Petit mot de l'autrice : ce texte a été écrit pour la nuit du FoF sur le thème "Violon"
Dès que les violons retentirent, la musique habituelle se fit entendre : des gentilshommes s'approchèrent des demoiselles, des révérences furent effectuées, des invitations lancées, des sourires esquissés. Très rapidement, la piste de danse fut envahie de couples, gracieux malgré la maladresse évidente de ces premiers émois amoureux.
Comme d'ordinaire, Edith ne participa guère à ces réjouissances. Ce n'était pourtant pas faute de le vouloir. Elle aurait tant désiré être elle aussi invitée à danser! Malheureusement, ce n'était jamais le cas. Trop timide par rapport à Mary, trop fermée par rapport à Sybil, elle n'attirait jamais l'attention, piégée qu'elle était entre ses deux sœurs. Elle était ainsi condamnée à les regarder recevoir moult invitations, sans qu'elle-même ne voie son carnet de bal se remplir.
Heureusement, avec le temps, elle avait finit par trouver une complice, une compagne d'infortune : Penelope Featherington.
Elles se côtoyaient depuis leur plus jeune âge, mais ne s'étaient rapprochées qu'à leur première saison. Alors que toutes leurs amies avaient été invitées tour à tour, elles s'étaient retrouvées toutes les deux sur le côté. Pour passer le temps, elles avaient engagé la conversation. Une conversation qui, au fil des bals les laissant esseulées, s'était faite de plus en plus profonde, intime. Edith s'était alors rendue compte qu'elles se ressemblaient énormément. Penelope était tout aussi timide qu'elle, et n'osait ainsi guère défendre ses points de vue, qu'Edith savait pourtant brillants. Elle était de plus entourée d'une grande famille, mais qui ne la supportait que peu, et dont l'indifférence avait forgé leur manque de confiance en elles.
Au fil des saisons, la présence de Penelope était devenue un repère, une ancre, la seule raison qui empêchaient ces soirées mondaines d'être de complets désastres.
Ainsi, ce soir-là, quand Edith vit Colin Bridgerton demander à Penelope de lui accorder une danse, elle sentit son cœur se briser. Elle détestait l'idée de se retrouver seule sur le bas côté, sans personne à qui parler... Néanmoins, elle fit de son mieux pour ravaler l'émoi qui l'envahissait. Penelope méritait d'être sollicitée. Elle fit donc de son mieux pour offrir un petit sourire encourageant à son amie.
Sourire qui se fana lorsqu'elle entendit Penelope refuser la proposition de Colin.
Cette réaction n'était en effet pas normale. Edith était bien placée pour savoir combien Penelope mourait d'envie d'être invitée à danser par un gentilhomme. Elle aurait ainsi dû accepter avec empressement une telle proposition! Surtout que le gentilhomme en question n'était autre que Colin Bridgerton, pour qui Penelope entretenait une passion aussi secrète qu'intense. Certes, elle ne lui avait guère plus parlé de son amour pour lui depuis de nombreux mois, mais tout de même... elle devait toujours l'aimer, non ? À moins que quelque chose ne se soit passée entre eux, une chose qui l'aurait conduite à se détourner de lui ?
Ce fut donc avec une pointe d'inquiétude et une grande incompréhension qu'Edith se tourna vers, sitôt Colin parti.
- Penelope? Pourquoi donc avez-vous dit non ?
- Je ne voulais pas vous laisser seule, répondit celle-ci.
Edith se sentit immédiatement coupable en entendant ces mots.
- Vous ne devez pas penser à moi ! s'écria-t-elle. Ne ratez pas votre chance avec Colin, je... Je m'en voudrait beaucoup trop d'être à la source d'un tel gâchis.
- Edith, vous n'avez pas à vous en vouloir...
- Bien évidemment que si, protesta-t-elle. L'idée que vous refusiez de danser avec Colin par peur de me laisser seule me remplit de culpabilité. Rattrapez le donc !
Il se produisit alors un phénomène étrange: Penelope rougit.
Mais ceci ne fut pas aussi étrange que la confession qui suivit :
- Je n'ai pas été honnête avec vous, murmura-t-elle, mais je vais l'être désormais, car je ne veux pas que vous culpabilisiez. Si j'ai refusé d'aller danser avec Colin, c'est parce que je préfère rester ici.
- Mais vous aimez Colin...
- Avant, j'aurais suivit Colin sans hésiter. Mais c'était avant de vous connaître. Maintenant, je vous le redis, je préfère rester ici. Avec vous. A vrai dire, si je devais faire un choix entre tous les gentilshommes du monde et vous, je vous choisirais. Vous, et toujours vous.
Ce fut au tour d'Edith de rougir.
Jamais personne n'avait désiré rester près d'elle.
Jamais personne ne l'avait préférée, à qui que ce soit.
Jamais personne ne l'avait regardée comme Penelope la regardait désormais.
Et alors que Penelope continuait de la dévisager, d'une lueur qui avait la couleur d'un aveu dans le regard, Edith sentit qu'elle devait répondre quelque chose.
- Moi également. Cela sera vous, et toujours vous.
Le visage de Penelope se fendit d'un léger sourire, un sourire qui lui semblait être apaisé, rassuré.
Elles reprirent alors leur conversation, comme si elles n'avaient jamais été interrompues.
Elles, et toujours elles.
Edith l'ignorait encore, mais cette maxime les poursuivraient bien longtemps.
