Note de l'auteure : Et voilà, c'est l'épilogue de cette histoire. Il est un peu plus court que les autres chapitres. En espérant qu'il vous plaira.
Merci d'avoir suivi et lu cette histoire, et merci pour vos commentaires qui font toujours super plaisir.
Bonne lecture,
Lili.
~ Et ils vécurent heureux... ~
- Depuis quand es-tu devenu un aussi bon cuisinier ? s'extasia Nemuri en reposant sa verrine d'une propreté éblouissante sur la table.
- Depuis que tu finis tes plats avec les doigts, se moqua Shota.
- Un truc si bon, pas question d'en laisser une miette, se justifia son amie en riant.
- C'est toi qui l'a fait, avoue, dit Mic en se tournant vers Naomasa.
- J'ai un peu aidé, admit le botaniste avec un sourire malicieux. Faire les courses, c'est aider, non ?
Attablés sur la terrasse à l'arrière de la maison, les quatre adultes discutèrent joyeusement tout en dégustant les divers amuses bouches composant l'apéritif. Le soleil éclatant de ce samedi printanier réchauffait les convives autant que le punch légèrement alcoolisé dont ils s'abreuvaient gaiement.
- Il était enfin temps que tu pendes ta crémaillère, lança Mic à Shota.
- Et que tu nous présentes ton amoureux ! ajouta Nemuri.
- Il nous a fait des cachotteries, renchérit Mic, tout en se penchant vers la brune d'un air conspirateur.
- On commençait à croire qu'il avait honte de nous, s'offusqua Nemuri.
- J'ai honte de vous, confirma Shota. Vous êtes pires que des gosses !
Naomasa éclata de rire devant les mines et les exclamations outragées des deux amis de Shota. Si on lui avait dit en octobre que sept mois plus tard, il serait en couple avec l'homme aux longs cheveux bruns venu dans sa boutique pour parler à sa grand-mère, il n'y aurait pas cru. Et pourtant... Suite à cette nuit d'Halloween si particulière, il avait, au fil de ses visites, noué un lien de plus en plus fort et intime avec le propriétaire des lieux.
D'abord venu pour refleurir la véranda, il était ensuite revenu pour aider à l'entretien du jardin, ajoutant régulièrement de nouvelles plantations puis pour des menus travaux dans la maison. Et finalement, il n'avait plus eu à chercher d'excuses pour revenir, quand Shota lui avait proposé une sortie entre eux dans un restaurant. Soirée qui s'était conclue par l'échange de leur premier baiser. Quand il était revenu dans la maison deux jours plus tard, il avait été littéralement assailli par les petits fantômes, voulant tout savoir de ce premier rendez-vous, le féliciter ou le prévenir qu'il n'avait pas intérêt à blesser Shota sous peine de vengeances terribles.
- Bon, tu nous la fait visiter cette maison ? demanda Mic en se levant.
- Oh oui ! J'adore les vieilles maisons, sourit Nemuri en l'imitant.
- C'est juste une maison, bougonna Shota en se redressant.
- Elle est hantée ? Je suis sûre qu'elle est hantée ! assura Nemuri avec un enthousiasme débordant.
- Pitié, gémit Mic en pénétrant dans la véranda, dis pas ça ! J'ai horreur des fantômes !
Shota leva les yeux au ciel, amusé par les simagrées de son ami. Si Mic savait à quel point sa demeure était hantée, nul doute qu'il n'y aurait jamais mis un orteil. Et il n'aurait sûrement pas touché aux amuses bouches ni au punch, ceux-ci ayant été préparés par Hanta et Eijiro, sous la supervision attentive de Rikido. En fait, l'intégralité du repas avait été réalisé par les enfants, ces derniers étant absolument ravis de voir de nouvelles têtes. Mais Shota ne comptait pas le lui dire, ni maintenant, ni jamais. En espérant que ses colocataires se tiendraient tranquilles tant que ses amis seraient présents, chose dont il n'était pas totalement sûr malgré la promesse des plus âgés, Shota conduisit ses invités à l'intérieur.
La visite du rez-de-chaussée se passa tranquillement, Mic et Nemuri s'extasiant sur la taille des pièces, la décoration et l'architecture. Shota vit Rikido disparaître dans un placard quand il pénétra dans la cuisine, entraînant Eri avec lui. Bien, la consigne "Ne vous montrez pas" était suivie, c'était déjà ça. Shota ne tenait pas à devoir expliquer la présence de gamins ectoplasmiques sous son toit.
- C'est quoi là ? demanda Nemuri en ouvrant la porte menant au sous-sol. Oh ! Tu as une cave !
Shota grimaça en voyant son amie descendre l'escalier sans attendre d'y être invitée. Comptez sur Nemuri et Mic pour fouiner partout. D'un pas plus lent, il les suivit, les trouvant rapidement accroupis dans le couloir, étudiant attentivement la plaque gravée au sol.
- C'est très joli, souffla Nemuri. C'est quoi ?
- Joli ! grogna Mic. On dirait une pierre tombale !
- C'est juste une plaque décorative, soupira Shota.
- C'est bizarre de l'avoir mise là, remarqua Nemuri. Je veux dire, pourquoi dans le couloir de la cave ? Pourquoi pas celui de l'entrée ?
Shota haussa les épaules, nullement décidé à répondre aux interrogations de la brune. Nul doute qu'elle finirait par trouver une explication lui convenant.
Cette plaque, Shota l'avait faite poser pour combler le trou laissé par ce mois d'octobre éprouvant. S'il avait espéré qu'en étant libéré du démon, il serait aussi libéré des cauchemars, il avait vite vu ses espoirs partir en fumée. Après un songe particulièrement horrible, il avait pété les plombs. Il était descendu à la cave, armé d'une masse prise dans le garage, et avait déversé toute sa rage sur les vestiges de la table sacrificielle, la brisant en mille morceaux.
Sa rage d'avoir été possédé par un être aussi immonde. Sa rage d'avoir fait du mal à des innocents à cause de ce monstre vivant en lui. Sa rage d'avoir perdu Touya et Keigo, même Twice, Himiko et Neito lui manquaient ! Sa rage contre tous les responsables des malheurs des gamins innocents vivant sous son toit. Sa rage contre Enji Todoroki et ses vices immondes qu'il avait bien trop vus et intensément ressentis en rêves.
Bien sûr, les bruits avaient alerté ses colocataires qui avaient tous débarqués, paniqués. Eux aussi faisaient des cauchemars, venant régulièrement finir la nuit avec Shota pour se rassurer. Mais en voyant l'adulte et son œuvre enragée, ils avaient pris eux aussi tous les outils qu'ils purent trouver, l'aidant dans son entreprise de destruction, joignant leurs cris aux siens, leurs larmes aux siennes. Quand il n'était plus rien resté qu'un trou béant, des milliers de gravats et de la poussière, ils avaient fini dans les bras les uns des autres, se consolant mutuellement.
Ce n'était que le lendemain que Shota avait eu cette idée pour combler le trou. Une simple plaque en pierre, sur laquelle il fit graver des symboles protecteurs et positifs, conseillés par Naomasa, et les noms des victimes d'Annonoth. Le tailleur de pierre auprès duquel il avait passé commande n'avait fait aucun commentaire, mais un excellent travail. Les noms étaient éparpillés entre les symboles et le lierre gravé sur la pierre, tel un tatouage plus qu'une pierre tombale.
- N'empêche, frissonna Mic, je comprends pas que tu supportes d'aller dans ta cave. Cette pierre me file les chocottes.
Nemuri se moqua en riant des craintes de son ami, tout en remontant au rez-de-chaussée. Shota sourit, jetant un dernier regard vers ladite pierre. Oui, peut-être que ça ressemblait un peu à une stèle commémorative. Mais c'était exactement ce que c'était non ? Pour que jamais les victimes du démon et les sacrifices faits pour le vaincre ne soient oubliées.
- Mais tu as combien d'étages ? s'exclama Nemuri depuis le palier du premier en jetant un regard curieux vers le haut des escaliers jumeaux.
- Quatre en comptant le sous-sol, répondit Shota en la rejoignant. Ma chambre est à droite.
- Quatre ? s'étonna Mic en poussant la porte de ladite chambre.
- La cave, le rez-de-chaussée et les deux étages, ça fait quatre, confirma Shota.
- Ouah ! Ça va ! Monsieur a carrément une suite personnelle ! admira Nemuri en poussant la porte menant à la pièce d'eau.
- C'est la seule salle de bain de la maison, soupira Shota. Je suis en train de réfléchir pour en faire une autre à l'étage ici, et une seconde au-dessus.
- Mais tu as combien de chambres ? demanda Némuri en comptant les portes du couloir face à la chambre du maître des lieux.
- Huit en plus de la mienne.
- De quoi loger toute une colonie de vacances, se moqua Mic en pénétrant dans la première pièce. Sympa la déco !
- Un peu trop brillant pour moi. Je savais pas que tu aimais à ce point les paillettes, plaisanta Némuri.
Les deux invités commentèrent chaque chambre, Shota les laissant faire sans rien dire. De toute façon, ces deux-là n'avaient pas besoin qu'il leur réponde, faisant les questions et les réponses tout seuls.
- Et donc, cette salle de bain, tu voudrais la faire où ? demanda Mic.
- Là, répondit Shota en désignant la chambre actuellement occupée par Eijiro, Hanta, Tenya et Shoto, le plus jeune ayant rejoint les trois autres après la disparition de son frère aîné.
Les négociations étaient d'ailleurs en cours à ce sujet. Si les enfants étaient ravis à l'idée d'avoir leur propre salle de bain, utilisant celle de Shota quand ils en ressentaient l'envie ou le besoin, le problème était de recaser les occupants de la pièce ailleurs. Surtout que la maison allait, dans un avenir pas si lointain, se retrouver avec deux occupants de plus : Naomasa et son neveu dont il avait la garde: Kota.
Kota était déjà venu plusieurs fois. Il avait rencontré les fantômes et avait même sympathisé avec la plupart d'entre eux. Il était d'ailleurs très proche d'Izuku, au grand damn de Katsuki qui ne supportait pas que son ami le délaisse au profit d'un gamin de cinq ans sorti de nulle part. Shota appréhendait un peu le jour où Kota vivrait à temps plein ici. Katsuki risquait d'être infernal car partager l'attention d'Izuku n'était vraiment pas son fort, loin de là mê pourrait bien faire les frais des humeurs explosives du fantôme blond.
En vue de l'arrivée prochaine de Kota, Katsuki et Izuku avaient accepté de prendre la chambre de Keigo. C'était soit ça, soit ils partageraient leur pièce avec quelqu'un d'autre. Etrangement, c'était Izuku qui avait refusé, arguant qu'il voulait rester seul avec Kacchan. Les deux garçons avaient donc déménagé de l'autre côté du palier du second étage. L'ancienne chambre de Keigo était plus petite, mais largement assez grande pour eux deux. Pour leur laisser plus de place, Shota leur avait même acheté un lit double sur mezzanine. Parce que oui, ils dormaient dans le même lit, et ce depuis toujours.
Les travaux pour transformer la pièce précédemment occupée par les deux gamins en salle de bain et en dressing étaient en cours. Kota prendrait l'ancienne chambre des frères Todoroki et aurait son propre dressing. Il partagerait sa salle de bain avec les autres fantômes vivant au second étage. Mais, mis à part Katsuki, il s'entendait bien avec eux, donc ce ne serait pas un problème.
- Attend ! Naomasa a la garde de son neveu ? s'étonna Némuri après les explications de Shota sur les travaux au second étage. Mais pourquoi ?
- Son père est militaire, répondit placidement Shota. Toujours parti en mission quelque part à l'autre bout de monde. Et sa mère est dépressive, elle ne peut pas s'occuper de Kota au quotidien. Donc c'est Nao qui en a la garde. Kota voit sa mère tous les dimanches, un peu plus pendant les vacances scolaires.
- Oh, ça doit pas être facile pour lui, le plaignit Mic.
- Pas toujours non, soupira Shota. Mais ça fonctionne comme ça depuis un peu plus d'un an, et...
- Et vous n'avez pas peur qu'il réagisse mal à un nouveau changement ? s'inquiéta Nemuri.
- Un peu, admis Shota. C'est pour ça qu'on l'habitue doucement, et qu'on l'implique dans les choix décoratifs de sa chambre. On essaye de faire au mieux pour lui.
- Tu vas pouvoir jouer au papa, plaisanta Mic.
Shota n'eut pas le temps de répondre qu'il vit une main enfantine et translucide traverser le mur juste derrière Mic. Ladite main aggripa l'arrière du tee-shirt noir et tira dessus d'un coup sec. La réaction de Mic fut immédiate. Il se retourna en glapissant violemment. Mais la main fantomatique avait disparu aussi promptement qu'elle était apparue, le laissant face à un mur bêtement blanc, sans rien justifiant le soudain tirage de son tee-shirt.
- Un souci ? s'étonna Nemuri.
- Y'a quelque chose qui m'a attrapé par derrière ! se scandalisa Mic.
- Tu as simplement dû t'accrocher quelque part, le rassura Shota.
Mais Mic ne sembla nullement convaincu par cette explication et s'empressa de quitter la chambre en travaux. Shota jeta un regard empli de reproches à Katsuki qu'il aperçut ricanant par l'entrebâillement de la pièce voisine.
- Vous avez entendu ? s'inquiéta Mic.
- Quoi ? demanda Nemuri en levant un sourcil.
- J'ai entendu un ricanement, assura Mic dévalant en courant les escaliers.
- Tu as dû rêver, plaisanta Nemuri, en le suivant plus lentement Ou c'était l'une des perruches de Shota.
- Canaris, ce sont des canaris, précisa Shota, lui emboitant le pas. Tonnerre et Cupcake.
- Et dans la véranda ? Ce sont des canaris aussi ?
- Non, des inséparables. Touya et Keigo.
- C'est marrant de donner des noms aux oiseaux, sourit Nemuri.
- HAAAAAAAAAAAAA !
Le hurlement de Mic fit dévaler les dernières marches à Shota et Némuri en courant, Naomasa sortant de la cuisine précipitamment lui aussi. Au beau milieu du couloir, Mic se tenait la tête, les yeux levés vers le plafond.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive encore ? se moqua Nemuri.
- Quelqu'un m'a tiré les cheveux ! répondit Mic, d'un ton rempli d'effroi.
- Y'a personne, fit remarquer Nemuri avec un sourire.
- Ça venait du plafond, assura Mic en pointant le doigt vers ledit plafond.
Pendant que Nemuri assurait à Mic qu'il n'y avait absolument rien et que c'était lui qui se faisait peur tout seul, Naomasa suggéra de retourner à table pour manger. Shota profita que son amoureux entraînait ses amis dans le jardin pour remonter au premier étage. Il ne fut nullement surpris de voir Denki, Ochaco et Katsuki hilares. Izuku, Tsuyu et Tenya semblaient, eux, mécontents et réprobateurs.
- Lequel de vous à tiré les cheveux de Mic ? demanda Shota.
Denki, immédiatement désigné par cinq index unanimes, souffla un "traîtres" rageur.
- Vous m'aviez promis d'être sage, rappela Shota, ses sourcils se fronçant de contrariété.
- Mais avoue que c'est marrant, plaida Katsuki. Ton pote crie comme une gonzesse !
- Et puis, on lui a pas fait grand-chose, sourit Ochaco.
- Et il nous a même pas vu ! promit Denki.
- Ecoutez les mômes, soupira Shota. Je comprends que ça vous amuse, mais Mic et Nemuri sont des amis de longues dates. Ils reviendront sûrement passer des soirées à la maison. Et si je peux éviter d'avoir un Mic se baladant partout avec tout un tas de grigris ou jetant de l'eau bénite partout dans la baraque, ça m'arrangerait.
- Il ferait ça ?
En voyant la lueur malicieuse dans les yeux des trois espiègles, Shota leva les yeux au ciel.
- On va faire un marché, proposa-t-il. Vous ne faites plus aucune blague, aucun bruit, et vous ne vous montrez pas, tant qu'ils sont là. Et en échange, ce soir, je vous emmène au cinéma. Et vous choisissez le film. Si vous n'êtes pas sages en revanche... Je confisque tous les magazines de mode de Denki. Je confisque le téléscope d'Ochaco et quand Kota reviendra, il dormira dans la chambre de Katsuki et Izuku.
- Bon, y'a quoi au cinéma ce soir ? demanda Denki d'un ton empressé.
- Pas question que ce morveux dorme avec nous ! pesta immédiatement Katsuki.
- Faut qu'on demande à Eijiro, il connaît le programme par cœur, assura Ochaco.
Les trois fauteurs de troubles se précipitèrent vers la chambre dudit Eijiro, Katsuki entraînant Izuku à sa suite, tout en jetant un regard noir à Shota.
- Je ne suis pas sûr que se servir de Kota pour punir Katsuki arrange les choses entre eux, fit remarquer doctement Naomasa en montant les dernières marches, étant venu voir si son compagnon en avait pour longtemps.
- Je sais, soupira Shota. Mais si j'avais dit qu'Izuku dormirait ailleurs, c'est lui qui aurait été puni autant que Katsuki.
- Kota s'entend bien avec Eri et moi, intervint Tsuyu. On essayera de faire en sorte qu'il n'accapare pas trop Izuku.
- Et on essaiera de faire des trucs tous ensembles, ajouta Tenya. Pour que ces deux là s'entendent.
- Merci, sourit Naomasa. Bon, tes invités t'attendent, Shota.
- Tu parles, sourit Shota. Ils vont manger et surtout ne rien nous laisser.
Naomasa rit et redescendit l'escalier, Shota sur ses talons. Contrairement à ce qu'avait dit Shota, Nemuri et Mic n'avaient pas encore commencé à manger, même s'ils s'impatientaient. Les quatres adultes discutèrent joyeusement de longues heures durant, Mic et Nemuri finissant par partir alors que la nuit commençait déjà à tomber. Naomasa avait dû partir plus tôt pour récupérer Kota qui avait passé la journée avec sa mère. Heureusement pour Shota, le rangement et le nettoyage furent vite faits avec l'aide de dix-huit gamins surexcités par l'idée d'aller enfin au cinéma, une activité qu'ils n'avaient fait que rêver de faire jusque-là et qu'ils adoraient pratiquer depuis qu'ils le pouvaient.
Deux heures après le départ de ses amis, Shota pénétra donc dans la salle de cinéma au centre ville, blasé à l'idée de regarder un film d'animation qui ne l'intéressait nullement. Les rocambolesques et drôles aventures de petits bonhommes jaunes aux yeux globuleux et à la parole plus qu'approximative n'était franchement pas sa tasse de thé. Mais la majorité avait parlé. C'était la dernière séance de la soirée, et il n'y avait presque personne. Shota s'installa donc tout au fond de la salle et ouvrit son sac à dos. Immédiatement, il se retrouva entouré de petits fantômes qui s'installèrent sur les sièges environnants tout en chuchotant.
- T'as pas pris de pop-corn ! se plaignit Mina.
- Ni de bonbons ! bouda Kyouka.
- Je n'ai pas faim, se justifia Shota.
- Mais on en voulait nous, protesta Mina.
- Vous ne pouvez pas les manger, soupira l'adulte.
- On est attaché à toi, donc ce que tu manges, on le mange nous aussi en quelque sorte, justifia Momo. Enfin, je crois...
- Quand tu manges des pommes d'amour, j'ai le goût dans la bouche, assura Eri. Et j'aime bien.
Les bandes annonces coupèrent court au débat, débat qui revenait régulièrement sur le tapis. Shota n'y croyait pas vraiment, mais se pliait docilement aux caprices alimentaires de ses protégés, autant pour leur faire plaisir que pour avoir la paix. Et puis, lui aussi était gourmand et aimait manger des cochonneries trop grasses ou trop sucrées, même si ce n'était pas le régime alimentaire idéal pour lui. Ce n'était donc pas un réel sacrifice de sa part, mais hors de question pour lui de l'avouer à sa petite bande d'ectoplasmes.
Le film commença et Shota bailla, s'ennuyant déjà. Depuis que Naomasa avait attaché les âmes des enfants à la sienne, Shota les emmenait partout où il pouvait. Pour faciliter les choses, Naomasa avait gravé dans une plaque en cuir des symboles permettant aux gamins de rétrécir, jusqu'à pouvoir tous tenir dans le sac où Shota mettait la plaque. Plaque qu'il mettait régulièrement dans sa poche pour emmener l'un ou l'autre de ses colocataires faire les courses ou toute autre activité que les autres ne voulaient pas faire.
La première sortie au cinéma avait failli tourner au drame quand une dame et son petit-fils s'étaient installés tout près de la petite troupe fantomatique, la dame s'asseyant directement sur le fauteuil occupé par Yuga. Heureusement, Hitoshi avait eu le réflexe de tirer Yuga vers lui, lui faisant traverser l'assise pour lui éviter de servir de coussin à une pimpante quarantenaire. Mais les rires moqueurs de Denki, Mina, Jiro, et Katsuki n'avaient pas été des plus discrets, malgré leurs tentatives de les étouffer.
De ce fait, Shota s'était pris un regard noir et furibond, accompagné d'une remarque désagréable quant à son manque de discrétion et de délicatesse. Si Shota s'était simplement platement excusé, ses colocataires n'avaient pas apprécié qu'on lui parle ainsi et s'étaient vengés à leur manière, piquant le pop corn du gamin, renversant le sac de la mère de famille etc... Au final, Shota n'avait pas réellement pu profiter du film, aucun des fantômes n'avaient suivi l'histoire, et la dame et son fils quittèrent la séance persuadés que le cinéma était hanté. Depuis, Shota choisissait toujours des séances particulièrement tardives ou très matinales, sous-entendu quand il n'y avait presque personne dans les salles.
Tout en suivant vaguement les aventures d'une bande de soi- disant apprentis super-héros protégeant une île d'une attaque de criminels, Shota posa un regard attendri sur sa marmaille ectoplasmique. Blottis sur le même siège, Katsuki et Izuku ne quittaient pas des yeux l'écran, chuchotant de temps en temps à l'oreille l'un de l'autre. Yuga et Mina s'agitaient régulièrement, encourageant les héros à grand renfort d'exclamations et de gestes. Assis entre eux, Hanta esquivait les mains de ses amis tout en suivant l'action en souriant.
Sur les genoux d'Eijiro, Shoto et Eri semblaient émerveillés devant la détermination des apprentis héros. Eijiro se tordait le cou pour voir le film sans déranger les deux petits sur ses genoux, sa tête reposant sur l'épaule de Momo. Momo se cachait les yeux avec les mains, ses doigts écartés ne lui masquant cependant pas grand chose des évènements fictifs. Coincé entre Ochaco et Tsuyu, Tenya subissait stoïquement l'enthousiasme de la première qui se pendait à son bras, sous le regard amusé de la seconde. Plus calmes, Koda et Hitoshi suivaient avec attention les pérégrinations se déroulant sur l'écran. Denki et Jiro se disputaient pour savoir si oui ou non les deux protagonistes principaux étaient amoureux l'un de l'autre, prenant un Fumikage totalement indifférent comme arbitre dans leurs discussions.
Le film se termina et Shota quitta la salle, les fantômes ayant repris sagement place dans son sac à dos. Il profita du silence jusqu'à sa voiture, sachant déjà que dès qu'il y serait, ce serait la cacophonie. Comme il l'avait prévu, dès qu'il eut fermé la portière, ses colocataires sortirent du sac et se lancèrent dans une discussion enthousiaste au sujet du film, se disputant régulièrement pour savoir lequel des protagonistes était le meilleur, le plus classe, quelle scène était la plus émouvante, la plus violente, etc...
Et si en se couchant, Shota prit un doliprane pour calmer son début de migraine, il se sentit malgré tout pleinement satisfait de sa journée. Il se glissa sous sa couette, souriant en lisant le message de bonne nuit envoyé par Naomasa. Moins d'un an auparavant, il n'aurait jamais cru que sa vie prendrait cette tournure. Mais il ne s'en plaignait pas. Il avait une grande maison, un amoureux parfait pour lui et toute une palanquée de gosses collés à ses basques pour toujours.
Un mince sourire étira les lèvres de Shota quand il pensa à la surprise qu'il réservait auxdits gosses. Naomasa et lui avaient décidé de partir en vacances ensemble, avec Kota évidemment. Après discussion, ils s'étaient décidés pour l'Angleterre, à Londres précisément. Et ils avaient pris les places pour visiter le Warner Bros Studio Harry Potter Tour. Nul doute que cela plairait à tout ce petit monde.
L'air de rien, tout organiser n'était pas simple. Il fallait trouver un logement permettant d'accueillir deux adultes et un enfant, tous trois bien vivants et non compressibles, et dix-huit fantômes. Sans compter le voyage en avion. Trois places... pour vingt-et-une personnes. Parce que Shota ne se faisait aucune illusion. Il n'y avait aucun moyen que les petits esprits restent sagement dans son sac durant les longues heures de trajet. Ils voudraient forcément sortir pour en profiter au maximum. Trois places, spacieuses et isolées, s'imposaient donc.
Cette semaine de vacances s'annonçait épique et mouvementée, mais ni Shota, ni Naomasa n'avaient envisagé un seul instant de laisser les fantômes à la maison. Et à leur retour, Naomasa et Kota déménageraient définitivement ici. Si les travaux d'aménagement ne prenaient pas trop de retard d'ici là. Ce fut sur ces pensées que Shota sombra dans un sommeil profond et réparateur, où aucun rêve immonde ne vint s'immiscer.
Au fil des jours, des semaines, des mois, des années, cette grande maison se fit l'écrin secret de bien des rires, de bien des larmes, des disputes, des réconciliations, des moments de complicité, de secrets échangés. De petites habitudes aussi. Surpris d'apprendre que les petits fantômes n'avaient jamais fêtés leurs anniversaires, Naomasa avait donc décidé de remédier à ça, entre autres choses.
Même si aucun des enfants ne pouvait manger son gâteau d'anniversaire, ils purent souffler chaque année leurs bougies dont le nombre resta immuable pour chacun d'eux. Et chacun d'eux reçut des cadeaux, autant de la part des deux adultes que de celles de leurs camarades. Ces jours-là, Shota et Naomasa organisaient toujours des activités ludiques pour que chacun de ceux qu'ils considéraient comme leurs enfants ait une vraie fête d'anniversaire.
Si le premier Halloween après l'éprouvante nuit où Annonoth fut vaincu fut une nuit emplie de larmes et de souvenirs douloureux, les suivants se firent bien plus joyeux. Ce fut en essayant de consoler Eri que Shota se rendit compte que malgré l'absence de la pleine lune, les petits ectoplasmes étaient plus tangibles qu'habituellement durant cette nuit particulière de l'année. Ce n'était pas autant que lors d'une nuit de pleine lune, mais c'était assez pour que Shota ait une idée.
L'année suivante débuta ce qui devint la traditionnelle maison d'Halloween la plus connue de toute la ville. Tous les occupants mirent la main à la pâte pour décorer autant la cour devant l'antique demeure, que le jardin à l'arrière et l'entièreté du rez-de-chaussée et de la cave, la pierre commémorative s'ornant de bougies brûlantes à la mémoire des disparus. Citrouilles, lanternes, épouvantails, faux fantômes, squelettes en plastiques et toiles d'araignées artificielles s'étalèrent partout, donnant à la demeure des allures de manoir hanté.
Ravis, les gamins s'étaient déguisés et maquillés avant de s'éparpiller dans la propriété. Exceptionnellement, cette nuit dans l'année, et seulement celle-là, le maquillage sur leurs peaux ne devenait pas translucide, leur donnant une tangibilité plus forte. Les costumes, enfilés par-dessus leurs vêtements habituels, gardaient toute leur réalité humaine, finissant de rendre vie aux gamins.
Ces derniers s'en étaient donné à cœur joie, s'amusant à effrayer les visiteurs pour certains, les accueillant avec d'immenses sourires pour d'autres, remplissant de friandises les sacs des gourmands les plus courageux. Le bouche à oreille avait fait le reste et, la seconde année, le nombre de visiteurs doubla. Longtemps, la grande maison au bout de la rue des jonquilles devint l'attraction incontournable de la nuit d'Halloween, pour les grands comme pour les petits.
Le neveu de Naomasa, Kota, se fit rapidement une place entre les murs de la demeure, sympathisant avec ses amis fantomatiques, finissant même pas s'entendre avec Katsuki. Tout naturellement, il participa à chaque fête d'anniversaire, à chaque célébration d'Halloween. Il grandit et finit par quitter la demeure pour faire des études d'architecture dans une grande ville à une centaine de kilomètres de là. Pourtant, chaque trente et un octobre, il revint dans ces murs qui l'avaient vu grandir, pour participer activement à la fête d'Halloween.
Naomasa tint la boutique de sa grand-mère jusqu'à sa retraite, où il la revendit à une jeune botaniste qui fit son apprentissage avec lui. Shota resta comptable jusqu'à la fin de sa carrière professionnelle, avec Némuri et Mic. Ses deux amis se marièrent, Nemuri avec l'un de ses clients, Vlad, et Mic avec une femme faisant trois têtes de plus que lui, Yu. Bien sûr, Shota fut leur témoin, à son grand désarroi. Ni Mic, ni Némuri, n'eurent jamais connaissance de l'existence des fantômes, bien qu'ils les rencontrèrent lors des soirées d'Halloween où ils vinrent chaque année. Mais jamais ils ne surent que ces gosses bruyants qui crapahutaient partout dans l'antique demeure étaient chaque année les mêmes, parfaitement inchangés, habitants là à temps pleins, et non de simples visiteurs facétieux.
Les petits fantômes profitèrent pleinement de ces années de paix, loin de la menace de tout démon. Katsuki et Izuku restèrent inséparables, Rikido cuisina quotidiennement, Eri et Shoto devinrent finalement aussi proches l'un de l'autre qu'un frère et une sœur, entraînant régulièrement un Eijiro conciliant dans leurs jeux enfantins. Ochaco, Tsuyu, Mina, Jiro et Momo montèrent un groupe de danse et de musique qu'elles appelèrent les "étoiles filantes", organisant des spectacles pour le plaisir de leurs colocataires, animant aussi bien les soirées lambdas que les fêtes au sein de la grande maison.
Hanta et Yuga servirent régulièrement de mannequins à Denki qui se lança dans la confection de tenues pour tout le monde, soi-disant pour faire faire des économies à Shota. Shota n'eut jamais le cœur de lui dire qu'acheter les mètres de tissus, de fils et autres accessoires nécessaires lui coûtait bien plus cher que se procurer un vêtement ou deux occasionnellement. Tout comme les mêmes costumes d'Halloween auraient pu resservir d'une année sur l'autre puisque les enfants ne grandissaient pas.
Hitoshi continua à prendre soin des diverses plantes de la maison. Naomasa et lui pouvaient passer des heures à jardiner ou discuter fleurs et végétaux dans la véranda ou le jardin. De nombreux chats, chiens et oiseaux de tous genres vinrent trouver refuge dans la grande bâtisse, pour le plus grand plaisir de Koda qui les bichonna tous avec soin et les nomma tous. Dans le fond du jardin, à côté de la petite pierre sous laquelle reposait Sucre d'Orage, d'autres pierres vinrent s'ajouter au fil des pertes animalières dûes à la vieillesse. Tenya continua à courir dans la cour tous les jours, ratissant soigneusement après son échauffement pour remettre les graviers bien en place. Fumikage finit par déménager sa collection de lanternes dans la cave, dans l'ancienne chambre de Twice, Denki ayant envahi leur chambre avec ses nombreux tissus.
Le jour où Shota rendit son dernier soupir, à l'aube de son quatre vingt cinquième anniversaire, il le fit dans sa maison, entouré de son compagnon, de Kota, devenu adulte, et des petits fantômes qui l'avaient accompagné tout au long de sa vie depuis que leurs destins avaient été liés. Ces derniers n'avaient plus quitté la chambre de leur père de cœur quand celui-ci dut rester alité. Au travers de leurs larmes, Naomasa et Kota surent que Shota s'était définitivement éteint quand ils virent les enfants intangibles, et eux aussi éplorés, disparaître doucement un à un, leurs âmes suivant celle du défunt.
Sur la stèle sous laquelle il enterra Shota, puis Naomasa quelques mois plus tard, Kota fit aussi graver les noms de tous ceux qui furent comme des frères et sœurs pour lui. Une tombe, deux corps, vingt noms, unis pour l'éternité. Il savait que c'était ainsi qu'ils l'auraient voulu. Il ne put jamais s'habituer au tout nouveau et si pesant silence de la grande demeure dont il hérita. Et il se résolut finalement à la vendre, incapable d'y vivre ne serait-ce qu'un seul jour, trop hanté par tous les souvenirs heureux qu'elle contenait, rendant impossible ce deuil qu'il devait pourtant faire, lui qui faisait toujours partie des vivants.
La veille de la signature définitive de l'acte de vente de l'antique bâtisse qui avait connu tant de jours heureux après la victoire sur Anonnoth, il descella la pierre commémorative du couloir de la cave, allant la poser au cimetière, sur la stèle Aizawa-Tsukauchi. Seul devant le petit édifice, alors que le vent printanier agitait les branches timidement fleuries des quelques arbres égaillant l'endroit, il sursauta, surpris de sentir une réconfortante caresse fantomatique sur sa joue. Un remerciement silencieux qu'il accepta avec un petit sourire triste, avant de retrouver sa femme et ses deux enfants qui l'attendaient dans leur grand appartement confortable du centre ville.
Halloween n'aurait plus jamais la même saveur. Mais Kota prendrait plaisir à partager ses souvenirs avec ses enfants, à faire revivre, le temps d'un récit, les facéties des uns et des autres, le souvenir de tous ces êtres fantomatiques ou de chair et d'os qui avaient illuminé sa vie. Tant de bonheurs, d'éclats de rires, parfois des disputes et des réconciliations... Il entretiendrait à sa façon la mémoire de tous ces disparus.
Le nouveau propriétaire ouvrit la porte de la grande maison. Celle-ci grinça quelque peu sur ses gonds mais s'ouvrit cependant toute grande. Ses enfants bousculèrent le père de famille, bien trop pressés de découvrir les lieux, et s'éparpillèrent dans les entrailles de la demeure, leurs cris et diverses exclamations résonnant dans les lieux. Sa femme, une main posée sur son ventre très arrondi, le rejoignit sur le pas de la porte.
- Chéri, elle est vraiment magnifique.
- Tu verras, nous serons très heureux ici.
Un espiègle courant d'air venu de l'intérieur de l'antique bâtisse ébouriffa gentiment les cheveux du couple, leur souhaitant la bienvenue, avant de se fondre dans le vent printanier agitant les plantes du jardin.
Fin.
Commentaire de l'auteure :
Et voilà, cette histoire se termine.
J'espère qu'elle vous a plu.
Moi, en tout cas, je me suis bien amusée à l'écrire.
Bureau des plaintes et réclamations des personnages martyrisés :
- Donc, tu m'as réellement collé À VIE une marmaille fantomatique, soupire Aizawa désabusé depuis son sac de couchage.
- Tu dormais pas ? s'étonne Lili.
- Va essayer de dormir quand Izuku et Katsuki se disputent juste à côté de toi, bougonne le brun.
- Pas faux, admet Lili. Et oui, je t'ai collé une marmaille fantomatique à vie ! MAIS, je sais que tu les adores !
- Je me demande bien pourquoi, soupire Aizawa.
- Parce que tu es un peu masochiste sur les bords ? suggère Lili amusée.
Pour seule réponse, Aizawa agite vaguement la main avant de se recaler dans son sac de couchage, profitant d'y être seul, Izuku ayant été finalement embarqué par Katsuki peu avant. Il compte bien faire une bonne sieste en attendant la prochaine idée de Lili, espérant qu'il ne sera pas impliqué cette fois, ce dont il doute sérieusement hélas.
