Chapitre 43 - Faux pas
Sous le poids du serpent, la double porte du salon venait de s'ouvrir. Autour de la longue table, les Mangemorts avaient pivoté dans sa direction. Pétrifié sur le pas de la porte, Draco encaissa leurs regards avec son masque le plus neutre. Il ne put empêcher Nagini de glisser vers le Seigneur des Ténèbres. Pas plus qu'il ne put affronter ses parents. Fixé sur un point loin d'eux, il cacha un frisson lorsque le Seigneur des Ténèbres poussa une longue série de sifflements. Le serpent lui répondit et un sourire froid fendit son visage blafard.
— Draco, l'appela-t-il d'un ton doucereux.
Son cœur battait si fort qu'il en était douloureux. Comment ne résonnait-il pas dans la salle entière ? Draco fit un pas dans le décor si familier. Si seulement il avait pu faire disparaître le parchemin dans sa poche. Si seulement il avait eu l'intelligence d'en emporter un second. De ne pas en emporter du tout.
— Ta diligence me surprend. Nagini vient de me confier que tu prenais des notes devant la porte. Es-tu si impatient de rejoindre mes rangs ?
Sa remarque provoqua des rires. Il osa un coup d'œil vers ses parents. Eux ne riaient pas. Sa mère était pâle et son père semblait furieux.
— Montre-moi donc ce compte-rendu que tu composais.
Une goutte de sueur roula dans son dos. Pourquoi avait-il voulu jouer aux héros ?
— Je n'ai rien écrit.
Ces iris rouges ne le quittaient pas une seule seconde. Le Seigneur de Ténèbres ne disait rien. Qu'attendait-il ? Pourquoi ne réagissait-il pas ? Il savait très bien pourquoi. Mais s'il lui montrait le parchemin et que Granger était en train d'y écrire… Il n'avait pas d'autre option. Lentement, Draco glissa la main dans sa poche et en sortit le morceau de parchemin. Avec des gestes plus lents encore, il le déplia.
Rien.
Il le tourna en direction du Seigneur des Ténèbres, espérant que cette preuve lui suffirait. Celui-ci tendit ses longs doigts squelettiques vers lui. Draco déposa le parchemin dans sa main et recula avec un léger vertige pendant que le Seigneur des Ténèbres l'étudiait.
Si Granger écrivait… Si le moindre mot apparaissait…
Il n'y avait aucune situation où être relié à une Sang-de-Bourbe était positif pour lui, mais à cet instant cela pouvait détruire sa famille. Mais ce faux pas ne pouvait quand même pas lui coûter la vie… ? Non, c'était impossible. Pas comme ça. Pas si brutalement. Pas un instant il ne parvint à se détacher du parchemin. Il restait vierge.
Avait-elle tenté de le contacter lorsqu'il l'avait remis dans sa poche ? Attendait-elle sa réponse ? Combien de temps lui laisserait-elle avant d'insister ? Et pourquoi le Seigneur des Ténèbres gardait un parchemin vierge aussi longtemps ? Qu'avait-il compris ? Qu'il s'en servait pour communiquer ? Qu'il avait transmis des informations critiques à ses ennemis ? Qu'un traitre se tenait en face de lui ?
La bouche si sèche qu'il parvenait à peine à respirer, Draco faillit sursauter quand le Seigneur des Ténèbres lui rendit enfin son bien. Son geste laissait penser qu'il ne s'agissait que d'un bout de parchemin ordinaire. Contenant l'envie de le lui arracher et de le faire disparaître, Draco tendit une main qu'il contracta pour l'empêcher de trembler et le reprit. Enfin il put le plier et le remettre dans sa poche, hors de vue.
Il espérait s'échapper quand le Seigneur des Ténèbres l'invita à assister au reste de la réunion, alors il prit place sur la chaise la plus proche, les mains croisées devant lui. Il sentait à peine ses jambes. Son état second l'aida à traverser le temps qui défilait, mais il ne retenait pas un mot de ce qui se disait. Il parvenait à peine à forcer un sourire quand les Mangemorts autour de lui riaient à un commentaire de leur maître.
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Assise à son bureau, Hermione avait regardé le nom à moitié écrit disparaître, sa plume suspendue au-dessus d'un second morceau de parchemin sur lequel elle reportait les informations de Draco. À présent elle patientait, un sentiment désagréable courant dans son estomac. Il ne répondait plus. Elle plongea sa plume dans l'encrier, luttant contre l'envie d'écrire son nom, de lui demander ce qui se passait, s'il allait bien. Tout ce qu'il avait dit suggérait qu'il espionnait une réunion des mages noirs, s'il s'était interrompu aussi soudainement, cela ne présageait rien de bon.
Mieux valait que le parchemin qu'il avait avec lui reste un simple parchemin. Elle reposa donc sa plume et patienta. Les premières minutes furent une torture. La chambre silencieuse l'écrasait, l'attente l'angoissait. Elle reprit sa pelote de laine et ses aiguilles, mais ne cessait de revenir au parchemin. Après avoir dû défaire de mauvais maillages une dizaine de fois, elle reposa le tricot et tenta un livre sans plus de succès.
Plus le temps passait plus sa peur pour Draco étendait ses racines dans son esprit. Mille raisons auraient pu l'empêcher de terminer sa phrase. Plus elle y réfléchissait, plus elle s'enfonçait dans les pires scénarios possibles. Elle ne pouvait rien pour lui. Elle ramassa sa plume, serra les dents et la reposa. Elle était peut-être la seule à savoir qu'il lui était arrivé quelque chose et la seule option qu'elle avait était de l'abandonner à son sort ? Son visage pressé dans ses paumes, un sanglot lui échappa, le pire moment pour que la porte de la chambre s'ouvre.
— Fatiguée ? demanda la voix Ginny d'un ton léger.
— J'ai encore du travail, articula Hermione en tirant la pelote de laine à elle.
— Tant mieux, je ne comptais pas dormir tout de suite.
Un ronronnement suivait le déplacement de Ginny dans son dos. Le lit craqua quand elle y monta, sûrement pour jeter un œil à Orron qui avait établi un nid au sommet de l'armoire.
— Toi aussi ça te manque de voler, bout de chou ? Ne t'en fais pas, Fred et George trouveront bien un moyen d'aller se balader… Hermione ?
Hermione essuya précipitamment sa joue et d'autres larmes s'écrasèrent sur son tricot.
— J'ai besoin d'un instant seule, marmonna-t-elle en fermant les yeux.
Le bruit d'une chaise qu'on tirait près d'elle lui serra la gorge.
— Tu es sûre de ça ? Je peux partir si c'est vraiment ce que tu veux. Sinon on peut parler, ajouta Ginny en posant une main dans son dos. On peut parler de ce que tu veux.
Hermione inspira difficilement et rouvrit les yeux. Elle avait rassemblé un semblant de calme quand Orron se posa sur le bureau. Sa vue lui serra la gorge et elle abandonna le combat. En quelques bonds, le Vivet approcha de sa main et tenta de passer sa tête en dessous.
— Je ne p-pourrais même pas t'expliquer… j'ai peur qu'il lui soit arrivé q-quelque chose… Qu'il soit en danger… Je perds peut-être du temps…
Depuis le début, elle tentait d'oublier l'indifférence dont Voldemort avait fait preuve en tuant Cedric Diggory, la torture qu'il avait trouvé amusant d'infliger à Harry, ses tentatives de le tuer, lui aussi, et tentait de se convaincre qu'il ne toucherait pas au fils d'un de ses partisans, tout en sachant qu'elle se raccrochait à un mensonge.
— De qui est-ce que tu parles ? demanda Ginny en caressant son dos.
Hermione attrapa le parchemin qui demeurait vierge.
— Draco, murmura-t-elle.
C'était dit. Ginny garda un moment le silence. Sa main avait cessé de bouger.
— Draco, comme dans Draco Malfoy ?
Que pouvait-elle lui dire sans trahir Draco ? D'un autre côté, quelle importance si Ginny apprenait ce qui s'était passé ; le lien n'existait plus et il y avait beaucoup plus grave en jeu. Elle ne parvenait pas à réfléchir. Ron ne l'écouterait pas, peut-être même qu'il se réjouirait de la situation, et Harry… La juste colère qui l'animait à son arrivée la mettait encore mal à l'aise.
Ginny l'observait patiemment, Pattenrond sur les genoux. En pesant chaque mot, Hermione lui dévoila d'où venait le Vivet, le lien qu'il avait créé entre eux, puis réalisa qu'elle ne pourrait pas lui expliquer la situation sans lui parler du parchemin.
— Vivre en partageant ses pensées a dû être un enfer, dit Ginny qui tentait d'intégrer ce qu'elle venait d'entendre. Surtout pour toi.
— C'est aussi ce que je croyais, mais on a fini par composer avec ensemble. Il était là quand j'en ai eu besoin.
— Je ne le vois pas faire ça.
— Ce n'était pas le cas au début.
Ginny fronça les sourcils.
— Attends un peu, combien de temps ça a duré ? demanda-t-elle en frottant la tête de Pattenrond. Harry et Ron savent ?
— Presque un an, répondit Hermione en reprenant son parchemin. Et oui.
Le temps continuait de filer.
— Pardon, ça fait juste beaucoup, j'essaye de… Bref, tu disais qu'il était en danger ? Pourquoi ?
— Parce qu'il était en train de rassembler des informations sur Tu-Sais-Qui et qu'il a brusquement arrêté de donner des nouvelles.
— Il a peut-être fait une pause ?
Hermione glissa le parchemin vers Ginny.
— Il m'écrivait ce qu'il était en train d'entendre de leur réunion. Tout ce qu'il marquait se retranscrivait là-dessus. Il s'est arrêté au milieu d'un mot et il n'y a plus rien eu depuis. Ça doit faire presque une heure.
Au fur et à mesure qu'elle se remémorait la scène, ses yeux se brouillèrent et elle acheva sa phrase sur une note aiguë.
— Je vois, c'est… préoccupant. Tu as tenté de le recontacter ?
— Je n'ai pas voulu prendre le risque. Si Tu-Sais-Qui lui avait pris son parchemin ?
— Et vous n'avez aucun autre moyen de communiquer ?
Dobby lui vint aussitôt à l'esprit, mais elle avait déjà écarté cette possibilité. Elle ne pouvait pas lui demander de se mettre en danger… Non, elle ne pouvait pas, en revanche…
— Tu ne peux qu'attendre qu'il te contacte alors. Je peux rester avec toi en attendant.
Hermione se leva lentement de sa chaise. Dans son sac, elle récupéra discrètement une petite écharpe tricotée et un Gallion.
— Tu as raison, dit-elle. Parler avec toi m'a éclairci les idées, merci. Je vais faire un tour, pour me changer les idées. Tu peux t'occuper d'Orron et de Pattenrond ?
— Bien sûr, Hermione.
Après l'avoir remerciée, Hermione sortit sur le palier. Dans les étages sombres, elle sécha son nez et ses joues, apposa ses paumes froides contre ses paupières, puis appela Dobby. Sachant pertinemment qu'il voudrait l'aider à la seconde où il saurait la vérité, elle prétexta vouloir rendre visite à Draco et lui demanda de la faire transplaner dans un coin discret de sa chambre. Juste avant qu'ils ne quittent la maison de Sirius, elle lui offrit un Gallion et l'écharpe comme dédommagement. Puis le « crac » familier résonna, la transportant dans une autre l'obscurité.
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Elana, merci !
