Révélations

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Avec la sagesse propre aux vieux briscards, Dick attend patiemment que l'agitation retombe avant d'amorcer le moindre mouvement. Il n'est pas lâche, pas du tout. Il est simplement prudent.

— On ne devrait pas aller donner un coup de main ? demande Enguerrand.

Ah, la fougue de la jeunesse… Dick ébauche un sourire mi-narquois, mi-« vétéran à qui on ne la fait pas ».

— Ne te précipite jamais si tu veux te faire des vieux os, petit. L'assaut en première ligne, c'est pour les inconscients. Les gens comme nous choisissent la deuxième ligne.
— Le capitaine n'hésiterait pas, lui, rétorque Enguerrand.

Dick renifle.

— Oui. Et à l'heure qu'il est le capitaine est dans les vapes. C'est un sort qui te tente ?

Enguerrand se renfrogne. Pour ce qu'il en sait le capitaine est peut-être même mort, songe Dick. Il ne préférerait pas.

Lorsqu'il s'approche, il remarque aussitôt deux choses : un, le capitaine a besoin urgemment d'un coiffeur. Voire d'un barbier. Voire… Bon Dieu, depuis quand Harlock a-t-il développé une pilosité aussi généreuse sur le dos de ses mains ?
Et deux, Enguerrand s'est décomposé. Littéralement. Le pauvre garçon a viré au gris, et semble sur le point de vomir ou de s'évanouir, voire les deux en même temps. Dick l'observe d'un air perplexe.

— C'était avant qu'il fallait paniquer, le bleu. Y'a plus de danger, là…

Enguerrand bafouille, bredouille, fuit leur regard à tous. Ses yeux reviennent inexorablement vers Harlock.

— Il… Euh… Vous… C'est… Vous êtes tombés sur un kimord ?

Tout le monde le fixe.

— Un quoi ? fait Tochiro.
— Un kimord. Sur ma planète. Mais normalement on n'en trouve pas autour de l'astroport… Vous vous êtes éloignés de la ville quand vous étiez là-bas ?

Dick lève un sourcil. Le capitaine est bizarre depuis qu'ils ont quitté cette planète. Et le capitaine s'est éloigné de la ville quand ils étaient là-bas, il l'avait entendu râler à ce propos. « J'ai pas le temps pour un pique-nique, putain ! » De ce qu'il avait compris, l'état-major l'avait poussé à sortir prendre l'air « parce que c'est une bonne occasion de se détendre, capitaine ».
Mouais. Vu les résultats obtenus, ce n'était pas l'idée du siècle.

— Il y avait une bestiole rigolote toute poilue ! intervient Lydia.

Elle s'interrompt aussitôt qu'elle se rend compte être désormais le centre de l'attention, se mord la lèvre inférieure comme si elle venait d'être prise en faute, baisse la tête.

— … Elle a voulu sauter sur moi mais le capitaine l'a empêchée de me faire mal, termine-t-elle d'une petite voix. Mais je crois qu'elle l'a mordu.

Ah.
Et le capitaine… n'a rien dit. Dick roule des yeux. Pourquoi n'est-il pas étonné ?

Zero fronce les sourcils à l'intention sa petite-fille adoptive, foudroie Harlock du regard, ferme les yeux, inspire profondément. Engueulades en perspective, prédit Dick. Mais le médecin-chef est un pro : il se retiendra jusqu'à ce que son patient soit tiré d'affaire.

Enguerrand rentre la tête dans ses épaules quand Zero se plante devant lui.

— Okay gamin, crache le morceau. Qu'est-ce que tu sais sur ces « kimords » ?
— Ben ils sont moins nombreux que les kipiques mais ils sont plus agressifs et plus, euh… contagieux.

Enguerrand se dandine d'un pied sur l'autre.

— Ils, euh… ça déclenche une hypersensibilité aux sons et à la lumière et, euh… un développement anarchique de la pilosité.

De la vision nocturne et de la fourrure qui pousse ? Il sait qu'il ne devrait pas (le capitaine, inconscient dans les bras de Jelle, a l'air vraiment mal en point), mais Dick apprécie la blague.

— T'as des putains de loups garous sur ta planète, Randy ?
— Euh… En fait c'est plutôt un genre de hérisson, mais faut pas croire que… Euh… 'fin, c'est juste temporaire, hein… En… En général ça passe tout seul.

T'as des putains de hérissons garous sur ta planète, Randy ? Dick se demande distraitement si le capitaine appréciera d'être devenu un hérisson garou (c'est quand même beaucoup moins ténébreux qu'un loup, comme bestiole). Il ravale à temps son ricanement.

Le doc, lui, n'apprécie pas du tout la blague.

Temporaire ? Mais nom d'une outre en fusion, tu as vu l'état dans lequel il est ? Tu crois qu'on peut se permettre que « ça passe tout seul » ?

Enguerrand a visiblement envie de disparaître dans le plancher.

— J'ai, euh… dans mon sac, euh… ce qu'il faut, euh… des cachets, euh… peut-être…
— Mais bordel, tu attends quoi alors ? File les chercher !

Le gosse déguerpit. Dick le suit des yeux avec un demi-sourire moqueur tandis que le doc continue de marmonner dans sa barbe (« bande d'irresponsables, comment voulez-vous que je travaille correctement sur ce rafiot si vous faites tous de la rétention d'informations ? »). Au final, la situation ne s'est pas si mal résolue, songe-t-il. Si en plus Enguerrand possède avec lui les médicaments adaptés, alors tout ceci ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

Un hérisson garou. Ha ha, c'est ridicule.