OS : Solitude, remords et folie – Partie 1
Playlist
All I Wanted – Paramore
The Loneliest – Maneskin
Nostalgia – Suki Waterhouse
KYRH – Hayley Williams
Teardrops – Massive Attack, Elisabeth Fraser
A Drop In The Ocean – Ron Pope
Last Hope – Paramore
Just Give Me A Reason – Pink, Nate Ruess
Eternal Flames – The Bangles
POV Edward
Vingt-cinq ans jour pour jour que j'ai pris la décision la plus difficile de ma vie. Depuis, je ne suis plus que l'ombre de moi-même et cet état n'est rien d'autre que ma pénitence. Pendant longtemps, j'ai cru que l'odeur de son sang serait la chose la plus difficile à supporter. C'était le cas au début, jusqu'à ce que j'expérimente son absence.
L'image de son visage triste alors que j'embrasse son front avant de disparaître me hante encore aujourd'hui, chaque jour de ma morne vie. Vie que j'ai décidé de vivre seul, loin des miens, pour ne pas leur infliger plus de chagrin.
La séparation n'a pas été difficile que pour moi, d'autant plus qu'ils n'ont pas pu lui dire au revoir, comme je leur avais expressément demandé. Comme si nous n'avions jamais existés.
Si au départ, nous avons quitté Forks pour nous rendre dans le Nord tous ensemble, j'ai très vite ressenti leur tristesse à travers leurs pensées, provoquée par l'absence de Bella. Ne supportant plus d'entendre leurs remords et leur vague à l'âme, me rappelant sans cesse ma propre culpabilité, j'ai décidé de m'isoler et de les laisser entre eux. Sans mon état abattu et dépressif pour les rendre encore plus moroses, ils ne s'en porteraient que bien mieux.
Depuis, je reçois sporadiquement des nouvelles d'eux via Alice, Esmé ou Carlisle : une carte postale, un mail ou un sms. Je n'ai eu aucun contact avec les autres depuis mon départ. Si Esmé, Carlisle et Alice ont accepté ma décision et l'acceptent même s'ils ne la comprennent pas, les autres m'en veulent toujours après tout ce temps, et je ne peux pas les blâmer pour ça, bien au contraire. La séparation avec ceux que j'ai toujours considéré comme ma famille n'en est que plus facile.
Aux dernières nouvelles, ils sont de retour aux Etats-Unis, en Nouvelle Angleterre. Ils ont élu domicile dans le Maine, où montagnes et forêts sont légion. En somme, un peu comme l'endroit où je me trouve en ce moment.
J'ai cherché pendant de nombreuses années à mettre le plus de distance géographique possible entre Bella et moi : Asie, Antarctique, archipels sauvages, régions reculées du globe, je me suis isolé de tout, tout ce qui pourrait me rappeler mon humaine.
Hélas, peu importe le lieu, l'heure, le temps, la région, tout me ramène à elle, inlassablement. Elle est sans cesse avec moi, malgré moi. Je ne peux oublier son regard, sa voix, son sourire, son esprit muet, son odeur, son sang pulsant dans ses veines, le bruit de son cœur tambourinant dans sa poitrine et sa respiration ayant des ratés quand son cœur s'emballait à mon contact. Je ne peux rien oublier, et surtout, je ne veux rien oublier.
Je me surprends parfois à ressentir encore le goût de ses lèvres sur les miennes. J'entends sa voix carillonnante raisonner dans mes oreilles, tout comme parfois, je ressens sa présence fantomatique auprès de moi.
Je ne veux pas la laisser partir, je ne peux pas. Elle est en moi, ancrée dans mon esprit, dans mon âme, ou du moins ce qu'il en reste. Un rire amer m'échappe, il n'y avait vraiment qu'elle pour penser qu'un monstre comme moi puisse être pourvu d'une âme.
Depuis vingt-cinq ans, j'expérimente mon enfer personnel, loin d'elle. Aujourd'hui, elle a quarante-deux ans. Alice la surveille de loin pour moi, se contentant de me dire qu'elle va bien. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Elle m'a sûrement oublié, c'est ce que je lui souhaite, même si cette idée me blesse au plus profond de mon être.
Parfois, je m'imagine ce que sa vie a bien pu devenir. Elle doit probablement être mariée. Peut-être même qu'elle a des enfants, qui ont hérité de son adorable petit nez et de ses yeux couleur chocolat, chauds et envoutants.
Elle est peut-être enseignante de littérature anglaise ou bibliothécaire. Peut-être qu'elle s'est découvert une autre passion et qu'elle en vit aujourd'hui. Sa vie humaine sans moi lui a ouvert le champ des possibles à expérimenter et à saisir. J'espère qu'elle a su vivre sa vie comme elle le désirait et qu'elle est bien là où elle est aujourd'hui.
De mon côté, rien ne m'a plus jamais fasciné et attiré autant qu'elle ses vingt-cinq dernières années. Je ne suis qu'une coquille vide, vivant par procuration à travers elle : je ne suis qu'une épave se rattachant seulement à des souvenirs, resassant le passé avec elle, me plongeant dans ses livres préférés pour avoir la sensation de l'avoir toujours un peu avec moi.
Voilà bien longtemps que je n'ai plus fréquenté les humains. Mais chaque humaine brune, qu'elle lui ressemble ou non, me fait penser à Bella. Dans chaque visage, je la revois, belle, la peau diaphane, rougissante, pinçant sa lèvre inférieure entre ses dents. Ses mimiques me manquent terriblement. Tout comme la chaleur de sa peau. Mais mon cœur mort se serre à chaque fois que je réalise que ce n'est pas elle. Cela ne peut être elle, figée dans ses dix-sept ans.
Je ne suis pas dupe, je sais que je ne fais qu'entretenir son souvenir en faisant fonctionner mon cerveau. Cela ne fait que me réconforter et m'enfoncer toujours un peu plus dans ma lâcheté et ma médiocrité. Je me souviendrai d'elle à jamais, éternellement jeune, comme moi. Triste sort. Peut-être a-t-elle coupé ses cheveux ? A-t-elle des cheveux gris ? Se les est-elle teints ? Comment est son corps aujourd'hui ? A-t-elle grossi, maigri ? Tant de questions pour lesquelles je n'aurai jamais de réponses.
Je ne sais plus depuis combien de temps j'erre ainsi, dans les Alpes, ne rencontrant que faune sauvage ou troupeaux d'alpage en période estivale. Géographiquement, je ne sais pas exactement où je me situe, certainement à mi-chemin entre l'Italie et la Suisse, sans certitude. La seule chose dont je suis sûr, c'est que la neige tient sur les sommets et qu'à moyenne altitude, la neige commence à tenir. Nous sommes probablement en novembre, peut-être en décembre. C'est ce que je peux en déduire en observant la flore alentour.
Encore repu de ma dernière chasse, j'erre sans vrai but, me faufilant à grande vitesse entre les arbres. Cela fait longtemps que je n'ai pas donné signe de vie à Alice. Il faudrait que je me rapproche de la plaine pour retrouver du réseau. Je ne prête aucune attention à ce qui se trouve autour de moi, ignorant les essences que je frôle ou la harde de biches que j'ai effrayée.
Je commence ma descente vers la civilisation. A en juger par les quelques panneaux de randonnées que je croise, je me trouve en Suisse. Le décor change progressivement, passant de la nature luxuriante enneigée à la ville. Peut-être Martigny ou Sion, peu importe.
J'ai pour habitude de me rendre dans les gares pour contacter Alice. Je me place non loin d'une cabine téléphonique et j'attends que le combiné sonne. Mon extralucide de sœur finit toujours par me localiser.
-Edward, souffle-t-elle d'une voix soulagée dans le combiné.
-Alice, dis-je seulement en retour.
-Tu n'aurais pas pu choisir plus perdu que Sierre, cette fois, demande-t-elle.
-Tu sais que le lieu m'importe peu, Alice. Je marque une pause. Comment va-t-elle, je ne peux m'empêcher de lui demander, soupirant, puis inspirant une grande goulée d'air saturée par les voyageurs pressés.
Mon cerveau cesse de fonctionner. Je n'entends plus Alice à l'autre bout du fil. Suis-je en train de devenir fou ? Cela n'est pas possible. Je dois dérailler. Je me concentre à nouveau sur la voix d'Alice, du mieux que je peux. Mais je n'y parviens pas. Cette odeur.
-Alice, je te jure que je viens de sentir son odeur, dis-je, plaintif.
-Mais enfin, Edward, tu sais que ce n'est pas possible. Elle est à Forks, elle n'a pas quitté la région, cesse de te torturer.
-Tu en es sûre, je lui demande en inspirant à nouveau profondément.
-Certaine, Edward, certaine, m'assure-t-elle.
Je ferme les yeux et me pince l'arête du nez. Cette odeur, je la reconnaîtrais entre mille. Un subtil mélange de fraise et de freesia, avec un soupçon de Bella. Je secoue la tête, l'odeur a effectivement disparue. Je tente de reprendre le fil de ma conversation avec ma sœur, mais sans grand succès.
Tout en parlant brièvement avec Alice, je passe en revue les pensées des passants, à la recherche de son visage, peut-être qu'ils ont pu la croiser, même si ma sœur me dit que cela n'est pas possible. Une odeur comme celle-ci, si forte ne peut pas décemment venir de mon imagination, je le sais, je la sens encore régulièrement autour de moi depuis toutes ces années.
Peut-être que la solitude me rend fou, en fin de compte. Peut-être que c'est le prix à payer pour l'avoir fait tant souffrir en m'éloignant d'elle. Je revois encore son visage déchiré, mon cœur se serre et sans même écouter Alice, je raccroche.
Je me sens oppressé. Un comble pour un être surnaturel incapable de respirer. Il faut que je sorte d'ici. Je me précipite à allure humaine pour ne pas éveiller les soupçons vers l'extérieur. Je m'assois sur le premier banc qui s'offre à moi et je me prends la tête entre les mains. Tout ça est insensé.
L'odeur se manifeste à nouveau, plus fort cette fois. Mais rien ni personne ne m'entoure. C'est bien ça, je dois devenir fou. C'est la seule option. Fou d'elle, comme je l'ai toujours été. J'hume l'air et cette douce odeur me remplit les poumons et insuffle de la joie dans mon corps. Mais cette joie se dissipe aussitôt. Comment se réjouir du néant ?
Je reste là, sur ce banc. La nuit se fait doucement, puis en un rien de temps, l'aube apparaît à nouveau. Aujourd'hui, le temps sera plutôt ensoleillé. Il est temps que je retourne me terrer en altitude, loin des humains.
Je marche d'un pas rapide, m'éloignant rapidement de la ville. Je longe d'abord la ligne d'un téléphérique, puis je m'enfonce dans les bois, bien à l'abri des regards humains. Aucun d'entre eux ne s'aventure en dehors des pistes à cet endroit. Je serai tranquille.
Je me hisse en haut d'un pin, probablement centenaire. De là, j'ai une vue imprenable sur les pistes de ski loin en contre-bas. J'observe les tâches se mouvoir avec plus ou moins de fluidité. Je me focalise sur ces mouvements réguliers, pour ne penser à rien, ni à elle, mais c'est peine perdue.
Je repense à la manifestation soudaine et forte de l'odeur que j'ai senti la veille. Comment et pourquoi mon cerveau ferait-il ça ? J'ai toujours pu recréer l'odeur de sa senteur. Toujours la même, inchangée. Alors pourquoi était-elle si forte hier ? A force de ressasser et de réfléchir, aucune explication logique ne peut élucider mon hallucination olfactive.
Peu à peu, les skieurs se font de plus en plus rare à mesure que la journée s'écoule. La pénombre est à nouveau reine et je me remets en mouvement. Je me déplace d'arbre en arbre, filant au-dessus du vide. L'air froid me fouette le visage à mesure que je gagne en vitesse. Je me délecte de la sensation de liberté que me procure cette course effrénée entre les arbres.
Edward.
Cette voix. Un instant d'inattention suffit à me déséquilibrer et me faire rater ma prochaine prise. Je m'écrase contre le tronc d'un résineux, le déracinant, en emportant plusieurs à sa suite. Je roule dans la neige, déclenchant une coulée en contrebas.
Qu'est-ce que c'était que ça encore ?
Cette fois, je n'ai pas rêvé, je l'ai entendue, j'en suis sûr. Sa voix était claire et intelligible. Et ce n'était pas le fruit de mon imagination, j'en suis certain. Je n'ai toujours pas bougé. A vrai dire, je n'ose pas bouger. Peut-être va-t-elle apparaître devant moi ? Peut-être que si je l'appelle, elle va me répondre ? Comme si elle allait te répondre, triple buse ! Ce n'est pas possible, elle ne peut pas être là, Alice me l'a attesté. La seule hypothèse plausible reste la folie.
Alice. Carlisle. Il faut que je leur parle, et vite. Je me relève et me mets à courir. Je descends à toute vitesse direction mon point de communication avec ma sœur. En chemin, je crois l'entendre une seconde fois, mais je l'ignore, du moins j'essaie.
J'arrive à côté de la cabine téléphonique dans le hall de la gare. L'heure de pointe me sature en pensées de voyageurs fatigués, irrités par les retards provoqués par le froid. Le combiné sonne et je décroche.
-Alice.
-Ben alors, frangin, à cause de toi, les skieurs n'auront pas de pistes praticables demain, éructe Emmett, hilare au bout du fil.
-Emmett, passe-moi Alice, vite.
-Edward, nous prenons le premier avion pour te rejoindre. Annonce-toi au Six Senses à Cran Montana et récupère la clé de la chambre pour Carlisle et Esmé et les clés de l'appartement pour nous. Nous prenons le premier vol depuis New-York, avec une escale à Paris, nous serons là demain soir. En attendant, reste à l'appartement.
Alors que j'écoute Alice déblatérer sur les détails de leur voyage, d'un coup, les pensées des voyageurs se taisent dans ma tête. Le néant. Plus rien, le silence.
Je me fige et le combiné me glisse des mains. Mais que m'arrive-t-il bon sang ? Ce n'est plus seulement l'incompréhension qui s'empare de moi, c'est aussi de la peur que je ressens. En plus de cent-vingt-neuf ans d'existence, jamais cela ne s'est produit.
Je peux capter les pensées à des centaines de mètres à la ronde, même plus et quand je suis entouré d'humain, comme maintenant, elles ne peuvent m'échapper. Alors, oui, je peux les ignorer, mais je les entends quand même. Est-ce qu'un vampire peut tomber malade ? Vais-je perdre mon pouvoir ou mourir ?
Je reprends mes esprits. Toujours rien, c'est étrangement calme. Cela pourrait être apaisant, mais ça ne l'est pas. Je suis en stresse total. Qu'est-ce qui m'arrive.
-Alice, les… les pensées des gens… je… je ne les entends plus… le néant, rien, j'arrive à articuler difficilement en reprenant le téléphone à la main.
-Comment ça Edward, demandent Alice et Carlisle à l'unisson.
-Les pensées des gens dans cette gare. Je les entendais et là je ne les entends pluUUaaargh.
Je lâche le téléphone et tombe à genoux. Une explosion, une déflagration. Dans ma tête, dans mes tempes. Tout revient, les pensées, les voix, en plus fort, beaucoup plus fort. Le brouhaha habituel laisse place à la cacophonie amplifiée.
Au loin, j'entends vaguement Alice et Carlisle s'inquiéter. Je ne réfléchis plus. Je cours, loin. Vite, du calme.
Je me mets en route vers l'hôtel indiqué par Alice. En coupant par la forêt, j'y serai dans maximum dix minutes. En chemin, le phénomène étrange ne se reproduit pas, heureusement pour moi, en raison du peu d'humains présents dans les environs. En revanche, plus je me rapproche du centre de Cran Montana, plus les voix dans ma tête sont vives, bien plus vives que d'habitude. Je dois vraiment être en train de virer fou, ce n'est pas possible. Il n'y a aucune explication logique, ni à ses manifestations, ni à mon pouvoir qui déraille. J'espère que quand Carlisle sera là, il pourra m'expliquer s'il a déjà entendu parler de ce genre de phénomène sur nous autre, les vampires.
Quand j'entre dans le hall luxueux de l'hôtel, toutes les pensées que j'entends se taisent d'un coup, ne me rassurant guère. Je récupère les clés à l'accueil et je me dirige vers l'appartement. Les portes de l'ascenseurs se referment et les étages défilent lentement. D'un coup, à nouveau, tout revient dans un fracas entre mes oreilles. J'entends les discussions du bar, en bas, à côté de l'accueil, un couple qui se dispute dans une chambre, un homme d'affaire qui travaille dans une autre, une femme de chambre poussant son chariot au sous-sol. Je me masse les tempes pour tenter je ne sais comment et en vain de réguler ce flux de voix trop vif et trop fort.
A nouveau, lorsque je passe le seuil de l'appartement, je cesse de percevoir les pensées. Tout est calme. Si c'était normal, je pourrais apprécier ce silence. Mais pour le moment, tout ce que cela m'inspire est de la peur. Peur de ce qu'il m'arrive. Pourquoi est-ce que cela se produit et pourquoi maintenant ? Est-ce passager ou cela va-t-il devenir pérenne ? Autant de questions laissées sans réponse.
Voilà bien longtemps que je n'avais pas eu accès au confort d'un lieu de vie comme celui-ci. Toutes ces années, j'ai vécu chichement, préférant rester au contact de la nature que de m'affaler dans le luxe et l'opulence. Alors retrouver un lieu comme celui-ci me paraît bien étrange. C'est le grand luxe, comme Alice et Esmé le conçoivent : sobre, épuré et clair. Je pose les clés sur le comptoir en marbre et je balaie du regard l'immense pièce à vivre. Un gigantesque coin salon, un grand espace cuisine salle à manger ouvert, une cheminée moderne, une énorme bibliothèque bien garnie sur le mur du fond, distribuant les trois chambres qui composent l'appartement.
L'appartement possède aussi tout un pan de mur vitré, donnant sur une grande terrasse, avec un sauna privatif et un jacuzzi. Je n'exagère pas quand je parle de grand luxe. Je m'approche de la baie vitrée pour observer la nuit sur la station. Toutes les rues sont illuminées en contre bas, les badauds se font rares.
J'allais me retourner quand je jette un coup d'œil à mon reflet et si j'avais été humain, je crois bien que j'aurais eu une attaque. Je perçois par-dessus mon épaule le visage de Bella. Je me retourne, rien. La folie me guette, c'est sûr. Elle est et sera mon enfer. J'halète à cette nouvelle présence de Bella. Autant l'imaginer autour de moi ou contre moi m'est facile. Autant ce qu'il vient de se passer, je n'en suis pas consciemment responsable. Mon esprit défaillant commence à m'inquiéter et me faire paniquer.
Je m'éloigne de la fenêtre. Je m'assois sur le canapé. C'est toujours silencieux dans ma tête. Ce silence est glacial. Ce vide dans ma tête, tout cet espace mental me rend fou. Voilà de bien nombreuses années que je n'ai pas entendu autre chose que mes propres pensées. C'est au-delà de perturbant. J'ai tant d'espace disponible dans ma tête, c'est grisant.
Mais cette sensation n'est qu'éphémère, tout revient à nouveau, comme un boumerang, aussi violemment qu'un retour de flammes. Les flammes de l'enfer. Cette douleur mentale que me provoque le retour de mon pouvoir de façon décuplée est atroce.
Je me prends la tête entre les mains. Quand est-ce que ce supplice va s'arrêter ? Et tout disparaît à nouveau. Plus rien. Comme un interrupteur on/off. Mes yeux s'écarquillent et je me redresse. Cela n'a plus aucun sens. Tout s'est arrêté comme je l'avais implicitement demandé. Si c'était quelque chose dont je serais réellement capable, cela serait intéressant. Mais le vivre sans en être responsable, c'est encore plus désarmant.
Edward.
Encore sa voix carillonnante, claire et intelligible. Cela me fait toujours quelque chose de l'entendre. Avant cela aurait été du baume au cœur, quand mon imagination aurait fait jouer volontairement sa voix mélodieuse dans mon esprit. Là, c'est certes délicieux, mais flippant. Sa voix est si puissante, veloutée et douce en même temps. Un peu changée, peut-être. Il y a une intonation plus sûre d'elle que je ne reconnais pas dans la voix de Bella que j'ai gardé dans ma mémoire.
Edward.
Encore. Encore, elle, plus fort encore.
EDWARD !
Un hurlement, strident, rauque, dur. Instinctivement, je me bouche les oreilles et ferme les yeux pour supporter ce son. Comme une détonation, mon pouvoir revient en force, déclenchant à nouveau cette même déferlante douloureuse.
Je me recroqueville sur le canapé. Je supporte difficilement cette sollicitation mentale. Je ne sais pas ce qui m'arrive, mais j'ai besoin de réponse, et vite, je ne vais pas pouvoir supporter ça encore longtemps.
Je ne sais pas combien de temps, je reste ainsi, à subir en alternance ces phases de bruit intense, de silence glaçant et sa voix qui me hante, en boucle. Parfois, tout se bouscule rapidement, ou à l'inverse, tout dure extrêmement longtemps, les silences, surtout. J'entends Bella m'appeler, dans ma tête, encore et encore. Tantôt d'une voix douce et calme, tantôt une voix criarde et énervée.
Je ne comprends pas. Je mouline en continu pour essayer de comprendre et décrypter ce qui se passe. Voilà deux jours que ces manifestations me hantent et me pourrissent l'existence. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour que cela débute précisément maintenant ? Rien ne me vient, rien ne me saute aux yeux. Aucune explication plausible, aucune hypothèse, rien. J'espère sincèrement que les autres arriveront avec des explications.
D'abord la voix, puis les silences et enfin, les hallucinations visuelles. Je n'ai pas pris de drogue, mais j'ai pourtant tous les symptômes. A l'aube, je cesse de réfléchir. Les autres seront là ce soir. J'aurai peut-être des éléments de réponses.
Je n'éprouve aucune fatigue physique mais le capharnaüm dans mon cerveau m'a fatigué mentalement. C'est complètement invraisemblable, mais c'est pourtant la vérité. Je décide de prendre mes quartiers dans une des chambres de l'appartement, attrapant un livre au hasard dans la bibliothèque au passage.
Je souris en m'installant sur le lit et découvrant « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, un des auteurs favoris de Bella. A défaut de l'avoir dans la tête malgré moi, elle m'accompagnera aussi pour ma lecture.
Je prends le temps de lire tranquillement, au même rythme que Bella aurait pris, tournant délicatement les pages cornées par les trop nombreuses lectures de son exemplaire. Je la revois encore, allongée sur son lit, à plat ventre, les pieds battant l'air, à feuilleter son vieil exemplaire jauni et corné. Ou alors, lisant sur mes genoux, emmitouflée dans sa couverture, alors que je nous balançais sur le rocking-chair de sa chambre.
Je redécouvrais l'instant présent dans ses instants, lisant à sa vitesse par-dessus son épaule. Lire à mon rythme ne m'apporte aucun plaisir, terminant en quelques secondes seulement mon ouvrage, comme un robot ou un automate. J'ai appris à ralentir grâce à elle.
Ce moment lecture m'aide à faire abstraction de l'agitation dans ma tête. J'arrive presque à faire abstraction du silence et de la voix de Bella. Parfois, elle reprend à haute voix un extrait de ma lecture, parfois, elle rit à la réaction d'un personnage. Aucun doute, je sombre définitivement dans la folie. Alors qu'elle ricane une énième fois, las de la situation, je lui réponds, marmonnant dans ma barbe. En fin de compte, je ne suis plus à ça près niveau folie, alors pourquoi pas essayer de répondre à mon hallucination auditive…
-Qu'est-ce qu'il y a de drôle, je demande pour tenter de lancer le monologue.
-Toi.
-Je suis drôle ?
-Oui.
-Heureux de l'apprendre…
-Edward.
-Oui ?
Pas de réponse. J'attends. Je sursaute d'un coup et je sors de la pièce à vitesse vampirique. Qu'est-ce que c'était que ça bordel ? Là, je commence sérieusement à avoir peur de ce qui m'arrive. Si je n'étais pas seul dans cette pièce et cet appartement, j'aurais juré avoir senti une main sur mon avant-bras.
Ne tenant plus, je tourne en rond dans la pièce à vivre, à essayer de calmer mes nerfs. Elle est toujours là, dans ma tête, à rire et m'appeler. A bout de nerf, j'éructe :
-Tu n'es pas réelle, tu n'es pas là, ça ne peut pas être toi, laisse-moi tranquille ! Qu'est-ce que tu me veux ? Si tu es là, montre- toi !
Et c'est à ce moment-là que des coups légers sont portés à la porte. Hasard ou pas, je suis déjà fou. Alors foutu pour foutu, je m'avance vers la porte d'entrée pour ouvrir.
Personne. Je referme. Ça toque à nouveau. Je rouvre. Bella. Instinctivement, je referme. A nouveau, ça toque. J'abaisse la poignée et ouvre lentement la porte : personne.
Vivement que ma famille arrive, pour attester de tout ça, parce que je vais vraiment devenir chèvre. Cela ne peut pas être elle. C'est impossible. Je suis en plein délire.
-Edward.
Cette fois, la voix n'est pas dans ma tête, j'en suis certain.
-Edward, ouvre la porte, s'il te plaît.
-Tu n'es pas réelle, laisse-moi tranquille, dis-je en me laissant glisser contre la porte, me tenant la tête entre les mains.
Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, le regard dans le vague. Des heures ou des minutes, je ne sais pas. La seule chose que je sais, c'est que je sens une pression sur mon genou droit. Mes yeux rencontrent une main pâle. Mon regard remonte vers le visage de Bella, ma magnifique Bella, ses yeux dorés se plongent dans les miens.
-C'est donc ça l'enfer, je demande dans un murmure.
-Edward, tu n'es pas en enfer. J'y suis juste allée un peu fort, rit-elle, tout en se remettant rapidement sur ses pieds.
Elle s'éloigne de moi, entrant dans l'appartement. Je ne lui laisse pas le temps d'avancer plus, je la plaque contre le premier mur à ma portée. Mes mains restent douces sur ses épaules. Je la détaille, les yeux écarquillés. Elle ne bouge pas, elle semble irréelle. Je dois savoir. Ma main dévie sur sa poitrine, posant ma paume à plat sur son cœur, rien. Puis, mes doigts soulèvent son menton. Ses yeux sont dorés, comme les miens.
-Mais Alice…
-Alice t'a menti parce que je lui ai demandé de le faire, m'avoue-t-elle.
Je m'éloigne d'elle. Je ressens un élan de colère grimper en moi, accompagné de tout un flot de questions. C'est si intense que je ne sais que faire. Je suis partagé entre l'envie de la prendre dans mes bras, de lui crier dessus, de fuir, de tout détruire autour de moi. Comme si elle lisait en moi, je ne l'entends pas approcher, mais je l'entends dans ma tête.
-Ne lui en veut pas, ni à elle, ni aux autres.
-Sors de ma tête, dis-je vivement en me retournant vers elle, qui n'avait pas bougé du mur.
-Ironique comme demande, venant de la part de celui qui perçoit les pensées de tout le monde autour de lui, répond-elle, elle aussi ironique.
Je ne réponds pas. Je sens cette colère grandir en moi. Pourquoi ? Comment ? Pourquoi maintenant ? Était-elle responsable de ce qui m'arrivait ? Comment est-elle devenue vampire ? Pourquoi a-t-elle attendu tant de temps pour me retrouver ? Pour quoi les autres et moi en dernier ?
Je me cramponne à la chaise de salle à manger devant moi, mes jointures blanchissant, mon cerveau tournant à plein régime. J'ignore le craquement du bois sous mes doigts.
-Nous ne sommes pas tous télépathes dans la salle, lance Bella, toujours adossée à son mur, les bras croisés contre sa poitrine. Parle, Edward.
-Pour dire quoi ? Que c'était hilarant de subir tes manigances pendant des jours ? Que j'ai cru devenir fou à lier ? Que j'apprends que tu une des nôtres et que tu as demandé à Alice de me mentir pour me le cacher ? Que je suis donc le dindon de la farce parce que sûrement tous les autres étaient au courant depuis peut-être longtemps, alors que je restais là à me morfondre sur ta perte, à me demander comment tu allais, ce que tu devenais, si tu étais heureuse, si tu allais bien ? Que je restais volontairement éloigné de toi à m'en faire mal pour préserver ta vie humaine qui n'était plus, je crache ma colère, laissant s'effriter le bois de la chaise sous mes mains.
La chaise ne tarde pas à casser dans un geste fluide. Alice paiera pour le mobilier, après tout, elle me doit bien ça. N'ayant plus rien à malmener, je me contente de marcher le long de la pièce, observant toujours Bella d'un œil noir. Elle n'a toujours pas bougé. Elle décide finalement à s'approcher, poussant du bout du pied les débris de la chaise. Elle a toujours les bras croisés et cet air renfrogné sur le visage.
-Ça va, tu as fini, me demande-t-elle, nonchalamment.
-Je te demande pardon, je lui réponds estomaqué par sa réponse.
-Oui, je crois que tu as légèrement oublié que dans l'histoire, tu m'as quitté en pleine forêt comme une malpropre il y a vingt-cinq ans. Alors, de nous deux, s'il y en a bien une qui doit être en colère ici, c'est moi. Donc t'entendre pleurer sur ton sors, je m'en moque un peu.
-Pour… pourquoi es-tu revenue, je parviens à bégayer.
-Pourquoi pas, lance-t-elle, un rire dans la voix. J'avais des choses à régler avant de te retrouver. Et surtout, pendant longtemps, je n'ai pas eu envie de le faire. Tu sais, la phase de nouveau-né exacerbe les émotions, donc heureusement pour toi que tu n'étais pas dans les parages, parce qu'immortel ou non, je t'aurais fait la peau.
Je ne sais que répondre à cela. Elle m'a haï et je l'ai blessée. Pourtant, elle est là aujourd'hui devant moi.
-Tu ne réponds pas vraiment à ma question. Pourquoi es-tu revenue, je lui demande à nouveau.
-Parce que j'avais envie de voir ta tête quand tu apprendrais ce que je suis, dit-elle, mutine. Et crois-moi, ça en valait le détour, ajoute-t-elle d'un rire franc.
-Heureux d'être un simple divertissement…
-Ne sois pas mauvais, Edward. Dans un sens, tu l'as mérité.
-Pardon ?
-Oh, ne fais pas l'innocent, tu crois que tu m'as laissé dans quel état quand tu es parti, Edward ? Tu m'as brisé le cœur. Je n'étais que l'ombre de moi-même. J'étais en colère contre toi ! J'étais prête à tout pour toi, pour nous et toi, tu as fui à la première difficulté. Tu m'as privé de mes amis en forçant ta famille à couper les ponts.
-Ne me rappelle pas la pire erreur de ma vie, j'hurle la faisant taire.
Je la bouscule en sortant de l'appartement. Il faut que je prenne l'air, que je prenne du recul face à cette conversation stérile, où chacun campe sur ses positions : elle blessée, moi blessé.
Je quitte l'hôtel luxueux et bien rapidement à l'abri du regard humain de cet après-midi nuageuse, je m'enfonce dans la forêt. Je vais loin, très loin. Je fuis clairement Bella. Je ne sais pas si je me sens capable de la revoir.
J'ai pourtant toujours rêvé égoïstement de nos retrouvailles. Mais con comme je suis, je m'attendais à quelque chose de débordant d'amour, et non pas à des joutes verbales comme celles que nous venons de vivre.
J'ai certes souffert dans l'histoire, mais je l'ai avant tout fait souffrir, elle. Elle a souffert de mon absence et de celle de ma famille. Elle a souffert d'être éloigné de moi. Elle a bu la moindre de mes paroles et m'a cru quand je disais ne plus l'aimer pour réussir à m'éloigner.
Je me rends compte aujourd'hui à quel point j'ai pu être con, de réagir de la sorte. L'incident avec Jasper ne s'est produit qu'une fois. Certes, il aurait pu être dramatique, mais il ne l'a pas été. J'ai pris cette décision de ne plus jamais lui nuire, alors que j'ai fait tout l'inverse. Quel con.
Et maintenant, elle est comme moi, comme nous. Il ne pourra plus rien lui arriver. Ma Bella, vampire. Elle n'a pas vraiment changé, j'ai pu reconnaître en elle son caractère bien trempé et têtu. Elle a toujours cette sorte de fragilité qui la rend si douce et belle, même si au premier abord, ce n'est pas ce qui m'a frappé chez elle.
Son pouvoir. Aujourd'hui, je comprends mieux les raisons de pourquoi je ne pouvais déjà pas lire en elle lorsqu'elle était humaine. Depuis toujours, elle avait en elle ce don, qui aujourd'hui a pris pleine possession d'elle. Elle l'a sûrement dompté toutes ces années pour arriver à un tel niveau de maîtrise.
Pour quoi est-elle revenue ? Pour se venger de moi de l'avoir quittée et éloignée de ceux qu'elle considérait comme sa famille. Sûrement. Pas pour mes beaux yeux, cela serait trop beau et bien irréaliste après notre confrontation.
Notre dispute me laisse un goût doux amer. J'aurais souhaité autre chose comme rencontre. Qu'elle se joue de moi, même si après réflexion, c'était mérité, me laisse perplexe sur ses intentions. A-t-elle eu envie de me retrouver seulement pour se venger, ou souhaite-t-elle à nouveau d'un nous ?
Toutes ces réflexions m'ont laissé le temps de m'éloigner suffisamment loin pour me retrouver au milieu de nulle part, en pleine nature. La neige craque sous mes pas légers, effleurant à peine le sol dans ma course. Les arbres se font de plus en plus rare, laissant place à de la roche escarpée. Je hume la trace d'une odeur inconnue, vu l'altitude, sûrement du gibier.
Une partie de chasse me détendra et je serai sûrement de meilleure humeur et pleinement disposé à tenter à nouveau de dialoguer avec elle. Je piste la fragrance, du caprin. Quand je l'aperçois enfin, je me tiens prêt à bondir sur ma cible. Je prends appui sur mes talons et je donne une impulsion, m'élançant sur ma proie. Sans que je ne comprenne comment, elle m'échappe, comme si elle c'était volatilisée. Je me rattrape de justesse à la roche escarpée, évitant un éboulement de roche en contrebas, ce qui aurait encore une fois provoqué une avalanche.
-C'est une espèce protégée, abruti !
Je me retourne, trouvant Bella assise contre un rocher un peu en contre bas. Elle tapote l'espace libre à côté d'elle sur la pierre lisse. Moi qui n'avais pas franchement envie de discuter tout de suite, je crois que je n'ai pas le choix. Frustré de ma partie de chasse avortée, je ravale le venin présent en quantité dans ma bouche. Je la rejoins lentement et m'assois à côté d'elle. Son esprit silencieux me nargue toujours mais son parfum me frappe à plein nez, il n'a pas changé. Le même que j'ai pu ressentir à la gare. J'inspire profondément, inhalant cette douce odeur qui me ravit le cœur.
Nous restons là, silencieux, aucun de nous n'ayant vraiment envie de prendre la parole. Sans que je m'y attende vraiment, elle prend ma main dans la sienne. Comme dans mon souvenir, sa main est douce, la seule différence est qu'elle est à la même température que la mienne, maintenant.
Je relève les yeux vers son visage, fixant ses prunelles ambrées. L'or qui y coule est étincelant, liquide, j'en ressens presque de la chaleur. Ses yeux sont envoûtants, encore plus que lorsqu'ils étaient chocolatés.
Je suis happé par elle, je prends son visage en coupe et écrase mes lèvres sur les siennes. Le baiser est dur, à l'image des mots que nous avons échangés plus tôt. Mes lèvres bougent sur les siennes, ma langue caresse sa lèvre inférieure pour obtenir plus.
Tout ce que j'obtiens est une claque monumentale, me séparant violemment d'elle. Sous le coup de la surprise, je me remets sur mes pieds et la regarde, médusé. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle me fonce dessus, soudant à nouveau nos bouches ensemble.
Le baiser cette fois-ci est urgent. Vingt-cinq ans de temps à rattraper en un baiser. Je la presse contre moi, enserrant sa taille fine d'un bras, tenant son visage fermement dans mon autre main. Ses mains retrouvent naturellement leur place sur la base de ma nuque, tirant sur mes cheveux. Je gémis de bonheur en retrouvant cette sensation.
J'ai retrouvé Bella, ma Bella. J'ai l'impression de renaître et de respirer à nouveau vingt-cinq ans plus tard. Je savoure notre étreinte. Je ne veux pas que cela s'arrête. Nos bouches bougent à l'unisson, encore plus parfaitement et délicieusement qu'elles le faisaient lorsqu'elle était encore humaine. Je me délecte de cette sensation de laisser aller, de pouvoir la toucher sans réfléchir et sans risquer de la blesser. A l'inverse, je découvre la nouvelle poigne de Bella, m'attirant contre elle, fusionnant toujours plus nos corps désireux d'étreinte et d'amour.
Aucun besoin de s'arrêter pour la laisser reprendre son souffle, plus besoin de laisser son cœur reprendre un rythme normal. Tout cela est derrière nous. Je la serre toujours un peu plus étroitement contre moi, bien décidé à ne plus la laisser partir.
Ses lèvres dévient sur ma mâchoire, alors que je pars à la découverte de son cou fin. Je dépose mes lèvres là où avant j'aurais rencontré son pouls. Ses lèvres remontent jusqu'à mon oreille, dont elle mordille le lobe, avant de me susurrer.
-Laisse-moi te montrer et t'expliquer.
-De quoi tu parles, je lui demande, pas très concentré pour discuter à l'instant T.
-Chut, laisse-toi aller et ne m'interrompt pas.
Je m'éloigne quelque peu d'elle, butant contre la roche escarpée dans mon dos. Ses lèvres s'étirent en un sourire et elle s'approche à nouveau de moi. Par automatisme, je la prends dans mes bras, alors qu'elle dépose ses paumes à plat sur mon torse. Nos fronts se touchent, nos nez se frôlent et tout d'un coup, je ressens une drôle de sensation dans ma tête. Comme si mon cerveau devenait brumeux et vaporeux comme du coton.
Cette sensation me désarçonne, mais j'ai confiance en Bella. Très vite, je comprends ce qu'elle est en train de faire, quand je vois des images défiler sous mes yeux. Elle a déployé son bouclier pour me laisser lire en elle.
Je lis sa détresse après notre rupture, sa détermination à nous retrouver. Son accident. Sa transformation. Sa réaction lorsqu'elle découvre ce qui lui est arrivé. La façon dont elle a apprivoisé sa nouvelle vie. Comment elle a découvert son pouvoir. Comment elle s'est entrainée pour l'apprivoiser et le maîtriser. Puis la rencontre fortuite avec ma famille. Les discussions qui en sont suivies. Sa colère contre moi, mais aussi son amour pour moi. Son envie de vengeance. Voir mes réactions à ses manifestations. Et enfin, revoir tous les moments de sa vie humaine que nous avons partagés ensemble.
Bien trop vite à mon goût, cette brume cotonneuse se dissipe et je retrouve le silence de la tête de ma douce. Je reste sans voix face à tout ce qu'elle m'a partagé. Contrairement à ce que je pensais, malgré sa colère contre moi, pendant toutes ses années, elle m'a aimé elle aussi, aussi fort que je l'ai aimée. Elle a souhaité réussir à mettre sa rancœur et sa colère de côté avant de me retrouver.
-Bella…
-Chut, dit-elle, me faisant taire avec un baiser. Nous avons toute l'éternité pour en parler. Et quelque chose me dit que ta famille est arrivée et ils sont impatients de nous revoir.
Cette perspective me met en joie. Voilà près de vingt-cinq ans que je n'ai pas ressenti d'émotions positive. Après un dernier baiser, Bella prend ma main dans la sienne et nous entraîne à grande vitesse avec elle. Nous filons vers notre avenir, qui je le sais, sera serein et heureux grâce à elle auprès de moi.
