Bonjour à toutes et à tous !

Merci à Cassye pour son commentaire, et merci aux lecteurs silencieux.

Cette semaine et la précédente furent compliquées, je vous l'avoue. J'ai traversé une mauvaise passe m'empêchant - principalement à cause de soucis IRL - d'écrire quoi que ce soit. Rien de grave, mais des situations stressantes qui ont impacté mon moral, mon énergie, et ma motivation. Toutefois, ces problèmes sont majoritairement résolus maintenant, j'espère donc pouvoir doucement m'y remettre. Dans les semaines qui viennent, mon anniversaire ainsi que quelques jours de vacances se profilent, cela devrait aider. Mais je ne vous enquiquine pas davantage avec ma vie personnelle.

Beaucoup de dialogues et de mise en place dans ce chapitre. Cela sera un peu le cas également dans le suivant, puis les choses reprendront un rythme plus accéléré à partir du chapitre 21.

Réponse aux reviews :

Cassye : En ce qui concerne le passif de Nere, j'admets ne plus me rappeler exactement où j'ai lu les informations... Je me demande si ce n'est pas un dialogue que l'on peut avoir avec lui si on le laisse vivre après Malforge ? J'ai des doutes ! J'ai passé beaucoup trop de temps sur Youtube et sur Reddit pour mon propre bien je crois ! Hehe, non ce n'est pas ça pour l'immunité de Nymuë, mais les réponses ne devraient pas tarder ! Merci pour ton commentaire !

Recommandation musicale : Baldur's Gate 3 Originale Soundtrack - Last Light, de Borislav Slavov !

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 19 :

L'ultime lueur

Pénétrer le sanctuaire de l'Ultime Lueur fut comme remonter à la surface, après de longues secondes d'immersion. Le poids comprimant la poitrine des aventuriers s'affaissa ; les ombres au creux de leur cœur se dispersèrent. Même Ombrecoeur et Nymuë - pourtant préservées face aux ténèbres - s'en sentirent soulagées. Ici, de par une magie qui leur était inconnue, la pénombre ne pouvait les atteindre.

L'auberge était remplie d'activités. La place centrale du village faisait l'objet de fréquents allers-retours au pas de course : armures, épées, arcs et arbalètes… Chaque ressource était minutieusement listée, enregistrée, en vue d'un affrontement prochain. Hormis les deux gardes postés à l'entrée du camp, personne ne prêta attention à leur approche. Quant à la sentinelle se chargeant de les accueillir, elle les étudia d'un air soupçonneux, avant de finalement pivoter vers le coeur du rassemblement :

"Jaheira !", cria-t-elle.

Une femme se retourna. L'agitation environnante semblait s'organiser autour d'elle, se mouvant presque selon ses fluctuations. Elle était l'épicentre de cet étrange cortège, le cœur battant faisant marcher la machine. Quand elle s'avança vers les visiteurs, tous les soldats reculèrent de quelques pas. Ses longs cheveux argentés étaient striés de nattes ; deux cimeterres enrichis de gravures se croisaient au milieu de son dos. Elle-aussi portait le symbole des Ménestrels sur sa tunique verte. Malgré sa nature semi-elfique, l'âge marquait ses traits. Dans ses rides, on pouvait lire l'œuvre des années, mais aussi celle des batailles livrées… les remportées, tout comme les perdues.

Les compagnons n'eurent guère le temps de se présenter. Alors qu'ils approchaient, Jaheira fit un geste brusque en direction du sol. Des lianes s'enroulèrent autour de leurs jambes et leurs poignets, empêchant tout mouvement de retraite. La main de la Ménestrelle - illuminée d'une intense lueur dorée - transmettait un message sans équivoque : qu'ils bougent, et l'étau autour de leurs membres se resserrerait. Nymuë entendit ses camarades pester à ses côtés, soldant par un échec leurs tentatives d'évasion. Pour sa part, elle était presque fatiguée de ce nouvel accueil à mains armées :

"Des fois, lança-t-elle calmement, j'aimerais que les gens se contentent d'un simple bonjour."

Jaheira sourit :

"Bonjour.", répondit-elle.

Les guerriers avaient cessé leurs activités pour les entourer. Certains chargèrent leur arbalète ; d'autres dégainèrent leur lame. "Très bien, songea l'elfe noire. Dialogue protocolaire, donc.". Elle leva les paumes autant que ses chaînes végétales le permettaient :

"Du calme, murmura-t-elle. Laissez-nous une chance de gagner votre confiance.

- Vous allez en avoir l'occasion." susurra la Ménestrelle.

Elle sortit de sa poche une petite fiole, dans laquelle flottait… une larve illithide. Malgré elle, Nymuë jeta un coup d'œil paniqué à ses camarades ; eux-aussi contemplaient le parasite avec un mélange d'inquiétude et de répulsion. Le lombric se tortillait dans sa cellule de verre, s'égosillant avec fureur.

"C'est précisément pour ça que nous sommes ici, voyez-vous, continua Jaheira. C'est une espèce mystérieuse qui dissimule tout un tas de secrets, mais s'il y a une chose dont nous sommes sûrs…"

Son regard se planta impitoyablement dans celui de l'elfe noire :

"... C'est qu'elle reconnaît les siens."

Les piaillements de la créature s'intensifièrent, tandis qu'elle tambourinait avec rage contre les parois de sa prison. Quelque chose en elle désirait à tout prix se jeter sur les aventuriers, se faufiler à travers les décombres de leur esprit.

"Vous n'auriez jamais dû mettre les pieds ici, âme éveillée.", siffla la vétérante.

Nymuë ouvrit la bouche avec difficulté : elle devait leur dire, leur faire comprendre qu'ils n'étaient pas un danger ! Ils n'avaient rien à voir avec ces cultistes ! Si seulement cette migraine voulait bien cesser de lui marteler les tempes, alors elle pourrait…

"Stop ! Arrêtez !" s'écrièrent plusieurs voix.

Jaheira se retourna : au milieu des guerriers, un groupe de tieffelins fendait la foule dans leur direction. Avec stupéfaction, la musicienne reconnut certains des réfugiés du Bosquet d'Emeraude ! Amaigris et vêtus de haillons, la malchance avait continué de les poursuivre après la bataille contre les gobelins. Toutefois, ils étaient là, au cœur de ce territoire maudit, et bien vivants. Peu étaient ceux pouvant se vanter d'une telle chance.

"Nous leur devons la vie ! s'exclama un de leur défenseur.

- Ce sont eux, les protecteurs du Bosquet ?" s'étonna la Ménestrelle.

Une autre tieffeline s'approcha afin de prendre la parole. Peau mauve, et luth serré entre ses mains tremblantes, la barde Alfira ne se démonta pourtant pas face au regard de la vétérante.

"En effet, déclara-t-elle. Ils ont massacré les gobelins jusqu'au dernier. Nous ne serions pas là aujourd'hui, sans leur aide. Je n'hésiterai pas une seule seconde à remettre mon sort entre leurs mains !

- Une âme éveillée restée maîtresse d'elle-même… Comment est-ce possible ?" chuchota la cheffe des lieux.

Les lianes emprisonnant les aventuriers se délièrent et se replièrent à l'intérieur du sol. Nymuë se tourna vers ses camarades ; sa question silencieuse lui valut des froncements de nez plus qu'opiniâtres. Aucun d'eux n'aimait l'idée de révéler leur unique atout à de parfaits inconnus… car c'était prendre le risque de perdre leur protection. Mais s'ils voulaient gagner des alliés face à la menace de l'Absolue, ils allaient devoir - en cet instant précis, du moins - jouer la carte de l'honnêteté.

La prêtresse ouvrit son sac à dos et en sortit le prisme astral, qu'elle tendit en direction de l'assistance :

"Nous échappons à l'influence des cultistes… grâce à ceci."

Les runes de l'artefact étincelèrent, et Jaheira jeta un coup d'œil perplexe à la fiole qu'elle tenait au creux de sa main. Le parasite flottait désormais paisiblement dans sa prison, presque en dormance.

"Quel est donc cet engin ? demanda-t-elle.

- Quelque chose qui a sauvé de nombreuses vies, répondit Nymuë, volontairement imprécise. J'espère que nous pourrons nous mettre d'accord là-dessus.

- Ah ! Félicitations. Vous venez de gagner le bénéfice du doute. Ohé, Ménestrels ! Repos, tout va bien."

Les guerriers rengainèrent leurs armes, et les tieffelins lâchèrent des exclamations de joie. Malgré elle, l'elfe noire laissa échapper un soupir de soulagement. La vétérante n'en avait toutefois pas fini avec eux :

"Je ne prétendrais pas comprendre la nature exacte de votre artefact, mais j'ai assez de vécu derrière moi pour reconnaître une lueur d'espoir quand je la vois surgir des ténèbres. Peut-être bien que nos intérêts concordent : nous cherchons à éliminer la peste galopante que représente l'Absolue. Vous trouverez de quoi manger et boire dans l'auberge. Des lits, si vous avez besoin de repos. Et de l'huile d'aloès dans l'armoire à pharmacie si jamais les lianes vous donnent de l'urticaire… Prenez le temps de vous installer, puis venez boire un verre avec moi. Mon instinct me souffle que vous pourriez bien être le don du ciel que nous appelions de nos vœux."

La musicienne entendit Astarion pousser un grognement de frustration derrière elle : encore un groupe de désespérés leur demandant de résoudre leurs problèmes ! La jeune femme lui adressa un regard sévère tout en pointant du menton les tieffelins venant à leur rencontre.

"N'oubliez pas, lui lança-t-elle via leur larve, que lesdits désespérés nous ont sauvé la vie à l'instant même."

A défaut d'approuver, le roublard eut le mérite de garder ses apitoiements pour lui.

"Vous êtes sains et saufs ! s'exclama Alfira avec ravissement. Les dieux soient loués, je craignais qu'ils ne vous aient eus, vous aussi.

- Contente de voir que vous vous en êtes sortis également, lui répondit chaleureusement Nymuë. Cette malédiction est pire que ce que j'avais imaginé…

- La malédiction n'est probablement pas la pire chose présente dans cette région, tempéra la tieffeline. Ces cultistes sont horribles ! Ils nous ont tendu une embuscade à la faveur de l'obscurité, il y a de ça quelques jours. On a eu beau se rendre, ça ne leur a pas suffi. Ils nous ont alignés comme des bestiaux sur un champ de foire… Asharak est resté auprès des enfants pour les rassurer et ils... Enfin… C'est peut-être pour ça qu'ils l'ont choisi…"

La barde ferma les yeux, retenant avec difficulté un sanglot à ce souvenir. Un des réfugiés plaça une main sur son épaule, le visage sombre.

"Comment avez-vous survécu ? s'enquit Ombrecoeur.

- La chance ? répondit un autre tieffelin. Un caprice ? Nous l'ignorons… C'est juste que… le sort continue de s'acharner contre nous. Même Zevlor nous a abandonnés.

- Comment faites-vous ? reprit Alfira. Où trouvez-vous la force de continuer à avancer, envers et contre tout ?"

Nymuë jeta un coup d'œil à ses compagnons, et les trouva étrangement silencieux. Pas d'hymne à la foi pour Ombrecoeur. Pas de discours valeureux au nom de Vlaakith de la part de Lae'zel. Même Astarion n'avait aucun sarcasme à offrir. Pour la première fois depuis longtemps, l'elfe noire réalisa à quel point leur troupe d'infortune avançait à la dérive. Ils couraient de désillusion en désillusion, espérant qu'au prochain tournant se révèle enfin la sortie du labyrinthe. Un pas après l'autre, n'osant jamais s'arrêter assez longtemps par crainte de se retrouver pétrifié et incapable de poursuivre leur route. Mais si ce n'était pas la religion, la dévotion ou encore la revanche qui donnait sa force à Nymuë, qu'est-ce qui la faisait se relever, coup après coup ?

"Je vous le dirai quand je le saurai." répondit-elle malicieusement à la foule amassée devant elle.

Elle surprit un sourire chez un enfant tieffelin, ainsi que quelques reniflements amusés.

"Nous sommes dans le même bateau alors, reprit Alfira. C'est… plutôt réconfortant, au fond. Faites attention à vous, d'accord ? Je ne supporterais pas de perdre quelqu'un d'autre."

L'elfe noire lui prit doucement la main, une douce chaleur germant dans sa poitrine. C'était étrange, au milieu de ce vaste chaos, de réaliser qu'il y avait des gens pour qui elle était la bienvenue. Cela lui paraissait encore plus irréel que leur condition actuelle… tout en étant loin d'être déplaisant.

Les aventuriers se rendirent à l'intérieur de l'auberge, elle-aussi en proie à une énorme cacophonie. Le foyer central était entretenu par de nombreux réfugiés, et une bonne odeur de nourriture vint les accueillir. Des chambres semblaient avoir été transformées en infirmerie. Seul l'étage était vide de monde ; le bureau de Jaheira avait d'ailleurs été installé à proximité des escaliers. Lorsqu'elle aperçut les aventuriers, elle les invita à la rejoindre :

"Vous savez, lança Lae'zel, même les githyankis ont entendu parler de la grande Jaheira. Ses exploits sont légendaires.

- Beaucoup de bardes chantent ses hauts-faits, approuva Nymuë. Néanmoins, j'aurais aimé éviter les menaces de mort dès la première rencontre.

- Je suppose qu'affronter un rejeton de Bhaal a de quoi rendre méfiant… devina Ombrecoeur. Survivre à la rébellion de Sarevok, ça doit vous inciter à ne pas sous-estimer vos ennemis.

- Cela veut donc dire, intervint Astarion, que notre très chère hôtesse a l'intention de disséquer minutieusement nos intentions. Elle va chercher à nous utiliser pour son propre bénéfice.

- Quel est le mal, si cela nous sert ? argumenta l'elfe noire. Ce n'est pas comme si nos chances de pénétrer Hautelune étaient immenses malgré nos parasites.

- Les gens demandent toujours une contrepartie, rétorqua sèchement le roublard. C'est une constante."

La musicienne grimaça, mais hocha la tête. Durant tout leur petit échange à distance, la Ménestrelle était restée sereine, sortant de son secrétaire une bouteille de vin et divers gobelets. Elle paraissait presque… amusée.

"Bienvenue, les accueillit-elle. Trinquons ensemble, voulez-vous ? A votre santé, puisse-t-elle rester excellente."

Elle sourit, mais son expression n'atteignit pas ses yeux. Nymuë inspecta son verre avec méfiance, vite confirmée par un picotement à l'arrière de sa tête. Ombrecoeur cherchait à attirer son attention :

"Ne buvez pas, ordonna-t-elle. Je sens du klauthaire dans le vin. C'est une plante très recherchée des magiciens… pour créer des sérums de vérité."

L'elfe noire suspendit son geste et dévisagea son interlocutrice ; cette fois-ci, le sourire de Jaheira paru sincère :

"Ça ne nuit en rien au goût, si c'est la question que vous vous posez, railla-t-elle.

- Peut-être, répliqua calmement la musicienne. Mais ça nuit à la confiance que j'ai en vous.

- Vous m'en voyez navrée."

Les aventuriers reposèrent tour à tour leur gobelet, et Nymuë entendit la guerrière githyanki cracher un profond juron. Voilà qui venait de tempérer son respect pour la Ménestrelle.

"Vous ne savez pas ce que vous ratez, soupira celle-ci. Ce nectar a plus d'un siècle, mais il n'a rien perdu de ses qualités gustatives. Pas sûre que vous puissiez en dire autant ; les gens perdent bien plus que le goût, quand les illithids leur mettent la main dessus. Croyez-en ma vieille expérience. Répondez-moi franchement : le parasite… il est en train de vous transformer, n'est-ce pas ?"

Nymuë haussa les sourcils : leur mystérieux ange gardien leur avait garanti sa protection face aux larves, mais… il semblait être le premier à valoriser leur pouvoir. Que cela soit face aux cultistes rencontrés près du Bosquet, ou plus récemment encore face à Nere… la jeune femme avait senti une part d'elle-même se faire dévorer après l'utilisation du parasite. A chaque fois que le ver prenait le contrôle, c'était un bout de son humanité qui disparaissait insidieusement.

"Il cherche effectivement à nous gagner à sa cause, répondit-elle honnêtement. Mais pour le moment, nous résistons.

- Et vous croyez pouvoir tenir encore longtemps, comme ça ?

- Nous verrons bien." siffla Astarion que cette interrogation commençait à lasser.

Le regard que la vétérante lui adressa était aussi tranchant que ses cimeterres :

"Regardez autour de vous, les somma-t-elle. Tous ces braves gens coincés ici, les deux pieds dans la tombe. Vous connaissez déjà certains d'entre eux ; mais si nous voulons survivre, je n'ai pas d'autre choix que de m'en remettre à vous. Puis-je vous faire confiance ?

- Où sont passés tous vos beaux discours à propos du "don du ciel" que vous appeliez de tous vos voeux ? ironisa Ombrecoeur.

- Tout bon chef doit savoir faire preuve d'optimisme devant ses hommes, leur enseigna la vétérante, quelles que soient les réserves qu'il nourrit en privé. J'ai toutes les raisons de me méfier ; des individus comme vous, il y en a un peu partout d'ici à Baldur's Gate. Le culte de l'Absolue se propage en ville comme une traînée de poudre, avec une troublante efficacité."

Elle eut un bref moment d'hésitation, tandis qu'elle étudiait une liste de rapports sur son bureau :

"Nous avons suivi des adeptes jusqu'à cet ancien village, poursuivit-elle. Et nous nous sommes retrouvés nez-à-nez avec un homme que nous avions tué et enterré il y a plus d'un siècle de cela.

- Qui était… Qui est-ce ? demanda Nymuë.

- Le général Ketheric Thorm. Gravez ce nom dans vos mémoires : c'est lui, le chef des Absolutistes.

- Attendez…" murmura Ombrecoeur.

La prêtresse échangea un regard stupéfait avec ses compagnons : Ketheric Thorm était l'homme mentionné par Halsin lorsqu'il leur avait raconté l'origine de la malédiction des ombres. L'ancien meneur du culte de Shar, ayant construit les ruines de Malforge qu'ils avaient traversées…

"Vous connaissez votre histoire, approuva Jaheira. Dans le temps, Thorm s'était mis en tête de lever une armée de Tribuns de la Nuit dans les profondeurs de ce village. A l'époque, les Ménestrels se sont alliés avec les druides de la région pour lui régler son compte.

- Nous connaissons un des druides présents lors de cette bataille, intervint Lae'zel. Halsin, du Bosquet d'Emeraude. C'est lui qui nous a parlé du général.

- Voilà qui explique le sauvetage de nos compatriotes tieffelins ! sourit la vétérante. Hélas, le général n'a pas dit son dernier mot. Non content d'être revenu d'entre les morts, Thorm a aussi acquis l'immortalité. En somme, il est devenu invincible.

- Que voulez-vous dire ? s'enquit Astarion.

- Nous l'avons rencontré sur cette route, à la tête d'une armée de l'Absolue. Quand je lui ai décoché une flèche en plein dans l'œil, il s'est contenté de l'extraire comme une simple écharde. La plaie s'est aussitôt refermée, et il s'est lancé à nos trousses dans les ombres."

La Ménestrelle reprit son souffle, la colère laissant peu à peu place à la résolution :

"Notre situation peut sembler désespérée, je le sais. Mais si l'expérience m'a appris quelque chose, c'est qu'il y a toujours un espoir, même dans les pires moments. Vous êtes cet espoir.

- Magnifique, siffla le roublard. Mais guère motivant, me concernant.

- Qu'avez-vous en tête ? demanda Nymuë.

- Sous la protection de votre artefact, vous allez pouvoir infiltrer son armée cantonnée dans les Tours de Hautelune, le tout en vous faisant passer pour une âme éveillée. Découvrez le secret de son invincibilité, et nous pourrons le priver de son avantage. Une fois Ketheric vulnérable, nous n'aurons plus qu'à le passer au fil de l'épée. Nous assiègerons sa tour ensemble et nous mettrons un terme à ce fléau.

- Cela n'est pas très éloigné de notre propre plan… avança doucement Ombrecoeur.

- Oh oui, railla Astarion, si on omet la partie mentionnant une armée entière !

- C'est même mieux que notre plan, approuva Lae'zel, ravie. Dites oui !

- Dois-je vous rappeler, insista le roublard, que nous cherchons à déterminer l'origine de notre infection, et non pas à jouer les héros ?

- Faute de remède, continua Jaheira, j'ai bien peur que vos jours ne soient comptés, avec ou sans artefact. Et ce qui permettrait de vous soigner est gardé par Ketheric : je crains que vos options ne soient aussi limitées que les nôtres."

Le haut-elfe pesta, prit au pied du mur. Nymuë posa une main sur son bras et lui offrit un sourire rassurant :

"Nous aviserons selon l'ampleur de la menace une fois à Hautelune, murmura-t-elle dans son esprit. Nous survivrons à ça comme à tout le reste, vous verrez."

Il se détendit légèrement, bien que son expression demeurât contrariée. L'elfe noire reporta son attention sur Jaheira :

"Nous sommes de votre côté, lui assura-t-elle. Nous affronterons le culte de l'Absolue ensemble.

- Malgré l'absence de garanties, répondit la Ménestrelle, vous acceptez de miser votre vie en nous aidant dans notre combat. C'est tout à votre honneur. En échange, je vous promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer votre survie.

- Bien aimable, grogna le roublard.

- En effet, sourit la vétérante. En attendant, nous continuerons à trinquer à chaque fois que nous nous verrons."

Les aventuriers s'éloignèrent, peu satisfaits de l'issue de cet entretien. Ils s'étaient assuré le soutien des Ménestrels et disposaient d'un abri, certes, mais une fois encore c'était leur vie en jeu. Et Jaheira leur avait clairement fait comprendre que, aussi disposée soit-elle, ils demeuraient en sursis.

"Ça ne change rien, fulmina Lae'zel. Tant que nous n'avons pas nos réponses à Hautelune, tout ceci n'est que conjectures.

- Au moins avons-nous une cible désormais, réfléchit Ombrecoeur. Ketheric Thorm… Je ne sais que penser à son sujet. Je devrais d'office considérer tout adepte de Shar comme un allié, mais ceci… ceci n'est pas la volonté de ma Maîtresse.

- Il semblerait qu'il ait abandonné votre déesse en faveur de l'Absolue… insinua Astarion.

- Ce n'est pas plus mal, dans ce cas, que nous soyons mandatés pour l'éliminer. Je savais que ma Dame avait de grandes ambitions à mon sujet…

- Toute cette histoire est une vaste partie d'échecs, sans aucun roi à prendre…

- C'est parce qu'il vous faut jouer à de meilleurs jeux.", susurra une voix derrière eux.

Les compagnons sursautèrent, et saisirent leur arme par réflexe. Sortant d'un coin d'ombre de l'auberge, un homme à la peau basanée et aux vêtements élégants vint à leur rencontre : le diable Raphaël. Celui-là même leur ayant proposé de les débarrasser de leurs parasites, il n'y a pas si longtemps…

Personne, hormis ses principaux interlocuteurs, ne paraissait avoir remarqué le cambion. Il se déplaçait avec grâce au milieu des allers-retours empressés, sans que rien ne le frôle ou l'atteigne. Tout comme lors de leur première rencontre, il avait soudainement surgi des Enfers pour leur faire face.

"Il vous reste à apprendre le seul jeu qui compte vraiment : celui des âmes. Oh, mais ne craignez rien quant à vos chances de réussite ! Il va sans dire que vous conservez la liberté inconditionnelle de choisir la seule option qui s'offre à vous."

Nymuë serra les poings ; ce diable les observait-il, choisissant avec délectation les moments où leur petit groupe était pris de doutes ? Cela faisait deux fois, désormais, qu'il se présentait à eux précisément quand ils découvraient un nouvel obstacle en lieu et place de solutions… Raphaël sourit : les voir se débattre avec leurs réflexions l'amusait au plus haut point. Après tout, lui avait tout le temps du monde… C'est vers Astarion qu'il décida de se tourner, afin de poursuivre son monologue :

"Parlons plutôt de vous, continua-t-il. Je sens que vous avez quelque chose à me demander."

Le roublard tilta face aux regards de ses compagnes, mais ne se déroba pas :

"En effet, concéda-t-il. Disons plutôt que j'ai une… proposition, à vous faire.

- Vraiment ? s'émerveilla faussement le diable. Souhaiteriez-vous goûter à mon sang, petit vampire ? A votre place, j'y réfléchirais à deux fois. Sa brûlure est plus cuisante encore que celle du whisky de vouivre.

- Je ne plaisante pas, cambion !"

Les yeux de l'elfe noire croisèrent ceux d'Astarion, et elle comprit ce qui le tourmentait. Il ne cherchait pas à négocier sa survie face à leur parasite ; cependant, il était atteint d'un autre mal, tout aussi dangereux. Ses cicatrices ; la douloureuse trace vivante pouvant - peut-être - lui servir de porte de sortie face à son ancien maître, Cazador. Car quel bénéfice tirerait-il à être libéré de sa larve, si la volonté du seigneur vampire s'imposait de nouveau à lui ?

Ignorant tout des stigmates en question, Lae'zel et Ombrecoeur haussèrent les sourcils, surprises. La musicienne, quant à elle, grimaça ; elle n'aimait pas du tout l'idée de demander de l'aide à Raphaël. C'était échanger un monstre contre un autre. D'un autre côté, qui de mieux qu'un diable pour traduire la langue des Enfers ? Il en revenait à Astarion d'en décider. La jeune femme mit ses doutes de côté tandis que le roublard développait sa demande :

"Il y a fort longtemps, mon maî… quelqu'un m'a gravé des runes infernales sur le dos. C'est une partie d'une sorte de contrat… Et j'aimerais en connaître les termes exacts.

- Hummm… réfléchit Raphaël. Ces marques sont en effet très importantes aux yeux de votre maître ; mais s'agit-il là d'une lettre d'amour, d'une mise en garde, ou d'un acte de propriété ? Je vous livrerai volontiers tous les détails les plus scabreux…

- En échange de quelque chose, devina amèrement Nymuë.

- Quoi donc ? pressa le roublard. C'est important !

- Trois fois rien, persifla leur interlocuteur. J'ai très envie de vous aider, vous savez. Les cicatrices racontent souvent de fabuleuses histoires, et mon instinct me dit que la vôtre est des plus délectables…"

Le sourire de Raphaël s'élargit, à un tel point que la musicienne n'aurait pas été surprise de le voir se pourlécher les babines. L'impatience désespérée d'Astarion le ravissait ; plus éperdue était la proie, plus grandes étaient les enchères. Une part d'elle-même se sentait furieuse de ces petits jeux ; c'étaient des êtres comme lui ou Dame Séri qui ruinaient des vies, si sûrs de tenir la destinée d'autrui entre leurs mains.

"Dites-nous ce que vous voulez, ordonna-t-elle froidement, et cessez de tourner autour du pot."

Le diable lui offrit une révérence moqueuse, puis s'exécuta :

"Prenez garde héros, de ne penser qu'aux trésors,

Oubliant le risque de troubler la paix des morts.

Dans les ténèbres vous vous enfoncerez, faisant peu de cas du bruit,

Et finirez par réveiller ce qui était depuis longtemps endormi.

Une victoire, prompte et rapide, je vous conseille vivement d'obtenir ;

Ou alors, une nouvelle tombe, vous vous attacherez à remplir."

"Je me demande combien de fois vous avez répété ce discours, avant de nous approcher ? railla Ombrecoeur.

- Autant de fois qu'il le fallait pour qu'il soit parfait, répliqua le cambion. J'apprécie votre petite bande, à ma façon. Alors estimez-vous heureux que je vous avertisse des dangers que recèlent ce… service que vous me rendez. Tel un dramaturge, je vous aide à endosser votre rôle.

- Et quel est-il, exactement ? s'enquit Nymuë.

- Dans les ténèbres, près des Tours de Hautelune, il y a une scène sur laquelle se joue un drame suspendu dans le temps. Là, dans les profondeurs du mausolée de la famille Thorm, ses acteurs sont pris dans une boucle dont ils ne peuvent sortir.

- Quels acteurs ? gronda Lae'zel, lassée de ces jeux d'esprit.

- Une créature qui, comme moi, a des penchants quelque peu… infernaux. Elle et ses mignons se terrent dans l'ombre et le silence. Si jamais ils parvenaient à quitter leur prison, sachez qu'une terrible pestilence serait libérée sur le royaume… Cet être et moi nous connaissons depuis longtemps, et je pense que vous avez le talent nécessaire pour lui écrire un dernier chapitre d'exception. Si toutefois, vous écoutez cet avertissement : ce diable est l'incarnation du carnage. Ne commettez surtout pas l'erreur de le sous-estimer. Vous n'aurez qu'une fraction de seconde pour agir ; alors attaquez les premiers, et visez juste. Ne vous préoccupez surtout pas des chances de victoire, car elles sont clairement en sa faveur.

- Voilà qui est encourageant, siffla Ombrecoeur. Vous nous demandez de combattre un orthon - un champion des Enfers ! - en échange d'une traduction ? Ce n'est pas une offre très équilibrée de mon point de vue.

- Vous me fendez le cœur, prêtresse, moi qui suis l'équité faite diable… Malheureusement, mon offre est la seule que vous ayez. Car aucun de ces chers tieffelins n'a les capacités de décrypter des runes d'une telle perfidie… Alors à moins que vous ne souhaitiez attendre la négociation du prochain diable assez aimable pour croiser votre route, je considérerai que nous sommes quittes quand la bête sera morte. Bientôt, tout sera conclu."

Avant même que les aventuriers ne puissent rétorquer quoi que ce soit, Raphaël disparut purement et simplement. Le coin dont il était sorti fut de nouveau envahi par les ombres, et les conversations autour d'eux reprirent, comme si l'intrusion n'avait jamais eu lieu.

"Vous auriez pu nous dire que vous aviez l'intention de marchander avec un cambion ! cracha Lae'zel.

- Pour que vous me dissuadiez de le faire ? rétorqua Astarion. Hors de question. Ce n'était pas là un choix que vous deviez prendre. Et par ailleurs, sachez que je n'ai aucun regret : ces runes ont été gravées sur ma peau pour une raison. Si je ne peux les comprendre, alors d'une façon ou d'une autre mon ancien maître trouvera une façon de me dominer.

- Vous étiez au courant, n'est-ce pas Nymuë ?" s'enquit la prêtresse.

La musicienne se tourna vers sa camarade, qui la dévisageait silencieusement. Il n'y avait pas de jugement dans le ton de la demi-elfe, seulement une constatation. Pour la première fois, Nymuë se demanda ce à quoi ressemblait sa relation avec Astarion, aux yeux d'autrui. Elle avait tellement pris soin de ne pas y penser - incapable qu'elle était de nommer correctement leur lien - qu'elle n'avait pas songé que cela puisse être source de confusion également pour leur entourage. Comment appelait-t-on, dans un groupe, le compagnon avec qui on était à la fois complice - de corps comme d'esprit -, mais aussi diamétralement opposé ?

"En effet, admit-elle.

- Donc, vous avez laissé Astarion négocier - pour nous tous ! - un combat à mort avec un orthon, sans même songer à nous demander notre opinion au préalable ? siffla la githyanki. Les plaisirs de la chair vous font perdre votre sens des responsabilités !

- Et votre colère vous fait perdre celui de la réflexion, répliqua froidement Nymuë. Je vous rappellerai à tous que je n'ai jamais postulé au poste de meneur, et que vous êtes par conséquent libre de prendre le titre si vous le souhaitez. Ensuite, il me semble qu'Ombrecoeur et vous êtes bien plus enclines à pardonner mes "errances" quand il s'agit de maintenir le statuquo au sujet de l'artefact, ou de vos querelles incessantes ! Un leader "responsable" vous aurez laissé vous entretuer depuis belle lurette afin de s'épargner des problèmes. Suis-je claire ?"

Ses trois compagnons l'observèrent, sous le choc : il était rare qu'elle fasse preuve d'autant de pugnacité. A part quelques éclats de-ci, de-là, Nymuë tendait plutôt à être la voix de la raison ; majoritairement car elle savait que c'était ce que l'on attendait d'elle.

Mais depuis cette fameuse nuit lors des célébrations tieffelines, la jeune femme peinait à reconstituer son masque. Une part d'elle, habituellement cachée, s'était libérée de son carcan ce soir-là. Avait osé s'exprimer, énoncer - pour la toute première fois - ses envies, plutôt que de suivre celles des autres. Et depuis que cet aspect avait été relâché, il lui était difficile de le maintenir sous contrôle. Elle ferma les yeux, en proie à la migraine ; elle n'avait que trop conscience du regard d'Astarion posé sur elle, et des reproches muets des deux autres. Au bout d'un long moment, Ombrecoeur reprit la parole :

"Croyez-vous vraiment que ce diable tiendra sa promesse si nous tuons l'orthon ?

- Entre un diable et un vampire, croyez-moi je fais nettement plus confiance au fiélon. Et puis, après tout, nous sommes la prudence incarnée pas vrai ?

- Je suppose que nous avons suffisamment affronté la mort ensemble pour pouvoir nous épauler envers et contre tout, avança la prêtresse. Et ce serait malhonnête de ma part de vous faire ce reproche, Astarion, alors que l'appel de ma déesse s'apprête à se manifester. Vous pouvez compter sur moi.

- S'il nous faut rajouter un démon sur nos listes d'opposants, ainsi soit-il." grommela Lae'zel.

Elle hésita un instant, avant d'ajouter :

"J'ai confiance en notre leader.

- Et bien, voilà qui est réglé ! s'exclama joyeusement Astarion. Lorsque nous arriverons près des Tours de Hautelune, il nous suffira de fureter un peu aux alentours, de tuer une ou deux personnes au passage, et le tour est joué ! Qu'en dites-vous darling ?"

Nymuë fixa tour à tour ses camarades, surprise de leur soudaine profession de foi. C'était comme si, à chaque découragement ou peine, ils se reléguaient pour lui montrer qu'elle pouvait s'appuyer sur eux, elle-aussi. Sa gorge se noua ; sans trop savoir pourquoi, elle eut presque honte d'avoir si brusquement abaissé ses défenses. Reprenant contenance, elle murmura :

"J'en dis que ni cet orthon, ni Ketheric Thorm ne sont prêts pour ce qui arrive."


Notes de fin :

Bon ! On introduit pas mal de choses avec ce chapitre.

Tout d'abord, le personnage de Jaheira que j'aime beaucoup. Ensuite, le deal avec Raphael. Vous l'aurez noté, j'ai réunis le dialogue que nous avons avec lui à l'Ultime Lueur, ainsi que celui près du Mausolée, afin que toutes les informations au sujet de Yurgir soient transmises en même temps.

En ce qui concerne les échanges plutôt secs entre les personnages pour cette fin de chapitre, cela me paraissait crédible que Lae'zel et Ombrecoeur n'apprécient pas la situation, étant donné qu'Astarion ne leur a jamais parlé de son passif. Je développe cela un peu plus au prochain chapitre. Dans le jeu, toutes les interactions passent par le joueur, mais j'ai essayé de rendre cela un poil plus réaliste dans cette histoire.

Je vous remercie pour votre lecture et vous dit à la semaine prochaine !