Seul dans sa chambre, Adrien Agreste s'ennuyait.

Oh, il savait très bien qu'il n'avait pas à se plaindre. Certains de ses potes de classes s'inquiétaient parce que leurs parents se trouvaient au chômage, d'autres s'entassaient à plusieurs dans des chambres minuscules. Lui avait une chambre géante, un père riche, des tas de jouets, son propre mur d'escalade… Il ne manquait pas de distractions. Mais voilà, se retrouver à nouveau dans cette cage dorée après tous ces mois passés à aller en classe et se faire des amis, c'était lourd.

- De quoi tu te plains? lança Plagg, vautré à côté de lui. On peut se prélasser et manger du camembert toute la journée, c'est parfait!

Adrien haussa les épaules et attrapa son téléphone. Il lui fallait une nouvelle distraction. Sur le chat de la classe, Rose venait de poster la photo des cookies arc-en-ciel qu'elle venait de sortir du four. Tiens, pourquoi pas? Il n'avait jamais cuisiné de toute sa vie, c'était le moment d'apprendre.

Il lika la photo, puis se rendit dans la cuisine. Celle-ci se trouvait vide car le chef du manoir avait pris un congé pour s'occuper de sa mère. Nathalie, quant à elle, se tenait probablement au chevet de Gabriel, malade du Covid et confiné dans sa chambre. Adrien trouva une recette de cookies facile sur Internet, ouvrit les placards un à un et finit par sortir de la farine, du sucre, du beurre, des œufs, de la vanille et des pépites de chocolat. Dans une heure, il aurait des super cookies!


Ce fut Nathalie qui le trouva la première, couvert de farine et à moitié catatonique, dans une cuisine qui semblait avoir été dévastée par un ouragan. Sur le coup, elle paniqua:

- Adrien! Qu'est-ce qui s'est passé?

- J'ai voulu faire des cookies et… c'est plus compliqué que ce que je croyais.

- Enfin, les boulangeries sont encore ouvertes, il suffit de noter «cookies» sur la liste de courses!

- Je sais. Je voulais juste essayer de les faire moi-même…

Nathalie se demanda comment ce garçon brillant, plusieurs fois champion d'escrime, virtuose au piano et parlant mandarin couramment, pouvait se montrer aussi empoté en cuisine. Ensuite, elle se souvint: il n'avait jamais touché une casserole de toute sa vie, tout simplement. La première fois était forcément difficile.

- Nettoyez-moi tout ça! lança-t-elle.

- Et… mes cookies?

Elle attrapa le saladier et soupira:

- Le beurre doit être fondu, ou au moins ramolli avant d'être mélangé aux autres ingrédients. On n'ajoute pas une gousse de vanille entière, on met juste une goutte d'extrait de vanille. Et les coquilles d'œufs vont à la poubelle, pas dans le mélange.

- Je savais pas. La recette disait de casser un œuf, pas de jeter la coquille.

Il avait l'air aussi penaud qu'un petit chaton qui vient de faire une bêtise. A la fois émue et atterrée, Nathalie attrapa une passoire et s'efforça de sauver ce qui pouvait être sauvé.


Une heure plus tard, les cookies fraîchement cuits refroidissaient sur le plan de travail et Nathalie était retournée au chevet de Gabriel. Désœuvré, Adrien se tenait assis dans le jardin, devant le mémorial consacré à Emilie. Il se fit la réflexion qu'il aurait aimé lui faire gouter ses cookies. Encore une chose qu'il ne ferait jamais avec elle.

Mais Nathalie… Nathalie lui avait expliqué comment on fait des cookies. Elle ne remplacerait jamais Emilie mais elle venait à l'instant de jouer un rôle presque maternel dans son existence. Adrien se demanda ce qui se passerait si elle et son père devenaient encore plus proche. Ensuite, il se fustigea mentalement. Etait-il en train de faire passer sa maman adorée à l'arrière-plan?

Je voudrais que les choses soient plus faciles…

Soudain, une voix familière le fit tressaillir. Quelqu'un parlait à voix haute de l'autre côté du portail. Il s'approcha et entendit clairement:

- Tikki, arrête, c'est impossible!

- Marinette! s'écria-t-il, tout joyeux.

C'était la première fois depuis des semaines qu'il se trouvait à moins de deux mètres d'une camarade de classe. Quelle joie!

- Adrien?! cria la voix de l'autre côté.

- Oui, c'est moi! Qu'est-ce que tu fais là?

- Oh, j'ai fait une basque pour tous les élèves à la masse!

- A la masse? répéta-t-il, intrigué.

- De la place! De la trace!

Adrien resta perplexe. Le discours de Marinette n'avait aucun sens. A tout hasard, il avança:

- Nino m'a dit que tu fabriquais des masques, maintenant.

- Oui, je t'apporte le tien!

- Super! Je t'ouvre!

Il était sur le point d'ouvrir le portail quand Marinette hurla:

- Non! Distanciation sociale! Je vais juste le glisser sous le portail!

L'instant d'après, une enveloppe apparut à ses pieds. Adrien l'attrapa, l'ouvrit et se fendit d'un large sourire.

- Il est très beau! s'écria-t-il.

- Oui, tu es beau! Je veux dire, merci de le trouver beau!

Il était exactement du même vert clair que ses yeux. Marinette avait fait du très beau travail et Adrien pensa que tant que des gens comme elle et Ladybug vivraient sur Terre, il garderait foi en l'humanité.

- Merci! cria-t-il. T'es vraiment super gentille de faire ça!

Marinette bafouilla une réponse et enfourcha sa bicyclette, sous le regard attristé de Tikki. Elle fit le tour du quartier et déposa les enveloppes dans les boîtes à lettres de ses camarades. Elle sonna à quelques portes quand elle n'avait pas accès aux boîtes. Elle hésita devant le Liberté parce qu'il n'y avait pas de boîte à lettres et finit par déposer l'enveloppe au milieu de la passerelle quand Anarka la vit et lui hurla de s'approcher. Enfin, elle se dépêcha de rentrer à la maison, impressionnée par l'aspect sinistre des rues désertes. Elle se serait crue dans une ville fantôme.


Une dizaine de gens faisaient la queue devant la boulangerie, bien à distance les uns des autres. Marinette regagna sa chambre et constata qu'il y avait plusieurs alertes dans son téléphone. Ses amies s'étaient déjà prises en selfie avec les masques, qu'elle avait personnalisés avec leurs couleurs préférées. Celui d'Alix était noir, comme sa tenue de roller fétiche, et celui de Rose ressemblait à une explosion de rose bonbon. Hashtag #MerciMarinette.

Il était temps d'étudier, ou au moins d'essayer. Le site internet du collège leur envoyait des cours par correspondance, il n'y avait plus qu'à se motiver pour les suivre.

Evidemment, elle aurait préféré être en classe, assise à côté de sa super pote Alya. Elle réussit cependant à se concentrer jusqu'à ce qu'elle reçoive un texto de Luka. Qu'est-ce qu'il lui voulait?

Luka: Bonjour Marinette. Juleka m'a montré le masque que tu lui as fabriqué. Je te félicite, tu es très talentueuse. Je me demandais si tu aurais le temps d'en fabriquer un pour moi aussi. Evidemment, si c'est non, je comprends tout à fait. Bisous.

Si elle avait le temps d'aider un ami? Alors qu'elle se trouvait claquemurée toute la journée? Quelle question!

Marinette: Bien sûr que j'ai le temps! Tu as une préférence pour la couleur?

Luka: Aucune importance tant que je peux respirer avec.

Marinette: Il sera prêt demain!

Toute joyeuse, Marinette attrapa sa machine à coudre et scanna du regard sa réserve de tissu. Pour Luka, il fallait absolument du bleu.

Sauf qu'elle était censée apprendre une leçon d'histoire. Etait-ce vraiment le moment de fabriquer un masque? Oh, après tout, juste un, ça ne pouvait pas faire de mal.

Elle l'avait à peine terminé qu'elle reçut un texto d'Adrien qui lui faisait très gentiment remarquer que Kagami était leur amie et qu'elle allait peut-être se sentir exclue si elle était la seule de la bande à ne pas recevoir de masque.

Un masque rouge foncé pour Kagami, tout de suite!

Les textos s'enchaînèrent. Quand Marinette descendit pour déjeuner, elle n'avait absolument rien révisé et les nouveaux masques s'empilaient sur le coin de son bureau. Mais enfin, elle voyait le bout du tunnel. Elle aurait vite terminé ce travail et pourrait se consacrer à ses devoirs de classe.

C'est alors que son père lui posa la question qui tue:

- Tu sais ce qu'un client m'a demandé?

- Non, quoi? répondit Marinette en craignant la réponse.

- Il voulait savoir où j'ai eu ce masque. Je lui ai répondu que c'est toi qui l'a cousu et il est prêt à payer 5 euros pour que tu lui fabriques le même.

Marinette comprit alors qu'elle n'allait pas réviser de sitôt.

A suivre…