Bonjour à toutes et à tous,

Merci à Cassye et à Shivarrior pour leur commentaire, ainsi qu'aux lecteurs anonymes. Et joyeux anniversaire à Baldur's Gate 3 !

Nous sommes au dernier tournant avant la fin de l'acte 2. J'espère que vous apprécierez.

Réponses aux reviews :

Cassye : Tu as tout à fait raison, ça fait partie des grosses incohérences du jeu... A défaut de connaître l'identité se cachant derrière l'Absolue, l'Empereur devrait savoir qu'Hautelune possède une colonie illithide, car c'est là-bas qu'il a été transformé. Ca fait partie des points que je souhaite modifier une fois cette histoire terminée, lorsque j'attaquerai une relecture globale. Je pense plutôt dire qu'il s'est fait capturer alors qu'il voyageait dans les Tréfonds Obscurs, car techniquement la colonie descend profondément sous les Tours. Ainsi, ça ferait sens qu'il n'identifie pas le bâtiment (et surtout : l'époque où l'Empereur se rend aux Tours de Hautelune correspond au moment où elles sont encore Sélunites. Je ne vois vraiment pas quel trésor il venait y chercher). Mais y a plein de petites coquilles comme ça, pas gravissimes, mais forçant à des remaniements si - comme moi - on est psychorigide. Par exemple, l'Empereur étant en réalité Balduran, un humain ayant vécu aux alentours de l'an mille, sa présence en 1492 ne fonctionne pas (malgré transformation. Un illithid vit 200 ans). Il me semble avoir vu dans une interview que Larian expliquait avoir changé le lore et en avoir fait un elfe pour que ça match leur chronologie. Idem par rapport au lore du Dark Urge. Gortash et lui se seraient rencontrés en 1482, soit dix ans avant les évènements du jeu (date à laquelle Karlach aurait été envoyée aux Enfers). Sauf que Baldur's Gate 2 se termine en 1482, avec la "mort" de Bhaal. C'est une récurrence dans D&D d'avoir un squelette assez spongieux, car les évènements en réalité correspondent aux campagnes des joueurs et aux différentes éditions. Exemple de Mystra : si à l'origine la déesse de la magie meurt lors de la Folie de Karsus, puis renaît sous un nouveau nom, c'est juste parce que... un nouveau manuel de jeu est sorti, en changeant complètement la gestion des sorts et de la magie, et il a fallut le justifier narrativement x) J'arrête là mon laïus de nerd !

Shivarrior (Chapitre 6) : Contente que tu aimes le caractère de Nymuë ! Plus je me dirige vers la fin de cette histoire, plus je m'attache moi-même énormément à cette "Tav". Des modifications, comme celle que tu as pu voir avec la lettre de Kagha, sont faites régulièrement dans cette fiction. Voire, parfois, je donne un grand coup de pied dans les évènements : j'ai vraiment essayé de manier l'équilibre entre respecter le matériel de base, et me le réapproprier.

Recommandation musicale : pour la partie "avant-combat" je vous conseille The Apostle of Myrkul - Baldur's Gate 3 (OST) sur Vivi's Radio Backup Channel - Rare VGM. Et pour la phase d'action, je recommande Baldur's Gate 3 Original Soundtrack - Old Time Battles Part II de Borislav Slavov.

Je vous souhaite une bonne lecture !


Chapitre 31 :

L'ombre d'un père

La colonie illithide était affreusement silencieuse. Les allers et venues des victimes infectées avaient cessé de résonner ; de l'autre côté des Tours, le bruit des combats s'était étouffé. C'était comme si, à la suite de la disparition du cerveau vénérable, toutes les âmes vivantes de Hautelune s'étaient elles aussi évaporées, prêtes à livrer leur ultime bataille. C'était le calme avant la tempête, comprit Nymuë. Le vide avant l'apothéose.

Même Ketheric se tenait tranquille. Calme et patient, il attendait leur venue. Astarion continuait de se rapprocher de la prison de Dame Aylin, presque à mi-chemin. Quant à Ombrecoeur et Lae'zel, elles observaient leur leader dans l'attente de ses prochaines directives. "Très bien.", songea la jeune femme. Il ne fallait pas décevoir le général.

Les trois compagnes sortirent de leur cachette, avant de s'avancer vers leur ennemi. Ketheric ne manifesta ni surprise, ni colère en les voyant surgir de nulle part. Ce à quoi elles avaient assisté importait peu, car leur sort serait réglé bien assez tôt.

"Vous voilà, les accueillit-il. Qu'est-ce donc qui vous attire si sûrement vers la mort, je me demande, comme un papillon de nuit par la lumière ?"

L'elfe noire ne lui fit pas la grâce d'une réponse. L'effort paraissait inutile.

"Vous auriez pu fuir, poursuivit Ketheric. Disparaître avec le prisme, la seule chose pouvant m'empêcher d'accomplir ma destinée. Mais l'attrait de la fatalité est trop irrésistible, n'est-ce pas ?".

Le général sembla réfléchir quelques instants :

"Peut-être espériez-vous découvrir votre rôle dans l'histoire, avant de sombrer dans l'oubli. Tel un éclair lumineux qui flamboie brièvement pour s'éteindre à jamais.

- Et quel est ce rôle, exactement ? s'enquit Nymuë.

- De mourir, déclara-t-il impassiblement, afin que je puisse enfin vivre. Laissez-moi être franc avec vous. Mon seigneur Myrkul m'a donné la seule chose que je désirais et qu'aucun autre dieu ne pouvait m'accorder. Il a ramené ma fille d'entre les morts. Il a fait battre à nouveau son cœur. En échange de ça, il a exigé que je le serve en qualité d'Élu, que je rejoigne Orin et Gortash afin de faire grossir les rangs du culte de l'Absolue… avant d'en prendre le contrôle."

Derrière Ketheric, Astarion avait presque atteint la cellule de l'Aasimar. Dame Aylin sortait doucement de sa torpeur.

"Vous comptiez donc trahir vos alliés ? poursuivit la musicienne.

- Bien sûr, répondit le général. Mon seigneur n'a pas de serviteur plus zélé que moi. J'ai livré de terribles batailles par le passé, au service d'autres dieux et d'autres forces tutélaires. Mais pour Myrkul, je serais prêt à condamner à mort l'ensemble de Faerun. Vous êtes le seul obstacle se dressant encore entre moi et ma destinée, et vous avez commis l'erreur d'apporter le prisme jusqu'ici. Je vais donc vous tuer. Après quoi, je ressusciterai votre cadavre pour faire de vous mes esclaves.

- Ce n'est pas ce que vous voulez.", murmura la jeune femme.

Elle fit un pas en avant, sans quitter le général du regard. Les runes autour de Dame Aylin avaient cessé de briller :

"Pour retrouver votre femme et votre fille, il vous faut redevenir l'homme qu'elles ont aimé.

- Il n'y a pas de rédemption, rugit Ketheric. Pas de délivrance. Ma dette ne pourra jamais être payée."

A la grande inquiétude de Nymuë, il commença à reculer. Le serviteur de Myrkul paraissait concentré… épuisé. Bien que prêt à combattre quelques secondes plus tôt, le vieil homme était las. Il était à l'image du dieu qu'il servait : ancien, et défraîchi. Ses yeux passèrent des trois femmes debout devant lui, à la crevasse sans fond qu'avait laissé le cerveau vénérable après son départ. Le cœur de l'elfe noire se mit à tambouriner dans sa poitrine.

Ketheric Thorm ne se préoccupait pas de ce qui se passait dans son dos, car il laissait le soin à un autre de régler leur sort. Peu importe la lutte, la mort était immuable. A la fin, tout menait vers elle :

"Il est ici.", chuchota-t-il.

L'Elu de Myrkul tendit les bras, comme pour étreindre l'invisible :

"Il observe. Il écoute. Il est… Il est… éternel."

Stupéfaite, la musicienne le vit tomber en arrière, au cœur de l'abîme. Elle bondit dans sa direction, mais ses doigts ne frôlèrent que le vide : le général avait tout bonnement disparu. A quelques mètres, Dame Aylin se relevait avec une expression résignée :

"Ce n'est pas fini.", indiqua-t-elle.

La mort ne pouvait prendre Ketheric, car il en était le fidèle apôtre. Il n'avait fait que précipiter sa destinée… et la leur. Du fin fond des profondeurs, un grondement d'outre-tombe les interpella :

"Qui ose s'en prendre à mon serviteur ?"

Une litanie de hurlements explosa à leurs oreilles, comme le cri de mille défunts. Au creux du fossé, une fissure verte se dessina. Quelque chose était en train de se frayer un chemin jusqu'à eux, depuis les catacombes du monde :

"Je suis le rictus du crâne décapé par les vers, tonna l'entité. Les regrets de ceux qui restent et l'errance éternelle des disparus. Je suis l'esprit qui hante les mausolées, le dieu des tombes et du grand âge, de la poussière et du crépuscule. Je suis Myrkul, le Seigneur des Os, et vous… vous avez corrompu mon Élu."

Le Père des Morts, la Faucheuse, le Vieux Crâne… autant de surnoms correspondant à Myrkul, dieu des défunts, de l'épuisement, du pourrissement et de la corruption. Un dieu dont le panthéon avait cessé d'exister il y a de ça des années, pour faire office de légendes dans les contes pour enfants… Du moins, c'est ce que Nymuë croyait.

Car c'était bien un avatar de sa macabre divinité qui se tenait devant les compagnons, les surplombant de toute sa hauteur. L'incarnation ressemblait à un immense squelette, surmonté d'une coiffe en forme de triangle. Sur chacune de ses épaules, une carcasse humaine tenait en suspens une urne, dont se dégageait une odeur nauséabonde. Une de ses mains était nimbée de flammes vertes, tandis que l'autre brandissait une gigantesque faux. Le Trépas, au sourire édenté, et aux yeux vides… déterminé à les saisir.

"Je suis la mort incarnée, continua la créature. Et bien plus qu'une fin, je suis un nouveau commencement.

- Tenez-vous prêts.", indiqua Nymuë.

La lumière verte dans la paume de Myrkul se fragmenta en plusieurs morceaux, chacun s'échouant devant les aventuriers. Des murmures rauques s'élevèrent autour d'eux, tandis que des vestiges de la colonie illithide s'élevaient… des morts-vivants. D'abord cinq, puis sept, puis douze cadavres déformés, démembrés. Ombrecoeur invoqua des flammes célestes, qu'elle dressa entre les monstres et ses camarades. Lae'zel brandit son épée, Nymuë fit virevolter son poignard chaîné. Derrière elles, Dame Aylin prit son envol en direction de Myrkul, et Astarion banda son arc.

Une flèche traversa le crâne d'un macchabée, et deux autres se mangèrent de plein fouet le bouclier de la prêtresse. A chaque fois, les morts se redressèrent. "Il ne sert à rien de s'épuiser sur eux, comprit l'elfe noire. Tant que Myrkul est là pour les ramener à la vie, nos coups ne feront que les ralentir.". Mais comment atteindre l'avatar du Seigneur des Os ? Lae'zel avait beau avoir rejoint l'Aasimar, un simple coup de faux la projeta en arrière. Et les défunts continuaient de se lever.

"Dame Aylin !" cria la musicienne.

L'elfe noire pria tous les dieux qu'elle connaissait, alors qu'elle tendait le doigt vers la fille de Séluné :

"Extende !" scanda-t-elle.

Les membres de l'Aasimar parurent gonfler. S'étirant encore et encore, la haute silhouette d'Aylin s'élargit jusqu'à arriver à l'épaule du Père des Morts. Le monstre gronda, face au sourire victorieux de la guerrière :

"Voilà qui équilibre un peu le jeu… lança-t-elle. Tu as un visage digne de ton âme, parjure !"

Elle se jeta sur la créature, titan contre titan, faux contre espadon. Myrkul la repoussa, s'aidant du manche de son arme pour la frapper en plein ventre avec une puissance phénoménale. Lorsque l'Aasimar recula, ses pieds gigantesques créèrent des fissures dans le sol.

Astarion et Lae'zel rejoignirent leurs compagnes au pas de course, s'éloignant du combat opposant les deux géants. Les morts-vivants affluaient de toute part désormais, chaque cadavre clairsemant un peu plus le mur de flammes de la prêtresse. Bientôt, ils ouvriraient une brèche.

Quant à Nymuë, le moindre de ses souffles, la moindre parcelle de son énergie étaient concentrés sur Dame Aylin. Elle suait à grosses gouttes pour maintenir son sortilège, encaissant les attaques reçues par l'Aasimar comme si elles avaient été portées sur elle-même. Il fallait qu'elle tienne.

"Ombrecoeur ! tonna Astarion. Élargissez vos flammes !

- Je ne peux pas en créer plus ! protesta la demi-elfe.

- Essayez !"

La prêtresse retint un commentaire injurieux, se détournant du roublard qui sortait deux bouteilles en verre de son sac à dos. De l'huile de feux ardents ; infiniment rare, et hautement inflammable.

"Les stocks privés des Ménestrels, précisa le voleur.

- Vous n'êtes donc pas capable de vous contrôler un tant soit peu ? rugit Lae'zel.

- Remerciez-en les dieux, car je ne serai pas capable de dénicher des objets si utiles autrement."

Astarion lança un flacon à la githyanki et se mit en position. Ombrecoeur psalmodiait sans discontinuer, les yeux fixés sur l'incendie. Le brasier prenait de plus en plus d'ampleur ; hélas, trop lentement. Les morts continuaient de se rapprocher par dizaines. Ce fut alors que, pareil à un raz-de-marée, l'ombre de Dame Aylin surplomba les macchabées. Repoussée une nouvelle fois par l'avatar de Myrkul, l'Aasimar tomba de toute sa masse sur le cortège de cadavres, ralentissant leur avancée. Quand elle se releva pour charger à nouveau son ennemi, elle ne se préoccupa nullement des défunts qu'elle venait d'écraser.

"Maintenant !" commanda Ombrecoeur.

Lae'zel et Astarion jetèrent leur projectile. Au contact des flammes, les morts-vivants se consumèrent immédiatement, devenant de véritables torches humaines. L'incendie se répandit comme un feu de bois, alors que les cadavres s'effondraient pour de bon.

Mais le combat n'était pas terminé.

Nymuë ne parvenait plus à se concentrer. Sa magie lui filait entre les doigts, trop faible, et ignorée pendant trop d'années pour être maintenue aussi longtemps. Dame Aylin commençait déjà à rapetisser, encaissant chaque nouvelle attaque avec plus de difficulté que la précédente.

Myrkul ne pouvait être vaincu en combat singulier. C'était un dieu ; et quand bien même la fille de Séluné parvenait à le blesser, il lui suffisait de se régénérer. Ils devaient lui porter un coup - un seul, mais suffisamment puissant - pour le renvoyer dans sa fosse. Sans cela, ils lutteraient jusqu'à l'épuisement. Les yeux de l'elfe noire glissèrent doucement du combat devant elle, jusqu'au plafond quelques mètres plus haut. Pile sous les fondations des Tours.

"Dame Aylin !" appela-t-elle.

L'Aasimar tourna brièvement la tête dans sa direction, parant la faux de son adversaire à la dernière seconde. Quand son regard suivit celui de la musicienne, elle adopta une expression incrédule :

"Vous êtes folle à lier ? demanda-t-elle.

- Je suis prête à prendre le risque !", rétorqua Nymuë.

Elle interpella ensuite ses compagnons :

"Ombrecoeur, préparez un nouveau sanctuaire !" ordonna-t-elle.

La demi-elfe hocha la tête, incantant déjà un bouclier lumineux englobant ses coéquipiers. Dame Aylin avait repris une taille normale, à présent, et cherchait à se désengager de son adversaire. Levant la main, elle fit étinceler son épée d'une lumière si vive que l'avatar de Myrkul en fut momentanément aveuglé. C'était le signal que Nymuë attendait :

"Quand vous voulez, petite barde !" l'apostropha l'Aasimar.

L'elfe noire se précipita à sa rencontre, évitant les corps et les flammes. Elle s'accrocha de toutes ses forces à la fille de Séluné, au moment où celle-ci déployait ses ailes :

"C'est soit de la folie, soit du génie, maugréa-t-elle.

- Amenez moi le plus haut possible." indiqua Nymuë.

Les deux femmes s'envolèrent, éclairant la colonie illithide tels les premiers rayons du soleil au moment de l'aurore. Les fondations de Hautelune - minuscules, vues depuis le sol - se rapprochèrent à toute vitesse. "Pas tout de suite, pensa Nymuë. Encore un peu plus haut. Bientôt…".

Une lame manqua de les renverser ; le Seigneur des Os tendait le bras vers elles, agitant sa faux dans tous les sens. L'impact avec la surface était imminent. Dix mètres, mesura l'elfe noire. Sept, cinq…

"Detono !" hurla-t-elle.

Une vague de vent s'échappa de ses mains, et le plafond explosa. Dame Aylin bifurqua immédiatement sur le côté, alors que des éclats de roches aussi gros qu'une maison s'effondraient sur l'avatar de Myrkul. Peu nombreux, tout d'abord, puis se multipliant.

"Savoure ton enterrement, enflure.", siffla l'Aasimar.

L'enfant céleste virevolta en direction du bouclier lumineux d'Ombrecoeur, se réfugiant à l'intérieur in-extremis. Renforçant le sortilège de sa propre lumière, Dame Aylin se dressa de toute sa hauteur :

"Derrière moi, ordonna-t-elle. Immédiatement !"

Le Dieu de la Mort hurlait de rage, disparaissant petit à petit sous une montagne de gravats. Il lutta encore un moment, brassant la roche de sa faux. Mais, finalement, ce qui restait de Ketheric Thorm fut enseveli sous les décombres de son propre foyer.

Le silence revint, lentement, dans la colonie illithide. Le bouclier conjoint d'Ombrecoeur et de Dame Aylin disparut, laissant les compagnons presque aveugles. L'effondrement avait provoqué un nuage de poussière.

"Le scélérat… est… MORT !" rugit Dame Aylin.

Enfonçant son poing dans la roche la plus proche, elle la brisa en deux :

"Misérable ! cria-t-elle à plein poumons. Ensemble, nous t'avons brisé corps et âme ! Et maintenant je… suis… DÉLIVRÉE DE MES CHAÎNES !"

L'Aasimar détruisait tout sur son passage, gravats, ossements et chair illithide. Il y avait à la fois quelque chose de beau et de terrifiant dans cette fureur s'exprimant sans entraves. Mais la fille de Séluné était trop prompte à savourer la mort de son bourreau. Elle ne vit pas, dans son dos, la montagne d'éboulis se redresser soudainement :

"Dame Aylin !" tenta de prévenir Ombrecoeur.

Surgissant des débris comme un diable hors de sa boîte, le Seigneur des Os brandissait son arme au-dessus de l'Aasimar. Elle ne pouvait l'esquiver ; et il ne pouvait la manquer. Les aventuriers virent sa lame s'abaisser comme au ralenti :

"Ketheric, STOP !" cria quelqu'un.

Le tranchant de la faux s'immobilisa, à quelques centimètres seulement du visage de Dame Aylin. La tête gigantesque de l'avatar de Myrkul se redressa. Derrière les compagnons, illuminée par les flammes de l'incendie, la cléresse Isobel avançait avec hésitation.

"Mon amour… ?" balbutia la fille de Séluné.

Isobel Thorm ne pouvait détacher son regard de la créature qu'était devenue son père. Os, cadavres, décrépitude et mort : voilà tout ce qui demeurait aujourd'hui. Une marionnette froide et cruelle, au service d'un dieu plus froid et plus cruel encore.

"Je t'ai aimé autrefois, murmura-t-elle douloureusement. Je continuerai d'aimer ce que tu as été. Mais tu es mort bien avant moi."

L'immense squelette commença à trembler, à vaciller. L'incarnation du Vieux Crâne et son plus fidèle disciple entraient violemment en collision, se repoussant mutuellement. Le monstre lâcha sa faux ; les carcasses, sur ses épaules, étaient parcourues de soubresauts si violents qu'elles semblaient sur le point de s'effondrer.

"Que la Vierge Lunaire ait pitié de toi, poursuivit Isobel. Qu'elle prenne sous sa garde ce qui reste de ton âme, et qu'elle t'accorde enfin la paix que tu as trop longtemps fuie. Je suis là, Ketheric, et je te libère de ta douleur. Et moi… je me libère de toi."

Le Seigneur des Os hurlait, maintenant. Mais ce n'était plus une litanie de mille défunts ; par moment, cela ressemblait presque à une voix d'homme. La créature rapetissait, prenant une forme humanoïde, vêtue d'une large armure sur laquelle brillait une gemme violette. Les yeux de Ketheric Thorm se fixèrent sur sa fille :

"Isobel…" gémit-il.

Un feu vert incendia ses lèvres et ses pupilles. Aussi aisément qu'il s'était emparé de son corps, Myrkul se débarrassait maintenant de son Élu. Sans une dernière parole, sans hommage funèbre, le maître de Hautelune s'écroula.

Nymuë ne se rendit compte qu'à cet instant qu'elle avait retenu sa respiration depuis plusieurs secondes. Le cœur serré, elle tendit la main vers Astarion. Leurs doigts s'entremêlèrent.

"Isobel ?" chuchota Dame Aylin, stupéfaite.

La cléresse quitta des yeux le cadavre de son père, pour les poser sur l'Aasimar. Une multitude d'émotions traversa son visage, alors qu'elle se précipitait vers la fille de Séluné tombée à genoux :

"Mon amour… pleura-t-elle. Tu étais morte. J'ai vu ton corps sans vie…"

Isobel la contemplait sans trop y croire, elle-aussi. Elle effleura la joue de Dame Aylin d'un doigt hésitant, comme si elle pouvait s'effriter à ce simple contact :

"Je suis là maintenant, murmura-t-elle. Et… et toi aussi. Quant à mon père…"

Son visage se tourna vers le corps étendu, à quelques mètres de là :

"... Il ne peut plus rien contre nous, acheva-t-elle.

- Toutes les nuits, j'ai rêvé que tu me revenais, souffla l'Aasimar en la prenant dans ses bras. Que tout ça n'était qu'un cauchemar qui prendrait fin avec l'aube.

- J'ai dormi d'un sommeil sans rêves, répondit Isobel, le regard voilé. Tout n'était plus que ténèbres. Et quand je me suis réveillée… mon père m'a dit que tu étais morte.

- Son âme était empoisonnée par le Dieu de la Mort.", intervint Ombrecoeur.

Les deux amantes observèrent le groupe d'aventuriers, les dévisageant avec fierté pour l'Aasimar, reconnaissance pour la cléresse :

"Isobel ! Ces âmes sans peur et sans reproche m'ont vaillamment arrachée à la Gisombre. Elles se sont brillamment battues.

- Je suppose que vous devez avoir bien des questions… hésita Isobel. Sachez juste que… En tuant Ketheric, vous l'avez libéré. Pas seulement lui, mais aussi Aylin, ces terres… et moi.

- Je suis désolée, chuchota doucement Nymuë.

- Ne le soyez pas. Je pleurerai l'homme qu'il était autrefois, en temps voulu. Il était merveilleux… le véritable centre de mon existence, à une époque.

- Jusqu'à votre mort, lança Lae'zel. Nous avons vu votre tombe.

- J'ignore encore comment, ou pourquoi cela est arrivé, acquiesça la cléresse. Mais quand je me suis réveillée, j'ai vu le visage de mon père… horriblement changé. Hideux à faire peur. Alors…

- Vous vous êtes enfuie." devina Astarion.

Isobel hocha la tête, jetant un nouveau coup d'oeil sur la dépouille de Ketheric Thorm :

"Je vous promets de vous en dire plus, une fois hors d'ici mais… Pour le moment, je vous en conjure. Je veux juste partir.

- Je vous ramène à la surface, mon aimée, déclara Dame Aylin. Nous avons beaucoup de temps à rattraper, vous et moi… Vous nous suivez, compagnons ?"

Nymuë échangea un long regard avec ses camarades, avant de pivoter elle-aussi en direction de l'ancien Élu. Sur son armure, la gemme violette brillait de mille feux. Elle revit distinctement le cerveau vénérable gigantesque, contrôlé de justesse par les trois pierres d'Orin, Ketheric et Gortash. Les véritables instigateurs du culte de l'Absolue. Ceux-là même menaçant aujourd'hui leur monde, leur foyer, et leur vie. L'elfe noire avait du mal à encaisser tout ce à quoi ils venaient d'assister, mais ni elle, ni ses alliés n'éprouvaient le moindre doute quant à la marche à suivre.

"Il nous reste une dernière chose à faire.", déclara-t-elle fermement.


Notes de fin :

Cela faisait sens, pour moi, de faire intervenir Isobel lors de ce combat. L'histoire personnelle de Ketheric est vraiment triste et amère.

J'espère qu'un chapitre centré action ne vous a pas déplût. Semaine prochaine (publication probablement le vendredi), nous assurerons l'arrivée de nos héros dans l'acte 3. Comme pour le chapitre 15, un petit bonus est prévu pour célébrer ça !

Merci de votre lecture et à bientôt.