Suite à un accouchement, une nouvelle mère reçoit une période de grâce pour se reposer et pouvoir faire connaissance avec son nouveau-né. Fréquemment, ce temps de repos prend un mois au minimum, souvent plus.
Bellatrix ne tient même pas une semaine.
Et pourtant, elle essaie, vraiment. Cette conception l'a complètement vidée, et pas juste physiquement, elle a l'impression d'être aussi vide et creuse qu'un fantôme au niveau mental, elle ne parvient plus à réfléchir. Prendre du temps pour elle, sans interférences venues de l'extérieur, ça devrait aider, n'est-ce pas ?
Sauf que non. Bellatrix a beau être fatiguée, elle ne parvient pas à se poser, à se reposer. Elle se sent fébrile, agitée et énervée, faisant les cent pas dans le Manoir et le parc alentours, la baguette et les cris encore plus prompts à sortir qu'en temps normal. À croire qu'elle est possédée, sauf qu'elle l'a expulsé de son corps, son locataire indésirable, non ?
Son petit locataire. Quand Rodolphus est venu le lui montrer, cette ébauche de personne ficelée dans ses langes en coton blanc, elle a ressenti…
Elle n'a rien ressenti.
Elle sait qu'elle devrait. Elle sait qu'elle devrait le prendre dans ses bras, lui chanter des berceuses. Ce genre de bêtises, c'est bien ce que font les mères dans les romans de gare, tout un tas de peccadilles que Druella ne s'est jamais donné la peine d'accomplir pour l'une ou l'autre de ses trois filles.
Quand Bellatrix a pris son fils dans ses bras, elle a eu envie de le lâcher tout de suite, de se débarrasser de ce poids beaucoup trop lourd malgré sa petite taille. Quand elle a essayé de chantonner, sa voix a sonné faux, rouillé, moqueur dans le silence de la chambre.
Cette même nuit, elle a rêvé qu'elle jetait le bébé par la fenêtre.
Elle ne peut pas être sa mère. Pas alors qu'à chaque fois qu'elle pose les yeux sur lui, une boule de ténèbres se forme au creux de son estomac, menaçant de remonter le long de sa gorge pour la faire vomir, menaçant de remonter jusqu'à son cerveau pour noyer sa psyché. Bellatrix ne peut pas supporter l'idée de servir de mère à ce bébé.
Elle est sûre qu'il le sait, à la façon dont il darde sur elle des yeux à la couleur encore trouble dans son minois chiffonné, comme s'il ne savait pas quoi faire d'elle, comme s'il lui demandait pourquoi il est supposé croire qu'il est venu d'elle. Comme s'il ne comprenait pas pourquoi elle s'entête à rester là.
Alors Bellatrix craque au sixième jour, repartant au service de son Maître. Elle balaie les murmures désapprobateurs d'un sourire assuré, affirmant que sa dévotion pour le Seigneur des Ténèbres et l'honneur de le servir surpasse toute autre obligation qu'elle pourrait avoir, que ce soit en tant que sorcière, épouse ou mère, et elle reçoit l'insigne privilège d'une lueur approbatrice dans le regard rouge de celui qu'elle sert.
Au fond de sa poitrine, les ténèbres ne se dissipent pas.
Avec l'ajout d'un nourrisson à la maisonnée, l'organisation au jour le jour se complique, mine de rien. Parce qu'un bébé, ça exige un minimum d'attention et de soins afin de grandir vaille que vaille.
Oh, pour un esprit traditionaliste, la question serait vite pliée. Engager une nourrice, ou même charger un elfe de maison de garder l'œil ouvert, ce n'est pas la mer à boire. Quand on est assez riche et influent pour ne pas s'abaisser à interagir avec sa progéniture, pourquoi donc faire des chichis ?
Sauf que le côté français, incurablement sentimental de Rodolphus Lestrange le pousse à refuser cette suggestion. Bien sûr, il ne le formule pas comme tel ; l'explication fournie au patriarche Lestrange est que vu les temps qui courent, la nourrice court un très gros risque d'être irréparablement corrompue par des idéaux progressistes et donc d'exercer une influence néfaste sur l'héritier vulnérable de la famille. Imaginez un peu le scandale, si ça se produisait !
Quant aux elfes de maison, ceux du Manoir sont déjà bien assez occupés, et le marché n'est pas ouvert pour en acquérir un nouveau – Poudlard a cette manie de rafler tous ceux qui se retrouvent privés de maître et donc ouverts à se lier avec un nouveau domaine ou une autre lignée. C'est bien agaçant, c'est très dommage, et c'est inconvenant pour qui a un besoin urgent de personnel.
Organisation du planning, donc.
C'est là que ça s'avère pratique, d'avoir des frères et sœurs disponibles sous la main. Rabastan a l'habitude de se voir déléguer des tâches au nom de la famille par son père et son frère, pourquoi pas ça aussi ? Certains objecteraient que c'est assez stupide de confier le bien-être du neveu héritier à l'oncle dont les chances de gagner un titre et une fortune viennent de dégringoler, mais vraiment ce n'est pas ce type d'histoire : Rabastan sera le premier à reconnaître qu'il a ses défauts, mais parmi ceux-là figurent la paresse et la couardise en tête de liste. Roshan n'a rien à craindre de sa part.
Bien sûr, pour ce qui est de permettre à Narcissa de s'occuper de son neveu si besoin est, c'est moins sûr. La dernière-née de Cygnus Black a beau être aussi désespérément sentimentale que son beau-frère, son mari Lucius est un Malefoy pur et dur, préoccupé d'abord et avant tout d'avancer la cause de sa lignée. Roshan est l'Héritier Lestrange, oui, mais par sa mère Bellatrix, il existe une forte chance que l'enfant hérite également de la famille Black. Il s'agit de filiation matrilinéaire, sur laquelle la loi de succession se montre floue au point d'être enrageante, mais c'est néanmoins une filiation.
Et Bellatrix est la première-née de Cygnus Black, pas la benjamine. L'aîné passe avant le cadet, c'est gravé dans le marbre aussi bien au Ministère qu'à Gringotts, si bien que l'enfant à naître de Narcissa ne recevra pas la plus petite noise d'argent Black quand bien même ce serait un garçon. À moins que Roshan ne vienne à disparaître de la ligne d'héritage.
Hors de question de donner à Lucius cette opportunité, et ça signifie limiter son accès à son neveu par alliance. Si cela signifie couper les ponts avec Narcissa, et bien on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. De toute façon, son propre enfant naîtra dans le courant de l'année à venir, et à ce moment-là elle aura bien d'autres chats à fouetter que de s'occuper de l'engeance d'autrui, peu importe le lien de parenté.
Pour ce qui est des grand-parents… la situation n'est pas fameuse, pour dire la chose avec délicatesse. Romulus Lestrange ne s'intéressait déjà pas à ses propres fils, et la naissance d'un petit-fils ne semble guère en mesure d'inverser la donne. Druella Black pourrait vouloir faire partie de la vie de Roshan, mais il faudrait compter avec Cygnus, qui n'a jamais vraiment pardonné à Bellatrix d'être une fille et pourrait très bien se montrer irrité et exaspéré devant le fait que son petit-fils n'est pas un Black mais un Lestrange.
Bellatrix elle-même n'a pas envie de participer à la vie de sa progéniture, et Rodolphus ne la forcera pas, surtout après avoir vu ses nerfs partir en loques pendant sa presque-semaine d'essai. À la place, il compensera pour elle. Enfin, il fera de son mieux, et ce ne sera sans doute pas brillant vu qu'il n'a pas la moindre idée de comment s'y prendre pour son propre rôle, pensez donc pour deux.
Être élevé par son père et son oncle, c'est à peu près convenable. Ça pourrait certainement être pire pour Roshan.
