Chapitre 75 - La cabane hurlante


Les Mangemorts encerclaient la Cabane hurlante. Face à eux, Draco se sentait désespérément isolé. Le morceau de terrain qu'il apercevait par la porte défoncée était bouché par les sorciers encagoulés, mais tout ce qui lui importait était sa mère qui venait de franchir le seuil, la baguette du père de Nott enfoncée dans son dos. Son visage mince s'était creusé, soulignant ses pommettes et sa pâleur inquiétante. Même ses cheveux blonds habituellement si soignés semblaient ternes, légèrement emmêlés.

Son absence qui l'avait consumé durant les premiers mois d'été revint le brûler et Draco détourna les yeux. Garder ses distances alors qu'il mourait d'envie de lui parler, de la serrer dans ses bras, lui faisait mal, mais partageait-elle ce qu'il ressentait ? Elle avait perdu Lucius par sa faute, il avait répété la même trahison qui lui avait déjà valu de perdre une sœur, puis elle avait été torturée et risquait à présent sa vie.

— Draco...

Leurs regards se croisèrent et les iris pâles de sa mère brillèrent une fraction de seconde, avant que Voldemort ne se place entre eux.

— La baguette.

« Essaie de gagner du temps » lui dit soudain la voix d'Hermione.

Il serra les dents. Du temps ? Elle avait oublié qui se trouvait face à lui ? Il ignorait ce qu'ils complotaient, mais l'air sinistre qui guettait son premier faux pas pour en finir avec lui ne lui laissait pas beaucoup de marge de manœuvre. Draco rassembla tout son sang-froid pour demander, sur le ton qui ressemblait le moins à un ordre possible :

— Avant ça, vous devez promettre de ne pas attaquer le château.

— La seule chose que tu auras, c'est ma promesse de te tuer avant le serment si tu me fais attendre plus longtemps.

Il le croyait. Oh Voldemort aurait pu récupérer la baguette d'un sort. Il préférait simplement le voir plier à sa volonté. Sûrement pour montrer aux autres Mangemorts que même ceux qui tentaient de se soustraire à lui revenaient sous son contrôle à la fin. Bellatrix franchit la porte à son tour, ses cheveux en bataille encadrant son air dur. Son regard l'intimait d'obéir et Draco y lut une fureur qui le tendit presque autant que la présence de Voldemort.

Comment pouvait-elle encore soutenir Voldemort après ce qu'il lui avait fait ? Après ce qu'il faisait endurer à sa sœur ?

La réponse le transperça comme une épée dans le ventre ; parce qu'elle le tenait responsable de tout. Toutes les répercussions pour elle, pour Narcissa, pour elle tout ça arrivait par sa faute. C'était très précisément ce qu'il redoutait. Si sa mère partageait son avis...

Un pas après l'autre, Draco avança vers Voldemort. Une fois à sa hauteur, il leva la main, la baguette posée sur sa paume ouverte qu'il lui tendit. Voldemort la prit. Sans le lâcher des yeux, il la brisa en deux.

Draco recula, les yeux écarquillés d'horreur.

— Pourquoi vous avez fait ça ?

En guise de réponse, Voldemort leva sa propre baguette. Draco trébucha à nouveau en arrière, son sang tambourinant à ses tympans.

— C'était bien la baguette de Sureau !

Avada...

—Non !

Kedavra.

Le rayon vert flasha dans l'obscurité et Draco se jeta contre le plancher pour l'éviter. Il se retourna sur ses coudes.

— C'était elle ! La vraie ! Si... Si j'avais menti... !

Voldemort se prépara à lancer un second sort, sauf que cette fois, il le dirigea vers une autre cible. Narcissa ferma les yeux.

— Je n'ai pas menti ! Le Serment ne m'aurait pas laissé vivre.

Voldemort suspendit son geste. Entre ses longs doigts fins, sa baguette visait toujours sa mère, mais il semblait reconsidérer les morceaux de baguette brisés.

— S'il s'agit bien d'elle, pourquoi ne dégageait-elle plus la moindre force magique ?

— Quelqu'un... Quelqu'un a dû la trafiquer, tenta Draco.

L'Endoloris frappa sa mère et son hurlement lui arracha le cœur.

— Crois-tu que je vais me contenter d'une demi-vérité, Draco ?

Il avait envie de presser ses mains contre ses oreilles. Devait-il trahir Rogue ? Après tout, c'était lui qui l'avait mis dans cette situation ! C'était aussi le seul de sa maison à l'avoir soutenu quand tout le monde lui tournait le dos. Le seul.

— C'est...

Voldemort s'attendait à la loyauté de Rogue, l'avoir dans leur camp pouvait retourner la situation à leur avantage.

— Je l'ignore !

Les cris de sa mère s'intensifièrent. Draco leva les mains à ses oreilles et sentit des larmes couler sur ses joues. Il ne voulait plus entendre. Il ne pouvait plus. Derrière la silhouette de sa mère qui convulsait dans la poussière, Bellatrix semblait prête à bondir pour le tuer de ses propres mains.

— Je l'ai volée dans son bureau ! Personne n'était là ! s'exclama-t-il.

— Tu serais parvenu à la voler à la barbe de Dumbledore ?

— DUMBLEDORE EST MORT ! IL EST MORT ! VOTRE FOUTU DIADÈME L'A ACHEVÉ ! LA BAGUETTE JE N'AI EU QU'À LA RAMASSER !

Voldemort le considéra plusieurs secondes pendant lesquels les hurlements de sa mère faillirent lui faire perdre l'esprit, puis leva le sort. Tremblant, Draco regarda Bellatrix aider sa sœur à se relever. Elle vacilla plusieurs fois et il aurait voulu être celui sur qui elle s'appuyait. Au lieu de ça, il était celui qui la soumettait à ces tortures.

— Dumbledore a péri ?

— Oui, répondit Draco, le souffle court.

— Voilà une nouvelle qui change beaucoup de choses. C'est par là que tu aurais dû commencer.

Obéissant à son geste, des Mangemorts trainèrent Harry et Ron à l'intérieur. Tous les deux étaient ligotés par des liens magiques, leurs yeux bandés.

— Peu importe la baguette, même si je ne peux pas te tuer Potter, je peux faire en sorte que tu ne sois plus un problème. Même le héros du monde magique finira bien par mourir de faim et de soif. Quant à toi, Draco, et ton ami traitre à son sang, il est temps pour une petite exécution publique, qu'en dis-tu ?

« Hermione. Va-t'en. »

La main de Voldemort se posa sur son épaule.

— Nous pourrions même récupérer ta petite-amie née-moldue au passage. Qu'en dis-tu ?

Son sang se glaça. Il savait ? Il sentit Hermione reculer, puis s'éloigner. Non, il avait sûrement dit ça pour l'inquiéter. Et puis, alors qu'elle courait, pliée en deux, Voldemort ordonna à ces Mangemorts de leur ouvrir un plus grand passage, ce qui ralentit considérablement leur progression.

« Évidemment, le Seigneur des Ténèbres ne s'incline devant personne, même pas un tunnel »

Au milieu de l'angoisse, de l'adrénaline, Draco sentit le tressaillement d'un rire à sa remarque.

« Surtout qu'il ne change rien » répondit Hermione avec une pointe de colère.

Durant leur progression où il marchait juste derrière les deux Mangemorts chargés d'ouvrir le chemin, Draco tenta de garder son esprit loin d'Hermione. Elle le tenait volontairement dans l'ignorance pour ne pas que Voldemort puisse tirer quoi que ce soit de lui, mais malgré ses précautions, il en savait déjà beaucoup ; qu'il servait d'appât, l'implication du professeur Rogue, les pensées d'Hermione qu'il partageait et qu'elle faisait de son mieux pour étouffer.

— Je te sens troublé, Draco, dit la voix froide de Voldemort dans son dos. Peut-être désires-tu nous faire part de ce qui te tracasse ?

Avant qu'il n'ait pu réagir, une poigne sur sa nuque le projeta contre la terre de la paroi. Voldemort agrippa son cou, l'empêchant de détourner le regard et de respirer. Il tenta de faire le vide en urgence avant de subir son intrusion. Une année à partager l'esprit d'Hermione lui avait rendu ça aussi naturel que de respirer et peu importe ce que Voldemort tenta de faire ressurgir, il demeura fermé.

— Tu t'imagines sans doute pouvoir me cacher que tu es venu ici pour m'attirer au château ?

Draco écarquilla légèrement les yeux avec horreur. Non, il avait déjoué son intrusion, il en était certain. Voldemort ne faisait que supposer.

« Draco ? »

Il tenta de prendre un peu d'air, mais seul un mince filet atteint ses poumons.

— J'essayais... articula-t-il dans un souffle. Je savais... la baguette... cassée... mais c'était la vraie... je ne... voulais pas mourir.

Il tenta encore d'inspirer, le manque d'air l'empêchait de réfléchir.

« Draco, qu'est-ce qui se passe ? »

— Je voulais rester près... près d'elle. Essayer de survivre...

— Dans ce cas, ils se sont servis de toi, dit Voldemort sans réagir à sa main qu'il broyait dans une tentative de se libérer. C'était peut-être même une idée de ta petite-amie ? Mais tu devais savoir qu'elle se cachait juste ici, dans le tunnel, n'est-ce pas ? Elle était aussi bonne à dissimuler sa présence que toi, ta peur lorsque j'ai parlé de la retrouver.

Des points noirs dansaient devant ses yeux.

« Non, non. »

Une détresse qui n'était pas la sienne l'envahit. Il aurait dû dire quelque chose, mais sa force le quittait.

« Je ne suis pas loin, je t'en prie, tiens bon ! »

Voldemort replongea dans son esprit. Sa conscience lui échappait peu à peu et cette fois, Voldemort se trouva face à face avec la présence d'Hermione. Sa jubilation fut le coup de grâce et Draco laissa retomber ses mains.

« Laissez-le ! Laissez-le tranquille ! »

« Quand tu seras ici, pas avant. J'espère que tu cours vite. »

Le monde virait au noir quand une voix lointaine poussa un cri. La prise sur son cou se desserra et il bascula en avant. Quelqu'un amortit sa chute.

— Est-ce que ça va ? murmura la voix d'Hermione.

Elle le serrait avec force. Il s'appliqua à respirer lentement, chaque gorgée d'air meurtrissant sa gorge. Il était à genoux sur le sol de terre, avachit contre elle.

— Il semblerait que tu n'aies pas eu le temps de retourner prévenir les autres, dit la voix de Voldemort. Videz ses poches.

Son support disparut et Draco se rattrapa contre le sol. Dans le tunnel qui tanguait, Bellatrix avait attrapé Hermione et la fouillait brutalement. Tout ce qu'elle découvrit fut sa baguette, un chouchou et leur parchemin.

— A-t-elle écrit quoi que ce soit ? demanda Voldemort d'un ton qui indiquait que si c'était cas, une tête tomberait.

— Non, maître. Sauf s'ils ont créé un autre réseau.

Bellatrix y laissa tomber une goutte d'encre qui se répéta sur celui qu'elle tenait. Avec un sourire victorieux, Voldemort approcha son visage de celui d'Hermione qui se détourna.

— Quel dommage que vous n'ayez pas pu les prévenir. J'aurais préféré un accueil digne de ce nom, et puisque Poudlard attend ma visite, il serait plus poli de les prévenir.

Il posa sa baguette sur sa tempe. De longues secondes s'écoulèrent dans un silence absolu avant que Voldemort ne rouvre les yeux, satisfait.

— Bien. Ne nous faisons pas attendre.

Hermione revint vers lui et passa un bras sous ses épaules. Avec son aide, Draco se redressa.

« Sa famille... » fit la voix d'Hermione alors qu'elle jetait un coup d'œil préoccupé vers Narcissa puis Bellatrix qui la fixait, son regard noir animé d'une intensité qui la fit frissonner.

Draco verrouilla son bras autour d'elle. Il aurait pu franchir le reste du tunnel sans son aide, mais il avait l'impression que si elle s'éloignait, même de quelques centimètres seulement, elle disparaîtrait. Qu'elle se retrouve entourée de Mangemorts qui la considéraient tous comme une « Sang-de-Bourbe » le remplissait d'angoisses.

« Ça ne m'enchante pas non plus. » répondit Hermione en posant une main sur son bras.

Lorsque la lumière de la lune filtra par le trou dans les racines du Saule cogneur, Voldemort fit passer plusieurs de ses Mangemorts, sûrement pour ne pas qu'ils puissent s'échapper en sortant.

— Encore un peu de patience, dit Voldemort en tendant la main pour les autoriser à remonter à la surface. Vous teniez tant à rester près l'un de l'autre, je vais mettre un point d'honneur à ce que vous ne vous quittiez plus. Plus jamais.

Un souffle de peur traversa Draco. Hermione se contenta de remonter et lui tendit la main à travers l'ouverture. Son esprit à elle demeurait étrangement calme, concentré, alors qu'elle le tirait sur l'herbe du parc. Draco grimaça. Sa tête continuait de tourner et la douleur le long de sa gorge redoubla quand il avala l'air glacé du dehors.

« Ce n'est pas que je suis calme, c'est que je sais que tout n'est pas encore fini. Reste près de moi, Draco. »

« Avec plaisir. »

Sur le pas du château, les élèves des dernières années formaient une masse indistincte. Ils restaient moins nombreux que les Mangemorts qui ne cessaient de remonter du passage secret. Quand Voldemort en sortit à son tour, il fixa leur maigre rang avec dédain. Ron et Harry, toujours aveuglés et entravés par des liens, furent parmi les derniers à être hissés du tunnel. Ron respirait vite et Harry semblait aux aguets.

Les deux groupes avancèrent jusqu'à se faire face au milieu du parc. Un vent froid soufflait entre eux et Voldemort s'avança, sa voix magiquement amplifiée :

— J'ai tué Dumbledore, Harry Potter ne tardera pas à connaître le même sort. Mes Mangemorts sont plus nombreux que vous. J'entends mettre fin à la guerre qui divise le monde des sorciers. Je rétablirai notre véritable place. Que ceux qui ne veulent pas se lancer dans une bataille perdue d'avance s'agenouillent devant moi. Ceux qui me résistent seront éliminés ainsi que chaque membre de leur famille.

Personne ne bougea. Dans le silence, Draco entendait tambouriner son cœur. Parmi les visages qui leur faisaient face se trouvaient très peu de Serpentards. Voldemort perdait son temps. Ceux qui se tenaient là étaient déterminés à se battre. Plusieurs exclamations fusèrent soudain dans les rangs de Poudlard ; Rogue traversait la pelouse dans leur direction.

— Il va donc falloir faire un exemple, dit Voldemort d'un ton velouté en se tournant vers Draco alors que Rogue prenait place à ses côtés. Ceux qui s'opposent à moi seront tués.

Il lui parlait directement, sans le lâcher des yeux. Hermione se tenait à ses côtés, complètement figée. Draco capta un fragment de ses pensées. Malgré toutes ses paroles rassurantes, en cet instant, même elle savait que plus personne ne pourrait rien pour eux. Sans qu'ils n'aient rien pu faire, l'éclair de lumière verte fusa.

Mais pas vers eux.