On m'a subtilement fait comprendre que ça ne se faisait pas d'arrêter le précédent chapitre dans un moment pareil, donc... X)
Journal de la revieweuse
Lilinnea: Mouahahahaha! Que je suis méchante XD J'aime les cliffhangers. Allez, c'est bon, tu peux respirer ;)
* écarte un peu les doigts en-travers de ses yeux *
CHAPITRE 23 - EN SURSIS
Le petit son de carillon tintinnabula et les portes s'ouvrirent.
Les deux femmes ne respiraient plus, trop horrifiées par ce qui allait se produire d'ici quelques millisecondes. Un corps s'esquissa dans la fente de l'ouverture jusqu'à dévoiler un homme d'une insolente fringante quarantaine d'années que même l'ahurissement de trouver deux visiteuses dans l'ascenseur à cette heure-ci ne savait enlaidir. Avec ses cheveux bruns rejetés de façon négligée en arrière, sa fine barbe de quelques jours et sa chemise crème retroussée aux manches, il tenait plus du baroudeur sexy que du gratte-papier d'un service juridique.
Les yeux ronds comme des soucoupes, Nell poussa une interjection indéchiffrable qu'Ysée n'aurait jamais imaginé entendre un jour de sa part.
« Tristan ?! »
L'interpellé cilla encore d'étonnement et alterna entre les arrivantes sans savoir sur qui s'arrêter.
« Nell ? Que...
_ Qu'est-ce que tu fais ici ? somma celle-ci d'une voix mi-accusatrice, mi-choquée, ce qui était une curieuse façon de ventiler son soulagement.
_ Eh bien, je déposais un...
_ On s'en fiche ! coupa Nell qui partait en roue libre tant elle était secouée par la retombée d'adrénaline. Il... Il est tard ! Tu n'as rien à faire là ! Tu veux me faire mourir de peur ou quoi ? »
Tristan s'ébroua en essayant de reprendre sa contenance. Rien à faire là ? Elle était mal placée pour lui faire des remarques concernant l'heure à laquelle il travaillait. Et elle ? Que venait faire la responsable du département développement comportemental androïde à une heure aussi indue ?
Ysée était encore pantoise, bloquée entre eux deux. Tristan ? Le Tristan à propos duquel elle charriait sa grande sœur ? Le chef de l'unité informatique ?
Cela étant, elle était fascinée par le surréalisme de la scène qui se déroulait devant ses yeux. Elle était dans les locaux de CyberLife France en mission commando avec sa sœur qui était en train d'objurguer avec culot son crush – très bel homme d'ailleurs, il fallait se l'avouer. Nell avait du goût – qui avait sans doute déjà réceptionné...
Ysée se réveilla tout à coup, les sens à nouveau tous connectés les uns aux autres.
« Reis ! Où est-il ?
_ Qui ? balbutia Tristan sans comprendre qui elle était, pourquoi Nell vrillait autant ni la situation dans son ensemble.
_ Le SP700 que j'ai renvoyé ici à tout à l'heure. Tu as déjà commencé quelque chose sur lui ? Où est-il ? intima Nell avec fermeté.
_ Il est chez nous. Vu que j'étais encore là, je l'ai branché pour préparer sa réinitialisation et... »
Ysée n'écoutait déjà plus et tourna un visage plein d'angoisse vers sa sœur qui ne chercha pas plus loin :
« Vingt-troisième étage. Les escaliers sont juste à droite. Fonce ! »
Son corps obéit plus vite que sa tête. Elle contourna Tristan et s'élança de toute sa vitesse pour se précipiter vers la porte ornée d'un dessin d'escaliers sans se soucier des injonctions qui lui ordonnaient de revenir.
Elle se rua vers les marches tandis que les lumières automatiques se déclenchaient au fur et à mesure de sa progression. Elle les grimpa deux par deux en s'aidant de la rambarde, le sang battant à ses tempes et la chaleur nimbant son corps dès le premier palier passé. Les étages étaient bien plus hauts que l'ascenseur ne le laissait présager. Quatre volées de marches pour un étage. Une chance de ne pas avoir été arrêtées plus bas.
Ysée assura son souffle et rassembla sa meilleure impulsion dans ses jambes. Qu'importe. Même si elle avait dû monter les vingt-trois étages à cloche-pied, elle l'aurait fait. Hors de question d'abandonner Reis.
Loin d'anticiper la quelconque présence d'autres employés, la jeune femme manqua de s'effondrer sur le seuil de l'étage quand elle se jeta contre la porte flanquée d'un énorme 23 encadré d'un hexagone. Elle se retrouva face à une enfilade de bureaux vides dotés de deux, trois, voire quatre écrans à faire pâlir les gamers les plus exigeants ainsi qu'une vue imprenable sur la ville qui s'illuminait petit à petit sous la lumière mourante du soleil couchant. À droite comme à gauche, elle ne vit rien.
« Reis ? Reis ! »
Elle courut le long des bureaux jusqu'à atteindre l'angle du mur et pila devant une porte en verre fumé dont l'opacité ne permettait pas de voir au-travers. Seule l'inscription gravée dessus donnait une indication : « Chambre Test ».
Ni une ni deux, Ysée poussa la porte et elle manqua un battement. Dans cette pièce aussi lumineuse qu'une salle d'hôpital avec son sol et murs blancs et sa lumière froide se trouvaient de part et d'autre de l'espace central deux énormes machines dotées de larges écrans sur lesquels défilaient des lignes de code par centaines. Chaque machine était bardée d'amas de fils noirs épais formant des racines étranges au cable-management à faire soupirer d'aise les toqués les plus atteints. Chaque rassemblement de fils était disposé avec précision et élégance afin de lier les ordinateurs à la plate-forme centrale surmontée de trois grands pieds amovibles et pliables qui servaient de support au corps reposant contre lui.
Retenu par les bras et à la taille, Reis était là, vêtu de son polo originel brodé de sa référence SP700. Sa tête reposait contre son torse tandis que sa LED oscillait de boucles lumineuses bleues et des câbles étaient branchés directement à l'arrière de sa tête.
Les entrailles d'Ysée se liquéfièrent.
« Reis ! »
Elle accourut vers lui et prit son visage entre ses mains.
« Reis ! Tu m'entends ? C'est Ysée ! Dis quelque chose ! »
Rien. Il demeurait aussi inerte qu'une magnifique poupée sans vie. Sa panique vrilla.
« Non ! Reis ! Je t'en prie ! appela-t-elle avec désespoir. Reste avec moi ! »
Elle n'arrivait plus à réfléchir. Elle ne savait pas quoi faire ni comment tout ce bazar fonctionnait. Était-il déjà trop tard pour lui ?
« Je sais que je peux me montrer assommante mais ce n'est pas le moment de t'endormir, débita-t-elle en regardant partout autour d'elle comme si la solution allait lui sauter aux yeux. Tu es plus fort que ça ! Bats-toi ! Ne perds pas ton essence ! »
Elle passa les bras de part et d'autre de la tête de l'androïde et se saisit de la liane de câbles agrafée dans son cou. Sa vue se brouillait de plus en plus sous les larmes et le stress. Cet endroit, ces machines, cet espace confiné, tout l'angoissait. Elle ne voyait qu'une salle de torture.
« Tu n'es pas une machine. Je me fiche de comment tu te considères. Alors, arrête de faire ton androïde et dis quelque chose. Allez ! »
Elle tira d'un coup sec sur les câbles et les laissa retomber par terre. Hélas, rien de plus ne se produisit. Reis n'avait pas la moindre réaction. Pire encore, sa LED avait cessé de clignoter.
Son souffle l'abandonna. Elle l'avait... tué ?
« N-Non... Ne t'en va pas. Je t'en supplie... »
Ysée le surveilla quelques instants encore, en vain. Il ne bougeait pas. Un gémissement se brisa dans un sanglot et elle l'enserra, la tête contre son épaule. Il était parti. Seul, comme s'il n'était rien. Elle l'avait traité comme un rien.
« Je... Je suis tellement désolée... Je n'ai pas ta perfection, je suis faible. Faible et avec des névroses. Je ne suis pas celle qu'il te faut pour t'aider. En fait, tu n'as besoin de rien car tu es déjà un être complet. Sauf que moi, j'ai besoin de toi, Reis. »
Elle serra les dents pour retenir la nouvelle vague de douleur qui lui retournait le cœur. Serait-elle donc condamnée à être privée du seul être qui avait su l'apprivoiser pour l'aider à évoluer ? Payait-elle sa passivité trop longtemps pratiquée ?
« Tu me manques, murmura-t-elle. Tes sourires discrets. Ta façon trop parfaite de t'exprimer. Tes tentatives d'humour. Ta façon de toujours veiller sur moi du coin de l'œil...
_ Je croyais que tu détestais ça ? »
La jeune femme sursauta comme si on l'électrocutait et elle recula d'un pas. Sa LED temporale se chargeant d'une douce lueur bleutée, Reis redressa la tête en papillonnant des yeux avant de se recentrer sur la figure pâle et striée de larmes qui le fixait comme s'il était un fantôme.
Quand ses lèvres s'ourlèrent sous ce sourire fondant bien à lui, Ysée comprit qu'il était toujours là.
« Tu vas me demander d'oublier les deux dernières minutes qui viennent de s'écouler, n'est-ce pas ? subodora l'androïde avec légèreté pour la dérider.
_ Et... tu ne peux toujours pas à cause de ta mémoire de cent-soixante-treize années humaines, j'imagine ? répondit l'humaine comme un automate.
_ Hélas. Il aurait fallu me garder encore branché pendant environ... »
Il s'interrompit quand Ysée lui sauta au cou pour l'étreindre comme un mourant se raccrochait à la vie. D'abord surpris, l'androïde lâcha les armes et ferma les yeux pour apprécier la chaleur qui l'enveloppait. Il percevait les battements du cœur de la jeune femme contre lui. Un cœur qui s'était affolé pour lui. Pour lui qui n'avait dernièrement guère mérité d'avoir été épargné de son triste sort.
« Ysée... souffla Reis d'une voix chargée. Je n'arrive pas à croire que tu sois là. Comment as-tu pu arriver jusqu'ici ?
_ Grâce à ta mère par procuration qui s'inquiète aussi beaucoup pour ses enfants de plastique », répondit une voix traînante d'homme non loin.
Ysée relâcha Reis et se retourna vers Tristan qui venait d'entrer dans la salle. Dans un réflexe défensif, elle fit barrage devant l'androïde, non sans toutefois avoir une furieuse crainte de s'évanouir sous le stress. Elle était entrée illégalement dans les locaux de la société la plus puissante au monde pour délivrer un prototype androïde déviant. Elle était en train de décéder sur place.
L'homme attarda son observation silencieuse sur les deux jeunes gens d'un air indéchiffrable puis sur le tas de câbles qui traînait par terre au lieu d'être fixé à la nuque du SP700.
« Intégrité programme ? finit-il par demander comme il aurait proposé à quelqu'un une part de gâteau.
_ Quatre-vingt treize pourcent. Tous les systèmes sont opérationnels », répondit Reis un peu tendu.
Tristan fit une moue impressionnée puis se dirigea vers l'ordinateur le plus proche de lui pour pianoter dessus. Quelques secondes plus tard, Reis remua puis se dégagea des bras mécaniques qui se retirèrent plus loin en arrière.
« Sacré sprint, siffla Tristan. On dirait que l'enthousiasme pour les androïdes est de famille.
_ Dit l'autre stakhanoviste qui reste jusqu'à pas d'heure au bureau », railla la voix de Nell.
Cette dernière apparut à son tour aux côtés de Tristan au grand soulagement d'Ysée qui n'était plus toute seule dans cette galère.
« Il va me falloir quelques compléments d'informations. J'ai juste compris qu'il ne fallait pas toucher au SP700. Tu tentes ta chance, jeune fille ? lança-t-il à Ysée avec un clin d'œil malicieux. Attention, je suis programmeur. Il me faut du binaire pour comprendre. »
Nell roula des yeux en croisant les bras sur sa poitrine tandis que son collègue s'amusait d'un discret sourire en coin. Ysée déglutit, un peu perdue. Avait-elle vraiment besoin de ça en plus ?
« Euh... Déjà, bonsoir, sourit la jeune femme dans un souci de préambule en espérant camoufler au mieux son malaise crispé. Je suis Ysée. La belle-sœur. »
Un ange passa pendant que Nell rougissait furieusement et Tristan remuait comme si ses vêtements le grattaient. Les joues en feu par son lapsus malheureux, Ysée se rigidifia et se reprit immédiatement :
« P-P-Petite ! La petite sœur ! De Nell.
_ T-Tu lui as parlé de nous ? demanda Tristan d'un air déconcerté en se tournant vers sa collègue.
_ Hein ? Vous êtes ensemble ?! »
Une cavalerie céleste défila à grand renfort d'orchestre divin sous le silence livide des deux désignés qui ne savaient plus où se mettre et de celle qui pensait décrocher le scoop de l'année. La honte pouvait-elle être encore plus cuisante qu'en cette seconde ?
Même après avoir réchappé à la mort, Reis ne se départait pas de sa constance factuelle et toussota un peu afin de ramener Ysée au centre du sujet. Elle papillonna et tenta de l'imiter.
« Hum, bon. Euh... Comment dire...
_ Reis est... Enfin, le SP700 est HPE, intervint Nell avant de soupirer face à l'air interrogateur qui lui répondit. Haut Potentiel Émotionnel.
_ Ce n'était pas censé être justement dans ses fonctions d'androïde de soutien traumatique ? fit remarquer Tristan en haussant un sourcil circonspect.
_ Pas à ce point, précisa doucement Reis en faisant un pas vers le groupuscule d'humains. C'est une longue histoire. »
Tous se rendirent à l'espace détente de l'étage afin d'être plus au calme pour discuter. Tristan était formel : ils étaient les seuls au palier informatique et il y avait peu de chance de trouver quelqu'un d'autre dans l'immeuble hormis les androïdes de ménage ; les deux plus grands acharnés de la société étant actuellement présents ici même.
L'ingénieur fut si ébahi par ce qu'il entendit de l'histoire de Reis qu'il n'y crut pas au premier abord. Ses lignes de code étaient la quintessence de la binarité et de la logique, il était impensable qu'un androïde perçoive des sensations ou émotions et encore moins qu'il agisse de son propre chef.
Démarra alors un intense et très long échange entre programmeur et machine sous forme d'une succession de questions portant sur les logiciels de Reis, l'état de paramètres extrêmement précis et autres détails que seuls des informaticiens spécialisés pouvaient comprendre. Soit tout ce que n'étaient pas Nell et Ysée qui peinaient à suivre jusqu'à en avoir la migraine du siècle. Tristan était autant transporté que son homologue psychologue face à la magnifique rareté que Reis représentait, si ce n'était plus.
« Et qu'en est-il de la variante aléatoire de ton...
_ Stop ! coupa Nell pour qui la perspective de se fracasser le crâne contre les murs apparaissait maintenant attrayante. La démonstration est terminée. L'ère de l'IA est révolue, place à la beauté naturelle de l'humanité. Reis est ce que les ignares sans cervelle vont appeler un déviant. »
Tristan oscilla entre elle et l'androïde avec l'incrédulité de quelqu'un qui attendait un complément d'information.
« Et il est hors de question de lui faire du mal, compléta Ysée avec ferveur. L'éteindre ou le réinitialiser reviendrait à le tuer. »
Nell devina aussitôt dans le regard de Tristan ce qu'il s'apprêtait à répliquer et s'empressa de prendre les devants :
« Ysée, Reis, partez devant. Je vous rejoins vite. »
Au regard interrogateur de sa petite sœur, elle répondit par un bref hochement de tête assuré.
Tandis que le deux jeunes gens s'éloignaient, Nell retint les protestations de son collègue en plantant des yeux incisifs dans les siens pour le dissuader de parler. Elle anticipait le clash du factuel contre le psyché et Reis et Ysée en avaient déjà assez bavé pour assister à ça.
Tristan ne cacha plus sa sidération une fois qu'il se retrouva seul avec Nell :
« Tu es complètement folle ! s'insurgea-t-il en veillant au volume de sa voix. C'est la prunelle des yeux de CyberLife. Le prototype que l'on doit présenter au gouvernement pour espérer que les actionnaires s'en mettent après plein les poches. Tu veux faire quoi ? Le faire disparaître comme un évadé de prison ? On risque très gros à...
_ Je sais, siffla-t-elle douloureusement face à cette situation impossible. Je sais qu'on ne peut pas le soustraire à CyberLife mais... Tu n'as pas vu cette lueur dans ses yeux ? Il a quelque chose ! Il...
_ Nell... Je sais à quel point tu es impliquée dans l'humanisation des androïdes mais le SP700 reste un produit. Un produit capital pour l'avenir de la boîte, de surcroît. »
Elle se mordit la joue, tiraillée. Non. Elle ne pouvait pas s'y résoudre. Si Reis était un être à part entière et qu'elle ne faisait rien, elle bafouerait tout ce en quoi elle croyait. Le Parlement avait bien reconnu définitivement en 2015 la nature d'être vivant et sensible des animaux. En quoi les androïdes différeraient-ils ? Sa conscience était déchirée.
Hélas, la seule solution qu'elle entrevoyait n'avait qu'une seule issue. Une impasse. Il n'y avait qu'un gain de temps à la clé. Nell serra les paupières de frustration et soupira.
« Le destin de Reis est peut-être tracé d'avance, je ne peux pas me résoudre à le perdre maintenant. Il est ce en quoi je crois depuis toujours. Tu dois m'aider.
_ Nell... soupira Tristan, dépassé.
_ Crois-tu qu'il soit possible de parachever le développement de Reis sans toucher son intégrité mentale actuelle ? Toi qui ne vis que pour les défis... »
Tristan marqua un silence de réflexion. Il avait été titillé sur son point faible. En effet, ce qui le faisait vibrer depuis toujours, c'était les challenges et la consécration qu'il avait toujours voulu atteindre quand il était enfant était un jour de programmer un androïde. Le summum de la complexité pour laquelle il vivait. Au prix d'immenses sacrifices d'ordre privé et social, il avait fait des pieds et des mains pour atteindre le sommet où il se trouvait aujourd'hui et être mis en présence d'un androïde déviant représentait pour lui à la fois une aberration et un mythe sur lequel sa soif de comprendre lorgnait avec envie.
La requête de Nell n'était pas évidente mais peut-être qu'il serait possible d'installer au SP700 sa mise à jour sans le réinitialiser complètement grâce à un by-pass protégeant sa zone déviante ; pour peu que ce dernier soit en mesure de l'indiquer avec précision et...
Il cilla et écarquilla soudain les yeux en comprenant.
« Quoi ? Tu veux présenter un prototype déviant à la commission finale ? Tu as craqué ? Tu vas nous...
_ La déviance se définit selon les normes de chacun, assena froidement Nell en se levant. Je vois en Reis l'évolution et Ysée voit une âme en lui. Si tu sais lire autre chose que des zéros et des uns et accepte que l'aléatoire est un glitch et non un malware, tu comprendras aussi.
_ Nell, je...
_ Je vais quitter le building avec Reis parce que "je me suis aperçue que je n'avais pas encore consigné tous ses problèmes liés à l'installation du profil 0". Je te recontacte d'ici quelques jours, le temps de me "rattraper". À toi de choisir. Tu as amplement le temps d'appeler la police ou de t'interroger sur l'équivalence de la vie entre un corps de chair et un corps factice. Bonsoir, Tristan. »
Nell attrapa son sac à main et s'éloigna sans se retourner ni prêter attention à l'air désemparé de Tristan qui ne savait quoi répliquer. Son cœur se serrait aussi fort qu'il s'emplissait d'agitation. Elle avait été acerbe avec lui. De toute façon, ils ne se comprenaient jamais. Lui le carré, elle l'exaltée. Le droit au but, la nuancée. Ils n'avaient même pas eu l'occasion de se reparler depuis ce retour de séminaire et voilà qu'elle le rendait complice d'une énorme fraude...
Sa respiration s'étriqua soudain. Qu'avait-elle fait ? Avait-elle en effet complètement déraillé ? Elle protégeait un déviant au nez et à la barbe de CyberLife avec un témoin en prime auquel elle demandait de devenir son complice.
Peut-être était-elle en train de commettre une folie. Peut-être s'était-elle engagée sur un chemin dont elle ne reviendrait pas. Elle avait même peut-être signé son propre renvoi qui avait aussi de quoi lui valoir des poursuites.
Les nuages qui pesaient sur sa poitrine furent chassés par un rai de lumière. Le profond soulagement qui illuminait les regards de Reis et d'Ysée l'un envers l'autre alors qu'ils attendaient devant l'ascenseur fut la raison dont Nell avait besoin pour se confirmer qu'elle avait fait le bon choix. Elle prendrait ces risques pour ça. Pour l'étincelle fragile de la vie qui scintillait de bonheur, même si elle n'était pas forcément qu'humaine.
J'aime beaucoup Nell et Tristan et j'espère que la dynamique secondaire qu'ils représenteront en parallèle vous plaira aussi.
Ouf, on a sauvé Reis. Pour l'instant. Laissons ce petit monde se remettre de leurs émotions.
