Confidences

Le soleil était à présent au zénith et il ne devait pas être loin de treize heures, à présent la chaleur était plus forte, mais encore supportable.

Après avoir passé la matinée ensemble, les jumeaux avaient décidé de vaquer à leurs occupations. Il était encore trop tôt pour qu'ils réussissent à rester trop longtemps ensemble. Finalement si on regardait bien, ce qui s'était passé paraissait être un bon début.
Mais ils avaient l'un comme l'autre un besoin impérieux de se retrouver loin de l'autre, de pouvoir savoir enfin où ils en étaient.
Paradoxalement, ils avaient envie de cette promiscuité mais elle devenait par moments pesantes, synonyme de tensions, une autre fois agréable et paraissant constructive.
Ne sachant pas trop quoi penser de l'attitude de son grand frère, Kanon avait choisi de se promener un peu partout, savourant cette solitude.
Il repassa la main dans ses cheveux fraîchement coupés, et essuya la sueur qui dégoulinait sur sa nuque. Où y avait il donc une fontaine pas trop loin? Et que ferait il ensuite? Aucune idée, sincèrement. Mais tout plutôt que de retourner dans ce foutu bâtiment ou de rester avec son frère! Franchement il avait besoin de respirer d'un peu de calme afin de récupérer un peu ses esprits après ce qui venait de se passer. Il y avait tant de choses à assimiler, ce changement à accepter, se réhabituer à rester au Sanctuaire. Même si il avait payé sa dette envers Poséidon et les marinas, en faisant face à Némesis et aux spirits, il doutait franchement d'être reçu à bras ouverts. Et vu le coté rancunier du dieu marin, il valait mieux rester sous la protection d'Athéna. De toutes façons il lui avait juré fidélité et avait été entraîné pour devenir un gold saint...
A présent, se sentirait il chez lui dans ce fichu lieu? Que pensait il de l'attitude de son frère? Devait il commencer à accepter cette remise au pas et se conduire en saint digne de ce nom?

Bref, de quoi être bien occupé pendant un long moment!
Se penchant à une fontaine pour boire alors que dans l'avenue il y avait moins de foule, le cadet des Gémeaux se demandait comment il pourrait occuper son temps libre sans un boulet dans les pattes...
A quelques mètres de là, Argos venait de se saisir d'un bâton et se dirigea à son tour vers le point d'eau. Avec le plus grand calme, il attendit son tour tout en détaillant rapidement du regard celui qui était devant lui.
- Avez vous enfin terminé? sinon, prenez le temps qu'il vous faut, personne n'a d'avion à prendre.
Il n'y avait aucune trace d'agacement dans cette demande. Elle était formulée d'un ton on ne peut plus posé et poli, Une grande première.
-Ouais.
-Je vous remercie, sire Kanon.
Cette fois le ton poli et le fait que le gamin ait deviné son identité le désarçonna totalement, à moins d'être très observateur il avait sans doute des dons de voyances! Après ce changement d'apparence, il était on ne peut plus méconnaissable et pourtant...
-Comment as tu pu,... Grommela il, sans réussir à cacher la légère irritation dans sa voix.
-Nous nous sommes entrevus ce matin, et puis vous ne passez pas inaperçu de par votre grande taille. Mais assez parlé, j'ai une ronde à effectuer.
Si vous le souhaitez, vous pouvez m'accompagner, ça ne me pose aucun problème, ajouta il du même ton calme froid et poli.

Une ronde... après tout pourquoi pas, ça lui permettrait de se changer un tantinet les idées et de les mettre en ordre. C'était pas parce qu'il risquait d'être un futur gold saint qu'il pourrait se permettre de négliger les obligations les plus élémentaires, comme celle ci. Et pas pour l'approbation des autres, ni pour les regards surpris, mais pour lui avant toute chose.
Il lui emboîta alors le pas. Par chance, au contraire de ces gamins quelques peu immatures par moments, la compagnie du nouveau silver saint n'était pas si désagréable que ça...
Ok, il était franchement coincé, guindé avec sa politesse, mais lui au moins ne l'assommait pas de question inutiles toutes les deux secondes. Il lui avait fait une proposition et rien imposé à n'importe quelle sauce. Pourquoi ne pas accepter?


Ils marchèrent en silence depuis une bonne heure jusqu'à atteindre un point d'observation en hauteur où bien sur rien ne se passait. Pas comme dans leur vies à eux, se dit mi soulagé mi perdu Kanon, alors qu'Argos semblait se concentrer sur les différents cosmos.
De là où ils étaient, vers le sud est, ils avaient une vue sur les nombreux baraquements destinés aux soldats, les champs, des pâturages et l'oliveraie. Le tout sous une chaleur qui devenait plus forte, même en cette fin septembre.

Le silence semblait presque dérangeant aux yeux de Kanon, sans doute un mauvais souvenir de cette attente incessante au Sanctuaire sous marin. Ou de se cantonner à son rôle d'ombre, plutôt numéro deux avec la plus grande discrétion.
- Au moins t'es moins pénible et moins stupide que d'autres, gamin.
- Le gamin a un nom, et c'est Argos, répondit le concerné d'un ton calme mais sans réplique en soutenant son regard. Et pourquoi cette observation? continua il en se tournant vers lui avec un regard scrutateur.
Eh bien, il ne manquait pas d'un certain aplomb, pour oser remettre les pendules à l'heure et passer outre la politesse due aux supérieurs. Toutefois, se souvînt il avec amertume, il n'était pas encore chevalier d'or, malgré ses faits aux Enfers.
- Tu es bien le seul à ne pas me sortir que ce changement radical d'apparence me va bien ou autres conneries de ce genre.

- Ce n'est pas à moi de me permettre de commenter les changements, surtout quand je suis en plein dedans. Le plus important, c'est que le concerné parvienne à s'y retrouver et à voir ce qu'il y gagne, ce qu'il y perd.

C'est vrai, il était arrivé au Sanctuaire il n'y avait pas si longtemps… Quitter son lieu d'entraînement pour venir ici et réussir à creuser son trou ne devait pas être si évident. En le voyant garder le silence, l'ex marina fût partagé entre l'envie de continuer cette discussion ou de la clore. Bizarrement parler avec un parfait inconnu était bien plus simple qu'avec Saga, Milo ou même Isaak. Tout en se faisant cette réflexion, il fût surpris par ce que le chevalier de la boussole ajouta:

- Si vous ne voulez rien dévoiler, c'est votre droit et c'est totalement compréhensible, je ne suis pas du genre à forcer la main. Si vous en éprouvez le besoin, je veux bien être une oreille attentive. La balle est dans votre camp.
De toutes les personnes qui le côtoyaient, il semblait être celui qui le jugerait le moins durement, bien que cela reste improbable. Mais Argos était indéniablement celui qui le connaissait le moins, paradoxalement il ne le traitait pas comme un pestiféré.

Se confier aiderait peut être, à fortiori avec un presque inconnu. Si on savait en dire assez, ni trop ni peu...

- Franchement, je ne sais plus où j'en suis, finit il par lâcher. Aussi bien avec mon frère que ce qui peut m'arriver dans les jours à venir.
Argos haussa un sourcil et se tourna vers lui.
- Pardonnez moi, mais vous et votre frère, vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps?
- Treize ans, et on ne s'est pas quittés en bon termes, résuma Kanon après avoir hésité entre répondre et l'envoyer sur les roses.

Argos l'observa de ses yeux bleus calmes, intégrant cette information importante.
- Ce lieu et ses règles de merde ont brisé une bonne partie de ma vie, continua le cadet des Gémeaux avec colère. J'étais rien de plus qu'un courant d'air! J'ai haï ce lieu et ses habitants, cracha il avec hargne.
Pour se défouler, il jeta dans le vide un caillou qui dégringola.
- Et vous redoutez que le passé se répète, que vous reviviez cet enfer? Devant le silence de Kanon qui tenait lieu de réponse affirmative, le chevalier de la boussole reprit la parole.
Que vous soyez perdu est tout à fait compréhensible. Ce serait pareil pour n'importe qui, ajoutez à cela les conséquences de la bataille au début de la Guerre Sainte, les choix de chacun…

Pourtant vous avez choisi de changer.
- J'avais pas vraiment le choix!

- Bien sur que si et vous l'avez fait en toute liberté. Ce qui est certain, c'est que nous sommes tous à cran, chamboulés. Quoi de plus normal avec ce qui s'est passé, une bataille entre chevaliers d'or, l'usage d'une attaque interdite.

Tous autant que nous sommes, nous avons besoin de savoir où nous en sommes, tout est chaotique, et il reste de nombreuses souffrances, des interrogations irrésolues.
Argos marqua une pose dans sa tirade et observa l'horizon avant de reprendre:

- Avec tout ce qui se passe, vous aurez besoin de temps, pour vous même et vos choix à faire. Cependant, je pense que ce que vous avez vécu ne se répétera pas.
- Sans blague, tu as vu ça dans une boule de cristal?
- Bien sur que non, répliqua calmement le plus jeune sans perdre son calme. Mais avec ce tout ce qui s'est passé, rien n'est plus comme avant, tout est à reconstruire. Des modifications serons possibles, alors qui ne dit pas que vous aurez à nouveau votre place? Différente de celle d'avant, mais la votre quand même.
- Croisons les doigts pour que cela arrive, tout que d'autres assument aussi leurs conneries pour une fois!

Puis le silence revînt, mais n'était en rien dérangeant. A la suite de ces confidences, Kanon se sentit quelque peu surpris mais surtout compris et écouté. Ce qui n'avait jamais été le cas au long de son existence, personne n'aurait prit la peine de lui demander si ça allait.
C'était à lui d'être obligé de faire en sorte que ça aille, à lui de devoir fermer sa gueule et endurer les injustices, car il était quand même pas le gosse le plus malheureux de la terre! «T'aurais pu crever de faim ou de froid, ici vous avez quand même un toit, de la nourriture et des vêtements, la chance de devenir des personnes d'exception, alors cessez de vous conduire comme des gosses pourris jusqu'au trognon!»

«Tu peux pas devenir saint alors que tu réussis à survivre aux entraînements et à utiliser ton cosmos. On s'est entraîné en non stop pour l'être, ça a pas été le cas, t'as déjà du pot d'être en vie. Pauvre petit gamin, tu veux peut être un mouchoir?»

Ce genre d'injonctions, ils y avaient eu droit enfants, et obligés de suivre la voie qui leur était indiquée, sans se plaindre ou se rebiffer.

Combien de fois avait il espéré qu'enfin il ait droit à un minimum de considération, d'être reconnu pour ce qu'il était et non ce qu'on attendait de lui? Et voilà qu'enfin un petit nouveau le faisait enfin.
Ils restèrent encore une bonne demie heure sur les lieux avant de partir vers un autre point à surveiller. Cette fois le soleil tapait plus fort et la gorgée d'eau n'était plus qu'un lointain souvenir.
- Vous avez soif, demanda Argos en cherchant quelque chose dans sa sacoche d'où il extirpa une boite qui contenait des morceaux de pastèque.

- Ouais, c'est pas de refus, marmonna Kanon en prenant une tranche. C'était pas con comme solution.
D'où t'es venue cette idée, ajouta il quelque peu curieux.
- Oh, c'est juste une ancienne habitude. Au Mexique, on les utilise plus que l'eau pour se désaltérer, c'est tout, répondit Argos quelque peu gêné.

Plus il passait du temps avec cet homme mystérieux et sur la défensive, plus Argos était convaincu qu'il avait souffert. Du manque d'attention, de gentillesse, d'écoute, mais surtout de quelque chose de crucial.
Sans hésiter, il lui tendit la main, attendant patiemment, sans se soucier d'un probable échec.
Kanon le dévisagea avec incrédulité, se demandant à quel jeu jouait le chevalier de la boussole.

- Les gens apprennent la chaleur humaine par le contact, c'est une chose très importante.

Peut être, mais de la part d'un parfait inconnu… Qui avait cependant bien plus de considération et de respect pour lui, qui le traitait avec humanité et gentillesse. Tout ce qu'il aurait tant aimé avoir plus jeune...

Avec hésitation, il finit par répondre à cette demande. A cet instant, Argos lui saisit la main l'entourant des siennes, exprimant un soutien muet.
Quelque peu gêné, il eut un léger tremblement, pensant l'espace d'une seconde à retirer sa main.
- Il n'y a rien de mal avec la chaleur du contact humain. C'est quelque chose dont nous avons besoin et qui nous rappelle que nous ne sommes jamais seuls, contrairement à ce qu'il nous arrive de croire. Ne l'oubliez surtout pas.
Ils restèrent encore ainsi deux minutes avant de se remettre à scruter les alentours.
Ce petit moment était on ne peut plus suffisant: ni intrusif, ni excessif. Pour l'un comme pour l'autre, s'étreindre ou se laisser câliner n'était pas dans leurs habitudes. Ils avaient des raisons différentes, mais en avaient une en commun: les hommes n'avaient pas à se papouiller à tout va comme des gamins. A la rigueur, une main sur l'épaule, ou se tenir la main, passait encore, mais se coller dans les bras l'un de l'autre… Inconcevable!
Après quatre longues heures, au moment de se séparer, l'ex dragon des mers décida de faire un effort.
- Merci Argos.
Un mot qu'il ne prononçait jamais, mais là avec l'après midi qu'il venait de passer … C'est ce qui s'appelait une journée bien remplie!
- Passez une bonne soirée. Peut être nous reverrons nous.
Décidément, ce gamin sortait de l'ordinaire. Il avait beau être coincé, distant, mais il était aussi attentionné et savait où étaient les limites.
Peut être finalement que les choses finiraient par changer après tout, songea il en s'autorisant un sourire.
Sans se presser, il repartit tranquillement vers le bâtiment où ils logeaient, savourant avec un certain plaisir sa solitude. Ca lui permettrait de mieux assimiler tout ce qui s'était passé...


Saga observa Aioros et Aiolia revenir des arènes, manifestement, ils s'étaient entraînés ensemble afin de se retrouver un peu plus. Arrivaient ils à faire face à moins de difficultés? Sans doute, vu que leur situation n'avait absolument rien à voir avec la sienne.
La perspective de réussir à échanger quelques mots avec son ex meilleur ami motiva Saga à se jeter à l'eau. Quitte à être reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Mais le pincement au coeur douloureux qu'il éprouvait prit le dessus.
- Vous avez eu l'air de passer un bon moment, c'est agréable à voir.
- N'essaie pas de tourner autour du pot Saga, coupa Aioros avec impatience. Qu'est ce que tu veux, ajouta il méfiant.
- Essayer de te parler, tout simplement.
- Et tu t'imagines qu'on a envie de tuer du temps en parlant avec quelqu'un comme toi?
Aiolia le foudroya du regard, près à entraîner son grand frère qui se décida à intervenir.
- Tu vas essayer d'apprendre à changer de ton, et à être un peu moins agressif. A ce que je sache, je suis assez grand pour savoir ce que je choisis de faire, n'inverse pas les rôles!

Devant cette remontrance, le lion se tût mais garda une expression de désapprobation quand il entendit son frère affirmer qu'il était temps de mettre les choses au point.

-Parfait, fais comme bon te semble! Démerdez vous donc, je n'en ai rien à foutre! Réglez vos comptes, moi ça ne me regarde pas!

Partant d'un pas rageur, ils se retrouvèrent tous les deux seuls, ne sachant pas trop sur quel pied danser.
Toujours aussi peu patient, Aioros ne prit pas de gants.
- Qu'est ce que tu veux? Tu crois que j'ai encore envie de t'écouter?
- Sinon tu ne serais pas en face de moi. Te dire que je regrette profondément tout ce qui s'est passé, lors de cette nuit. Je suis franchement désolé, lâcha il contrit.
- Désolé. C'est tout ce que tu as trouvé à dire? Désolé! Désolé j'ai brisé ta vie, désolé ça fait un atout en moins face à la guerre sainte qui se profile! Désolé, je t'accuse de haute trahison!

Et ce que tu trouves à me dire avec cette tronche d'enterrement, c'est «je suis franchement désolé.» Est ce que à tout hasard tu aurais pas décidé de te foutre de moi?
- Non, non! Pas quand j'ai conscience d'avoir tout perdu! Ton amitié, ton estime, ton respect et ton soutien. Ca faisait longtemps, trop longtemps que je voulais te le dire en face, sans personne d'autre. Rien que toi et moi, car ça n'appartient qu'à nous, argumenta Saga qui cherchait ses mots et parlait d'une voix tremblante.

- Sur ce point on est d'accord. Mais je n'oublie pas que tu m'as menti toutes ces années, et que t'as eu aucune considération pour ton frère. Qu'il faut qu'on ressuscite pour que je l'apprenne, comme le dernier des abrutis naïfs!

- Tu ne veux donc pas comprendre?! Je n'avais pas le choix, bordel! Cette fois Saga haussa le ton piqué au vif par cette accusation sur son frère.
Shion m'avait ordonné de ne jamais rien dire à ce sujet, tu crois que ça m'a enchanté d'obéir?
- Franchement, on se le demande, vu comment tu n'as cessé de convoiter sa succession. Alors autant être dans ses bonnes grâces pas vrai? Quand je pense que je te soutenais…
Je ne sais même pas si celui à qui j'ai eu affaire et le Saga que je connaissais n'avaient pas vraiment le même objectif, ajouta il avec méchanceté.
- Non, c'est faux! C'est tout à fait faux! Se défendit Saga se sentant à court d'arguments. Aioros pouvait être si entêté par moments, autant parler à un mur. Et de toute évidence, il ne semblait pas d'humeur à une discussion plus calme en posant les choses à plat.
Autant ne pas envenimer les choses…
- Je comprends parfaitement que tu m'en veuilles à mort, tout comme ton frère. Je n'ai aucune excuse ni de raison valable pour que vous acceptiez un jour de me pardonner.

Ta colère est tout à fait légitime, et je ne la fuirais pas. Sauf que là, tu te montres plus fermé qu'une huître, le mieux est encore d'attendre un peu.

- C'est ce qui t'arrange, hein?
- Ne déforme pas mes propos s'il te plait Aioros. Cette discussion, je la veux autant que toi et qu'on arrive à s'écouter et poser les choses à plat. Je ne cherche pas à fuir mes crimes, je les reconnais au contraire.
Et nos petits frères ont besoin de nous, argumenta il bras croisés et visage fermé. Je refuse de ne pas être à nouveau présent quand Kanon en aura besoin. Il est temps que je répare mes erreurs.
Peu m'importe que tu me haïsses, qu'on ne redevienne jamais amis. N'importe qui ferait ce choix à ta place, ajouta il amer.
Inutile de se leurrer, ce qu'il avait perdu ne reviendrait plus jamais. Il ne serait plus le modèle à suivre que tous adoraient, aimaient, qui était leur modèle. Rien de plus qu'un homme qui représentait le coté le plus infâme de l'humanité, et ne méritait pas réellement de rester. Il y était forcé car il devrait faire face à ses erreurs et les réparer, quitte à sacrifier les possibles moments heureux.
L'attitude grave de Saga prit Aioros au dépourvu, il ne pensait pas qu'il arrêterait là cette discussion ni qu'il ferait aussi ouvertement son mea culpa. Était il sincère, ou lui mentait il? Aucune idée, après tout, il était doué pour tromper son monde avec de jolies paroles.
Qu'en serait il des actes concrets? Si aussi, se corrigea Aioros il finirait par accepter de lui laisser une petite chance? Peut être, mais trop de raisons lui soufflaient de ne pas lui faire si vite confiance.
Surtout avec sa «trahison»…

Aioros finit par lui tourner le dos et repartit avant de lâcher:

- N'espère pas que je gobe naïvement ce que tu me dis! Entre dire et faire il y a une sacrée différence. J'espère seulement que tu seras vraiment présent pour ton frère.
- Bien évidemment, se contenta de répondre Saga alors que son ex meilleur ami le laissait à nouveau seul.
Sur certains points, il n'avait vraiment pas changé et restait égal à lui même: toujours aussi peu de tact et de patience.
Exactement comme quand il lui disait qu'il serait jamais le meilleur des gold saints quand son attention était détournée par les exercices que faisaient les autres apprentis.
De son côté, le futur chevalier des Gémeaux se moquait souvent de lui quand Aioros clamait haut et fort qu'il réduirait en miettes un énorme rocher, alors qu'il n'arrivait pas à casser un caillou.
Il leur avait fallu beaucoup de temps pour s'apprivoiser et s'apprécier. Mais leur relation passant de rivaux à amis était toujours teintée de petites piques, taquineries et disputes sans conséquences.
Après tout, nous n'avions que l'autre pour nous amuser un peu comme des enfants normaux. Les seuls en âge de s'entraîner. Que se serait il passé si nous n'avions pas été que deux? Si cette maudite loi n'avait pas été appliquée?
Notre quotidien aurait été sans le moindre doute plus léger, plus ponctué de rires, d'entraide, de soutien. Nous aurions pu endosser le rôle d'aînés modèles bien plus facilement…
Il était loin ce temps innocent où nous n'avions que si peu de préoccupations importantes.
Pour combien de temps réussira on à panser nos plaies, se remettre des blessures et remettre le Sanctuaire en état sans qu'une menace se profile? Et surtout si tel est le cas, arriverons nous à tous unir face aux ennemis?
Comme s'il espérait avoir une réponse dans les nuages, Saga observa attentivement le ciel. Une vieille habitude, de quand il avait douze ans. Mais c'était aussi une façon efficace de se changer les idées et vider son esprit.
A nouveau, sans se soucier de l'heure, il s'assit sur une colonne et se permit ce petit plaisir. Autant par égoïsme que parce qu'il était forcé de tenir. Il n'avait pas d'autre choix.


Après toutes ces années passées au Sanctuaire, Aiolia admettait toujours aussi volontiers que certains étaient vraiment pleins d'ardeur et d'entrain. Comme Seiya, quand il l'avait rencontré alors que ce n'était qu'un gosse déraciné ne sachant pas trop pourquoi il était là. Et qui était devenu l'un des plus remarquables saints de cette époque. Et à présent, Illiniza, le nouveau saint du centaure.
Il était spontané, direct, ne demandait qu'à s'améliorer, même si il avait en face de lui un gold saint. C'était rassurant pour le futur.
Comme le temps était encore chaud, Aiolia choisit d'emporter à l'extérieur son assiette de ratatouille avec du poisson et le dakos. Manifestement, le pain avait été frotté à l'ail et huilé, des olives de Kalamata avaient été ajoutées. Ce qui lui convenait parfaitement, dommage de ne pas avoir un bon sirop d'orgeat pour accompagner ce dîner en solitaire.
Sans doute, Deathmask Camus, ou même Saga choisiraient cette option. Il était rare qu'ils se croisent, chacun allait et venait comme il l'entendait et contrairement aux apprentis ou aux saints de bronze ou d'argent, ils n'avaient pas de couvre feu imposé.
En cette fin août, le soleil restait encore haut à vingt heures, une heure plus tard et ce serait le crépuscule.
Il n'avait pas trop envie d'être à nouveau avec Aioros. Il ne savait plus trop quoi penser de la situation, bien sur il était ravi qu'ils soient enfin réunis cependant… L'inquiétude de se voir à nouveau séparés, qu'il se retrouve seul à nouveau le taraudait, parfaitement illogique. Pourtant c'était plus fort que lui et paradoxalement il avait du mal à passer du temps avec son frère.
Peut être parce qu'il avait été forcé de grandir trop vite sans lui? Parce qu'il avait du se débrouiller seul et prouver que les liens du sang ne faisaient pas tout?

De son côté, Aioros avait encore du mal à ne plus le voir comme le gamin de sept ans qui commençait son entraînement et qu'il faudrait cadrer. Il était toujours fier de lui, de sa conduite et de la façon dont il était devenu un remarquable gold saint. Mais il se sentait frustré que son petit frère ne se confie plus à lui. Que tantôt il ait besoin de sa présence, tantôt il le fuie, c'était franchement agaçant à la longue. Était ce les conséquences de ces treize années séparés?


Ne sachant plus tellement où il en était après tout ce qui s'était passé dans la journée, Kanon s'assit sur son lit, s'adossant au mur, pour mieux réfléchir. Tout était différent, si différent de ce qu'il avait imaginé…
C'était pénible de l'admettre mais cette promiscuité forcée, tout comme le point sensible des gold cloths avaient eu du bon. Sans cela, ils n'auraient pas eu aussi vite cette discussion si importante. Ils seraient très probablement restés à couteaux tirés un plus long moment, chacun essayant de casser du sucre sur le dos de l'autre.
Là, Kanon avait quand même entraperçu un Saga fragile, qui regrettait franchement ce qu'il lui avait infligé ce fameux jour. Et c'était la même chose pour Saga qui avait enfin vu derrière la rancœur la douleur.
Mais était ce une si bonne idée que de révéler ses fragilités? Peut être que oui, après tout ils étaient des êtres humains pas des robots invulnérables. Et après tout admettre qu'on avait des faiblesses, n'était ce pas aussi être conscient de qui on était et d'avoir besoin de ceux qui nous aimaient?

Aimer… Une chose qu'il ne se voyait pas prêt à faire de sitôt! Pas après avoir passé toutes ces années seul, à agir pour surpasser Saga et réaliser ses propres objectifs.

Pourquoi donc se mettrait il en quatre pour d'autres quand personne n'avait jamais rien fait pour lui? Même si ce n'était pas vraiment de leur faute.

Et les autres golds finiraient ils par le considérer vraiment comme un des leurs? Qu'en était il finalement de Milo? Lui avait il laissé une chance parce que toutes les forces disponibles seraient nécessaires et rien de plus? Parce que leur temps était compté avec ce qui se jouait?
Comment le voyait il finalement? Et puis, qu'en avait il donc tant que ça à s'en soucier?

Il réprima un bâillement en examinant le livre qu'il avait trouvé dans la bibliothèque: Les Abeilles Grises de Kourkov. Quoi de mieux pour s'échapper un peu?
Ce ne fût qu'au moment où la porte grinça qu'il reposa le livre; devant la mine sombre de Saga et son mutisme, il supposa que quelque chose s'était mal passé.

- Comment te sens tu? Ça n'a pas l'air d'aller.
- Non, ça ne va pas.
Avec un soupir, Saga tourna un peu en rond dans la pièce avec agitation avant de continuer:

A part pour nous, qu'est qui est censé aller, franchement? Faut être d'une incroyable naïveté pour croire que beaucoup de choses resteraient inchangées.
- Ne me dis rien, tu as essayé de parler avec Aioros?
Il réprima une grimace de jalousie en prononçant ce nom. Décidément même dans cette nouvelle vie il lui arracherait son frère? C'était une sale manie, peut être devrait il recadrer le tir.
- Même si tout s'est brisé entre nous il y a treize ans, c'est dur de constater qu'on ne peut vraiment pas recoller les morceaux, soupira Saga qui posa sa main contre le mur visiblement découragé.
Et toi, comment te sens tu?
Devant le regard empreint de sollicitude, Kanon quelque peu ennuyé accepta cependant de ne pas trop en dire.
- J'ai l'impression de ne plus être le même. Que les gens me voient comme un parfait inconnu sur qui ils se retournent. Bizarre alors que toutes ces années avant je n'étais rien ou personne. Surtout, c'est dérangeant de ne plus se reconnaître quand on a l'impression d'être le même.
- Quoi de plus logique quand les changements sont récents? N'oublie pas qu'il y a toujours une part de toi qui reste la même. Que rien qui appartienne au passé ne puisse être complètement englouti par le présent ou le futur.

Chacun dans leur coin à deux mètres l'un de l'autre, ils laissèrent le silence s'installer. Pour une fois depuis très longtemps, ils avaient l'impression de se se comprendre un tout petit peu.
Enfin…

C'était si bête de tout enterrer en utilisant un prétexte quelconque alors qu'ils pouvaient encore peut être partager quelque chose…
- On est tous les deux crevés et comme on a une réunion demain, autant bien se reposer.
Une infusion aiderait peut être, qu'en penses tu?
- C'est une excellente idée.
Devant le sourire chaleureux de son aîné, Kanon se sent mieux, soulagé. Sacré progrès.


Kanon se regarda une nouvelle fois mal à l'aise, entre ses cheveux courts où il passa à nouveau la main et la chemise de nuit bleu clair qu'il était obligé de porter, il se sentait être à nouveau quelqu'un d'autre qu'il découvrait à peine. L'exact opposé de qui il était il y a peu, mais plus non plus la réplique de Saga.

Un quart d'heure plus tard, ils étaient installés sur le lit encombré entre vêtements et livrets de jeux.
En cet instant, seuls à partager ensemble une infusion «nuits paisibles», sans trop échanger de mots, cette nouvelle esquisse de réconciliation leur est bénéfique.
Pour la première fois, aux yeux de Kanon, même l'austérité de leur chambre n'est pas désagréable mais donne l'impression d'un endroit confortable et sécurisant. Au moins, la fresque murale et les lits faits dans des tons verts donnent un peu de gaieté à l'endroit. De son côté, Saga parvient un tant soi peu à se détendre, à oublier que les amitiés se font et se défont, que parfois la colère masque la tristesse. Que si son petit frère a réussi à se racheter, rien ne dit que dans son cas ce sera impossible.

Entre deux gorgées, surpris par la réserve de son jumeau, Saga finit par rompre le silence.

- Tu as l'air de vouloir faire des efforts. Dire qu'il y a quinze ans, tu aurais cherché à détourner les règles et à n'en faire qu'à ta tête.
- Bien obligé, même si ce n'est pas des plus agréables. Vivre, c'est pas que prendre les bons côtés en occultant les contraintes. Comment être pris au sérieux sinon?
A nouveau embarrassé, Kanon repassa la main dans ses cheveux courts.
-Exactement. C'est maintenant que tout commence pour toi.
La perspective de se retrouver tous demain aux arènes n'est pas la plus réjouissante. Encore moins quand c'est un ordre de Shion.
Essayant tant bien que mal de ne pas se répandre en critiques acerbes sur ce sujet, Kanon resserre sa prise sur le mug orange.
- Tu sembles inquiet. C'est de te retrouver face aux autres et le regard qu'ils porteront sur toi?
Kanon soupira. Maintenant que la question était posée.
- Évidemment. Je ne pense pas qu'ils oublieront de sitôt mes crimes passés, malgré tout ce que j'ai fait. Me voient ils digne de cette armure?
Une main se pose sur son épaule, signe de compréhension, de soutien. Il n'a aucune envie de se dégager, au contraire ce contact lui fait du bien.
- On pourrait se poser la même question sur moi, Deathmask ou Aphrodite, ou même Camus.
Le plus important c'est que l'armure t'ait estimé digne de la porter non?

Mais tu peux être sur d'une chose: je resterai à tes côtés, quoi qu'il se passe.
Touché par ces paroles et cette présence, ne sachant quoi trop dire, Kanon se contenta de prendre le magazine de mots mêlés et le stylo.
-Tiens. Ça te changera peut être les idées, y a encore pas mal de grilles. Ça ne te dérange pas si j'essaie de dormir?
- C'est ce que tu as de mieux à faire. Je vais rester à tes côtés, jusqu à ce soit le cas.
-Mais et toi? D'un froncement de sourcils circonspect, il croisa le regard vert de Saga.

- J'ai l'impression que je vais sombrer en deux coups de cuiller à pot.

Si il le disait… Et dans le fond, pourquoi ne pas accepter cette proposition trop belle? Il n'y avait pas d'âge pour profiter de moment intimes et précieux entre frères.
De plus au vu des éventuelles décisions ou des futurs évènements, rien ne garantissait que cette ébauche de réconciliation durerait. Elle restait ténue et fragile, tel un arbrisseau.
Se glissant avec plaisir dans le lit, il se tourna vers le mur et ferma les yeux, en respirant lentement.
Très rapidement, il tomba dans les affres du sommeil, dormant pour une fois paisiblement.
Demain serait un autre jour, mais il tenait à graver dans son esprit tous ces remarquables évènements qui mettaient de la couleur dans son existence.

A suivre