Merci pour vos reviews, elles m'ont vraiment fait plaisir ! J'espère que la suite vous plaira tout autant, et ne vous décevra pas. Sur ce, bonne lecture ! :)


Partie 1 : Présentations

Ce n'était pas la première fois qu'elle séjournait à Londres. Ce n'était pas non plus le premier bal auquel elle allait. Cependant, c'était le premier qui compterait autant. Elle et sa sœur Jane faisaient leur entrée dans la haute société. Jane, au bras de son nouveau mari : M. Bingley. Toutes deux allaient être présentées au roi et à la reine. Jane comme l'épouse de M. Bingley Elizabeth comme la nouvelle Miss Bennet.

La Saison s'ouvrait sur un temps clément. Le printemps était là et la nature prenait peu à peu vie, même dans une ville telle que Londres. Elizabeth et Jane regrettaient presque de n'être pas à Longbourn pour profiter de cette renaissance. Elizabeth, surtout, car elle avait toujours été proche de la nature. Elle aimait se balader à travers elle pendant des heures, à la recherche de ses plus belles merveilles. Elle s'y sentait bien, et paisible. Si un jour elle se mariait, elle espérait pouvoir résider le plus souvent en province. En attendant, elle ne pouvait regretter son choix d'être venu à Londres. Elle n'en avait eu que trop peu l'occasion, et les circonstances étaient alors tout autres. Elle allait enfin pouvoir savourer avec sa sœur, les bonheurs de la Société. Elle avait hâte de pouvoir assister à son premier Opéra, ou à sa première pièce de théâtre – surtout qu'elle partagerait cette expérience avec Jane. Elle avait conscience de sa chance, et savait qu'elle aurait tout le temps, l'été venu, de profiter des joies que lui procuraient la nature et ses bienfaits.

Pour le moment, elle restait concentrée sur la soirée à venir. Elles avaient passé une grande partie de l'après-midi, avec Jane, à se parfaire pour être le plus présentable possible. Et au regard que M. Bingley lança à sa sœur lorsqu'elles descendirent enfin pour se mettre en chemin, Elizabeth songea qu'elles avaient au moins à moitié réussi.

– Jane… Vous êtes resplendissante.

Un sourire lui mangeait le visage alors qu'il tendait sa main à sa femme. Celle-ci rougit au compliment et le remercia tout en déposant sa main dans la sienne. M. Bingley se tourna alors vers Elizabeth.

– Vous êtes tout en beauté également, Miss Bennet.

– Merci, M. Bingley.

Elle savait qu'il disait cela pour être poli. Il n'avait de regards que pour sa sœur, et semblait avoir du mal à en détourner les yeux. Il fallait dire que Jane était vraiment en beauté, ce soir. Elle avait revêtu une robe commandée exprès pour l'occasion. Les deux jeunes femmes étaient passées chez la modiste dès l'arrivée d'Elizabeth à Londres, pour commander la tenue de Jane. Elles avaient fait appel à l'une des meilleures modistes de Londres, qui leur avait montré ses patrons. Une fois le modèle choisi et commandé, il n'y avait plus eu qu'à attendre et faire les derniers arrangements de la robe pour qu'elle sied parfaitement à Jane. La robe était verte émeraude, ce qui faisait ressortir le regard de la jeune femme et ne soulignait pas seulement sa taille, mais également son nouveau statut. La matière en était riche et les ornements délicats. Jamais elle n'avait porté une tenue aussi belle. Ses cheveux étaient quant à eux remontés sur sa nuque en une coiffure élégante et son cou, orné d'un somptueux bijou. Si elle n'avait pas été déjà mariée, elle aurait eu de nombreux prétendants ce soir-là. Elizabeth n'en doutait pas un seul instant.

Pour sa part, la jeune femme portait une tenue un peu plus simple, bien que pas moins coûteuse. Sa sœur avait absolument insisté pour qu'elle se choisisse elle aussi une robe. Elle avait argué que cette soirée était importante, et qu'elle devait se mettre en valeur. Devant le refus de sa sœur qui n'avait pas de quoi s'offrir une telle robe, Jane avait insisté : elle pouvait quand même bien gâter sa sœur ! C'était elle qui lui offrait cette robe avec l'argent que lui donnait son mari chaque mois, pour ses dépenses personnelles. C'était trop pour la fierté de Miss Bennet, mais son ainée avait eu raison d'elle en affirmant qu'elle ne saurait porter une telle robe si Elizabeth n'en avait pas une également. Elle s'était donc laissée convaincre et avait remercié chaudement sa sœur pour sa générosité. Elizabeth trouva rapidement de quoi la satisfaire, et c'est le cœur plus léger d'avoir déniché leur bonheur en matière de robe, que les deux sœurs rentrèrent ce jour-là.

Bien qu'elle ne s'estimait pas aussi jolie que Jane, Elizabeth était finalement contente d'avoir accepté le cadeau de sa sœur. Ne serait-ce que pour l'émerveillement qu'elle pouvait lire dans le regard de M. Bingley, face à la beauté de son épouse. Il aurait été dommage que Jane se prive par solidarité. Elle l'aurait sûrement fait et Elizabeth ne l'aurait pas supporté. Elle devait de plus avouer être ravie de sa propre tenue. Si Jane y avait été ainsi, et elle avec l'une de ses tenues, elle aurait eu l'air bien ridicule. Elle n'était certes pas aussi époustouflante que Jane, mais elle était tout de même très présentable. Elle avait d'ailleurs eu un peu de peine à reconnaître l'image que lui renvoyait la glace d'elle-même. Jamais elle n'avait été aussi élégante de toute sa vie. Sa robe était d'un bleu saphir, plus simple que celle de sa sœur, mais pas moins raffinée. De la dentelle venait l'orner aux épaules et dans le bas de la robe. Quant à sa coiffure, elle avait également relevé ses cheveux. Elle n'avait cependant pas utilisé de rubans, préférant décorer ses cheveux de délicates perles. Son cou, lui, était nu de tout bijoux. Jane avait bien proposé de lui prêter l'un de ses colliers, mais elle avait refusé, plaisantant qu'elle avait suffisamment de perles dans les cheveux pour ne pas avoir à en mettre autour du cou.

Le voyage fut court jusqu'à la salle de réception. M. Bingley les aida toutes les deux à descendre, se montant galant, et c'est une femme à chaque bras qu'il avança.

– Me voilà bien chanceux, et bien entouré !, plaisanta-t-il.

Elles rirent toutes les deux, et Jane rougit un peu.

– C'est nous qui sommes honorées, mon cher Charles, répondit Jane.

Ils entrèrent dans la salle. Les nouveaux arrivants qui n'étaient pas déjà connu de la Cour, devaient se présenter devant le roi et la reine. Aussi M. Bingley se dirigea-t-il avec sa femme et Miss Bennet, vers la petite queue qui attendait de pouvoir se présenter, chacun leur tour, à leurs Majestés. Elizabeth et Jane étaient stressées à l'idée de devoir s'exposer aux regards de tous, et notamment des personnes royales. Bientôt, ce fut leur tour de se présenter. Elizabeth lâcha le bras de M. Bingley pour éviter tout malentendu :

– M. Bingley, Mme Bingley, et Miss Bennet.

Le couple marié avança, Elizabeth à la gauche de sa sœur. Elle se sentit rougir en sentant tous les regards se tourner vers elle. Redressant les épaules, elle se tint droite, le menton levé. Elle tenait de cacher sa nervosité derrière un masque de sérénité et elle dut faire appel à tout son courage pour ne pas que ses jambes tremblent. Elle espérait ne pas se couvrir de ridicule face à toute l'assemblée. Elle fut en tout cas contente de pouvoir partager l'attention avec sa sœur et M. Bingley. D'autant plus que la beauté de son aînée lui éviterait d'avoir trop de regards sur elle. Les trois jeunes gens s'inclinèrent alors devant le Roi et la Reine, prononcèrent quelques mots de politesse que leurs Majestés leur retournèrent, puis laissèrent la place aux personnes suivantes. Ce fut finalement moins terrible qu'Elizabeth l'aurait cru, et cela passa en un éclair. C'était déjà fini. Toute la tension qu'elle avait ressentie se relâcha soudain, et ses jambes se mirent alors à trembler. Elle dut s'appuyer un instant à une table à côté d'eux, pour ne pas s'écrouler. Elle échangea alors un sourire soulagé avec Jane. C'était passé. Elle avait du mal à le réaliser. Elles étaient toutes les deux officiellement présentées à la Cour. Et c'était tant mieux. Elizabeth ne voulait revivre cela pour rien au monde. Elle avait certes ressenti beaucoup d'émotion, mais devenir ainsi l'attention centrale n'était pas ce qu'elle aimait le plus.

Le stress passé, les deux sœurs qui s'étaient montrées depuis leur départ, peu loquaces, discutèrent avec enthousiasme devant un M. Bingley étonné. Il prit ce changement soudain de comportement avec amusement, puis leur proposa de les présenter aux autres convives. Déjà parce qu'il avait hâte de présenter Jane comme étant sa femme, aux gens qu'il appréciait. Ensuite parce que Jane et Elizabeth ne connaissaient sans doute personne dans la salle, et c'était son devoir de les introduire auprès de ses connaissances. Cela permettrait de plus à Elizabeth de trouver des cavaliers. Et peut-être… bien plus. Bien que Bingley ne songeait pas à cela, Jane y avait pensé, elle. Quant à Elizabeth, même si elle ne l'aurait jamais avoué, elle observait les hommes présents autour d'elle et ceux que M. Bingley lui présenta. Elle tenta de retenir certains noms, mais il M. Bingley avait tant d'amis, qu'elle finit par abandonner l'idée même d'essayer de les retenir. Alors qu'Elizabeth avait l'impression d'être présentée à toutes les personnes de la salle sans exception, elle se demanda si un gentleman lui correspondrait, parmi ceux disponibles. Elle devait avouer en avoir trouvé certains très beaux, d'autres bien aimables, et d'autres encore, à la fois beaux et aimables. Elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de faire trop la difficile, mais elle l'était pourtant assurément. Elle en avait conscience mais ne pouvait se résoudre à se contenter de peu. Ce serait tout, l'amour compris, ou rien. C'est pourquoi elle avait refusé la demande en mariage de M. Collins. Jamais elle n'aurait pu se voir liée à lui. Le pauvre homme n'avait pas mauvais fond, mais elle le méprisait trop pour ne songer ne serait-ce qu'un instant à être sa femme. Elle ne comprenait même pas comment il avait pu penser un seul instant à la demander en mariage. Ils étaient totalement incompatibles.

Elizabeth recherchait chez son partenaire futur, un respect mutuel, de bonnes manières, et surtout, un esprit assez vif pour qu'elle ne s'ennuie pas. Elle ne pourrait cependant se contenter d'un mariage de raison. Depuis l'union de Jane et M. Bingley, elle ne désirait que plus ardemment vivre la même chose. Elle voulait un mariage d'amour. Même si elle savait qu'elle aurait bien du mal à trouver un gentleman qui puisse répondre à tous ces critères. D'autant plus que même si elle ne recherchait pas une vie gouvernée par le luxe ou bien un haut statut social, elle ne pouvait pas épouser un gentleman sans un sou. N'ayant elle-même qu'une dot très faible, si ce n'était inexistante, de quoi vivraient-ils ? D'amour et d'eau fraiche ? Si cela avait été possible, elle aurait été ravie que M. Wickham la demande en mariage. Elle aurait sans doute pu tomber amoureuse de lui. Elle était déjà rapidement tombée sous son charme, et elle l'appréciait beaucoup. Malheureusement, M. Wickham était infortuné. À cause d'un certain...

– Bingley. Mme Bingley. Miss Elizaebth…

Arrachée à ses pensées, Elizabeth sursauta et se retourna vivement au son de cette voix grave et profonde. Elle l'avait peu entendue, et n'avait pas été pressée de la réentendre aussi vite.

– Darcy ! répondit l'ami de celui-ci, visiblement ravi de le voir.

Elizabeth ne comprendrait jamais l'affection que M. Bingley pouvait porter à M. Darcy. Ils étaient tellement opposés ! Certes, les contraires s'attiraient, mais M. Darcy était tellement fier, et son caractère devait être bien affreux pour avoir traité M. Wickham de la sorte.

– Je vous pensais à Pemberley. Cela me fait plaisir de vous voir.

Le coin de la lèvre de Darcy frémit et Elizabeth se demanda s'il ne venait pas de sourire.

– M. Darcy, reprit Jane, non sans enthousiasme. C'est une belle surprise de vous voir. Je n'osais espérer apercevoir un visage connu parmi tous ces gens.

Elizabeth était quant à elle troublée de voir apparaître cet homme pile au moment où elle y pensait, et cela se lisait dans son regard. Aussi mit-elle un moment à constater qu'elle en avait oublié de rendre son salut à l'ami de M. Bingley. Avec un temps de retard, elle inclina légèrement la tête et se contenta d'un simple :

– M. Darcy.

Elle fut satisfaite de voir que sa voix ne tremblait pas. Elle releva le menton, fière, et le fixa droit dans les yeux. Elle fut étonnée de voir qu'il la regardait – bien que d'un air d'indifférence – et ne détournait nullement son regard.

– J'hésitais sincèrement à venir, répondit-il finalement. Je suis arrivé à Londres hier, et je ne suis pas très friand de ce genre de festivités.

– Mais vous êtes venu !, s'enthousiasma Bingley. Vous avez bien fait, cela promet d'être une belle soirée.

Darcy reporta son attention sur son ami, au grand soulagement d'Elizabeth qui avait bien du mal à supporter sur elle ce regard qu'elle jugeait froid. Il ne répondit cependant pas, même si son expression parlait pour lui. Aussi Elizabeth demanda-t-elle, s'étonnant elle-même :

– Pourquoi vous infliger une soirée que vous auriez voulu et pu éviter, M. Darcy ?

Son ton n'était pas provocateur, mais son regard, toujours fixé sur lui, l'était un peu. Elle avait de plus un sourire amusé sur les lèvres.

– Je me le demande encore, Miss Elizabeth.

Elle nota qu'il l'appelait toujours Miss Elizabeth, alors que l'usage voudrait que ce soit à présent Miss Bennet. Elle garda cependant la remarque qui lui brûlait les lèvres, pour elle. Tout en parlant, Darcy la fixa des yeux et ne détourna pas le regard une fois les mots prononcés. Son regard la brûla. Elle n'aimait pas cet air d'arrogance et de hauteur qui ne quittait pas ses traits, quand il n'exprimait pas une indifférence totale.

– Il n'est peut-être pas trop tard pour fuir.

– Miss Bennet !, s'exclama alors M. Bingley, amusé par cette conversation. Ne l'incitez pas à partir, vous allez finir par le convaincre ! Il est déjà bien assez rare comme cela que M. Darcy se joigne aux festivités.

– Je suis sûre que vous passerez malgré tout une agréable soirée, M. Darcy, ajouta Jane. Il y a mille et un divertissements possibles. La danse, les discussions, les jeux, les nouvelles rencontres que l'on fait…

Elizabeth sourit intérieurement devant tant d'optimisme. Darcy n'avait dansé avec presque personne, lors des festivités du mariage de Charles et Jane, si ce n'était avec les sœurs du premier. Il l'avait de plus ignorée royalement, sans même lui proposer une danse. Elle avait certes été soulagée de ne pas avoir à subir cela, mais tout de même ! Ce n'était pas une conduite digne d'un gentleman.

– Oh Jane, je suis sûre que M. Darcy prendra plaisir à danser ce soir. Il y a de nombreuses dames de la haute société.

Le sous-entendu était clair. De par son arrogance, le maître de Pemberley ne pouvait fréquenter des personnes qu'il considérait comme « inférieures », et encore moins danser avec elles. Car c'était bien la raison pour laquelle il n'avait invité personne à danser lors du mariage, à l'exception des sœurs de Bingley, non ?

Darcy resta imperturbable à sa remarque. Seul son regard s'anima d'une étrange lueur et elle en ressentit un frisson désagréable.

– Vous avez sans doute raison, Miss Elizabeth. Accepteriez-vous d'ailleurs de me réserver vos deux premières danses ?

Elle ne s'attendait pas à une telle réponse et en fut presque choquée, bien qu'elle dissimulât sa surprise avec habilité. Le ton de Darcy était neutre et elle ne l'en détesta que davantage. D'autant plus qu'il répondait superbement à sa pique. Charles et Jane assistaient silencieusement à cet échange, l'un amusé, l'autre inquiète. Ils échangèrent des regards entendus et n'osèrent interrompre leur discussion.

– Oh, je ne sais pas si j'en suis digne. Je ne fais pas partie de la haute société.

Son ton était innocent, mais elle affichait un sourire mutin. Elle savait que ses paroles n'étaient pas très correctes. Elizabeth s'était pourtant juré de bien se comporter en Société. Elle voulait être irréprochable et faire honneur à sa famille et à sa sœur, ainsi qu'à M. Bingley. Mais elle détestait Darcy et son arrogance. Darcy et son autosuffisance. Et elle espérait encore pouvoir éviter ces danses.

– Votre présence ici prouve pourtant le contraire. Et vous n'avez rien à envier aux autres, croyez-moi.

À nouveau, sa réponse la prit au dépourvu. Elle était prise à son propre piège. Elle afficha un sourire, déterminée à ne pas se montrer vaincue :

– Voulez-vous dire par là que mon imposture est réussie ?

Darcy sembla décontenancé par cette réponse et elle s'en réjouit. Elle avait enfin réussi à le déstabiliser.

– Je souhaitais simplement vous complimenter.

Il y eut un silence gêné que même les Bingley n'osèrent interrompre. Ce fut finalement Darcy, au grand étonnement des trois autres, qui reprit la parole :

– Dois-je comprendre que vous ne désirez pas danser ce soir, Miss Elizabeth ?

Seulement avec vous…, songea-t-elle. Elle répondit à contrecœur :

– Oh non, j'accepte votre invitation avec plaisir, M. Darcy. Bien qu'elle soit quelque peu tardive.

Elle savait bien qu'elle se desservait à être aussi insolente dans ses paroles. Elle s'en voulut de se couvrir toute seule de ridicule, d'autant plus que ce soir, le comportement de Darcy semblait irréprochable. Il avait été très aimable et bien plus intelligent qu'elle. Les danses n'étant pas encore commencées, elle ajouta :

– Pardonnez-moi, je vais me rafraichir un peu.

Elle avait bien besoin d'un grand verre d'eau. Ou bien même d'un verre de vin, à vrai dire ! La situation était ironique : elle proposait à M. Darcy de fuir la soirée, et c'était finalement elle qui se mettait à fuir le maître de Pemberley…

Elle s'éloigna, accompagnée de Jane qui avait préféré laisser les deux hommes discuter entre eux. À peine furent-elles suffisamment éloignées pour ne pas être entendues, que Jane réprimanda sa sœur.

– Oh Lizzie ! Que vous a t'il pris de parler ainsi à M. Darcy ? Il a été si charmant avec vous ! Il ne méritait certainement pas un tel traitement.

– Peut-être, mais il m'insupporte, répondit Elizabeth. J'ai conscience de m'être couverte de ridicule, et j'en suis désolée, Jane… Mais M. Darcy est tellement… tellement arrogant !

– Je ne l'ai pas trouvé arrogant, ce soir. Il semble certes un peu fier, mais il a montré qu'il était un vrai gentleman.

– Oh Jane… Cela est vrai et je lui pardonnerais facilement sa fierté s'il n'eût blessé la mienne.

– Il s'est pourtant bien rattrapé, en vous invitant à danser.

– J'aurais préféré qu'il ne le fasse pas…

– Lizzie ! C'est un grand honneur qu'il vous fait.

Elle retint un soupir et une lueur triste passa dans son regard.

– Cela ne suffit pas. Il y a des choses qui ne peuvent être rattrapées, songea-t-elle à haute voix, et l'image de M. Wickham et de son sourire charmeur s'imposa à son esprit.

– De quoi parlez-vous, Lizzie ? Je ne vous suis plus.

– De rien. Goûtons plutôt ces délicieux amuse-bouches !


Darcy, de son côté, n'arrivait pas à comprendre le comportement de la jeune femme. Son impertinence le laissait outré et il regrettait presque de l'avoir invité à danser. Presque… car l'envie irrépressible de partager un tel moment avec elle avait été plus forte. Et puis, il devait avouer que cela le changeait. Pour une fois qu'on ne cherchait pas à tout prix à lui plaire. Si l'impertinence d'Elizabeth l'offensait, elle lui plaisait également. Sans doute aurait-il pu lui pardonner aisément sa fierté, si elle n'avait pas blessé la sienne…

– Eh bien, Darcy, il semble que Miss Bennet vous en veuille encore – à juste titre – de ne pas l'avoir invitée la dernière fois. Vous avez bien fait de réparer cet affront.

– Étant donné comment elle a accueilli mon invitation, je n'en suis plus si sûr.

– Mais si ! Et vous verrez, Miss Bennet est une excellente danseuse, tout comme Jane. J'ai pu m'en apercevoir à plusieurs reprises. Vous apprécierez ce moment. Et si ce n'est pas le cas, il y a de nombreuses jeunes femmes qui sont prêtes à satisfaire tous vos désirs.

Et ce disant, il lui adressa un clin d'œil amusé et complice. Darcy retint un grognement.

– Je n'ai pas besoin que vous me le rappeliez.

C'était justement la raison qui l'avait fait hésiter à venir. Il se sentait comme un poisson qu'on cherchait à pêcher. Les jeunes femmes le regardaient pleine d'espoir, et cherchaient par tous les moyens à le charmer. Leurs mères n'étaient pas sans reste, et désiraient encore davantage que leurs filles, voire celles-ci se marier à un « bon parti ». Car c'était ainsi qu'on le voyait. Il était le maître de Pemberley et possédait dix mille livres de rentes. Un peu plus à vrai dire, mais il n'allait certainement pas rétablir la vérité. Entre les femmes qui tentaient leur chance et les mères qui faisaient tout pour le piéger avec leurs filles, Darcy pouvait difficilement se laisser aller aux plaisirs d'une telle soirée. Même son masque froid et hautain ne parvenait pas à venir à bout des jeunes femmes les plus motivées, et de leurs mères qui l'étaient encore plus. Aussi évitait-il en général la danse, et restait-il à l'écart, à converser avec des hommes. Pourtant, Elizabeth Bennet l'avait tenté. Réparer son affront de la fois précédente n'était qu'une excuse. Déjà alors, il avait eu envie de danser avec elle. Il l'avait trouvée très jolie, et avait particulièrement admiré son regard, qu'il avait trouvé captivant. Quand il s'était aperçu qu'elle avait en plus de sa beauté, beaucoup d'esprit, il n'en avait été que plus charmé. C'était pour cela qu'il avait d'ailleurs gardé ses distances. Mieux ne valait-il pas tenter l'inclination qu'il pouvait avoir pour elle. Sa sœur était certes mariée à M. Bingley, mais si cela leur apportait la richesse, le rang ne suivait pas. Son ami était un commerçant lui était le maître de Pemberley et possédait la moitié du Derbyshire. On s'attendait à ce qu'il se marie avec un nom important et une dot élevée.

Et pourtant, ce soir-là, il s'était laissé tenter… C'était M. Bingley qui lui avait écrit qu'il se rendrait au bal d'ouverture avec sa femme, et Miss Bennet. Il devait avouer que sa propre présence devait beaucoup à celle de la jeune femme. Même s'il ne se l'avouerait jamais. Il avait été curieux de voir Elizabeth Bennet dans le milieu de la haute société, qui était bien différent de celui de la campagne. Et il n'avait pas été déçu en la voyant apparaître et se présenter au roi et à la reine. Sa beauté, pourtant naturelle, lui avait coupé le souffle. Mais il n'avait pas été le seul à la remarquer. Des gentlemans, à ses côtés, s'étaient fait la remarque entre eux qu'il y avait de « bien belles jeunes femmes célibataires, cette année ». Bien qu'il n'approuvait pas qu'on puisse exprimer une telle pensée à voix haute, en de tels termes, il était d'accord. Dans sa robe bleue, Elizabeth était époustouflante. Elle ne portait pas de bijoux, si ce n'était les perles dans ses cheveux, et c'était comme si elle se moquait ainsi de toutes ces femmes qui s'ornaient au point que ça en devenait ridicule. On se demandait comment elles pouvaient supporter un tel poids de bijoux, sans même vaciller. M. Darcy ne pouvait donc être qu'admiratif de sa beauté. Sa coiffure était elle aussi ravissante et la mettait en valeur, découvrant une nuque plus qu'attirante. Elle n'était que simplicité et élégance. Même les matières riches utilisées pour sa robe soulignaient le naturel de la jeune femme tout en mettant en valeur ses courbes. Il l'avait trouvé jolie et pleine de charme, au mariage des Bingley. Ce soir, il la trouvait éblouissante. Et c'était lui qui était charmé.

Il était donc bien dommage que son comportement lui soit si préjudiciable.

Darcy avait en effet encore du mal à digérer les paroles de Miss Elizabeth à son égard. Il l'appelait toujours ainsi, alors que la convenance voudrait qu'elle soit à présent Miss Bennet. Mais il aimait trop prononcer son prénom pour s'en priver pour le moment. Ses paroles lui restaient cependant en travers de la gorge. Elle l'avait provoqué ouvertement, l'avait presque insulté, et s'était même moqué de lui. Il avait très bien compris son sous-entendu sur le fait qu'il ne dansait qu'avec des personnes de haut rang. Pourtant, ce n'était pas dans son intention. La vérité était tout autre : il n'aimait tout simplement pas danser avec des étrangers. Et le mépris ou l'orgueil n'avait rien à voir là-dedans. À vrai dire, il n'aimait pas du tout cette activité, à moins que ce ne soit avec une partenaire dont il était proche. Autant dire qu'à ce jour, il n'y avait qu'avec sa sœur Georgiana qu'il prenait plaisir à danser. Il ne portait pas beaucoup de monde dans son cœur, et peu nombreuses étaient les personnes qui pouvaient y entrer.

– Darcy, m'écoutez-vous ? J'ai l'impression de parler dans le vide !

Il cligna des yeux comme pour revenir à la réalité. Il s'était laissé emporté par ses pensées, et en avait négligé son ami Bingley.

– Pardonnez-moi. Que disiez-vous ?

– Je vous parlais de M. Jenkins. Le pauvre homme a perdu un grand nombre d'argent dans les bateaux qui ont coulés la semaine dernière. L'affaire était risquée, mais tout de même, il a manqué de chance, avec cette tempête. Peut-être aurait-il mieux encore valu que…

Il s'interrompit en voyant que Darcy ne l'écoutait à nouveau plus. Son regard fixait une direction bien précise.

– Enfin, peu importe. Dîtes-moi plutôt l'objet de vos pensées, car il doit être bien agréable pour que vous vous y perdiez ainsi !

Darcy tourna un regard surpris vers son ami.

– L'objet de mes pensées ?

– Oui, vous aviez le regard dans le vide. Et j'ai bien de la peine à garder votre attention ! Est-ce moi qui vous ennuie, Darcy ?

Bingley souriait, amusé.

– Je ne pensais à rien de particulier, répondit-il.

Ce fut son regard qui le trahit. Il se dirigea à nouveau vers les deux jeunes femmes, comme s'il ne pouvait s'en empêcher. Ce qui était le cas. Il ressentait le besoin de poser ses yeux sur elle, même si cette vue le brûlait. Il avait encore du mal à comprendre ce qu'il ressentait.

– Rassurez-moi, ce n'est pas ma femme qui est l'objet de vos pensées ?, plaisanta Bingley, ayant suivi son regard.

– Nullement. Je la surveille simplement pour vous. Elle a beau vous être mariée, cela ne découragera pas les plus audacieux de l'approcher, étant donné sa beauté.

– Douteriez-vous encore de ses sentiments à mon égard, à présent que vous la connaissez ?

– Non. Mme Bingley vous aime réellement, je suis forcé de le constater. Seulement, j'ai noté qu'elle était tout aussi naïve et généreuse que vous, Bingley. Je ne voudrais pas voir la femme de mon ami être importunée par des hommes sans conscience.

– Je vous remercie de votre générosité, Darcy, répondit Bingley sansse vexer pour un sou. Approuveriez-vous finalement ce mariage ?

– Disons que je le comprends. Et que je le respecte. Mes réserves sur votre choix de l'épouser étaient justifiées. N'ayant pu me déplacer moi-même à l'époque, je ne connaissais d'elle que ce que vous m'en aviez écrit. Vous avez cependant fait le bon choix.

– Je suis content de vous l'entendre dire, mon cher ami. Je dois avouer que vos doutes m'ont fait beaucoup hésiter, même si vous n'étiez alors pas sur place pour pouvoir correctement juger de la situation. J'ai même manqué renoncer, et suivre vos conseils. Je ne regrette pas aujourd'hui de m'être fié à mon cœur.

Darcy acquiesça.

– Ce n'était pas le choix le plus raisonnable, mais c'était le seul que vous puissiez faire pour être heureux, reconnut-il.

– Oui. Et elle me rend heureuse.

– C'est le principal.

Il aurait aimé avoir la liberté de se marier à une femme qui lui était inférieure de par la richesse et la réputation. Il avait beau être fier de son nom, il regretta soudain des barrières que son honneur l'obligeait à mettre, entre lui et les autres. Et surtout entre lui et une certaine jeune femme.