Bonjour à toutes et à tous !

Merci à Hikary279 pour la mise en favori ! Des remerciements également à Cassye et Shivarrior pour leur commentaire (ainsi que le suivi !). Et enfin, merci à la communauté silencieuse.

Il me reste sept chapitres à écrire pour achever cette histoire... on approche de la fin ! J'annonce d'ailleurs avoir achevé un énorme chapitre cette semaine, un beau bébé de 17 pages.

De très chouettes scènes à rédiger dans celui-ci !

Réponses aux reviews :

Cassye : Merci beaucoup pour tes encouragements ! J'ai hâte de pouvoir partager officiellement le jeu sur lequel porte l'ouvrage, c'est une petite pépite des jeux indé. Au départ avec Yurgir, j'ai voulu aller jusqu'au bout des jets de persuasion effectivement (le plaisir de jouer barde !). Puis je me suis dit qu'il était à la fois logique et réaliste qu'Astarion perde patience. Quand bien même ses compagnons le soutienne, il n'a jamais appris à faire confiance à qui que ce soit après tout, et a plutôt tendance à présumer du pire de son entourage. Il part du principe que s'il veut obtenir quelque chose, il doit le faire lui-même. La confiance, ça se construit, et j'ose espérer qu'une étape est franchie dans ce chapitre... Oui, c'était vraiment ce que je voulais essayer d'illustrer, la prison psychologique de Nymuë, dont elle se délivre petit à petit... En ce qui concerne Lolth, elle ne l'a pas vraiment "maudite". Par contre, elle a annoncé qu'elle allait la pourchasser jusqu'à la fin de sa vie. Nous verrons plus tard quelles sont les implications de cette menace...

Shivarrior (Chapitre 1) : Bienvenue à toi et merci d'avoir laissé un petit mot ! Ce fut très gentil à Cassye de m'avoir recommandé lors du dernier chapitre de sa très belle histoire, j'espère que tu passeras un bon moment de lecture !

Recommandation musicale : j'ignore si vous connaissez Emily Evans, mais cette artiste Youtube a fait plusieurs covers BG3 vraiment excellentes. Pour la première partie de ce chapitre, je vous conseille son Astarion Fan Song, Escaped.

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 27 :

Etreinte

Nymuë se réveilla en sursaut, les sens aux aguets. Elle sentait encore sous ses doigts la texture collante de la toile d'araignée ; entendait la voix doucereuse de Lolth lui promettre de fausses merveilles. Par les dieux, elle se revoyait mourir alors que des appendices monstrueux perforaient son ventre…

L'elfe noire se redressa faiblement. On lui avait bandé le haut du corps, de l'estomac à l'épaule, et seule une bassine de linges ensanglantés témoignait de la difficulté de l'opération. La jeune femme se rappelait confusément leur face-à-face avec Yurgir… L'explosion l'avait projetée contre un pilier et avait brûlé ses chairs. Le fait qu'elle soit encore entière, et en vie, était tout bonnement miraculeux. Néanmoins, un seul mouvement suffit à lui rappeler que sa bonne fortune n'était pas sans conséquences ; la douleur la submergea, telle une vague. Malgré les soins, ses blessures continuaient à la faire souffrir, et la musicienne retomba sans grâce sur son séant. Des mains fermes l'immobilisèrent avant de la repousser sur sa couchette. Astarion était accroupi à ses côtés, n'arborant pas son rictus habituel. Pour un peu, la jeune femme l'aurait presque cru en colère, ce qui la laissa perplexe. S'attendait-il à ce qu'elle lui présente des excuses pour l'avoir sauvé ? L'elfe noire était épuisée, en sueurs, et groggy à la suite des mixtures lui ayant été administrées. Mais si le roublard souhaitait entamer une joute verbale, elle était prête à relever le défi. A la place, cependant, il lui tendit une fiole contenant un liquide ambré :

"Buvez tout.

- Qu'est-ce que c'est ? s'enquit-elle.

- Une potion pour atténuer la douleur. Ombrecoeur a dû user de tout son savoir-faire pour vous rafistoler, mais la bombe de Yurgir était vicieuse : l'un de ses composants empêchait la magie de fonctionner. Une miraculée telle que vous devrait rester clouée au lit plusieurs jours, mais nous ne disposons pas de ce luxe.

- Autrement dit, je suis sous stimulants. Bénie soit Ombrecoeur et le sérieux avec lequel elle a emmagasiné des ressources médicales. Ne vous inquiétez pas, je ferai en sorte de ne pas être un poids mort."

La musicienne regarda autour d'elle, reconnaissant l'architecture élégante du temple de Shar. Ils étaient toujours à l'intérieur du mausolée. Ses compagnons avaient monté le camp en urgence, mais elle ne voyait aucune trace de la prêtresse, ou de la guerrière gith.

"Où sont les autres ? demanda-t-elle, inquiète. Est-ce que… Yurgir ?

- Emporté par sa propre explosion, répondit sèchement Astarion. J'ose espérer que cela comptera comme une mise à mort pour notre ami Raphaël. Quant à Ombrecoeur et Lae'zel, elles sont parties accomplir les épreuves de Shar.

- Toutes seules ? s'indigna Nymuë. Mais il y a des Tribuns de la Nuit ! Et peut-même des pièges ! Et…

- Ombrecoeur doute que les Tribuns s'en prendront à elle, car elle porte la marque de Shar. Et pour être honnête, nous ignorions combien de temps vous resteriez évanouie. Elle ne voulait pas perdre une minute de plus pour "accomplir sa destinée", il a donc été décidé qu'elle et notre amie gith iraient explorer la seconde aile du temple, pendant que je vous surveillerai."

Il grommela, pour lui-même :

"Au cas où vous vienne l'envie de réaliser une autre action stupide…"

Nymuë retint une répartie cinglante, alors qu'elle effectuait une nouvelle tentative pour se redresser. Cette fois-ci, Astarion la laissa faire. La musicienne savait qu'elle devait prendre du repos, mais rester immobile après son rêve lui paraissait insurmontable. Bientôt, il leur faudrait repartir au combat…

Au bout de quelques pas, la main froide du roublard vint la soutenir. Marcher était tolérable, bien que ses mouvements fussent raides, mais bouger son épaule blessée s'avéra plus complexe. Elle allait devoir faire preuve de prudence lors de ses lancers de poignards, ou apprendre à compter uniquement sur sa magie…

Habituellement, les silences d'Astarion ne la dérangeaient pas. Il y avait même quelque chose de réconfortant dans la présence d'un tiers n'ayant pas besoin de remplir les vides. Ce soir néanmoins, ce mutisme trahissait un non-dit. Nymuë soupira :

"Allez-y, abdiqua-t-elle.

- De quoi parlez-vous ?

- Crachez-moi les reproches que vous avez en tête. Dites-moi ce qu'il en est, et n'en parlons plus.

- Oh, n'en parlons plus, vraiment ? Est-ce aussi simple ? Tout le monde n'est pas aussi doué que vous pour vous défiler, darling.

- Comme vous vous êtes défilé quand je vous ai demandé de me faire confiance ?", répliqua froidement l'elfe noire.

Le haut-elfe se raidit, comme frappé. Astarion avait provoqué le combat contre Yurgir. La mort de l'orthon était la clé pouvant le libérer de Cazador, une perspective qu'il avait abandonnée depuis plus de deux cents ans. Si la jeune femme était persuadée que le roublard ne regrettait pas d'avoir interrompu les négociations, il était flagrant que quelque chose le troublait malgré tout. Il n'avait probablement pas prévu que son impulsivité leur coûterait presque la vie. Nymuë s'arrêta :

"Je suis désolée, et je vous pardonne, lâcha-t-elle doucement.

- Comment ? s'exclama-t-il, interloqué.

- Je n'aurais pas dû vous demander de me suivre à l'aveugle sur un sujet aussi important pour vous. Et vous, après tout ce que nous avons traversé, auriez pu me donner plus de crédit quant au fait de prendre vos intérêts à cœur. Donc, je suis désolée, et je vous pardonne.

- Pourquoi m'avoir secouru ?" demanda-t-il sans détour.

La musicienne le regarda avec des yeux ronds :

"Vous auriez préféré que je vous laisse mourir ?

- Bien sûr que non. Mais pourquoi ne pas l'avoir fait ? Si vous aviez sauté, vous vous seriez évité un rendez-vous in-extremis avec la mort.

- Ça serait revenu à vous condamner.

- Il s'agissait de ma cause, de mes réponses. Vous n'aviez rien à y gagner, alors pourquoi avoir manqué vous sacrifier ?

- Je n'en sais rien ! tempêta Nymuë. Je n'ai pas réfléchi à ce point ! J'ai vu la bombe, et mon corps a agi tout seul, voilà tout.

- C'était complètement idiot, pesta-t-il hargneusement.

- Dit celui agissant comme tel !" répliqua-t-elle sur le même ton.

Ils se dévisagèrent furieusement, les poings serrés. La musicienne était à bout de souffle, et ses jambes la soutenait avec peine. Bon sang, qu'elle maudissait son infirmité actuelle ! Un combat à mains nues contre le roublard lui paraissait une perspective séduisante, là tout de suite. S'obligeant à inspirer profondément, elle reprit d'une voix plus calme :

"Qu'est-ce qui vous dérange, réellement ?" interrogea-t-elle.

Astarion lui tourna le dos et s'éloigna de quelques pas. Dans un murmure presque inaudible, il répondit :

"Ça ne devait pas se passer comme ça.

- Quoi donc ?

- Tout ceci ! rugit-il. J'avais pourtant tout prévu ; mon plan était simple, efficace. Je devais vous séduire, coucher avec vous, manipuler vos sentiments de sorte que vous ne puissiez me trahir."

L'elfe noire le dévisagea, stupéfaite. La colère de son camarade avait laissé place à un malaise tangible, presque coupable. Il la regardait avec une angoisse non dissimulée, filtrant à travers les zébrures de sa mascarade. Si le rêve de Nymuë l'avait brisée de l'intérieur, Astarion semblait également avoir expérimenté ses propres fêlures.

"C'était… facile. Instinctif. Le fruit de deux siècles à jouer de mes charmes. Tout ce que vous aviez à faire, était de me tomber dans les bras. Et tout ce que j'avais à faire était de ne pas… m'éprendre de vous. Et c'est là où mon plan simple, efficace, est tombé de haut."

Ses yeux l'examinaient à la recherche du moindre signe de colère ou de dégoût. Mais Nymuë ne ressentait qu'un profond hébétement ; elle entendait les paroles du roublard, sans en comprendre le sens. Son âme mise à nue lui dévoilait tellement de choses qu'elle ne parvenait pas à se concentrer. Elle voyait sa peur à l'idée de s'exposer aussi crûment ; sa crainte d'être en position de faiblesse, mais aussi son amertume alors qu'il anticipait déjà son rejet. Elle distinguait sa culpabilité à la suite de ses manipulations, ainsi que sa frustration de s'être fait avoir à son propre jeu. Il y avait de l'espoir, aussi, bien que contenu. Tous ces sentiments, mélangés et confus, s'exprimant soudainement.

"Vous… vous êtes incroyable, continua-t-il avec candeur. Vous méritez quelque chose de réel, de sincère. Je voudrais que nous devenions quelque chose de réel.

- N'est-ce pas déjà le cas ?" répondit-elle doucement.

Elle le contemplait d'un nouvel œil, avec une incroyable netteté. Lui-aussi s'était produit sur les planches tous les soirs, et ses innombrables performances l'avaient rempli d'acrimonie. Les ruelles sombres de Baldur's Gate avaient été sa scène ; son corps, son instrument. Son public ne l'avait pas vilipendé, il l'avait au contraire réclamé à grands cris. Il avait fini par ranger son cœur en coulisses. Astarion n'avait jamais vraiment cessé de jouer son numéro.

"La proximité que nous avons…reprit-t-il. Même si je sais que les choses entre nous sont différentes, être avec quelqu'un continue de me sembler… faux. Galvaudé. Comme si je ne pouvais me détacher de ces sentiments de dégoût, ou d'aversion. Je n'ai aucune idée de comment vivre l'intimité d'une autre manière… peu importe à quel point je le souhaite."

Nymuë revoyait, dans son rêve, la bulle de verre éclater en morceaux. Paniquée, elle n'avait pu se raccrocher à quoi que ce soit. Seuls deux choix lui étaient venus à l'esprit : s'envoler ou tomber. Et maintenant qu'elle observait les herbes médicinales et les linges propres à côté de sa couchette, elle réalisait son erreur. Il y avait eu quelqu'un pour la rattraper, tout du long.

"Je tiens à vous, murmura-t-elle. Énormément.

- Vraiment ?"

Le mot lui avait échappé. Un murmure infime, à demi-retenu. Il ne voulait pas connaître sa réponse, et lever le voile de l'illusion ; il espérait tout de sa réponse, quand bien même il n'en avait pas le droit. L'elfe noire sourit : elle était prête à se dispenser de paroles, si c'était ce qu'Astarion souhaitait. Elle s'approcha, et son compagnon eut un mouvement de recul. Ses bras flottèrent autour d'elle, ballants, lorsqu'il la sentit l'enlacer. Il ne savait plus quoi en faire.

Au bout d'un long moment, Nymuë sentit une main effleurer ses épaules. Des doigts frôlèrent les muscles de son dos, délicats là où se trouvaient ses blessures. Un nez vint se nicher à la naissance de son cou et, pendant une seconde, ce fut comme si le vampire touchait du bout des doigts un fragment de lui-même qu'il n'avait pas jeté à la dérive. Elle n'était pas sienne, encore, cette âme qu'il lui paraissait redécouvrir ; pas tant que Cazador vivrait.

Pour l'instant, cela pouvait peut-être suffire.

"Vous n'arrêterez jamais de me surprendre, vous savez.", sourit-il.

Nymuë s'éloigna, ayant presque envie de rire face à son expression mi-soulagée, mi-effrayée. Elle non plus n'avait aucune idée de ce qu'elle venait de déclencher. Cette confession tacite était un saut dans l'inconnu, mais était-ce vraiment une si mauvaise chose ? Parfois, il fallait accepter de se laisser tomber.

"Honnêtement, plaisanta nerveusement Astarion, je n'ai pas la moindre idée de ce que nous sommes en train de faire. Ou de ce qui vient ensuite."

Il lui tendit la main, et la jeune femme se surprit à spontanément la saisir. Lorsqu'il serra leurs deux paumes entremêlées, le roublard paraissait presque serein :

"Mais ceci… ceci, est très agréable.", murmura-t-il.

La musicienne ferma les yeux. Elle craignait de réaliser qu'elle était - une fois encore - plongée dans un songe. Mais les doigts d'Astarion étaient réels contre les siens. Ils étaient réels, ici, en plein cœur de ce territoire dévoré par les ombres. Elle venait de manquer de mourir en combattant un diable ; ils avaient un parasite dans le crâne pouvant les transformer en monstre à tout instant. Et elle ne comptait même plus leurs ennemis…

Pourtant, il y avait là une vérité dont Nymuë était certaine. Elle n'aurait changé sa situation pour rien au monde.


Si Ombrecoeur devait s'essayer à décrire ce qu'elle vivait, elle tenterait sa chance en disant avoir trouvé un "miracle fait pierre". L'aile gauche du temple donnait sur un vaste hall, entouré de part et d'autre de statues de Dame Shar en guise de piliers. Chacune d'elle, bien évidemment, d'une magnificence sans égale. Combien d'artistes s'étaient succédé pour tenter de reproduire sa perfection ? Combien de sages avaient débattus sur la justesse de ces traits, pâle esquisse de sa véritable beauté ? La prêtresse s'interrogeait encore, alors qu'elle pénétrait l'antichambre principale. Celle-ci s'ouvrait sur trois larges portes, chacune devancée d'une plaque dorée. Elle y était ; les épreuves de Shar se tenaient à portée de main, et elle avait enfin l'occasion de prouver sa valeur. Pour les autres disciples de son propre cloître, ce lieu faisait office de légende. Que donneraient-ils pour être à sa place ? Son exaltation retomba quelque peu, lorsqu'elle réalisa qu'elle ne se rappelait aucun visage. Ses camarades d'autrefois étaient semblables aux Tribuns de la Nuit qu'ils avaient croisés un peu plus tôt : des filaments d'ombres…

Elle se retourna en entendant un grognement sourd. Lae'zel observait les entrées des épreuves avec méfiance. "Pas étonnant, pensa la jeune femme. Je suppose qu'elle estime qu'un véritable acte de foi se fait sur un champ de bataille, et non via des simulations.". Aussi pénible soit-il d'être seule avec la githyanki, elle devait admettre que celle-ci avait réussi à la surprendre au cours de ce voyage. Elle n'aurait jamais cru Lae'zel capable de se soulever contre sa souveraine, au point aujourd'hui d'envisager une rébellion. La preuve que les miracles n'étaient pas faits que de pierres…

Ombrecoeur leva les yeux vers le visage de la Mère de l'Égarement, gravé dans le marbre. Dans son sac à dos, elle sentait le poids de la première gemme fuligineuse récupérée auprès de Yurgir. A la suite de leur combat contre l'orthon, la prêtresse s'était presque entièrement vidée de son énergie afin de tirer Nymuë des griffes de la mort. La raison aurait dû la pousser à se reposer, mais l'appel de sa destinée était bien plus grand. Et puis, elles avaient le vampire pour veiller jalousement sur leur amie… La jeune femme prit une profonde inspiration afin de se concentrer sur sa voix intérieure. Cette présence, bien différente de son parasite, l'avait toujours accompagnée lors de ses prières. Il s'agissait d'un murmure sombre, autoritaire… rassurant.

"Tout ce qui a de la valeur est difficile à obtenir, lui chuchota la Dame Sombre. Réussis mes épreuves et tu seras digne de mon étreinte.

- Je ne vous décevrai pas, ma Dame. Je marcherai sur la trace de vos Tribuns, et je triompherai.", répondit-elle.

Avec détermination, la prêtresse s'avança vers la première des trois portes. "Son Plus Grand Trésor", disait la plaque : la demi-elfe reconnut le mantra désignant l'épreuve dite "du pas léger".

"Dame Shar apprécie ceux qui savent atteindre leur but tout en restant invisibles. La discrétion est une vertu dérivée de sa propre essence. Ne pas se faire remarquer est l'assurance de ne jamais se voir fermer aucune porte."

Lae'zel hocha la tête, tout en lui emboîtant le pas. A l'intérieur de la chambre, une statue de plus petite taille les attendait, portant un plateau tâché de marques cramoisies. "Du sang", devina la prêtresse. La souillure avait une forme arrondie, comme si la victime l'avait versé de son plein gré.

"Un sacrifice. Laissez-moi faire."

La guerrière lui tendit sa dague, sans protester. Ombrecoeur ne se laissa pas le temps d'hésiter : d'un geste net et précis, elle se coupa l'intérieur de la main. La plaie n'était pas profonde, et la douleur était tolérable. Elle grimaça à peine lorsque le liquide vermillon s'écoula entre ses doigts. Les yeux de la statue s'illuminèrent d'une lueur violette, et un pan de mur s'affaissa. Derrière, il n'y avait rien que des ténèbres… et des murmures. Des murmures que les deux aventurières reconnaissaient.

"Ce sont des ombres, siffla Lae'zel. Comme celles de la malédiction. Elles semblent nombreuses : ce ne sera pas un combat facile.

- Vous n'écoutez donc rien à ce que je dis, railla la jeune femme. Le but n'est pas d'affronter les ombres, mais de les éviter. Pour atteindre l'autre bout du labyrinthe, je dois moi-même ne faire qu'un avec l'obscurité.

- Vous portez une armure, objecta la guerrière.

- Je possède d'autres atouts. Restez ici, nous avons plus de chances de nous faire repérer en étant groupés."

La prêtresse s'accroupit et s'enfonça dans les dédales obscurs. Elle entendait les créatures émettre des grognements rauques autour d'elle, mais elle avançait sans peur. Sa Dame la protégeait de son linceul ; elle l'accueillait en son domaine. Les ténèbres ne pouvaient la prendre, car elles étaient la propriété même de…

Un déclic retentit. Son pied venait de s'enfoncer de quelques centimètres dans le sol, faisant réagir un mécanisme dissimulé dessous. "Un piège !", songea-t-elle, angoissée. Déjà, des cliquetis inquiétants résonnaient de tous les côtés. Avec horreur, la demi-elfe comprit qu'il s'agissait de glyphes arcaniques, prêts à lâcher leur illusion sonore au moment même où elle se mettrait en mouvement. Elle n'avait que deux possibilités : rester sur place, et se faire attraper, ou bouger et rameuter toutes les ombres sur sa position. Elle expira difficilement.

Alors qu'elle s'apprêtait à bondir, une lumière vive attira son regard. Depuis l'entrée du labyrinthe, Lae'zel venait d'allumer une torche. Elle la secoua à travers les interstices menant vers l'intérieur de l'épreuve :

"Ici, appela-t-elle, venez par ici !"

Les grondements des ombres se turent, avant de se mouvoir vers la source lumineuse. Leurs gémissements lugubres parurent s'accentuer, suivis de mains décharnées tendant de longs doigts morts en direction de la githyanki. Mais la guerrière avait reculé de plusieurs pas, flambeau en avant, et les créatures ne dépassèrent pas la limite du labyrinthe.

"C'est ma chance", comprit Ombrecoeur. Bondissant, elle sauta par-dessus un mur effondré et courut à en perdre haleine. Des cris lui confirmèrent que les glyphes s'étaient déclenchés, ce qui voulait dire que les ombres allaient bientôt se mettre à sa poursuite. Elle tourna à droite, puis à gauche ; zigzagua tant et si bien qu'elle ignorait si elle saurait revenir sur ses pas. Après un énième embranchement, elle déboucha sur une zone éclairée. Une nouvelle statue occupait l'espace, sauf que son bassin n'était pas rempli de sang cette fois-ci. La deuxième gemme fuligineuse brillait de mille feux. Quand la prêtresse posa la main dessus, un froid étrange l'envahit et elle se retrouva face à sa sculpture jumelle, au départ du labyrinthe. Le pan de mur se referma sur les créatures des ombres, tandis que Lae'zel lui secouait l'épaule :

"Avez-vous réussi ?" l'interrogea-t-elle.

Ombrecoeur lui montra la pierre scintillante, remplie d'un épais brouillard mauve :

"Bien entendu."

La guerrière lui adressa un hochement de tête approbateur, tandis que la prêtresse observait sa torche encore allumée. Sans l'intervention de sa camarade, elle aurait lamentablement échoué. Elle ouvrit la bouche, pour finalement faire volte-face :

"Ne traînons pas. Nous avons encore deux tests à accomplir."

La seconde porte arborait l'inscription : "Sa Miséricorde la Plus Sacrée". Elles avaient affaire, cette fois-ci, à l'épreuve du dédoublement.

"La Dame Sombre nous enseigne que nous sommes bien souvent notre pire ennemi. Nous ne gagnerons sa faveur qu'en nous débarrassant de tout ce qui nous retient.

- La discipline de soi, approuva Lae'zel, se vaincre et se dominer, afin que nul autre ne puisse le faire."

La prêtresse fut surprise de ce discours, et retint à grand-peine un rictus. Qui aurait cru que les githyankis feraient de parfaits Sharéens ? Voilà qui rendait leur alliance plus tolérable, se dit-elle en offrant un deuxième sacrifice de sang à sa déesse. Les murs s'écartèrent, et dégagèrent un espace ressemblant à s'y méprendre à une arène. Deux silhouettes translucides les y attendaient.

Une autre Ombrecoeur, et une autre Lae'zel.

"Hum, apprécia la guerrière, j'ai toujours su que je représentais la mort incarnée.

- Imaginez ça, Lae'zel, railla la demi-elfe. J'ai enfin l'occasion rêvée de vous refaire le portrait, et ce sans que vous en souffriez.

- Oh, mais essayez donc, Ombrecoeur. Mon double en rit d'avance."

Les deux femmes dégainèrent leurs armes, et leurs jumelles en firent autant. Quand la prêtresse invoqua une lame enchantée pour la seconder, son alter-ego claqua des doigts et fit apparaître un trident. "Très bien, songea-t-elle. Les mêmes sorts : la même manière de raisonner.". Si elle voulait se vaincre, il lui fallait se débarrasser de ses propres réflexes. Elle envoya son espadon magique sur sa réplique, mais celle-ci ne frappa qu'une illusion, trois autres Ombrecoeur émergeant soudainement de l'obscurité.

"Un véritable cauchemar, siffla Lae'zel, sur sa droite.

- Taisez-vous donc, répliqua la demi-elfe, et concentrez-vous plutôt sur votre propre combat !

- Vous ne vous y prenez pas correctement, pesta la githyanki. Vous cherchez à combattre à distance, or c'est là votre tactique habituelle. Si vous voulez vous surprendre vous-même, jetez-vous dans la mêlée !

- Qu'est-ce que vous en savez ?

- K'chakhi ! Votre masse est-elle décorative ?"

La prêtresse n'eut pas le temps de formuler un trait d'esprit de son cru, car sa copie conforme l'inonda sous un déluge de feu. Elle roula sur le côté, et attrapa son sac à dos. Saisissant deux parchemins de Missiles Magiques, elle les envoya à Lae'zel :

"Il n'y aura rien de plus déconcertant pour vous que de devoir utiliser votre cerveau, la provoqua-t-elle.

- Comment osez…"

La guerrière évita in-extremis l'attaque dévastatrice de sa doublure, sentant le tranchant de sa propre épée lui effleurer la joue. Elle déplia l'un des sortilèges fournis par Ombrecoeur et murmura :

"Tormentum !"

Trois rayons rouges jaillirent du papier jauni et frappèrent le sol de pierre, sous les pieds de la fausse githyanki. L'arène trembla tandis que la plateforme, abîmée par le temps, s'effondrait dans les abysses. Lae'zel sauta en arrière, remerciant la souplesse légendaire de son espèce, et s'accrocha à un pan de mur. De leurs côtés, les deux Ombrecoeur battirent des bras afin de maintenir leur équilibre, mais copie comme originale ne sombrèrent pas dans le trou béant. La prêtresse se mit à genoux, comme en prière ; à cette vue, sa réplique fit apparaître un feu aveuglant.

"Bougez, Ombrecoeur ! hurla Lae'zel. Maintenant !"

La demi-elfe demeura statique. Alors que le sortilège fusait dans sa direction, elle se releva brusquement. L'incantation ne frappa que du vide, tandis qu'un léger sifflement tinta derrière la fausse Ombrecoeur. Une porte dimensionnelle s'était matérialisée dans son angle mort, par-delà laquelle sa jumelle jaillit, bouclier en avant. Le choc fit s'effondrer l'imitation et ses illusions se dissipèrent, laissant - enfin ! - le champ libre à la prêtresse. La dernière chose que son alter ego aperçut fut l'éclat d'une masse.

Au lieu et à la place de son adversaire, une gemme fuligineuse apparut. La demi-elfe lâcha un soupir de soulagement en la saisissant, avant d'entreprendre l'ascension en direction de la sortie. Lae'zel lui prêta main-forte :

"Pas trop mal, commenta-t-elle, mais c'est clairement votre bouclier qui a fait tout le travail.

- Parce que mes parchemins n'ont pas fait mieux que votre épée, peut-être ?

- C'était juste histoire d'expédier ce combat, objecta la githyanki. Nul doute que j'aurais triomphé."

Ombrecoeur laissa échapper un bref ricanement, et elle jura voir les lèvres de la guerrière tressaillir. Non, elle persistait à le penser, elle n'était pas heureuse de devoir se coltiner Lae'zel pour ces épreuves ; mais peut-être bien n'était-ce pas si terrible, après tout. Encore quelques siècles d'entraînement, et peut-être même pourrait-elle considérer sa compagnie comme étant agréable. Les deux femmes gagnèrent la troisième porte, impatientes de savoir le saint des saints presque à leur portée. Encore un test, et la prêtresse aurait prouvé sa valeur.

"Sa Voie la Plus Sacrée, lut Lae'zel sur la plaque dorée.

- L'épreuve du saut de la foi, expliqua la demi-elfe. Les Tribuns de la Nuit marchaient d'un pas assuré, même dans les ténèbres les plus opaques. Je dois faire confiance à Dame Shar pour me guider."

Cette fois-ci, quand elle versa son sang dans la jatte sacrificielle, aucune entrée mystérieuse ne se dévoila. Derrière la statue de la déesse, il n'y avait qu'un gouffre béant, si sombre qu'il était impossible d'en voir le fond. Et de l'autre côté… la gemme fuligineuse, étincelante, comme pour les narguer.

"Le saut de la foi… murmura la guerrière, pensive. Ne me dites pas que…

- Si, confirma Ombrecoeur. C'est exactement ce que vous pensez."

La jeune femme s'approcha de l'abysse, s'appliquant à faire taire ses appréhensions. Les vaniteux, les faux croyants, et les faibles caractères : tous ceux-là pouvaient surmonter l'épreuve de furtivité ou de combat. Mais la foi ? Se remettre entièrement à leur déesse, nus et vulnérables, sans aucune arrière-pensée ? Ca, seul un véritable fidèle en était capable.

Sans hésiter, la prêtresse s'avança dans le vide. Le hoquet de surprise de Lae'zel s'interrompit quand elle réalisa que sa camarade venait d'atterrir sur un sol dur, compact, bien qu'invisible. Ombrecoeur poursuivit sa progression, concentrée à l'extrême. Impossible pour elle de recevoir de l'aide, cette fois-ci : cette épreuve, elle devait la réussir seule. La demi-elfe ferma les yeux ; à chacun de ses pas, elle guettait les réactions de sa voix intérieure. "A gauche" susurrait-elle parfois, ou "pas plus loin".

Alors qu'elle gagnait du terrain, la jeune femme sentit sa jambe s'enfoncer dans le vide. Paniquée, elle chancela afin de rétablir son équilibre et se réceptionna difficilement. Elle n'avait reçu aucune instruction de sa Maîtresse ! Elle regarda à droite, puis à gauche : quelle direction prendre, si tout droit n'était pas une option ? Devait-elle revenir en arrière, pour tourner autre part ? Ombrecoeur avait beau se concentrer, son esprit était vide de toute présence supérieure. Elle devait respirer. Sa Dame l'avait aidée pour ses premiers pas, mais l'épreuve avait pour objectif de mesurer sa foi, non son obéissance. Elle ne pouvait pas songer à ce qui se passerait, si elle tombait.

"Reprenez-vous, cria Lae'zel, et arrêtez de gigoter !"

La prêtresse grinça des dents. Cette femme était aussi pénible qu'une genaude, bien qu'elle n'ait pas entièrement tort. La demi-elfe reprit son calme, et continua à marcher. Un pied devant l'autre, sans hésiter, ni même réfléchir à sa destination. Tout ce qui importait, c'était d'avancer et de remettre le reste à Dame Shar. Le bout de sa chaussure heurta une plateforme en pierre. Elle y était ! Elle avait traversé le gouffre…

Le sol invisible se déroba sous ses pieds, et elle se sentit tomber. La jeune femme ne dû sa survie qu'à ses longues années d'entraînement, alors qu'elle s'accrochait vaille que vaille aux rebords devant elle. Elle entendit Lae'zel crier un juron, et poussa de toutes ses forces sur ses bras pour se redresser. Elle se hissa péniblement hors de l'abîme et saisit la gemme fuligineuse.

Quand elle rouvrit les yeux, elle était de nouveau aux côtés de Lae'zel.

"Les vôtres ont vraiment d'étranges coutumes, siffla la guerrière.

- Après ce que nous avons découvert sur l'histoire githyanki, pouvez-vous vraiment vous permettre de juger ?"

Ombrecoeur étudiait la quatrième et ultime gemme, peinant à y croire. Elle avait réussi. Elle avait résolu les épreuves de Shar, marché dans les pas de centaines de disciples avant elle, et triomphé. La main de Lae'zel se tendit vers elle, pour l'aider à se relever. La prêtresse pencha la tête sur le côté, se demandant ce que la githyanki avait gagné, dans tout ça. Pas son amitié, loin de là, mais elle supposait qu'elle pouvait maintenant la considérer pleinement comme son alliée.

Peut-être même avait-elle gagné son respect, après tout.


Notes de fin :

J'ai adoré écrire le point de vue d'Ombrecoeur. Elle est probablement une de mes compagnons favorites avec Astarion, Lae'zel et Karlach. Il m'est inconcevable de jouer l'Acte 2 sans "God's favorite princess", j'ai l'impression de manquer un pan entier de l'histoire autrement.

Nos personnages semblent enfin s'être ouverts l'un à l'autre, en admettant timidement leurs sentiments... Au bout de 27 chapitres, il était temps ! Mais comme vous le savez, d'autres événements au cours de l'aventure sont à même de renforcer ou briser cette relation juvénile...

Le prochain chapitre sera publié vendredi, navrée des allers et retours en termes de publications, l'été est toujours une saison compliqué au niveau de mon temps libre.

Je vous remercie pour votre lecture et vous dit à la semaine prochaine !