6 Novembre : Origami 2

La statue de papier arrivait à la hanche de Boya s'il la posait par terre. La créature semblait aussi farouche que dangereuse. Qu'était-elle exactement, même Boya n'en savait rien. Il avait suivit son instinct et la forme que le papier autant que ses doigts et son qi lui avait dit de créer. Ce qu'il avait apprit de Kuang HuaShi n'avait été que la base pour créer sa statue de papier. Ce n'était que les pliages qui devait donner une forme à la chose. Les détails, eux, avaient prit existence sous les doigts de Boya grâce à son qi et sa volonté.
L'oiseau de proie était difficile à reconnaitre. Ni totalement un faucon, ni vraiment un aigle. S'il était indéniablement un rapace, il avait une longue queue que Boya avait mis des heures à construire et qui rappelait un peu celle d'un paon.

Kuang HuaShi et QingMing examinèrent la statue de papier tout en prenant grand soin de ne pas la toucher ni la contaminer de leur qi. Elle devait rester vierge de tout ce qui n'était pas "Boya", jusqu'à ce qu'il active les barrières, sceaux, réseau d'énergie et sigils qu'il avait passé presque seize heure à construire dans et avec le papier.

"- La dernière étape maintenant."

Boya hocha la tête. Il avala une dernière gorgée d'eau puis s'entailla le doigt sur une dague en pierre fabriquée pour l'occasion par Sha ShengShi et qui n'appartiendrait à personne d'autre que le chasseur. Le sang fut déposé avec précaution sur une perle de jade d'un blanc gras-de-mouton très pur, parfaitement lisse. Boya avait mis des jours à la préparer lui-même, à la poncer autant avec ses mains qu'avec son qi.
Le sang fut absorbé par la petite perle jusqu'à ce qu'elle reste entièrement rouge, luisante de l'énergie et du sang frais donné par Boya.

Le plus délicat restait à faire. Il soigna la blessure de son doigt avec un peu de qi puis glissa la petite perle dans la poitrine de la statue de papier. Le poids fut suffisant pour que le papier plié joue sur le papier plié. La poitrine de la statue se referma sans un bruit. La pierre était bien à sa place dans la poitrine de l'oiseau.

Boya leva une dernière fois les yeux sur son ami qui lui souriait avec une rare assurance.

Le chasseur ferma les yeux. Concentré sur son qi, aussi bien celui qui rugissait dans ses veines que celui qui hantait son travail manuel, il se tendit vers ce dernier pour l'encourager à se réveiller.

Il devait bouger, il devait voler. Boya l'avait créé pour que la statue de papier prenne son indépendance et son envol. C'était une version proche de ce que He Shouyue avait été mais différente tout à la fois. Boya n'essayait pas de créer un double de sa personne mais il tentait de donner vie à une extension de lui-même. Il voulait donner vie à un ami, un frère, un aide, quelque chose, quelqu'un qui lui serait à jamais fidèle mais jamais son esclave.

Une sensation d'intense déchirure et de douleur s'arracha soudain à la poitrine de Boya lorsqu'il réalisa qu'il était en train de fabriquer un shishen.

Un cri puissant de sauvagerie absolue, une sensation de chaleur au visage et Boya sentit autant qu'il le vit la seconde où la statue de papier prit vie pour s'envoler loin au dessus de lui.

Le rapace tournoya longuement dans le ciel noir de ce début de nuit d'été, sa longue queue enflammée comme sa crête sur le haut de son crane.

QingMing observait la créature avec fascination. Lui aussi avait ainsi créé son premier shishen. C'était un prérequis pour sa charge de membre du Yin Yang. MiChong était un papillon de papier à la base. Avec les années, elle avait acquis une autre forme et une véritable indépendance lorsqu'elle était devenue une démone, encouragée par un maître qui voulait le meilleur pour elle.

Mais ce que Boya avait créé, ce qui volait dans le ciel était d'un tout autre niveau.

Le rapace de feu tournoya encore dans le ciel un moment jusqu'à ce que Boya lève le poing vers lui. Le shishen replia ses ailes pour se laisser tomber comme une pierre vers son maître. Il n'ouvrit ses grandes ailes enflammées que pour ralentir sa chute et se poser en douceur sur le bras de Boya.

"- Il brule mais il n'est pas chaud !" S'étonna QingMing.

"- Parce que je ne veux pas qu'il fasse de mal à qui que ce soit." La chaleur se fit soudain intense avant de disparaitre à nouveau. "Il fait ce que je lui dit."
Boya avait réussit.
Il avait créé son premier shishen.

Il avait créé une extension de lui-même. A la fois indépendant et lié à lui tout à la fois.

L'oiseau de proie tourna la tête vers QingMing. Il était aussi digne et puissant que Boya. La lueur farouche dans ses yeux fit roucouler le demi-démon de satisfaction.

C'était un allié fidèle que Boya s'était créé là et qui correspondait parfaitement à ses besoins et sa personnalité.

"- Comment vas-tu l'appeler ?"

Boya fixait son shishen avec attention, une petite moue au visage.

"- Liánhuā."

"- … Fleur de Lotus ? tu es sur ?" Pour une créature aussi farouche c'était…

"- J'imagine déjà une créature dangereuse quelconque, un démon écumant ou un général qui tenterait de nous attaquer expliquer qu'il s'est fait prendre une fessée par "Fleur de Lotus". C'est bien plus humiliant que s'il s'appelait "Cœur de Tonnerre" ou "démon des enfers écumants"

Boya souriait largement sous les rires étonnés des shishen de QingMing qui le fixait avec stupeur.

Son ami développait de l'humour maintenant ? Diantre, ils n'étaient pas sortis des ronces !

Liánhuā tourna soudain la tête vers son maître. Il réclama lourdement dans les aigues, ouvrit ses ailes et s'envola sans difficulté pour reprendre son vol. Le point lumineux de ses queues et de sa crinière enflammés se découpaient aisément sur le ciel obscurcit de la nuit qui progressait gentiment.

QingMing repoussa la table qui avait servit à Boya pour créer son chef d'œuvre jusqu'à pouvoir venir le prendre dans ses bras.

"- Bravo, Boya. Tu as ton premier shishen maintenant."

Maintenant, il pouvait lui apprendre à ouvrir son propre portail.
Maintenant, il pouvait lui proposer de rester avec lui.

Maintenant, il pouvait tous les deux prendre leur indépendance.

Liánhuā réclama encore bruyamment. Il se laissa soudain tomber comme une pierre sur un petit oiseau qu'il tua d'un coup de serre avant de l'apporter docilement à QingMing qui reçut l'offrande avec vénération.

Si Boya commençait à le nourrir de lui-même… Il ne pourrait jamais retenir son renard de lui-faire la cours.