murmure, au départ, quand elle s'éleva au coeur du tumulte :

"Les ombres sont venues,

Et l'espoir s'est enfui.

Endurci ton coeur,

L'aube viendra.

La nuit est longue,

Et le chemin est sombre.

Regarde le ciel,

Car très bientôt…

L'aube viendra."

L'elfe noire ferma les yeux. Elle se remémorait les journées passées avec Elyon, étendues au Soleil. Les matinées auprès de Revan, à parcourir les rues encore endormies. Le port brillait alors d'une lumière semblable à nulle autre. Nymuë se souvenait de la chaleur des rayons sur son visage, du scintillement de l'aurore sur la mer ; elle pouvait presque sentir le fourmillement familier sur sa peau. Le vacarme autour d'elle s'était un peu atténué. Les créatures d'ombre continuaient à se rapprocher, mais les Ménestrels avaient repris leurs esprits. Quand la jeune femme s'avança, elle entendit une cinquantaine de guerriers marcher dans son sillage :

"Le berger est perdu,

Et sa maison est loin.

Suivez les étoiles,

L'aube viendra.

La nuit est longue,

Et le chemin est sombre.

Regarde le ciel,

Car très bientôt…

L'aube viendra."

Un murmure étouffé lui parvint, sur sa droite. Au-dessus du bataillon, le ciel d'un gris morne s'était soudainement éclairci. Un timide - mais réel - faisceau de lumière se posa sur l'armée en mouvement ; le premier depuis plus d'un siècle de ténèbres. Les cultistes maudits s'écartèrent, comme brûlés. C'était le point du jour. La voix de la musicienne était plus ferme, désormais, portant au loin ses paroles. D'autres chants se mêlèrent au sien :

"Dégaine ta lame,

Et lève la haut !

Défends-toi,

L'aube viendra.

La nuit est longue,

Et le chemin est sombre.

Regarde le ciel,

Car très bientôt…

L'aube viendra."

Sa botte heurta une marche de pierre. Nymuë leva la tête, arrivée au pied du bâtiment. A son sommet, une silhouette imposante s'était approchée des créneaux afin de contempler le spectacle en contrebas. La jeune femme sourit quand Ketheric Thorm recula. Les ailes argentées de Dame Aylin venaient, elles-aussi, de faire leur apparition.

Il était temps de prendre les Tours de Hautelune.