«C'est pas moi…»

Ces quatre mots, Derek n'étaient pas prêts à les oublier. Ils revêtaient à ses yeux une importance capitale. Non seulement ils lui prouvaient que Stiles était en capacité de parler mais que quelque chose le bloquait, mais ils lui donnaient également un indice conséquent concernant ce qui le torturait – et qui était probablement à l'origine de sa présence dans cette ville. Son départ de Beacon Hills. Sa situation étrange concernant la meute – un fait relayé par cette alpha particulière.

Assis sur le canapé du salon, Derek ne cessait de ressasser ces quatre mots. Stiles dormait toujours – il semblait avoir un sommeil agité et son rêve ne lui paraissait pas des plus présents. Mais comme il ne bougeait qu'à peine et ne partait pas dans quelque crise incontrôlable, le loup-garou n'intervenait pas. A la place, il réfléchissait et tournait ces quatre mots dans tous les sens, avec l'espoir d'en percer tous les secrets. Il le fallait. Puisque Stiles n'arrivait pas à parler lorsqu'il était éveillé et qu'il semblait bien traumatisé pour l'instant, Derek avait l'intention de lui laisser tout le temps dont il pouvait avoir besoin. Stiles était abîmé… Mais pas seulement physiquement et c'était peut-être bien de ses blessures psychiques dont il fallait sans doute se méfier le plus. Ces plaies-là étaient souvent les pires.

Mais les bruits que Stiles fit malgré lui le perturbèrent. Il gémissait. Il gémissait d'une telle manière que son cauchemar semblait l'atteindre physiquement, lui faire vivre un enfer à peine supportable. Derek ferma les yeux et se pinça l'arête du nez avant de serrer le poing. L'envie d'intervenir et de le réveiller le démangeait, mais il savait parfaitement à quoi il s'exposait et surtout, dans quelle situation il mettrait l'hyperactif. L'ancien alpha le connaissait suffisamment pour savoir qu'une fois qu'il saurait que Derek avait été témoin de cette faiblesse-là, il se refermerait comme une huître. Or, c'était tout sauf l'effet recherché. Il n'y avait qu'en l'aidant à s'ouvrir que l'on réussirait à faire la lumière sur toute cette histoire, et démêler le vrai du faux…

Cependant, Derek eut réellement du mal à se retenir, si bien qu'il céda à une chose. Moins d'une minute s'écoula entre le moment où il se leva et celui où il se laissa tomber sur la chaise du bureau de cette chambre, celle que l'on avait accordé à Stiles. S'il valait mieux ne pas le réveiller, rien n'empêchait Derek de rester à son chevet.

Sauf que la façon dont lui apparut le jeune homme lui fit une si grande peine qu'il laissa, malgré lui, ses émotions se peindre sur son visage.

Stiles n'avait pas seulement l'air pitoyable, avec ces quelques larmes qui coulaient sur ses joues, son visage déformé par cette souffrance qu'il gardait en lui… Il lui apparaissait également désespéré et les quatre mots refirent leur apparition.

Car c'est avec un profond désespoir qu'il continua de répéter que ce n'était pas lui.

Pas lui.

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Stiles avait vraiment du mal à manger mais il se forçait parce qu'il considérait que c'était là la seule chose à faire. Il avait la tête pleine d'angoisses, tant et si bien qu'il peinait vraiment à se donner l'air indifférent à tout – ou, au mieux, plus ou moins normal. Il ne savait plus comment faire, de toute façon. Il n'avait fallu que quelques jours pour qu'il perde cette habitude durement acquise. Plusieurs nuits à dormir dans sa voiture, une agression physique, et maintenant, ça… Le fait que certains membres de la meute prennent soin de lui sans savoir ce qui était arrivé pour que son chemin dérive du leur. Stiles avait beau vouloir se reposer sur eux en attendant d'aller mieux, il n'arrivait pas à se détendre, à se dire que tout allait réellement bien se passer.

Ainsi, il mangeait sans faim, dans l'attente de retourner dans la chambre qu'on lui avait attribuée. A partir de là, Derek le laisserait seul. Parce que son regard lui mettait malgré tout la pression: Stiles avait l'impression qu'il pouvait lire en lui avec une aisance folle… Qu'il pourrait s'infiltrer à l'intérieur de la première faille qu'il verrait. Alors même si c'était idiot, il se concentrait pour ne penser qu'à ce qu'il devait faire et non à ce qu'il avait vécu. Pourtant, Derek n'était pas un télépathe et n'avait aucun moyen pour rentrer dans sa tête. Elle était hermétique à n'importe qui, n'importe quoi.

Excepté le Nogitsune s'il revenait mais techniquement, ce n'était pas possible puisqu'il était enfermé dans une boîte taillée dans du sorbier. Ne pense pas au malheur, s'ordonna-t-il. Il lui restait la moitié de son burger et quelques frites – Derek avait commandé pour lui.

- Tu n'es pas obligé de finir si tu n'as plus faim, mais je pense que ton corps a besoin que tu te forces un peu.

Entendre sa voix déclamer autant de mots lui faisait vraiment bizarre… C'était comme s'il palliait à son propre mutisme ou qu'il essayait… De s'adapter à lui. Le pire c'est qu'il n'avait pas tort dans ce qu'il lui disait: bien sûr que son corps avait besoin qu'il se nourrisse correctement. Pas seulement pour fonctionner. Il lui fallait aussi guérir. Guérir pour lui permettre de s'en aller au plus vite. S'il tentait de partir avant cela, les trois Hale chercheraient à l'en empêcher… A moins que Stiles ne se montre plus malin qu'eux. Et il en était capable. Le problème, c'était que cette histoire lui demanderait une certaine énergie et une force qu'il n'avait pas encore. Il n'était même pas certain de se sentir suffisamment courageux pour ne serait-ce que tenter ça. Son voyage en solitaire et son agression semblaient avoir eu raison de sa hargne. Il ne se sentait plus la force de rien, finalement, si ce n'est préserver le secret de son départ le plus longtemps possible.

Stiles tint à insister, à manger un peu plus avec l'espoir idiot que cela suffirait à le requinquer. Il avait beau savoir que non, il avait besoin de se bercer d'illusions, au moins jusqu'à ce que celles-ci deviennent réalité. Il était le seul à pouvoir s'encourager et se convaincre des choses.

Soudain, une porte claqua, ce qui le fit sursauter au moins qu'il manqua de lâcher son burger. Derek, face à lui, soupira.

- Peter, combien de fois je t'ai répété de ne pas claquer la porte quand tu rentres? Lui demanda-t-il d'un air exaspéré.

Comprenant qu'ils n'étaient plus tous les deux, Stiles se tendit. L'air de rien, il ne se sentait pas si mal avec Derek. Enfin s'il mettait de côté le fait que ses yeux lui donnaient l'impression de pouvoir tout deviner de lui, ça allait. Disons qu'il avait l'impression d'être en sécurité, avec lui dans la pièce. Il avait ce calme, ce côté rassurant qui manquait à Cora et Peter.

Le ventre de Stiles se noua si fort que l'idée de prendre une bouchée de plus le dégoûta au point de lui donner la nausée. Il reposa le burger dans son assiette. Il avait besoin d'être seul à nouveau, de retourner au lit. Pourtant il savait que ni Cora ni Peter n'était au courant de rien – pas plus que Derek en tout cas. Mais leur arrivée soudaine lui causa un certain stress dont il se serait bien passé. Il se saisit alors de son téléphone avec une rapidité stupéfiante et montra, quelques secondes après, l'écran à Derek. Ce dernier le regarda d'un air confus avant de l'aider à retourner dans la chambre.

A son retour dans la cuisine, on lui posa des questions mais il ne fut pas capable de répondre à une seule d'entre elles. Stiles était pour l'instant un mystère, son comportement également. Il songea au fait que rien n'avançait vraiment et cela le frustra, si bien qu'il prit une petite décision.

Sa façon de penser et de faire n'avait pas changé: il comptait lui laisser tout le temps dont il avait besoin… Mais accélérer un petit peu les choses n'était peut-être pas une mauvaise idée. Parce que les quatre mots qu'il avait entendus un peu plus tôt dans la journée ne le quittaient pas. Pire, ils l'intriguaient, l'inquiétaient.

Et il les garda pour lui.