Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye et Boulays pour leur commentaire ! Et merci aux lecteurs anonymes.
Dans ce chapitre, nous abordons les derniers détails avant la bataille du Bosquet...
Réponse aux reviews :
Cassye : Et oui, le prochain chapitre sera celui de la baston ! Il fut complexe à écrire, mais j'ai beaucoup aimé l'exercice. Je suis contente que tu apprécies les joutes verbales entre Astarion et Nymuë : ça fait probablement partie de mes passages favoris à écrire. Pour les raccourcis, en réalité si je vous en parle lors de mes notes de fin de chapitre, c'est surtout pour le plaisir de discuter desdits changements. Pour répondre sur la commu fanfic, disons qu'il y a effectivement ce biais (des smuts) qui est très présent. Ça ne me gêne pas particulièrement, car en général s'il y a une forte offre, il y a souvent une demande associée. Mais disons que ça peut parfois créer de la frustration. Je préfère me concentrer sur le plaisir que j'ai à rédiger, je me dis que si j'ai ça, je suis "gagnante" à chaque fois dans mon entreprise :) Merci pour tes encouragements et ta review en tout cas !
Boulays : Merci pour ton retour ! La bataille approche à grand pas, et j'ai hâte de savoir ce que vous en pensez. Tu as bien raison, d'autant plus qu'en réalité la zone de jeu - quand on observe les maps de Donjons & Dragons - n'est pas énorme... C'est donc beaucoup plus intéressant de la peupler et de l'adapter ! Très intéressant pour le symbole de la maison Baenre, je ne savais pas ! Merci de la précision :) J'avais lu que Minthara venait de Menzoberranzan, ce que j'ai décidé d'utiliser. Je n'ai pas encore fait de let's play avec ce personnage en compagnon, je me réserve ça pour ma run Dark Urge actuelle !
Recommandation musicale pour la fin de chapitre : la chaîne "Vivi's Radio Backup Channel - Rare VGM" a enregistré une bonne partie des playlists non officielles de Baldur's Gate 3. Ici, je vous conseille celle nommée First Dream Guardian Meeting - Baldur's Gate 3 (OST) !
Je vous souhaite une bonne lecture !
CHAPITRE 11
Fièvre
L'excursion jusqu'au village ne fut guère longue. Débarrassés des reliefs montagneux les forçant à des détours, les aventuriers avancèrent diligemment. Le clapotis de la rivière marqua leur retour à la surface ; il faisait encore grand jour.
Levant les yeux vers les arbres, Halsin leva le bras afin de réceptionner un corbeau. Ses gestes étaient étonnamment doux pour un homme de sa carrure. L'oiseau claqua du bec à quelques reprises – un langage comprit par son interlocuteur – puis s'envola :
— Je l'ai envoyé auprès de Rath, expliqua l'archidruide. Le Bosquet devrait être averti de notre arrivée.
L'après-midi touchait à sa fin quand ils aperçurent enfin la Grande Porte ; plusieurs tieffelins œuvraient à la consolider, tandis que d'autres étaient armés de pelles et de poudre explosive.
— Maître Halsin, accueillit Zevlor avec soulagement. Vous n'imaginez même pas à quel point je suis heureux de vous revoir.
— Nous fêterons nos retrouvailles plus tard, mon ami. Pour l'instant, l'heure est à la guerre. Quelle est notre situation ?
— Rath est venu me trouver un peu plus tôt. Il a rassemblé les druides et a interrompu le Rituel des Épines. Mais… Kagha était furieuse. Ils l'ont isolée près de vos quartiers, en attendant votre jugement.
— Et vos gens ?
— Nos enfants et nos aïeuls sont cachés dans une des caves du Terrier. Ils y resteront, jusqu'à ce que les gobelins soient repoussés… ou que nous mourrions, en essayant. Depuis, nous installons des pièges, enterrons nos stocks d'huile et de poudre afin de les ralentir au maximum.
— Très bien, approuva le premier druide. Minthara s'attend à nous trouver désespérés… Ses troupes n'anticiperont pas vos leurres.
D'une tape sur l'épaule, il prit congé et se dirigea vers le cœur du Bosquet. Des transformations étaient déjà visibles : les chariots avaient été remplacés par plusieurs établis ; un tieffelin s'attelait à affûter des couteaux et des épées. D'autres réfugiés renforçaient leurs vêtements avec du cuir, faible protection face à une lame ou une flèche aiguisée.
Nymuë commençait à sérieusement douter de son plan. Combien de fugitifs mourraient demain, parce qu'elle s'était pensée plus maline qu'une cheffe de guerre ? S'ils avaient pris le risque d'affronter directement Minthara, ces gens auraient-ils moins souffert ?
— Votre volonté doit être d'acier, lança Lae'zel à ses côtés. Ou votre bras tremblera.
— Suis-je donc si transparente ?
— Vous êtes une stratège. Mais tout bon tacticien est également soldat. Chez les githyankis, nous trouvons notre unité en Vlaakith, la Reine Immortelle. Massacrer en son nom est notre devoir ; mourir pour elle est notre ultime révérence.
— Qu'est-ce qui explique une telle dévotion ? s'enquit Nymuë.
— Vlaakith est la perfection. La peur et la beauté, la vie et la non-vie. Tl'a'vlaakith, chyrki. Tl'a'vlaakith, tavki. Tl'a'vlaakith, lash'a'kla. Il n'y a qu'en suivant ce crédo qu'un combattant puisse espérer devenir kith'rak.
Devant son expression perplexe, Lae'zel poursuivit :
— Les chevaliers githyankis ; nos chevaucheurs de dragon. Ils font respecter la volonté de notre reine depuis sa demeure, Tu'narath, jusque dans tous les autres Plans. Recevoir l'épée d'argent est ma destinée !
— Ou comment nommer "gloire" de véritables bains de sang, siffla Ombrecoeur.
La guerrière s'apprêta à riposter, mais l'elfe noire interrompit toute prise de bec : ils arrivaient à l'antre des druides. L'idole en bois ainsi que les incantateurs avaient disparu ; seule Kagha demeurait au milieu du cercle de pierre. Quand elle aperçut Halsin, elle ne cilla pas.
— Tu as osé entreprendre le Rituel des Épines, sans autorisation ? Tu as voulu verser le sang sur ces terres sacrées ? Il serait plus simple de te tuer que de te rendre justice, Kagha. À la place, je vais devoir entendre tes excuses.
— Je ne vous dois rien, cracha l'ancienne archidruidesse. Les gobelins menaçaient notre sanctuaire, pendant que vous ne vous consacriez qu'aux étrangers ! Vous avez choisi de nous abandonner. J'ai choisi de nous protéger.
— Silence ! Le rituel n'est plus. La miséricorde est le cadeau de la nature, pas le mien. Tu as oublié ta place dans l'ordre des choses ; tu as manqué de supprimer des vies.
— C'est la loi de la nature, objecta Kagha.
— Non, c'est sa contestation ! Mais si c'est là ce que tu crois, alors la nature déterminera également ton destin. Je te bannis, Kagha, de ce Bosquet et de ces terres. Nul druide ne t'ouvrira sa porte ; nul animal ne se déclara ton ami. Peut-être qu'une fois confrontée à l'aigreur de l'exil, tu comprendras qu'aucune protection ne mérite le mal que tu as manqué faire. Et là, seulement, tu pourras revenir parmi nous en novice.
Kagha dévisagea son ancien maître, sous le choc. Elle leva la main en direction de Tee-la, sa fidèle vipère, mais le serpent se disparut à travers les futaies. La druidesse destituée regarda autour d'elle : personne n'intervint. Aucune voix ne se leva pour prendre sa défense. Vaincue, elle se tourna vers Halsin afin de lui adresser une courte révérence :
— Comme vous le souhaitez, maître.
Sa voix n'était que poison. La tête haute, elle se dirigea vers la Grande Porte et passa devant les aventuriers. Il y avait un incendie dans son regard :
— Êtes-vous sûr d'avoir bien agi ? murmura l'elfe noire. Minthara et les gobelins rôdent, dehors.
— Elle saura se cacher, si elle est sage, lui répondit Halsin. Quoi qu'il lui arrive désormais, cela dépend du Père de la Forêt.
Les compagnons observèrent Kagha s'éloigner et, à l'unisson, partagèrent un mauvais pressentiment.
Ce soir-là, l'ambiance fut tendue. Nymuë se remémorait leur toute première nuit au Bosquet. Accablés par les mauvaises nouvelles, l'atmosphère avait été tout aussi pesante ; il fallait croire que l'air pur des druides ne leur réussissait pas.
Ombrecoeur et Lae'zel se fusillaient du regard, chacune à un extrême opposé du camp. Astarion était parti chasser, et depuis l'elfe noire faisait les cent pas. L'appréhension ressentie plus tôt ne l'avait pas quitté, et - malgré elle - elle s'inquiétait pour le roublard : les troupes gobelines n'étaient pas si loin…
Elle finit par s'immobiliser, agacée de son attitude. Le haut-elfe était antipathique au possible, certes, mais savait se défendre. Aucune raison de s'alarmer. Cette soudaine nervosité lui faisait toutefois réaliser quelque chose : l'attitude de diva du vampire – bien qu'elle soit exécrable – lui évitait d'adopter un rôle au quotidien. Elle n'avait pas à se montrer ferme ou inflexible, comme avec Lae'zel, ou prudente et mesurée, comme pour Ombrecoeur. Le jeu auquel Astarion s'exerçait ne supposait pas d'autres participants que lui. Aussi, même s'il lui était impossible de l'écouter sans lever les yeux au ciel, réussissait-elle à se détendre en sa présence.
Elle ressentit un mélange d'exaspération et de soulagement quand elle le vit revenir du sous-bois. L'impression disparut rapidement, cependant, quand elle nota que le vampire était couvert de sang.
— Dites-moi que ce n'est pas le vôtre, soupira-t-elle avec lassitude.
— Oh, vous êtes là ! s'écria-t-il. Mon amie.
Il pouffa, tout en vacillant. Ce n'était pas là l'effet d'une blessure, comprit Nymuë, mais de l'ivresse.
— Que diable vous est-il arrivé ? demanda-t-elle.
— J'ai trouvé un ours. Il m'a pris un peu de mon sang… et, en échange, j'ai pris tout le sien.
Manifestement, il était très satisfait de son exploit. L'idée que cela constitue un crime, au sein d'un cercle druidique, ne paraissait guère l'émouvoir.
— Vous semblez en pleine forme, observa l'elfe noire. J'ose espérer que vous n'aurez pas besoin de sang humanoïde, alors ?
— Autant comparer de la piquette à un grand cru. Vous pouvez vous soûler avec les deux, mais ce n'est certainement pas la même chose !
Ses yeux se voilèrent, perdus soudains dans de mauvais souvenirs :
— Mais Cazador ne me nourrissait que de rats et d'insectes ! Si vous voulez tout savoir, je suis dans cet état depuis deux siècles, mais…
Il toussota, mi- gêné, mi- charmeur :
— … Vous êtes ma première, acheva-t-il. Boire le sang d'une créature pensante procure une sensation fort différente. Vous, mon cœur, étiez absolument délectable.
Il l'observa en battant des cils, guettant une réaction, un rougissement infime, ou encore un frisson incontrôlé. Mais l'expression de Nymuë demeura on ne peut plus sérieuse alors qu'elle le dévisageait. Astarion soupira :
— Ma chère, souffrez-vous d'un mal incurable en dehors de votre parasite ? Très franchement, on dirait que vous êtes allergique à tout ce qui est drôle.
— Pouvez-vous m'en dire plus sur Cazador ? questionna-t-elle.
Sans grande surprise, le roublard se braqua immédiatement. Pourtant, sous l'irritation apparente, la jeune femme vit comme une fêlure :
— Écoutez Astarion, vous n'êtes pas obligé de me révéler quoi que ce soit. Mais comme vous nous avez avoué qu'il vous recherchait…
— Je suppose que me taire ne ferait du bien à personne, consentit-il. Très bien. Cazador Szarr est un seigneur vampire de Baldur's Gate ; le plus puissant du cercle local. C'est un monstre assoiffé de sang n'ayant qu'une seule et unique obsession : le pouvoir.
Il avait cessé de chanceler. La simple mention de son ancien maître avait suffi à le dégriser.
— Je ne vous parle pas d'influence politique ou de puissance militaire. Non, ce qui l'intéresse, c'est d'avoir du pouvoir sur autrui ; celui de les contrôler, totalement et irrémédiablement. C'est lui qui a fait de moi ce que je suis… Cette nuit-là, je suis devenu son rejeton, et lui mon tortionnaire.
— Que voulez-vous dire ? chuchota Nymuë.
— Un rejeton de vampire est encore moins qu'un esclave. C'est une marionnette. Dès que son maître ouvre la bouche, son corps agit et ne lui obéit même plus. Cela fait partie du marché. Parfois, il nous forçait à nous infliger les pires sévices. Ou alors, il… nous ordonnait de nous torturer les uns les autres.
L'elfe noire ferma les yeux ; la cruauté, elle connaissait. Mais ceci ? Perdre le contrôle de son propre corps, le voir agir en étant spectateur de ses tourments ?
— Je suis désolée, dit-elle doucement à Astarion. Ça devait être affreux.
— Merci, siffla son camarade, mais je n'ai vraiment pas besoin de votre compassion. Si vous souhaitez réellement m'aider, ouvrez donc l'œil. Surtout dans les endroits obscurs.
— Protégez-moi, et j'en ferai autant pour vous, déclara-t-elle. Après tout, vous me devez toujours 50% de vos larcins.
— 35, rectifia aussitôt le roublard. Et vous savez, vous n'avez pas besoin de toutes ces questions si vous souhaitez mieux me connaître…
Nymuë dissimula un léger sourire : il lui faisait penser à un paon. Astarion était tout en couleurs et en plumes, travaillant soigneusement la moindre pièce de son décorum. Il pouvait apparaître tour à tour espiègle, sanguinaire ou vulnérable ; il était tous les personnages d'un jeu de carte à lui seul, à la fois bouffon, valet et reine.
— Maintenant que je me remémore tous ces instants passés ensemble, continua-t-il, je trouverais dommage de me limiter à votre jugulaire… Je commence à tout apprécier de vous, honnêtement. Et comme je ne vous laisse clairement pas indifférente…
— Oh, vraiment ? railla l'elfe noire. Votre larve vous octroie le don de double-vue ?
— Ne soyez pas si timide. Votre corps vous trahit, vous savez… Je l'ai senti, alors que je me… perdais, dans votre cou. Vous y avez pris du plaisir, avouez-le.
— Nous n'avons clairement pas eu la même nuit. Mais je suis contente d'apprendre que vous avez passé un bon moment.
— En effet, et regardez comme cela a bien marché ! Je ne me suis jamais senti aussi fort, et c'est à vous que je le dois. Il faut bien que je vous remercie pour votre noble sacrifice, pas vrai ? Nous pourrions nous offrir une soirée à deux. Nous éloigner un peu du campement, pour avoir un peu d'intimité…
La jeune femme le fixa, confuse : était-il en train de… lui faire du rentre-dedans ? Ou bien de la dédommager ?
— Je ne vous ai pas laissé me mordre parce que je souhaitais obtenir quelque chose en retour, répondit-elle.
— Bien sûr, mon ange. C'est loin d'être la seule raison me motivant… Et nous savons tous les deux que vous en avez envie aussi.
— Et qu'est-ce qui vous motive, au juste ?
— Oh, darling, vous vous posez trop de questions. Ne vous suffit-il pas que je vous promette une nuit que vous n'oublierez pas de sitôt ? Je vous promets n'avoir à l'esprit qu'un honnête moment de pure débauche.
— Je vous ai aidé car vous êtes mon compagnon ! s'exclama Nymuë, en hurlant les derniers mots.
Elle le fusilla du regard, tandis qu'Astarion lui renvoyait une expression décontenancée. Quelque chose dans sa colère, néanmoins, l'interpella :
— C'en est presque… touchant, murmura-t-il
Pour une fois, sa voix ne comportait pas la moindre trace de moquerie.
— Je suppose que maintenant n'est pas le bon moment. Même si je risque de mourir d'un cœur brisé.
— Vous êtes déjà mort, observa sobrement l'elfe noire.
— Comment osez-vous ! Et vous ne me laisserez rien pour me consoler ?
Son air faussement indigné fut remplacé par une moue malicieuse. Ses doigts relevèrent le menton de la jeune femme, avant de se pencher en avant. Pendant une seconde, elle perçut pleinement son visage bien dessiné, ainsi que sa paume traçant un chemin de feu sur sa nuque. Elle l'immobilisa alors que ses lèvres frôlaient les siennes :
— Bonne nuit, Astarion, murmura-t-elle.
Elle s'éloigna, sans détourner les yeux. Elle se savait trop fragile pour tomber dans les filets du vampire. Oh, elle ne remettait pas en cause ses "talents" ; mais son cœur y survivrait-il ? Le roublard dû deviner ses craintes car il ouvrit la bouche, comme pour ajouter quelque chose… quand un hurlement d'Ombrecoeur les interrompit.
À quelques pas de là, Lae'zel avait écrasé la prêtresse de tout son poids :
— Ch'k'l ghaik Vlaakith m'zath'ak ! L'honneur me dicte de prendre votre tête lors d'un combat, mais il semblerait que nos vers me forcent la main.
— Relâchez-moi. Maintenant. Je ne vous le demanderai pas deux fois !
— Arrêtez ça ! rugit Nymuë. Qu'est-ce qui vous prend ?
— Ne le voyez-vous pas ? rétorqua la guerrière. Elle se transforme !
L'elfe noire se figea, stupéfaite : les mains d'Ombrecoeur tremblaient, en effet, mais pas de peur. Et de la sueur ruisselait sur son front. Avec angoisse, la jeune femme réalisa qu'elle aussi grelottait. Son cœur battit plus vite ; son souffle se bloqua dans sa gorge. "Pas maintenant, pas encore ! Un peu plus de temps, il nous faut juste un tout petit peu plus de temps…".
— La sentez-vous qui progresse dans votre corps ? poursuivit la githyanki. Ses vrilles qui se répandent dans votre poitrine, se resserrent autour de votre cœur et perforent votre ventre… Vos os qui craquent, votre chair qui se boursoufle… Moi, oui. Je vois son action en chacun de vous, et je la sens en moi. Nous sommes perdus.
— Vous êtes hystérique ! siffla la prêtresse. Au fond, vous désiriez ceci, pas vrai ? Avoir une bonne excuse pour récupérer l'artefact !
— Taisez-vous. Je serai rapide avec ma lame. D'abord vous…
Les yeux de Lae'zel se tournèrent ensuite vers Nymuë, et pendant un bref instant leur parasite se connectèrent. Elle vit, dans l'esprit de sa camarade, un mélange d'anxiété et d'écœurement. Elle, la grande guerrière… mourant dans l'opprobre et l'anonymat.
— … Puis, les autres, souffla-t-elle. Et enfin, moi-même.
— Ce n'est pas ce que vous voulez, Lae'zel, affirma doucement l'elfe noire. Vous êtes forte. Vous survivrez à cette épreuve, et votre reine sera fière de vous. Quant à votre querelle avec Ombrecoeur, vous n'avez pas besoin d'être ennemies !
— Vous voudriez quoi, que nous devenions amies ? Tsk ! Les voleurs ne méritent aucune grâce.
— Si nous survivons à cette nuit, batailla la demi-elfe, je vous montrerai toute l'étendue de mon amitié… Oh, laissez-moi seulement me relever et je…
— Abandonnez un peu votre foutue fierté, toutes les deux ! s'écria Nymuë.
Les deux femmes cessèrent de se battre, abasourdies. Même le roublard haussa un sourcil étonné face à ce coup de sang :
— Nous sommes déjà submergés par le nombre d'adversaires, et cela n'ira pas en s'arrangeant. Nous ne pouvons compter que les uns sur les autres ! Si nous nous querellons entre nous, autant nous trancher la gorge dès maintenant. Jamais nous ne serons de taille face à ce qui nous menace si nous avons à craindre de nos alliés ! Imaginez un instant ce que vous pourriez accomplir si vous dirigiez votre hostilité constante sur nos opposants, plutôt qu'entre vous ! Ils n'auraient aucune chance.
La guerrière githyanki et la prêtresse se dévisagèrent, incertaines. Lae'zel recula, permettant à Ombrecoeur de se redresser avec difficulté. Le regard qu'elles échangèrent fut loin d'être aimable, mais aucune des deux femmes ne se jeta à la gorge de l'autre.
— Qu'en est-il de la larve ghaik ? demanda Lae'zel. Vous comptez simplement l'ignorer ?
— Si nous nous transformions, argua Nymuë, les symptômes seraient plus forts qu'une simple fièvre. Nous allons établir des tours de garde. Mais pour l'heure, personne ne s'en prend à qui que ce soit.
— Très bien, abdiqua la githyanki. J'attendrai. Mais sachez ceci : si ce mal est toujours là à l'aube…
— Vous nous infligerez une mort des plus douces et délicates, intervint Astarion. Je crois que tout le monde a saisi. Maintenant, étant donné que vous avez toutes deux renoncé à me divertir, devrions-nous aller nous reposer ?
Sur une dernière œillade de défi, Ombrecoeur et Lae'zel retournèrent à leur tente respective, et le roublard se porta volontaire pour la première ronde. Nymuë se sentait divisée : une part d'elle-même était soulagée que ses camarades soient revenues à la raison. Une autre brûlait de leur fracasser le crâne. Se battre au milieu du camp, la veille d'un raid gobelin… avaient-elles toute leur tête ? Les dieux avaient réalisé un drôle de tirage au sort le jour où ils avaient réuni des individus aussi lunatiques. Ou ils cherchaient à démontrer que la disparité faisait la force, ou - plus vraisemblablement - ils prenaient des paris.
Avec inquiétude, elle observa ses mains encore légèrement tremblantes. "Ce n'est rien, pensa-t-elle. Je vais bien.". Halsin leur avait confirmé que leur parasite sortait de l'ordinaire, et ils avaient l'artefact.
Elle alla se coucher, avec le sentiment que le temps lui était compté.
Cette nuit, Nymuë fut hantée par de terribles cauchemars. Sa fièvre n'avait pas diminué, et sa tête était sur le point d'exploser. Dans ses songes, elle était entourée de miroirs lui renvoyant l'éclat de prunelles orange vif. "Regarde quelle magnifique créature tu es devenue" disait son reflet. Elle refusait d'approcher ; son visage était engourdi par le poids de tentacules…
— J'arrive juste à temps, souffla une voix. Tu es en train de te transformer.
Nymuë sut alors, avec certitude, que la larve avait eu raison de son esprit.
Car Elyon était penchée au-dessus d'elle.
Pas la Elyon qu'elle avait connue, aux ailes colorées et au rire joyeux. Une version plus… adulte, mature de ce qu'elle aurait pu devenir.
Ses mains effleuraient sa peau, calmant sa fièvre et chassant au loin la douleur. Ses cheveux, entre le blond et le roux, étaient plus longs que dans ses souvenirs. Mais ses iris vertes, en revanche, n'avaient absolument pas changé.
— Impossible, souffla-t-elle. Tu n'es pas là. Tu ne peux pas être là.
— Et pourtant, je t'ai déjà sauvée auparavant.
Nymuë se revit, tombant du Nautiloïd. Son corps chutait à pleine vitesse, plongeant inéluctablement vers le sol… Jusqu'à ce qu'une vague d'énergie l'enveloppe et stoppe sa course, in-extremis.
— Et je suis ici pour te sauver à nouveau.
L'étrange apparition se leva. Elle portait une armure étincelante, un paladin doré écartant les ténèbres illithides. Elle lui tendit la main :
— Ne t'inquiète pas. Tu ne deviendras pas un flagelleur mental. Pas tant que je serai là pour te protéger.
"Non.", songea Nymuë. Elyon ne pouvait pas la secourir ; quelque chose clochait. Cette inconnue, cette… bienfaitrice, n'était pas sa petite fée. C'était une illusion, une falsification. On se moquait d'elle.
Refusant l'aide proposée, l'elfe noire se releva seule.
— Tu as des doutes, murmura Elyon, peinée. Je comprends. Tu te demandes comment j'ai pu survivre. Pourquoi est-ce que je t'ai abandonnée toutes ces années. Et tu as raison de t'interroger : je ne suis pas la Elyon que tu as connue. Je suis le fragment d'elle ayant continué à vivre en toi ; un écho, revenu des fin-fonds de ta conscience, pour te mettre en sûreté.
— Et de quoi souhaitez-vous me préserver, exactement ? rétorqua Nymuë.
— Nous n'avons pas beaucoup de temps. Écoute attentivement…
L'apparition leva le bras, en direction du décor les entourant : un ciel étoilé à perte de vue. Des amas rocheux flottaient dans les airs, parfois proches, parfois éloignés. Ils brillaient d'une lueur surnaturelle.
Le Plan Astral. L'océan entre les différents mondes, le pont liant chaque univers. Seules certaines espèces - comme les githyankis ou les illithids - naviguaient en ces lieux : pour tous les autres peuples, ils tenaient de la légende.
Pourtant, au cœur des météorites, un combat faisait rage. Un gigantesque vaisseau en forme de crâne était harassé par des silhouettes lumineuses. L'une d'elles plongea en direction du champ de force le protégeant. Son attaque fut dévastatrice mais le navire tint bon ; la fausse Elyon chancela avec difficulté.
— Ce combat que tu mènes concerne la totalité de Faerun, reprit-elle. Et pour le moment, nous sommes en train de le perdre. Tu peux changer cela, mais seulement si tu acceptes ton plein potentiel.
— Que voulez-vous dire ? s'enquit l'elfe noire.
— Ton parasite. Ton instinct te pousse lui résister, alors que tu dois au contraire l'accepter, l'affiner. Je veillerai à ce qu'il ne te dévore pas de l'intérieur mais, pour notre salut à toutes les deux, tu dois absolument apprendre à t'en servir.
— C'est hors de question. C'est trop dangereux !
— Alors, notre ennemi a déjà gagné.
Les silhouettes autour du vaisseau se rassemblèrent, préparant le prochain assaut. Le sol sous les pieds des deux femmes se mit à trembler.
— Je dois y aller, chuchota Elyon avec inquiétude. Mes adversaires se rapprochent. Mais je reviendrai.
— Non, attends ! s'écria Nymuë. Elyon !
Le champ de force éclata, désintégrant le météore sur lequel elles se trouvaient. L'inconnue figea la déflagration avec difficulté, avant de se tourner vers la musicienne. Elle la projeta en arrière, loin du combat :
— Réveille-toi, maintenant. Tu te sentiras mieux, je le promets.
Notes de fin :
Voici pour cette semaine ! Sachez que Kagha peut réellement se faire bannir du Bosquet par Halsin, mais cela demande des conditions précises : il faut qu'elle ait exécuté Arabella au préalable... Autrement, Halsin se contente de la rétrograder au rang de novice. J'ai toujours trouvé - personnellement - que c'était une décision trop douce compte tenu de ce qu'elle avait manqué faire. Le bannissement ici est ce qui me paraissait être le plus "juste", elle teste de sa propre médecine en quelque sorte.
Pour l'ange gardien, c'était important pour moi que celui-ci fasse "sens" narrativement. Pas que ça soit juste un personnage "impressionnant" pour Nymuë ; voilà pourquoi j'ai choisi de créer une version adulte d'Elyon.
Merci pour votre lecture, je vous dit à bientôt !
