Je sentais que mes yeux voulaient s'ouvrir mais la douleur qui parcourait mon corps m'effrayait. Ne pouvais-je pas rester inconscient quelques heures encore? Pour ne plus rien ressentir. Pour faire taire cette voix qui me criait de fuir. Mes doigts remuèrent contre ce qui ressemblait à une main. Une main douce.
- Sirius?
Ok. Tant pis pour la douleur. Il fallait rassurer cette voix tremblante d'inquiétude. Je resserrais doucement mes doigts autour de cette main. Et, à ce simple geste, j'entendis le vacarme d'une chaise qui s'écartait comme si quelqu'un venait d'en bondir d'un coup. J'ouvris mes yeux, clignant des paupières sous la luminosité. Les yeux de Remus Lupin me fixaient d'un air soucieux.
- Lunard.
- Sirius. Soupira t-il d'un air légèrement rassuré. Comment tu te sens?
- À merveille.
- Sirius…
Je lui adressais un sourire crispé de douleur et mon corps se tendit en apercevant son expression. Remus Lupin voulait des explications: J'étais foutu. Mon regard fut attiré par la présence d'une autre personne. Je souriais.
- Salut Pet'.
- Coucou Sirius…
- Cornedrue n'a pas daigné me voir?
Mes deux amis échangèrent un regard à peine masqué. Oye. Ça ne sentait pas bon. Un Potter sans garde du corps lâché librement dans Poudlard pouvait être dangereux.
- Il est dans le bureau de Dumbledore avec Slughorn.
- Qu'est ce qu'il a fait? Il a osé prendre une retenue sans moi?
- Il a trouvé Lucius Malefoy en train de te défigurer. Répliqua violemment Remus.
Une grimace m'échappa et j'évitais son regard. Comment pouvait-il… la carte. J'avais oublié la carte ce soir là. Pourtant, j'avais pris grand soin de ne me déplacer qu'avec elle ces derniers temps.
Pour t'éviter justement. Malefoy.
Qu'est ce qui t'a pris? C'était quoi ce déferlement de violence et de rage?
Je luttais pour ne plus y penser. C'était trop vif. Mais les yeux de Remus n'étaient pas d'accord.
- Tu m'expliques?
- On s'est disputés. Rien de grave.
- Sirius.
- Remus ?
Ses sourcils se fronçèrent. Il n'était pas dupe. Il savait que je cachais quelque chose.
Tu fais chier, Malefoy. Toi et tes crises existentielles.
Je sais que tu ne me dis pas la vérité. Lucius Malefoy joue son rôle à la perfection. Il est toujours dans l'ombre. Il ne se salit jamais les mains, les autres le font pour lui. Il est toujours calme, silencieux, discret. En apparence. C'est ce qui le rend d'autant plus dangereux: il est insoupçonnable. Alors explique moi comment, du jour au lendemain, il se retrouve dans un couloir à te fracasser la tête sans pouvoir s'arrêter? Sans se soucier des témoins?
Effectivement. Vu comme ça. Je fermais les yeux en même temps que mon ventre se nouait.
Tu as voulu me tuer, Lucius?
Tu as échoué. Et tu vas t'en mordre les doigts. Car ce cher Remus Lupin que tu jalouses tant ne me lâchera pas d'une semelle après ça.
- Sirius ?
- Un de plus que j'enrage parce que je me rebelle contre les miens. Que veux-tu que je te dise d'autre?
- Malefoy risquerait sa couverture aussi stupidement pour un traître? Tu ne me feras pas avaler ça, Sirius. Mens à qui tu veux , y compris à toi-même , mais pas à moi.
Ça allait être difficile. Je détournais le regard et inspirais un grand coup.
- Ils veulent enrôler Regulus. J'ai… exposé mon désaccord.
- Regulus hein? Le même Regulus qui a rejoint James dans le couloir? Celui qui, visiblement, savait ou trouver Malefoy et toi?
Le poids s'intensifia dans mon estomac. Qu'était-il en train d'insinuer ? Remus, bien que visiblement ébranlé, me fixait toujours d'un air intransigeant. Il ne m'épargnerait pas. Je le voyais dans ses yeux. Ou était passé mon doux Remus ? C'était lui qu'il me fallait pour le moment.
- Ton frère fait des choix, Sirius. Ses propres choix. Et il est temps que tu le comprenne et l'accepte. Même si c'est difficile.
- Des choix ? À treize ans ?
- Au même âge - et même après - que toi tu aies choisi de t'écouter et de t'ouvrir à d'autres vérités que celles de ta famille.
- Ce n'est pas comparable.
- Pourquoi ?
- Regulus ne fait pas un choix, Remus ! C'est un non-choix !
- À un certain stade, le non-choix devient un choix, Sirius. Et là, c'est le cas.
Peter fronça légèrement les sourcils, fixant Remus.
- Ce n'est pas aussi simple, Remus. Murmura t-il.
- C'est la vérité. Sirius aurait pu faire un «non-choix». Se retrouver en septième année à être un garçon du «milieu», ni mangemort, ni soldat du bien. Comme beaucoup le font. Ils font le choix de ne pas se battre, mais ils feront quand même partie de la guerre. Et seront confrontés à d'autres choix: être recruté, fuir, se cacher… il n'y a que des choix.
Sa tirade entraîna un instant de silence, et, bien que je n'étais pas prêt à faire face à cette vérité, Remus restait de marbre.
- Regulus savait que tu étais dans ce couloir. Comment le savait-il ? Il est arrivé par hasard ? Arrête de te voiler la face: Il a dit à Malefoy ou te trouver. Et ce que tu as balancé à Slughorn, certainement. C'est pour ça que Malefoy t'as frappé ? Parce qu'il a eu vent de tes insultes ? Demande toi alors qui les lui a répétées.
Je fermais les yeux, ravalant les larmes qui menaçaient de monter. Mais l'une d'elle m'échappa. Remus serra doucement mes doigts mais je retirais ma main de la sienne. Je voulais dormir.
Dormir et oublier.
Oublier cette douleur. Oublier ton visage transformé qui cognait sans relâche. Sans écouter mes appels. Oublier les mots de Remus. Oublier que mon frère me trahissait pour mieux te plaire.
C'était ça ma vie ? Une succession de défaites et d'abandons plus amers à chaque fois ?
- Je veux dormir.
- Sirius…
- Laissez-moi.
Ma voix était sans appel. Et je sentis à distance l'inquiétude de Peter. Les lèvres de Remus se posèrent doucement sur mon front, comme s'il s'excusait. Dès qu'ils furent sortis, je laissais mes larmes couler et le sommeil m'engloutir.
Mais je n'avais pas dit mon dernier mot. Je suis un Black après tout, un Black déchu qui plus est. Il me fallait donc de la force morale pour dix. Quelques jours passèrent, et aucun des Maraudeurs ne revint sur cette discussion. Remus était redevenu un petit agneau, Peter me couvait d'attentions. Quant à James: un vrai garde du corps. Je ne pouvais plus faire un pas hors de la salle commune sans qu'il ne devienne mon ombre. Et tant mieux, je ne voulais voir personne d'autre. Je n'avais plus adressé la parole à mon frère, ni même un seul regard d'ailleurs. Je sentais bien qu'il tentait d'attirer le mien.
Ma blessure était une plaie béante. Je ne savais pas si elle pourrait se refermer un jour. Ni même si la douleur s'atténuerait.
Je sentais tes yeux aussi. Comme s'ils évaluaient les dégâts. Ne t'en fais pas, Malefoy : Les traces ça s'efface. Je serai toujours beau. Plus fort.
Et désormais inatteignable.
Car tu es allé bien trop loin.
Je vais te le faire payer. Au centuple s'il le faut.
Ce petit jeu dont tu es le maître n'a plus qu'un seul joueur.
Et ce joueur Malefoy, c'est toi.
Tu vas te mordre les doigts de m'avoir blessé.
Je vais te montrer ce que c'est de m'avoir et de me perdre.
Je vais te faire goûter le manque, cruel et sournois.
En me tenant proche et pourtant plus loin que jamais.
J'ai commencé par ce que tu détestes: me coller à d'autres personnes. Il va sans dire que j'ai brillamment choisi le rôle principal de mon film destiné à te rendre fou.
Remus Lupin. Premier rôle.
Je prends son bras, sa main, je pose ma tête sur son épaule. Je m'esclaffe contre lui. Je sais qu'il n'y a aucun risque: mes amis sont mes frères. Mais toi, tu es trop bête pour avoir compris qu'ils remplacent ma famille. Ils sont plus importants qu'une amourette, qu'un foutu jeu.
Ils sont mes guides dans ce monde trop noir.
Toi, tu ne connais pas ça. Les relations vraies, pures, saines. Sans contrepartie. Seul un amour égal des deux côtés.
Tu n'y connais rien, Malefoy.
Je ne pose plus mon regard sur toi. Même si l'envie de voir tes réactions est tentante.
De toute façon, je ressens ta rage. Je la perçois.
Pour qui tu te prends, Malefoy ?
D'oser simplement être jaloux. Tu penses avoir un quelconque droit sur moi après ce que tu as fait ?
Tu ne t'es même pas excusé.
Évidemment. Pourquoi un Malefoy s'excuserait ? Tu te crois au dessus de tout. Comme chacun des tiens. Des miens aussi. C'est bien beau d'être un foutu et noble sang pur mais de n'avoir pas le moindre savoir être envers les autres êtres humains.
Je me nourris de ta rage. À distance. Pendant des jours.
Je vis ma vie. Près des miens.
J'existe comme si tu n'existais plus.
Oui. C'était un peu naïf de ma part. Je te l'accorde.
Je savais bien pourtant que je n'étais pas le seul borné du scénario.
Car si un Black ne plie pas, qu'en est-il d'un Malefoy ?
Même foutu sang pur et sang chaud.
Tu as fait bien pire que ce que j'aurai pu rêver.
Tu as osé.
Osé attendre en bas des marches des Gryffondors.
Osé m'attendre. Devant James, mon frère, qui ne rêvait que de te voir mourir.
Devant Remus, qui, sans le dire, voulait sûrement planter ses crocs de loup dans ton cou.
Devant Peter, qui, tellement sensible pourtant, semblait prêt à s'interposer entre toi et moi.
Ils ne t'ont pas laissé approcher. Si tu savais comme je me suis senti puissant à cet instant.
Voir leurs trois corps se mettre directement entre nous.
Faire barrage.
Me cacher de toi. Tu étais en colère. Tu bouillonnais. Je n'étais plus à toi. Tu t'étais privé toi-même.
- Potter. Je veux juste lui parler. Seul à seul.
- Ah oui ? Et ben tu vas devoir patienter, Malefoy. Tant que je serai vivant, ça n'arrivera pas.
Je m'adossais au mur et fermai les yeux. Comme si les délibérations ne me concernaient pas et ne m'intéressaient pas. C'était aussi t'ignorer totalement, et je m'étais découvert une passion à ce sujet.
- Potter. Tu sais bien que Dumbledore…
- Je me contrefous de ce qu'a dit Dumbledore. Tes excuses tu te les carres là où je pense.
- James. Réprimanda sévèrement Remus.
Je ne pus m'empêcher de rire à cette phrase : James était un peu extrême quand il s'agissait de moi.
- Sirius.
Je n'avais pas imaginé que ce simple son entre tes lèvres pouvait me chambouler.
Jusqu'à quel point avais-tu planté tes crocs en moi sans même que je ne m'en rende compte ?
C'était dangereux.
Je me détournais aussitôt pour rebrousser chemin vers la salle commune. Je voulais me replier et ne plus t'entendre.
- Sirius, ne crois pas que tu pourras m'éviter longtemps comme ça.
Je m'éclipsais derrière le portrait, laissant James s'écrier «C'est une menace Malefoy ?»
Mon cœur battait à deux mille à l'heure. C'était pire qu'une menace. C'était une affirmation. Et je ne savais pas si je serai capable de résister à une confrontation directe.
Remus avait posé sa main sur mon épaule, le regard soucieux.
Il m'aida à calmer la crise de panique qui menaçait de me submerger. Sa main se posa sur mon cœur et il m'aida à respirer de plus en plus calmement.
- Sirius… S'il te plaît, parle moi. Je sais qu'aucune de vos réactions n'est normale. Depuis quand tu as peur ? Depuis quand tu fuis ?
- Depuis que ce taré m'a refait le portrait !
- Et lui, depuis quand il s'intéresse à autre chose qu'à son statut ?
Je le regardais droit dans les yeux, le cœur toujours un peu affolé, et je murmurais, très bas «Depuis moi.»
