Avis à la population ! Après un an d'absence jour pour jour, Alifair Blake fait son grand retour ! Tant de choses sont restées en suspens que je me lance dans un nouveau tome, en espérant ne pas m'y noyer :) Salut aux anciennes et anciens si vous n'êtes pas encore lassés ! Dans le cas où des petits nouveaux auraient atterri ici par hasard, je vous conseille de commencer par le début, ou en tout cas par l'un des tomes précédents (vous en trouverez la liste sur mon profil), parce que là, vous risquez fort de ne rien y comprendre...

Sur ce, bonne lecture !


Prologues

« C'est pour quand ? demanda Perle d'un ton anxieux.

– Demain, si vous voulez, répondit Sélénite en haussant les épaules. De notre côté, tout est au point.

– Si tôt ? s'affola Perle en s'agitant sur son tabouret. Vous ne croyez pas que…

– Puisqu'on te dit que c'est prêt, répliqua impatiemment Azurite qui occupait l'autre tabouret. Qu'est-ce que tu en penses, Béryl ? Demain te semble un bon jour ?

– Un excellent jour, assura Béryl avec confiance depuis son fauteuil tapissé de velours. Un jour faste entre tous. Le meilleur en cette période.

– Formidable ! se réjouit Azurite en tapant dans ses mains. Si vous voulez mon avis, le plus tôt sera le mieux.

– Et même si on ne le veut pas, d'ailleurs, marmonna Ambre, roulant vers le plafond des yeux excédés. Mais je suis d'accord : demain serait une bonne occasion.

– Une occasion parfaite, renchérit Topaze sur son petit pouf rebondi. D'ailleurs, il vaut mieux ne pas attendre trop longtemps.

– Question de stabilité, expliqua Sélénite dont la chaise était justement un peu bancale. Nous avons fait de notre mieux mais ça reste une première, et les premières ne sont jamais sans défaut.

– Si la stabilité est en jeu, alors…, sourit Onyx qui trônait majestueusement dans l'autre fauteuil.

– Et le temps passe, s'inquiéta Topaze en fronçant les sourcils. Peut-être est-ce la dernière occasion que nous aurons.

– Très certainement, appuya Ambre, le dos bien calé contre le dossier de sa chaise. En tout cas, c'est ce qui se murmure.

– Dans ce cas, il n'y a pas à discuter, trancha Onyx, énergique. Je vote pour.

– Moi aussi, déclara Béryl avec solennité. Quelqu'un désire-t-il s'opposer ? »

Personne ne répondit, pas même Perle qui avait toujours l'air incertain ; mais Perle ne possédait pas le caractère le plus affirmé du groupe. Sept tasses de thé fumaient sur la table basse en plaqueminier, lait et sucre à portée de main près d'une assiette de petits gâteaux qui embaumaient la cannelle, mais personne ne faisait encore mine de se servir.

« Ce sera donc demain, décréta Onyx. Qui le fera ? »

Un silence ponctua sa question. De part et d'autre de la table basse, sept paires d'yeux échangèrent des regards.

« Si ce travail porte ses fruits, quelques petits changements devront avoir lieu, il me semble, observa doucement Béryl au bout d'un moment. Pour vous deux, des coussins – Ambre et Sélénite affichèrent un sourire ravi – et toi, Topaze… Que dirais-tu d'un tabouret ? »

À ces mots, Azurite blêmit, mais Topaze s'illumina.

« Tu connais les règles, Azurite, rappela sévèrement Onyx. Si elles ne te satisfont pas, tu restes libre de t'en aller. »

Azurite baissa la tête. La perspective de voir Topaze atteindre son niveau ne lui plaisait guère, mais telles étaient les règles, en effet : l'ascension s'effectuait au mérite, à hauteur de l'engagement pour la cause. Il ne lui restait donc plus qu'à s'engager davantage.

« Très bien. Je le ferai.

– Excellent, approuva Onyx. Je sais que tu pourras compter sur Ambre pour protéger tes arrières.

– Tout se passera bien, affirma Béryl d'un ton serein.

– Pour nous, précisa Sélénite. Et une fois que ce sera fait…

– Ça nous retirera une belle épine du pied, compléta Ambre. Enfin, belle, façon de parler.

– Et ce sera le retour du bon sens, ajouta Topaze.

– Espérons-le, soupira Perle.

– Dans le cas contraire, nous n'aurons plus qu'à recommencer », conclut Azurite.

Après un échange de sourires qui se voulaient confiants, sept mains se tendirent enfin vers les tasses de thé.

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Le crépuscule rougeoyait au loin, au-dessus des marais fumants. Les vapeurs malsaines ondoyaient, presque tentantes, mais Eurydice et lui avaient appris à garder leurs distances. La vase mauve clapotait autour de leurs chevilles tandis qu'ils avançaient péniblement parmi la mousse et les longues tiges barbelées qui bordaient le marécage. Ces tiges, une fois séchées, étaient comestibles, alors tant pis si pour les arracher il devait s'entailler la peau jusqu'au sang.

« Laisse-moi faire, lança-t-il à Eurydice en la voyant en empoigner une de ses mains bandées. Contente-toi de les ramasser. »

Elle ne répondit pas, bien sûr, mais elle obéit, comme toujours. Eurydice n'était pas d'un naturel contrariant. Il rajusta les bouts de tissu qui enveloppaient tant bien que mal ses propres mains, saisit une tige et tira de toutes ses forces. La tige résista. Ses racines étaient profondément enfoncées dans la terre boueuse. Le souffle court, il banda ses muscles et tira encore, par à-coups secs, comme il avait appris à le faire. Il sentait les bandages glisser mais refusa de lâcher prise ; au contraire, ses poings se resserrèrent sur la tige dont les barbelures s'enfonçaient dans sa chair. Sa gorge émettait des grognements rauques, sauvages, tandis qu'il luttait contre la plante. Enfin, les racines cédèrent ; emporté par son élan, il tomba à la renverse dans la vase, la tige toujours serrée entre ses doigts.

Trempé des pieds à la tête d'une boue mauve et nauséabonde, il se redressa en crachotant pour voir le visage inquiet d'Eurydice penché sur lui.

« Ça va, assura-t-il, hors d'haleine. Ça va. Tiens, prends-la… »

Il lui tendit la tige dont les racines à nu, dégouttant de vase, s'agitaient faiblement. Eurydice la saisit avec précaution et la chargea sur son épaule, avec celles qui s'y trouvaient déjà. Elle avait noué ses longs cheveux en tresse mais les barbelures des tiges s'y emmêleraient inévitablement. Des entailles striaient son visage et ses joues étaient creuses. Dans sa face hâve, si pâle, ses yeux semblaient immenses. Immenses et fatigués.

« Allez, l'encouragea-t-il en se relevant avec difficulté. Encore quelques-unes. »

Les sourcils froncés, Eurydice le dévisagea, puis ses yeux glissèrent vers ses mains. Il s'était bien entamé les paumes, à se battre ainsi contre les tiges ; ses doigts étaient poisseux de sang. Et la douleur… Oh, il avait connu pire, bien pire, mais ça faisait quand même un mal de chien.

« Ça va », répéta-t-il en se forçant à sourire dans sa barbe imprégnée de boue, mais Eurydice fit non de la tête.

Il ferma les yeux. Lui aussi, il était fatigué. Il les rouvrit en sentant la main d'Eurydice sur sa joue, fragile et tiède. Elle le regardait de son air grave et il comprit qu'elle s'inquiétait pour lui. Une fois de plus. Il soupira.

« Très bien, restons-en là pour l'instant. »

Elle hocha la tête et lui sourit, du même sourire forcé que le sien. « Tout va bien », prétendait ce sourire, alors que rien n'allait.

Ils prirent ensemble le chemin de leur abri, pataugeant dans les fondrières avant de reprendre pied sur un sol plus stable. Une fois, il avait imaginé qu'il se noyait dans ce marécage, avant d'abandonner l'idée presque aussitôt : ça puait bien trop fort. Il y avait d'autres façons plus propres et plus rapides d'en finir, s'il le voulait ; il les avait toutes listées dans sa tête sans parvenir à se décider. Il fallait croire qu'il manquait de motivation.

Malgré la douleur, il aida Eurydice à étaler les tiges sur la grande plaque de métal irisé, vert-jaune, qui servait de seuil à leur cabane. Qu'est-ce que c'était, qu'est-ce que ça faisait là ? Mystère. Tout ce qu'il savait, c'était que ce métal captait mieux que quoi que ce soit d'autre la maigre chaleur dispensée par leur soleil mourant. C'était donc le support idéal pour faire sécher les tiges.

Eurydice apporta la bassine et versa un peu d'eau sur ses mains pour les nettoyer. Les plaies n'étaient pas profondes.

« Tu vois, lui dit-il. Je t'avais dit que ça n'était rien. »

Il lui sourit, de bon cœur cette fois, et ce fut de bon cœur qu'elle lui rendit son sourire. Il n'avait plus pensé à sa liste depuis l'arrivé d'Eurydice. Survivre à deux, c'était à la fois plus difficile et plus simple. Deux fois plus de raisons de rester en vie, deux fois plus d'occasions de mourir de faim. Il lui arrivait parfois de se dire que tout ça n'était qu'une vaste blague. La preuve : il avait donné un nom à Eurydice qui n'en possédait pas, alors que lui-même en avait un qu'elle était incapable de prononcer puisqu'elle était muette. N'était-ce pas d'une ironie tordante ?

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Les mains jointes derrière son dos, le gouverneur de la Californie magique contemplait par la fenêtre le ciel nuageux. Le splendide lustre de cristal qui illuminait son bureau jetait des reflets bleus dans sa longue chevelure soyeuse couleur aile-de-corbeau.

« Aucun diplôme, tu dis ?

– Aucun, confirma le directeur du Département de la Sûreté magique, confortablement installé dans un fauteuil club. Mis à part une série de certifications intermédiaires qu'ils passent à quinze ans. Ils appellent ça les Buses, je crois, va savoir pourquoi…

– Et un casier judiciaire ?

– Tout sauf vierge : association de malfaiteurs, complot contre l'État, violences et voies de fait, et j'en passe. Il était mineur à l'époque, et fortement sous influence, alors les juges se sont montrés cléments. Il n'a été condamné qu'à un mois de prison.

– Très cléments, en effet, remarqua Silver Douglas d'un ton désapprobateur. Je sais bien que l'heure était sans doute à la réconciliation nationale, mais…

– Harry Potter a témoigné en sa faveur », glissa nonchalamment le directeur de la Sûreté.

Corneille Avisée fit volte-face.

« Sam, tu es incorrigible ! s'écria-t-il en feignant l'indignation. Pourquoi faut-il toujours que tu gardes le meilleur pour la fin ? »

Depuis son fauteuil, le directeur de la Sûreté lui adressa un large sourire.

« Le héros de la résistance, hein ? marmonna le gouverneur en commençant à faire les cent pas dans son bureau. Volant au secours d'un membre notoire de cette clique fanatisée… Tu crois qu'il aurait pu y avoir une sorte de magouille entre eux ?

– Oh non, Potter est l'innocence même, à ce qu'on dit, balaya Sam. Mais ils étaient en classe ensemble, j'imagine que cela créé des liens… Et paraît-il que notre jeune ami a choisi de s'abstenir à un moment où il aurait pu mettre Potter en mauvaise posture. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ça, le meilleur. »

Corneille Avisée stoppa net ses déambulations. À voir le plaisir anticipé qu'affichait le visage du directeur, l'annonce qu'il s'apprêtait à faire ne manquerait pas de le combler de joie.

« Je t'écoute, dit Douglas, ses yeux noirs brillant d'intérêt. Offre-moi mon cadeau de Noël avant l'heure.

– Il est établi de source sûre que ce charmant garçon a pratiqué avec succès les Sortilèges Impardonnables, déclara Sam en levant le pouce. Imperium et Doloris, c'est certain, le troisième on ne sait pas. Les Britanniques ont également de très bonnes raisons de croire qu'il a été initié à l'occlumancie, ajouta-t-il en dressant l'index, et qu'il se débrouille plutôt bien. Et enfin, dit-il en dépliant son majeur, nous savons qu'il fait merveille au poker. »

Le gouverneur haussa un sourcil perplexe. Puis, lentement, un sourire étira ses lèvres.

« Au poker, dis-tu… Et à quel point est-il doué ?

– C'est difficile à établir, tu sais comme lui et sa mère sont prudents, reconnut Sam. Mais nous savons qu'il s'est fait une solide réputation parmi les spécialistes non-maj', même s'il a arrêté de jouer depuis un certain temps, par précaution sans doute…

– Sauf que, bien sûr, vous l'aviez déjà repéré ? devina Corneille Avisée.

– À quoi servirait la Sûreté, autrement ? confirma le directeur. Nous n'avons détecté aucune substitution magique de cartes, avec ou sans baguette. Pas d'influence exercée sur les autres joueurs à l'aide d'un sortilège de Confusion ou d'Imperium non plus. Donc, soit notre brave jeune expatrié est extrêmement doué pour compter les cartes, détecter les signes de bluff et autres techniques de Non-Maj', soit… »

Sam laissa sa phrase en suspens, abandonnant au gouverneur le plaisir de la compléter.

« Soit nous avons un legilimens », termina à sa place Corneille Avisée.


Qu'est-ce à dire ? Aucun personnage principal dans ce prologue ? C'est ce qu'il semble, mais les commentaires sont là pour vous répandre en conjectures quant à l'identité de tous ces mystérieux protagonistes… Je serai bien dégoûtée si vous devinez, n'empêche !