Tu vis encore dans ma tête
Jean Daspry ne rêve jamais. Maxime Bermont non plus. Raoul de Limézy, qui est un peu poète, entretient certes parfois ses douces songeries à l'ombre des taupières de quelque château provincial, le plus souvent en compagnie d'une femme élégante, à l'index de laquelle brille quelque grosse pierre, mais il ne fait pas de cauchemars.
Ces avatars se contentent de vivre, et ils dévorent le jour à pleines dents.
Arsène Lupin, lui, travaille la nuit. Car s'il ne s'employait pas à d'audacieux cambriolages, il risquerait de dormir. Et sur les murs de la chambre, sous les riches couvertures, jusqu'au travers de l'oreiller pourraient alors courir les spectres.
Clarisse, qui avait une vie devant elle, quand il n'imaginait de vivre qu'à son côté.
Raymonde, victime – l'horrible mot – d'un terrible accident – l'horrible mot !
Olga, qui n'a pas pu s'échapper... qui n'a pas échappé.
Et toutes les autres, et tous les autres.
Le plus terrible est son fils, donc il ne retrouve plus le visage.
Parfois, Achille l'entend crier. Le lendemain matin, il prépare du thé à la russe, avec du citron et beaucoup de sucre. Avant de servir le petit-déjeuner, il emprunte des fars dans la boîte du patron et se maquille des cernes, parfois un reste de Bandoline, pour se donner l'air d'être sorti danser la veille et de n'être rentré qu'aux aurores.
Lupin, qui connaît tous les secrets de la cosmétique, n'est jamais dupe. Mais il remercie pour l'intention, parce qu'il peut prétendre qu'il remercie pour le thé.
