Bonjour à toutes et à tous,
Merci à Cassye pour son commentaire et merci à la communauté silencieuse.
Une semaine compliqué niveau écriture, j'ai hâte d'arriver à la fin de cette histoire pour commencer à construire le plan de la seconde, mais je me refuse à rusher. Je veux faire ça dans les règles, finir de rédiger quelque chose dont je suis satisfaite. Donc en avance petit pas par petit pas, mais c'est terrible car bien entendu, j'ai des tonnes d'idées pour mon autre fiction !
On reprend le fil des événements dans ce chapitre !
Réponse aux reviews :
Cassye : Je te comprends pour les soucis de notifs, j'ai la même chose de mon côté... Seule l'application fonctionne, mais sur l'ordi rien à faire ! Ce site est un peu comme un vieux papy, il fonctionne au gré de ses caprices... Et oui, la fameuse scène du câlin, qui arrive à m'émouvoir encore et encore, quand bien même je l'ai regardé un nombre incalculable de fois ! J'espère l'avoir bien retranscrite, en bonne pudique des sentiments que je suis, c'est un peu moi qui suis obligée de "m'ouvrir" pour ce genre de scène, et pas seulement les personnages ! Les piques avec Lae'zel m'ont beaucoup faites rire, sache qu'à chaque fion envoyé je rigolais toute seule derrière mon clavier ! On ne change pas une équipe qui gagne, comme on dit. Merci pour ton retour !
Recommandation musicale : il y en a deux pour cette semaine ! Pour le début du chapitre : Nightsong's Prison & The Shadowfell, sur la chaîne Vivi's Radio Backup Channel - Rare VGM.
Et pour la fin, bien entendu je ne pouvais pas ne PAS la citer : Baldur's Gate 3 Original Soundtrack - Nightsong, de Borislav Slavov.
Je vous souhaite une excellente lecture !
Chapitre 28 :
Etincelle en Gisombre
Quand la prêtresse et la guerrière githyanki revinrent au camp, elles trouvèrent Nymuë et Astarion profondément endormis, l'un contre l'autre. Cette vision arracha un sourire attendri à Ombrecoeur, et même Lae'zel se contenta d'un simple reniflement dédaigneux. Bien vite toutefois, leurs compagnons émergèrent du sommeil :
"Vous êtes de retour, constata calmement le roublard.
- Vous avez de la chance que ça soit nous, et non des Tribuns de la Nuit ! rétorqua la gith. Ils vous auraient étripés sans difficulté.
- Ca, ma chère, c'est le discours de quelqu'un qui ne s'est pas montré attentif…"
Fier de lui, Astarion pointa du doigt une série de pièges entourant leurs sacs de couchages, prêts à s'activer à la moindre intrusion.
"Et si j'avais voulu examiner Nymuë pour vérifier son état ?" interrogea Ombrecoeur.
La superbe du haut-elfe fut quelque peu ternie par cette suggestion. Il se racla la gorge en évitant soigneusement le regard goguenard de la musicienne à ses côtés :
"Avez-vous réussi ?" s'enquit celle-ci.
La prêtresse sortit de son sac à dos les quatre gemmes fuligineuses. Sa voix était fébrile, vibrante d'excitation :
"Lae'zel et moi sommes repassées par l'entrée du temple avant de vous rejoindre. De ce que nous avons compris, le piédestal près de la statue de Dame Shar ne nécessite qu'une seule gemme. Il doit activer un mécanisme, une plateforme, quelque chose menant au saint des saints. C'est sûrement là-bas que nous aurons besoin des trois autres."
Nymuë hocha la tête, et entreprit de se lever. Elle s'obstina à se redresser sans assistance, malgré les mains tendues de ses camarades. Maintenant que la fièvre avait baissé, ses blessures étaient en bonne voie de guérison. De plus, les potions fournies par Ombrecoeur faisaient taire la douleur et la fatigue. Elle se sentait presque en état de se battre, bien que son épaule lui lançât des appels réguliers.
"Je ne peux me permettre de rester alitée plusieurs jours, déclara-t-elle. Reprenons nos forces, puis remettons-nous en route."
Ils acquiescèrent, et se réunirent autour du feu de camp. Ombrecoeur et Lae'zel s'empressèrent de leur raconter les épreuves de Shar, avec vénération pour la première, stoïcisme pour la seconde. L'elfe noire remarqua que, si les deux femmes s'échangeaient régulièrement des piques, une forme d'entente semblait s'être développée lors de cette mission en duo. Cela lui fit chaud au cœur de voir ces deux forces de la nature, enfin en harmonie.
Quoi qu'il en soit, la doctrine de Shar était impressionnante. Furtivité, force et foi : voilà les trois piliers sur lesquels la Dame Sombre fondait son église. Pas étonnant que si peu de novices soient devenus Tribuns au fil du temps…
"Il reste un dernier test, leur rappela Ombrecoeur, un sacrifice. Une fois arrivé au saint des saints, le futur élu de Dame Shar doit plonger sa lame dans le cœur d'un Sélunite.
- Je serai étonnée qu'il reste énormément de Sélunites sur ces terres, tempéra Nymuë.
- Les Tribuns sont morts depuis trop longtemps, ajouta Astarion, il y a fort à parier que le sanctuaire sera vide. Libre à nous de chercher la relique sans craindre la compétition…
- Les épreuves étaient fonctionnelles, pourtant, objecta Lae'zel. Si Shar a estimé utile de soumettre Ombrecoeur à son jugement, il doit y avoir une finalité."
Les aventuriers demeurèrent silencieux, perdus dans leurs pensées. C'étaient là des réponses qu'ils n'auraient qu'en accédant au saint des saints.
"Raphaël vous a-t-il rendu visite, durant notre absence ?" questionna la prêtresse.
Le visage du roublard se durcit :
"Non, il n'a pas jugé utile de venir honorer immédiatement sa promesse. J'espère simplement qu'un suicide à la bombe remplit les conditions de notre accord…
- Il souhaité la mort de l'orthon, et il l'a obtenue, répliqua la guerrière.
- Depuis le début, Raphaël apparaît selon son bon vouloir, rappela Nymuë. Comme il ne s'en est jamais pris à Yurgir lui-même, je commence à me dire qu'il ne peut peut-être tout simplement pas pénétrer à l'intérieur du temple.
- L'influence de Dame Shar, comprit Ombrecoeur.
- Exactement. Attendons de voir ce qu'il en est une fois sorti du mausolée ; ce diable viendra à nous quand cela l'arrangera."
Une fois le repas terminé, la prêtresse vint étudier les blessures de Nymuë, palpant son épaule et la forçant à boire une série de potions toutes plus écoeurantes les unes que les autres.
"Pas la peine de grimacer comme ça, la rabroua-t-elle. Vous êtes pire qu'une enfant.
- Personne ne ferait avaler une chose aussi immonde à un enfant."grogna la musicienne.
Timidement, elle saisit la main de la demi-elfe alors que celle-ci s'appliquait à changer ses bandages :
"Merci, dit-elle simplement. Pour tout. Sans vous… et bien, je crois que je ne serais plus là pour me plaindre du manque de saveur de vos remèdes."
Ombrecoeur écarquilla les yeux. Serrant les doigts de la musicienne contre son coeur, elle murmura :
"Il était hors de question que vous me laissiez seule avec ces deux lunatiques. Le parasite me paraît être une meilleure compagnie !"
Les deux femmes se sourirent à la lueur mourante du feu de camp. Quand Nymuë retourna s'étendre, blottie contre Astarion, elle se dit qu'elle était probablement la miraculée la plus chanceuse du monde.
Le lendemain, les aventuriers quittèrent le champ de ruines qu'était l'aile Est et retournèrent à l'entrée principale du temple. A leur grande satisfaction, les squelettes de Balthazar n'étaient pas là pour les accueillir. Ils avaient décidé d'un commun accord de se passer de la présence du nécromancien tant qu'ils n'avaient pas récupéré la relique. Le piédestal du Jugement les attendait, placé sous le regard vigilant de la gigantesque statue de Shar. Quand Ombrecoeur y déposa la toute première gemme fuligineuse, elle arborait une expression solennelle.
Rien ne se passa, au départ. Les compagnons se jetèrent un coup d'oeil perplexe, inquiets d'avoir
laissé échapper une information cruciale. Puis, il y eut du mouvement du côté de l'effigie de la Dame Sombre. Un disque de pierre s'éleva de sa main tendue. La plateforme rayonnait d'une lueur mauve, semblable à celle des gemmes, et était assez large pour les recevoir tous les quatre.
"Le passage vers le saint des saints.", murmura la prêtresse religieusement.
Nymuë s'avança sur leur étrange embarcation, veillant à ne penser ni aux abysses sous ses pieds, ni à l'âge du mécanisme. Une fois tous à bord, le disque bougea de son propre chef, et les emmena dans les profondeurs du temple. Il descendit bas, plus bas encore que la statue de Shar, si bas que bientôt seule l'obscurité les entoura. Quand l'engin s'arrêta à nouveau, l'unique source de lumière provenait d'un second piédestal, précédant une immense porte ronde. Sur cet autel, il y avait trois cavités vides.
Ombrecoeur entreposa avec soin les trois gemmes restantes. Derrière l'entrée, il n'y avait qu'un couloir...menant à une vaste étendue d'eau.
"Ce doit être l'endroit où les initiés procédaient aux ultimes préparatifs. La fin est proche…", observa la prêtresse.
Elle leva la tête : une voix s'adressait à eux, celle-là même l'ayant toujours accompagnée lors de ses prières. La Maîtresse de l'Égarement avait choisi de quitter l'intimité discrète de ses pensées pour être entendue de tous :
"Une autre épreuve t'attend, déclara la déesse. Descends jusqu'à Chantenuit et offre-moi un sacrifice. Alors, tu renaîtras en tant que Tribun de la Nuit.
- Chantenuit…" réfléchit lentement Nymuë.
Où avait-elle déjà entendu ce nom ? Ses camarades froncèrent les sourcils, tout aussi interpellés :
"Halsin, se rappela subitement le roublard. Lorsqu'il cherchait le Temple de Séluné, il nous a dit que ses informations provenaient d'Aradin et sa bande. Les mercenaires espéraient s'enrichir en retrouvant une relique nommée Chantenuit…
- … Dissimulée dans un ancien fief de Shar, compléta la musicienne. Il semblerait que, aussi lamentable ait été leur expédition, Aradin avait au moins une bonne piste. Donc Chantenuit serait la relique donnant son immortalité à Ketheric Thorm ?
- Une seule manière de le savoir.", déclara la prêtresse en se rapprochant du bassin.
Arrivée devant la première marche, elle s'inclina profondément :
"Je dois prier, chuchota-t-elle. Si je suis arrivée jusque-là, c'est uniquement par la grâce de Dame Shar."
Ses compagnons se tinrent légèrement en retrait. Lorsque Lae'zel ouvrit la bouche, prête à protester, la musicienne lui donna un coup de coude entre les côtes. Au bout de quelques minutes, la demi-elfe se releva :
"Pas la peine de vous agacer, lança-t-elle à la githyanki, je suis prête.
- Si vite ? s'étonna l'elfe noire.
- Certaines prières reçoivent une réponse plus rapidement que d'autres."
Sur ces paroles, leur camarade se dirigea vers les eaux claires, brillant en leur fond d'une lueur aveuglante. Nymuë s'avança jusqu'aux genoux, pas certaine de la marche à suivre. Quand elle voulut solliciter Ombrecoeur, elle réalisa que la prêtresse avait tout bonnement disparu ; ses autres compagnons aussi manquaient à l'appel. La jeune femme était seule, face à cette source presque blanche dans laquelle elle se sentit glisser soudainement. Une sensation de terreur ne ressemblant à rien de ce qu'elle n'avait jamais connu la traversa. L'eau s'infiltrait dans sa gorge, s'enroulait autour de ses jambes, avant de se mettre à serrer. La lumière l'aveugla, très vite remplacée par une obscurité inquiétante, grondant à ses oreilles comme une tempête.
Ce fut d'ailleurs un coup de tonnerre qui la tira de l'inconscience, la faisant tousser à en perdre haleine. Nymuë porta ses mains à ses vêtements, stupéfaite : ils n'étaient pas trempés. Elle avait eu la sensation de se noyer, et pourtant elle était… indemne ? A ses côtés, elle vit ses camarades se redresser, l'air hagard. Dame Shar avait sa manière très personnelle d'accueillir ceux ayant réussi ses épreuves…
Ils avaient atterri sur un amas de granit, suspendu dans les airs. Les ténèbres envahissaient leur champ de vision, brièvement éclaircies par des éclairs émanant du cœur de la tempête. La moindre roche en apesanteur, la moindre ruine laissée à l'abandon semblait orbiter autour de ce noyau. Le décor se déplaçait silencieusement autour d'eux, froid et morne. Etrangement, Nymuë remarqua des chaînes accrochées à certains minerais, s'étirant jusqu'à l'épicentre du cyclone.
"La Gisombre, souffla Ombrecoeur, abasourdie. Le domaine de Dame Shar. Je sens sa présence tout autour de nous."
Un lieu où l'on venait s'égarer. Un lieu où souvenirs comme vestiges du passé s'étaient perdus. Un lieu oublié…
" Je ne m'attendais vraiment pas à ce que vous fassiez aussi bien…"
Les aventuriers se retournèrent d'un bond : un homme jaillissait à son tour du bassin. Il était difficile de deviner si son visage reflétait l'amusement ou le mépris, tant il était défiguré. Des traits nets, précis, barraient sa peau, découpaient ses lèvres ainsi que l'arête de son nez, avant de se rejoindre sur son front. Un triangle avait été taillé dans sa poitrine, en lieu et place du cœur. Il était habillé d'une longue robe qui fut très certainement élégante, autrefois. Aujourd'hui, elle flottait mollement autour de ses membres rigides, bleuis par l'absence de chaleur et de vie. Seul le symbole de l'Absolue resplendissait sur sa peau cadavérique.
Un Non-Mort : une créature n'étant ni un être vivant, ni un cadavre. Voilà qui correspondait à un nécromancien, supposa Nymuë. Elle le préférait mille fois sous sa forme de squelette.
"Il est temps d'aller contempler mon chef-d'œuvre, les invita Balthazar.
- Nous nous trouvons dans le royaume de la Dame Sombre, cracha Ombrecoeur. Vous n'avez rien à faire ici !
- Comment nous avez-vous retrouvé ?" s'enquit la musicienne.
Le disciple favori se contenta d'éclater de rire face à cette question, comme s'il en admirait la stupidité :
"En vous suivant, tout simplement. Apparemment, Shar apprécie peu le changement d'allégeance du général Thorm. Elle s'est arrangée pour entraver mes déplacements dans son temple. Par chance, vous étiez la diversion idéale pour me permettre de contourner ses défenses… Et maintenant, Chantenuit est enfin à ma portée.
- Vous ne sortirez pas d'ici vivant, rugit Lae'zel.
- Vivant ? ricana le nécromancien. Vous autres, animaux de chairs, muscles et tendons, avez tendance à sous-estimer l'endurance de votre enveloppe. Vous avez fait un travail acceptable jusque-là, âmes éveillées, mais n'allez pas vous imaginer plus fortes que vous ne l'êtes réellement. Avisez-vous de lever ne serait-ce que le petit doigt sur moi, et je vous couperai en deux, tel un arbre mort frappé par la foudre."
Sans attendre leur réponse, Balthazar s'éleva gracieusement dans les airs. L'elfe noire voulut le suivre, mais fut stoppée par le vide d'une noirceur infinie sous ses pieds.
"La gravité n'a pas sa place dans la Gisombre, les avertit Ombrecoeur. Faites un pas en avant, et vous constaterez que vous êtes plus légers, comme soulagés d'un poids. Ma Maîtresse nous protégera."
Illustrant ses propos par les gestes, la prêtresse se jeta en avant. Ses bras s'étirèrent, comme les ailes d'un oiseau, et elle se réceptionna… sur la prochaine excavation rocheuse, trente mètres plus loin. "Soit", pensa Nymuë. Il était temps pour eux tous de pratiquer le saut de la foi. Alors qu'ils descendaient, les compagnons discernèrent des ombres en armure, répétant d'énigmatiques psaumes sur leur passage : "Voyagez jusqu'à elle" murmuraient-ils ; "Contemplez-la" ; "Écoutez-la". "Tuez-la".
Ces paroles devaient avoir un sens, d'une manière ou d'une autre, pour Ombrecoeur, car elle se mit à prier à voix haute :
"Soyez témoins de mes actes, Dame Shar. Entendez les paroles de la fidèle que je suis. Ô Chant Nocturne, recevez mon adoration… J'ai purgé mon cœur de tout mensonge. J'ai vaincu vos ennemis. Votre volonté sera faite, aussi sûrement que la nuit tombera ce soir."
Au fur et à mesure qu'ils avançaient, les aventuriers discernèrent davantage le noyau sur lequel la foudre tombait. Il s'agissait en réalité d'un disque, sur lequel avaient été gravées de nombreuses runes argentées. Toutes les chaînes de la Gisombre s'y rejoignaient, fixées à quelque chose en son centre. Balthazar était déjà arrivé à destination, et s'agitait avec véhémence, en masquant la relique de son dos.
"Non…"réalisa Nymuë, alors qu'elle atterrissait aux côtés du nécromancien. Pas une relique. Une personne.
"Balthazar, lança l'inconnue d'une voix calme, vous êtes là pour ajouter de nouveaux barreaux à ma cage, j'imagine ?"
La femme était une Aasimar. Une enfant céleste née d'une union rare et dangereuse : celle d'une divinité et d'un mortel. Elle avait la peau d'un blanc laiteux, aussi claire que ses cheveux. Son visage, tout comme le reste de son corps, était strié de veines argentées. Ses pieds et ses mains étaient maintenus par les chaînes disposées un peu partout dans la Gisombre, ce qui ne l'empêchait pas d'être imposante. Quand leur regard se croisa, la musicienne comprit que l'impassibilité de l'étrangère n'était qu'une façade.
"Ou bien peut-être êtes-vous là pour aider ce prétendu Tribun de la Nuit à plonger sa lame dans mon cœur ?" poursuivit la captive.
Elle fit un pas menaçant en direction d'Ombrecoeur, mais de ses entraves jaillirent des mains spectrales, bloquant ses mouvements. La prêtresse resta de marbre face à cet éclat, toutefois Nymuë voyait à son expression qu'elle-aussi avait compris ce à quoi ils avaient affaire. Le dernier test de Shar nécessitait le sacrifice d'une Sélunite…
"Quand je pense qu'après tout ce temps, tu es toujours incapable d'apprécier les cadeaux que je te fais, Aylin… soupira Balthazar. C'est bien triste qu'une si belle chose n'ait pas conscience de sa valeur. Mais le général Thorn t'apprécie, lui, au moins. Et il te veut à ses côtés.
- Ketheric, cracha la dénommée Aylin. Cela me fera plaisir de le revoir, après tous ces siècles. N'est-ce pas mon âme qui lui confère l'immortalité, après tout ?"
Le nécromancien et l'Aasimar conversaient comme si le groupe d'aventuriers n'étaient guère présents, des importuns dans un schéma manifestement maintes fois répétés. L'elfe noire tentait d'assembler les différentes pièces du puzzle. Si cet individu - Aylin - était responsable de l'invulnérabilité du général… alors Chantenuit et elle ne formait qu'une seule et même identité. La relique n'était pas un objet, mais une céleste emprisonnée au cœur du domaine de Shar… afin que les futurs élus de la déesse puissent l'éliminer, encore et encore. Une fille de Séluné, offerte en sacrifice ultime à la Mère de l'Égarement.
C'était une situation révoltante, songea Nymuë. Quoique guère surprenante si elle se fiait aux préceptes de la Dame Sombre que leur avait partagés Ombrecoeur. La prêtresse affichait maintenant un air résolu, sa main fermement serrée sur sa masse. Voulait-elle faire couler le sang, elle-aussi ? Pensait-elle que c'était là leur unique solution, s'ils souhaitaient stopper Ketheric ? Une fois encore, c'était le jeu des dieux qu'ils jouaient, et non le leur…
"Quand tu feras référence au général Thorm, Aylin, tu emploieras les titres qui lui sont dus, corrigea sèchement le nécromancien. Sache qu'au cas où, j'ai tout de même pris quelques précautions…"
Balthazar se tourna vers les compagnons, comme s'il se rappelait soudainement leur existence :
"Reculez, ordonna-t-il. Il va me falloir faire appel à toute ma concentration afin de préparer Aylin pour son petit voyage.
- Non.", répliqua Ombrecoeur.
La demi-elfe s'avança en direction de l'Aasimar, le regard furieux :
"Chantenuit doit être sacrifiée à Shar ! siffla-t-elle. Elle est ma destinée ! Il ne l'aura pas !
- Qu'avez-vous l'intention de faire ?" demanda l'elfe noire à Balthazar.
Celui-ci soupira :
"La ramener là où elle doit être, évidemment. La puissance d'Aylin dépasse votre entendement. C'est un être de sang divin, retenue prisonnière dans une cage spirituelle de ma création, qui l'oblige à offrir sa force immortelle au général Thorm. Le pouvoir d'une céleste, la volonté du général, et mon génie : la plus fabuleuse des combinaisons.
- N'écoutez pas les inepties de ce pauvre Balthazar, ricana l'Aasimar. Il y a bien longtemps que les vers lui ont rongé le cerveau.
- Plus un mot, Aylin, ou je t'arrache à nouveau la langue. Quant à vous, cessez vos questions. Je ne veux plus la moindre interférence !"
Quand Ombrecoeur se tourna vers elle, Nymuë hocha la tête. Quelle que soit la décision de sa camarade, ils ne pouvaient pas laisser le nécromancien ramener Aylin auprès de Ketheric : c'était là leur meilleure chance de stopper les actions du général. Dégainant son poignard chaîné, l'elfe noire entendit Astarion et Lae'zel s'approcher à leur tour :
"Ah ! rit Balthazar. Venez donc, imbéciles. Vous ne pouvez empêcher ce qui va se produire."
Les mains du Non-Mort s'illuminèrent d'un feu vert : alors que le roublard décochait une flèche dans sa direction, un nuage de fumée les entoura. Des grognements rauques se firent entendre tandis que des cercles d'invocations apparaissaient par dizaine au cœur de la Gisombre. Le nécromancien venait d'appeler ses enfants chéris à la rescousse. Squelettes, zombies et autres cadavres ambulants composés de chairs putréfiées ; ils étaient tout autour d'eux, prêts à en découdre. Mais la prêtresse ne l'entendait pas de cette oreille :
"Vincere est vivere !" cria-t-elle.
Une lumière éclatante, divine, jaillit de la demi-elfe, bannissant les macchabées. Quand Nymuë fut capable de rouvrir les yeux, seule une poignée de morts-vivants tenaient encore debout. Shar s'était manifestée via Ombrecoeur, et ses intentions étaient limpides.
L'elfe noire fit tournoyer son poignard, tailladant l'adversaire le plus proche. La lame s'enfonça dans son thorax comme dans du beurre, mais la créature ne chancela pas. En réalité, la blessure ne sembla lui causer aucune douleur, tandis qu'il continuait à ramper dans sa direction. Il lui fallait changer de tactique. Zigzaguant d'un macchabée à un autre, la musicienne fit glisser ses chaînes sous leurs jambes et par-dessus leurs épaules. Elle tournait autour d'eux, de plus en plus vite, tout en évitant leurs assauts. Lorsqu'elle tira sur son arme d'un coup sec, ses chaînes firent basculer les morts-vivants les uns contre les autres. L'elfe noire maintint sa prise avec difficulté, gardant serrées les entraves autour des non-morts, mais ses mains tremblaient. Son épaule continuait à la lancer, et malgré les potions d'Ombrecoeur, ses forces ne faisaient pas le poids face à trois adversaires consécutifs. Ne restait plus qu'à espérer que la seconde partie de son plan fonctionne.
Elle leva une main en direction de la tempête. Sa magie s'écoula en elle telle une cascade, attirant les feux de la foudre droit sur sa paume :
"Dolor !" cria-t-elle.
Elle saisit l'éclair au vol, le laissa se répandre le long de ses chaînes jusqu'aux créatures ligotées. Nymuë sentit ses doigts fourmiller d'électricité statique, mais la fulguration ne lui fit aucun mal, bloquée par sa propre énergie. Les morts-vivants n'eurent pas cette chance : en une fraction de seconde, ils explosèrent en un amas de chair carbonisée.
Lae'zel et Astarion tenaient en respect les cadavres restants ; la guerrière réduisait les squelettes en miettes, tandis que le roublard visait les créatures en hauteur. De son côté, la prêtresse tentait de faire reculer Balthazar, mais le nécromancien se téléportait à chaque lancé de sort. Nymuë se tourna lentement vers Aylin, qui observait la bataille d'un œil brillant. Sans un mot, l'Aasimar acquiesça.
"Ombrecoeur !" appela l'elfe noire.
La demi-elfe pivota vers elle, et suivit du regard les directions pointées par sa camarade. Tout comme Nymuë, elle se mit en position. Les deux femmes enchaînèrent sort sur sort, la prêtresse invoquant les flammes, la musicienne le tonnerre. A chaque fois, Balthazar disparaissait dans un nuage de fumée, se déplaçant à l'abri de leur tir respectif. Mais les aventurières continuèrent leurs assauts, bondissant sur la droite, se décalant sur la gauche. Sans même s'en rendre compte, le nécromancien reculait :
"Finissons-en, cracha-t-il, ce petit jeu a assez duré.
- Je ne te le fais pas dire, Balthazar.", susurra une voix derrière lui.
Le Non-Mort sursauta alors que deux mains lui empoignaient le crâne, serrant avec une force incommensurable. Aylin avait glissé son bras sous sa gorge, utilisant les propres fers de sa prison pour accentuer la pression. Le nécromancien battit des bras, tenta de griffer le visage de l'Aasimar : elle accentua son étreinte.
Les compagnons s'avancèrent vers le centre du disque, silencieux. Il n'y avait plus de macchabées pour venir aider Balthazar. Les balafres sur son visage s'étaient agrandies, béantes, suffisamment larges pour qu'Aylin puisse y glisser ses doigts et tirer. Dans un amas sanguinolent d'os et de cervelles, le crâne du nécromancien se rompit. Son corps chuta, agité de soubresauts ; la respiration de l'Aasimar était haletante.
"Balthazar le Dément a rendu son dernier soupir fétide, déclara-t-elle. Son cadavre ne sera jamais réanimé, car même la mort n'a jamais voulu de lui. Et maintenant…"
La jeune femme se leva, agitant théâtralement le bras vers Ombrecoeur :
"Maintenant, vous êtes venue pour gagner la faveur de votre ignoble déesse. Vous êtes là pour me planter une dague en plein cœur…
- Pas une dague, répliqua froidement la prêtresse, une lance. Celle de Dame Shar."
Un vent étrange, presque comme un murmure, entoura les compagnons. Parmi les ombres, une forme élancée apparut dans la main d'Ombrecoeur, terminée par une pointe acérée. Une lance plus noire que la nuit.
"Vous ne ferez que sceller votre propre sort, enfant des ténèbres, observa Chantenuit. Si vous devenez Tribun de la Nuit, vous vous détournerez de tout ce qui ne tient pas à cœur à la Dame de l'Égarement. Vous ne connaîtrez plus l'amour, ni la joie… rien que la servitude. Jusqu'au moment où votre maîtresse se débarrassera de vous, bien sûr, ce qui ne manquera pas de se produire. Il y a tant de choses qu'elle vous cache… à commencer par le terrible prix du sang que ma mort causera.
- Vous mentez ! rugit la demi-elfe.
- Vraiment ? rétorqua Aylin, avec rage. Savez-vous seulement qui je suis, jeune assassin ? Moi, je vous connais, petite enfant perdue qui craint les loups dans le noir."
La colère d'Ombrecoeur s'affaiblit. Elle chancela, soutenue au dernier moment par Nymuë :
"Qu'avez-vous dit ? murmura-t-elle.
- Elle vous a beaucoup promis, n'est-ce pas ? poursuivit l'Aasimar. Mais que vous a-t-elle pris ? Que savez-vous vraiment de vous-même… de votre propre vie ? Je sens plus en vous que vous ne pouvez l'imaginer.
- Ce que vous croyez savoir de moi n'aura plus la moindre importance, une fois que je serai devenue celle que je suis censée être !" cria la prêtresse.
La musicienne se rappelait la vision partagée d'Ombrecoeur. Les loups dans les bois ; la nuit sans Lune. Des émissaires de Shar venus porter secours à une petite fille, précisément au bon endroit et au bon moment… Quelles étaient les intentions de la Dame Sombre en conduisant Ombrecoeur jusqu'ici ? Elle n'avait pas levé le petit doigt pour ses anciens fidèles, quand Yurgir les massacraient. Elle n'était pas non plus intervenue tandis que sa malédiction rongeait la moindre parcelle de vie. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi se donner tant de mal pour qu'une disciple parmi tant d'autres réussisse ses épreuves, et accède à son domaine ?
Nymuë voyait le doute dans le regard de sa camarade. Elle sentit la main d'Ombrecoeur serrer la sienne avec incertitude, attendant une instruction, un ordre à suivre. N'était-elle pas leur leader, après tout ? Cette fois-ci, pourtant, la prêtresse allait devoir décider elle-même les règles du jeu :
"Choisissez votre propre voie, Ombrecoeur, murmura-t-elle. Regardez en vous, et prenez votre décision. Nous serons là quoi qu'il arrive."
Un éclat violet sur la paume de la jeune femme la rappela à l'ordre, et elle gémit de douleur. Shar s'impatientait. Les yeux d'Ombrecoeur alternaient entre Aylin et la lance, trahissant une peur sans nom, celle d'un animal en panique à la recherche d'une issue de secours. Brusquement, elle s'avança… et jeta l'arme par-dessus le cyclone. Le désespoir la fit tomber à genoux devant l'Aasimar, qui posa une main tendre sur le sommet de sa tête :
"Je… je n'arrive pas à croire que j'ai fait ça, chuchota la demi-elfe. Dame Shar ne manquera pas de me désavouer… Que va-t-il m'arriver ?
- La vraie question est que comptez-vous faire ? répondit l'enfant de Séluné. Votre passé n'est pas encore perdu. Et quant à votre avenir, il est loin d'être fixé. J'ai posé la main sur vous avec amitié, vous qui n'êtes pas tout à fait disciple de Shar : faites de même sur moi. Je livrerai enfin la bataille qui m'attend depuis un siècle, et ensuite… Ensuite, oh, nous aurons de nombreux sujets à évoquer."
Ombrecoeur se tourna vers ses compagnons : Nymuë lui rendit son regard, confiante ; Astarion haussa les épaules avec un demi sourire ; et enfin, Lae'zel hocha fermement la tête. Quand la prêtresse se releva, ses paumes sur chacune des épaules de l'Aasimar, son expression était résolue.
Les chaînes enserrant la prisonnière se dissipèrent, la faisant momentanément tomber. Stupéfaite, Aylin regarda ses bras vierges de toute attache, avides de leur ancienne puissance… Son poing frappa le sol avec violence.
"Entends-moi, ô Dame d'Argent ! clama-t-elle. Toi qui nous guides, Séluné, Vierge Lunaire. Mère de celle que l'on a appelée Chantenuit. SACHE QUE CHANTENUIT N'EST PLUS !"
Et la Vierge Lunaire entendit. Une lueur argentée baigna son enfant chéri, faisant léviter son corps mutilé. Pendant une seconde, et pour la toute première fois, la Gisombre connut l'illumination. La clarté froide envahit les lieux, chassa les ténèbres : rappela à tous qu'au cœur du néant, il y avait toujours la lumière. Une armure magnifique, aussi étincelante qu'un rayon de Lune, remplaça les haillons de l'Aasimar. Deux ailes blanches, immenses, se déployèrent. Elle était resplendissante ; elle n'était plus Chantenuit.
Elle était Dame Aylin.
Notes de fin :
Malgré tous mes playthrough, cette scène reste une de mes favorites. Le pouvoir de la musique, tout simplement.
La semaine prochaine, je publierai samedi ou dimanche, dépendant de mon programme. On approche de la fin de cet acte 2, et j'ai hâte de vous montrer sa conclusion, ainsi que tout ce que j'ai prévu pour l'acte 3.
Je vous remercie de votre lecture et vous dit à bientôt !
