Ce texte a été rédigé dans le cadre des Nuits du Fof, le thème était Mystificateur.


— Vous êtes sûr que vous avez déjà réussi à chasser un spectre ? s'inquièta la sorcière en détaillant les boucles blondes et les traits juvéniles du jeune homme.

— Mais oui, ne vous tracassez pas, je fais ça tous les jours ! affirma le prétendu chasseur de fantômes.

La sorcière le jaugea de nouveau, passant sur sa tenue lavande impeccable et son sourire d'une blancheur surnaturelle.

— Je ferais peut-être mieux d'attendre que le ministère de la magie se déplace, fit-elle remarquer avec prudence. Après tout, c'est bien pour cela que l'on paye la taxe de l'occulte, pour être assuré d'une intervention de ces bons à rien de fonctionnaires.

Les neurones de Gilderoy s'activaient à toute allure, s'il y avait bien un domaine dans lequel il excellait, c'était celui de bonimenter.

— Le ministère, gloussa-t-il, ils vont vous envoyer l'un de leur inspecteur. Il devra rendre un rapport, il y aura une contre-visite et ensuite ils se mettront d'accord sur quel service doit intervenir. Ça va vous demander des semaines de patience ma bonne dame !

La sorcière pinça son menton en galoche entre ses doigts et Gilderoy se demanda pourquoi les clients qu'il dénichait étaient tous plus laids les uns que les autres. A croire que sa propre beauté les attiraient comme un aimant. Il replaça une mèche rebelle dans le rang, attentif à l'attitude de son interlocutrice.

— Des semaines vous dites… réfléchit-elle à voix haute. C'est vrai que ce ne sont pas des rapides ces londoniens. Mais je ne peux pas me permettre d'attendre aussi longtemps, mon commerce en a déjà pâti ! J'exerce dans cette maison, j'y ai tout mon laboratoire de pâtisserie ! Avec Halloween à nos portes, c'est une catastrophe financière qui m'attend si je ne peux pas honorer mes commandes.

Le sorcier prit son air le plus compatissant : des yeux de cocker que des larmes d'altruisme venaient baigner, les traits de sa bouche tirés vers le bas en un croissant de lune triste.

— Comme je vous comprends, entre entrepreneurs, on doit se serrer les coudes, vous ne pensez pas ? Je sauve votre commerce et vous participez à la renommé du mien.

— Oui mais…

La pâtissière reprit son air embêté, ce qui n'était pas pour la mettre en valeur. Gilderoy retint une grimace, tout comme son envie pressante de se regarder dans un miroir pour soulager ses yeux.

— Vous me paraissez bien jeune et je ne voudrais pas qu'elle me retourne tout là-dedans si vous la mettez en rogne.

— Les spectres sont des fantômes particulièrement virulent, je comprends votre inquiétude.

Parce que remplacer des moules à gâteaux serait vraiment une tragédie, mais le fait qu'il puisse y laisser sa peau, ça, elle avait l'air de s'en préoccuper comme de son dernier jus de citrouille.

— Si vous ne me connaissez pas, sachez que j'ai déjà fait paraître plusieurs ouvrages sur mes précédentes interventions.

Gilderoy fouilla dans sa besace pour en tirer deux livres flambants neufs d'une belle épaisseur. Il les tendit vers la sorcière, se demandant par la même occasion si elle était lettrée, vu le village paumé des Highlands dans lequel il se trouvait.

— "Voyage avec les vampires", "Balade avec les banshees", déchiffra la sorcière dans la lumière du réverbère.

Ils se trouvaient toujours devant le bar devant lequel il l'avait rattrapé après l'avoir entendu parler de ses mésaventures. L'haleine de la sorcière était d'ailleurs chargée de whisky pur feu et Gilderoy passa son foulard en soie devant son nez pour humer l'huile de menthe poivrée qu'il y avait déposée.

— Vous avez vraiment sympathisé avec des vampires ? s'étonna la sorcière après avoir feuilleté quelques pages au hasard. Mais vous semblez à peine sorti de Poudlard.

— Il est vrai que je suis dans la fleur de l'âge, mais ne vous y trompez pas, je suis redoutable. J'étais d'ailleurs le chouchou de mes professeurs et ils pourraient tous vous vanter mes talents en sortilège, potion et défense contre les forces de mal. D'ailleurs, durant mes études, j'ai été missionné par le directeur en personne pour mater une rebéllion des êtres de l'eau du lac noir.

La sorcière ouvrit de grands yeux, brillants d'alcool.

— Et comment vous avez fait ? questionna-t-elle d'une voix aussi intriguée que pâteuse.

Ça y'est, le niffleur a flairé le lingot, se réjouit Gilderoy.

— Il se trouve que sur mon temps libre j'ai lu une bonne partie des ouvrages de la bibliothèque, j'ai une mémoire photographique voyez-vous. J'avais donc de très solides bases du langage des êtres de l'eau, sans parler de ma maîtrise du sortilège de tête-en-bulle. Je me suis rendu dans leur village et ai demandé une audition avec le chef.

La sorcière était suspendue à ses lèvres. Rien ne vint perturber son récit, excepté de rares rafales de vent, qui sifflaient par intermittence sur les toits pentus et faisaient virevolter quelques feuilles mortes. Le froid avait déjà saisi la région et Gilderoy aurait fort apprécié continuer leur échange à l'intérieur. Cependant, il était bien plus aisé d'attraper dans ses filets une nigaude isolée du troupeau et passablement alcoolisée.

— Le chef n'en démord pas, il ne veut plus être sous l'autorité du ministère et veut avoir autorité sur tout le territoire de Poudlard. Il prépare un véritable coup d'état, une nouvelle version de l'Atlantide où le château sera engloutie par les eaux du lac et à sa merci !

La sorcière tenta bien de poser quelques questions sur les capacités magiques des êtres de l'eau et le pourquoi de leur soudaine hostilité, mais Gilderoy éluda rapidement, ne s'embarrassant pas de détails auxquels il ne saurait répondre. Son nez se résumait à présent à un glaçon et il ne comptait pas tomber malade. S'enrhumer le contraindrait à disparaître de la circulation pendant des semaines, afin qu'on ne le voit pas se moucher ou renifler.

— Et c'est comme ça que j'ai battu leur champion à la lutte et que j'ai été déclaré vainqueur, le chef a dû honorer sa promesse de ne pas attaquer le château et de toute façon, à ce stade, il m'admirait et me craignait beaucoup trop pour encore vouloir s'en prendre aux sorciers.

Son récit terminé, le sorcier se dit que l'affaire était dans le sac. Mais à sa grande surprise la pâtissière ne sembla pas tout à fait convaincue.

— C'est une sacrée histoire, concéda-t-elle, les livres toujours en mains. Vous savez quoi, j'ai la tête qui tourne un brin. Je vais rentrer chez ma soeur, réfléchir à votre proposition et vous donner ma réponse demain. Ça vous va ?

Elle accompagna sa question d'un hoquet répugnant.

— Faisons comme cela ! s'enthousiasma Gilderoy en masquant sa déception.

Il la regarda descendre la rue d'une démarche incertaine. Un sortilège d'impero réglerait la question, mais Gilderoy aurait trop peur des représailles des aurors. La tenue d'Azkaban ne lui irait pas du tout au teint et s'il devait être en photo dans la gazette du sorcier, ça ne serait certainement pas avec sa pancarte de condamné.

Pour le moment, sa petite entreprise florissait tranquillement sans qu'il soit découvert. Trouver ses clients dans les petits villages lui garantissait de ne pas trop attirer l'attention, tout en écoulant ses livres aux gugusses crédules. Il ne pouvait pas dire qu'il roulait sur les galions, mais ça payait les nuits d'hôtels et ses repas. Sans compter que l'hiver arrivait à grands pas et qu'il ne cracherait pas sur des soupes chaudes et une chambre où ronflerait un bon feu. Mais pour cela, il devait signer un contrat juteux, qui lui permettrait d'arrêter de battre la campagne quelque temps.

Gilderoy s'en retourna dans l'auberge, où quelques ivrognes terminaient leurs chopes autour d'un jeu de cartes. Il souhaita la bonne nuit à la cantonade avec l'un de ses larges sourires et prit l'escalier qui menait aux chambres. Il avait connu plus coquet. La pièce épousait la forme du toit en pente et lui demandait de prêter attention aux poutres basses pour ne pas se cogner la tête. Le sorcier s'assit sur l'immonde couvre lit fait-main au crochet pour retirer ses souliers. Il se déshabilla et plia ses affaires avec soins avant de s'enduire le corps de diverses fioles parfumées aux vertus hydratantes et raffermissantes. Son pyjama mit, il inspecta le lit avec minutie et lança plusieurs sorts pour détecter la présence de nuisibles. Rassuré, il répandit quelques huiles essentielles sur son oreiller avant de se glisser entre les draps, qu'il trouva rapeux et de piètre qualité.

A suivre…