Ce texte a aussi été écrit lors d'une Nuit du Forum francophone, à partir du mot danser.


La leçon de danse

« Ce projet scientifique m'intéresse au plus haut point, cher Zilote. Comme vous le savez, Naboo est extrêmement engagée dans l'approfondissement des relations multilatérales autour des valeurs que défend la République galactique. Nous recherchons la coopération pacifique à tous les niveaux : artistique, économique, diplomatique, institutionnel. »

Au cours du tête-à-tête, rien, dans le visage de son interlocuteur, ne suggérait à la reine Amidala qu'il creusait chacun de ses mots pour deviner le prix qu'elle allait mettre à cette coopération scientifique, dont il avait davantage besoin qu'elle. Pourtant, les membres de son espèce étaient connus pour la mobilité extrême des traits de leur visage. Les expressions des Zilh étaient si fluides et variées qu'elles déboussolaient même les étrangers établis de longue date sur leur planète – et elles leur avaient valu, aux siècles les moins tolérants de la galaxie, le surnom de « Grimaceurs ». Il avait fallu attendre le perfectionnement de l'intelligence artificielle pour que fût décortiquée la chorégraphie frénétique de leur physionomie ; le flux de leur pensée avait alors été dévoilé à tout l'univers. Les pirates Brof du système voisin avaient profité de cette incapacité subite à la dissimulation pour envahir la planète Zilha en déjouant toutes les résistances. Plus de vingt générations avaient été nécessaires pour que les Zilh apprissent la placidité, et nul n'avait mieux appris que leur calife actuel. Élu trois ans auparavant et très déterminé à marquer par son mandat le retour de Zilha sur la scène galactique, Zilote ne laissait jamais rien deviner de ses intentions, sous un dehors cordial en toutes circonstances.

La reine Amidala ne lui faisait pas précisément confiance, mais elle avait lieu de croire que les intérêts de leurs deux planètes, puissances anciennes d'envergure moyenne et de tradition pacifiste, se recoupaient plus qu'elles ne s'opposaient. Et si une coopération scientifique bilatérale autour de calculateurs d'un type nouveau permettrait d'apporter aux chercheurs et aux chercheuses de Zilha les financements dont ils manquaient cruellement, elle bénéficierait aussi à Naboo, dont la communauté savante perdrait à ne se concentrer que sur les beaux-arts, malgré son expertise incontestable dans ce domaine, d'ailleurs exportée grâce à de nombreuses commandes architecturales. La reine était donc encline à accepter la proposition, mais elle souhaitait en retirer un avantage très particulier.

« Nos engagements multilatéraux, poursuivit-elle, nous conduisent à nouer des liens dans tous les bras de la galaxie. Le mois prochain, par exemple, je me rendrai sur les anneaux de Woggue, pour un premier contact que j'espère fructueux. Je crois que vous vous êtes déjà rendu dans ce système vous-même, avec l'intention d'initier des échanges commerciaux ?

– En effet, répondit Zilote sans se départir de son sourire aimable.

– Ce qu'on dit de leurs danses est-il vrai ?

– Elles sont sublimes, absolument. Leur spectacle nous a bouleversé, ma délégation et moi.

– Et la maîtrise de ces chorégraphies est le préalable nécessaire à la conduite de toutes négociations avec eux, n'est-ce pas ?

– Eh bien, je ne suis un expert de cette civilisation, mais on m'a rapporté, comme à vous sans doute, que certains visiteurs balourds avaient déjà été servis à souper. Je n'ai heureusement pas eu à confirmer cette rumeur, mais je ne peux pas non plus dire que j'ai récolté des observations de nature à l'infirmer.

– Vous-même êtes donc parvenu à exécuter ces danses ? Comment les avez-vous apprises ?

– Notre espèce jouit d'une agilité qui a été notre grande faiblesse, mais qui peut opportunément se transformer en force. »

C'était une métaphore politique bien plus qu'une réponse, d'autant que les chorégraphies cérémonielles des Woggues étaient tenues secrètes et n'étaient jamais enregistrées : leur présentation aux visiteurs, qui devaient s'y intégrer de manière harmonieuse, constituait un test terrifiant, sur la seule base duquel cette espèce jugeait de l'intellect de leurs hôtes, et du respect qui leur serait accordé. Très peu de systèmes extérieurs osaient entrer en contact avec les Woggues pour cette raison, et les coulisses de l'éclatante et nouvelle réussite de leur coopération avec les Zilh baignaient dans un mystère que les renseignements de Naboo, ni généraux ni spéciaux, n'avaient pu éclaircir. L'énigme intriguait la reine Amidala, mais ce n'était pas sa question la plus pressante.

« Voudriez-vous m'apprendre ces danses ? »

Il se révéla que, en échange d'une subvention suffisante pour couvrir les frais de cinq laboratoires sur deux ans, le calife de Zilha était parfaitement disposé à se faire marcher sur les pieds à de multiples reprises pendant une très longue et complexe leçon de danse. Les mâles de son espèce avaient pourtant des pieds préhensiles et extrêmement sensibles – en outre, ils en avaient trois.

Il se révéla aussi que Zilote était un bon professeur, et la délégation officielle de Naboo menée par la reine Amidala connut un mois plus tard un triomphe historique chez les Woggues, qui marqua le début d'une ère nouvelle pour les deux planètes.

Ce que la reine ne révéla jamais à personne, en revanche, c'était qu'elle avait fait confiance à un chef planétaire étranger en exercice pour acquérir une compétence dans un domaine où le moindre faux-pas aurait pu conduire à sa mort ou, pire encore, à un affrontement militaire sanglant. La sénatrice Amidala que Padmé fut par la suite aurait pu l'avouer en confidence d'oreiller à son époux secret, qui aurait apprécié son audace, si seulement il n'avait pas été d'un caractère trop jaloux pour goûter l'image de sa future femme dans les bras d'un autre – certes couverts de plumes mais toutefois musclés. Quand on est politicienne, il y a des souvenirs que l'on garde pour soi : heureusement que de temps en temps certains sont savoureux.