Emmaiwenn (que je ne crédite pas à chaque fois mais qui a corrigé chaque mot de cette histoire, merci à elle!) a dit de cette fic " C'est doux la plupart du temps, et parfois ça pique, fort, comme les roses, que je ne regarderai plus jamais de la même façon"...
Dans ce chapitre, Harry va raconter ce qu'il a vécu: mettez tous les warnings que vous voulez, serrez les dents et soyez forts! Bonne lecture!
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Les trois jours suivants sont gris.
Gris. Il n'y a pas d'autres mots pour décrire ce ciel sombre, bouché, qui oscille entre orages, averses de pluie et nuages de plomb. Le soleil s'en est allé, les robes sont retournées au placard, les cheveux longs sont protégés de capuches ou de parapluies. Les trottoirs luisent d'humidité, les feuilles des massifs pendent, alourdies par le poids des gouttes d'eau, le froid s'installe, humide, rampant et triste.
Gris. Il n'y a pas d'autre mot pour définir Potter. Il se tient dans son fauteuil, sombre et fermé, taciturne au possible. Il ne parle pas, répond à peine quand on lui pose une question, il se contente d'une réponse monosyllabique quand ce n'est pas cette façon détachée de secouer la tête ou un haussement d'épaules. Il semble hermétique aux sourires, à la moindre gentillesse, aux tentatives de plaisanterie et de légèreté. Il mange peu, il s'abrutit de potions de sommeil sans rêves dès qu'il en a l'occasion. Il semble… éteint.
Les livres et les magazines ne quittent plus le rebord de la fenêtre, les cartes ne sortent plus du paquet, Potter ne s'habille plus que des tee-shirts sombres du paquetage du Département des Mystères. Les seules fois où Draco le trouve en dehors de son fauteuil, c'est sous une douche brûlante qui lui laisse la peau écarlate, ou bien en train de faire des pompes ou des abdominaux jusqu'à l'épuisement. Comme une façon détournée de se faire du mal, comme une punition mortifère… Ces fois-là, Draco bouillonne, hors de lui, mais il ne dit rien, de peur de braquer un peu plus Potter contre lui ou contre le monde entier.
Le seul bruit qui résonne désormais dans cette chambre, c'est la balle de Potter qui rebondit inexorablement contre le mur, sur le sol, entre les mains de Potter, puis contre le mur, sur le sol et encore entre ses mains. Un bruit régulier, répétitif et hypnotique; parfois saisissant. Au simple son de cette balle, à la force de son impact contre le mur, à la façon dont Potter la jette, d'un geste machinal ou bien violemment, comme pour se défouler, Draco parvient à déterminer son degré d'agacement et la future réaction à sa présence: indifférente ou contrariée.
Car quoi qu'il vienne lui dire ou lui apporter, rien ne tire plus un sourire à cet homme-là. Lorsqu'il lui fait part des résultats de son bilan sanguin – très bons au demeurant, même au sujet de cette infection contractée à la suite d'un viol –, Potter n'a pas l'ombre d'une réaction, comme si être malade ou guéri, être vivant ou mort, n'avait pas la moindre importance. Même la tourte à la viande, faite par les elfes du Manoir en souvenir d'un des plats favoris de Potter à Poudlard, ne remporte qu'un remerciement sans chaleur. Même Emily n'arrive plus à tirer de lui la moindre douceur… Son visage est fermé en permanence, son regard – quand Draco parvient à le croiser – est dur et sombre, austère. Potter semble inaccessible.
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La troisième nuit après «l'incident», Draco est de garde et ce n'est sans doute pas un mal au vu de l'attitude de plus en plus réticente de certaines infirmières. Elles fuient autant qu'elles le peuvent ce patient différent, qui ne fait même plus l'effort de la courtoisie ou de l'amabilité avec elles. De toute façon, Potter est en bonne santé sur le plan physique et Draco ne maintient guère à son sujet qu'une surveillance minimale dont il se charge la plupart du temps.
Ce jour-là, c'est même lui qui lui apporte ses potions, en début de soirée. En entrant dans la chambre hantée par la pénombre à l'exception de la lumière de la salle de bains, il trouve Potter debout, en boxer et tee-shirt, la couette du lit à la main. Un instant figé par son arrivée, il achève son mouvement et se dirige vers le recoin derrière les fauteuils et l'angle de l'armoire, où il étale consciencieusement la couette par terre. En le voyant faire, prêt à se coucher là, au sol, comme un animal, Draco soupire intérieurement.
– C'est quoi le problème avec le lit?! lâche-t-il d'une voix amère.
Avec un visage impassible, Potter le regarde, puis regarde le lit, et enfin la porte. Une grimace méfiante plus tard, il se dirige vers la salle de bains sans un mot de plus et Draco l'entend bientôt se laver les dents.
Contrarié et empli de lassitude, il s'avance pour déposer les potions sur le rebord de la fenêtre puis s'assoit dans son fauteuil. Au fond, il devrait sans doute se réjouir: le fait que Potter accepte l'idée de se coucher et de dormir, même dans ce recoin et avec une potion de sommeil sans rêves, est ironiquement un progrès. Peut-être que Potter n'a plus l'habitude de dormir sur un matelas… Peut-être que le lit est trop près de la porte, trop exposé, trop peu sécurisant… Un instant, Draco a envie de lui proposer de déménager les meubles de la chambre, ou au moins de coller le matelas contre le mur, derrière les fauteuils, mais il devine que Potter ne voudra pas de cette solution.
Dubitatif et un rien déprimé par la situation, Draco sirote une gorgée de café aigre tandis que Potter revient et s'assoit dans le fauteuil à côté de lui. Celui-ci replie une jambe contre son torse, le pied sur le siège, et y pose son coude, prolongé d'un avant-bras et d'une main ballante. L'autre passe dans ses cheveux sombres, presque nerveuse, puis, dès qu'il aperçoit la potion de sommeil, il tend la main pour l'attraper et l'avaler. Draco sait qu'elle mettra plusieurs minutes à faire effet: il n'y en a qu'une et Potter est d'une nature plutôt solide. Il va finir tranquillement son café et il s'en ira quand Potter se sera couché – ou effondré de sommeil –, et qu'il le saura enfin tranquille…
Malgré tout, l'attitude de Potter est étonnante, moins fermée que ces derniers jours, presque agitée ou anxieuse, comme s'il avait quelque chose sur le cœur et qu'il n'osait pas le dire. Mais ce soir, Draco n'a pas envie de lui faciliter la tâche. Il est fatigué, démoralisé, un peu en colère et lui-même n'a pas très envie de parler. Il préférerait sans doute secouer Potter comme un prunier et lui hurler dessus ses quatre vérités, mais il est loin d'en avoir l'énergie. Alors, il va rester là à contempler la nuit au-dehors en sirotant un café trop amer tandis que Potter hésite et tergiverse.
Au bout d'un moment, devant le besoin de sommeil qui enfle, Potter se lève pour rejoindre son lit de fortune. Il s'accroupit un instant au bord de la couette, le dos rond, luttant contre lui-même. Puis les mots sortent, à peine un murmure que Draco perçoit difficilement malgré le silence de la chambre.
– Tu sais… parfois j'ai l'impression que je vais devenir fou…
– Alors réagis, bon sang! explose-t-il. Fais quelque chose! Parle! Bats-toi au lieu de t'enfermer dans ce mutisme insupportable!… Je suis prêt à t'aider mais je ne peux pas faire les choses à ta place!
Son éclat de voix, spontané mais sans doute déplacé, résonne encore dans le silence et surtout dans sa tête quand Draco reprend ses esprits. Potter, lui, n'a sans doute pas entendu ses derniers mots: il s'est allongé, recroquevillé, enroulé dans sa couette et il dort déjà profondément.
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Quelques heures plus tard, Draco est déjà de retour à l'hôpital. Il a l'impression de passer sa vie ici, tout le temps, sans repos, sans week-ends, sans congés. À vrai dire, c'est sans doute le cas: il est là tous les jours, au moins quelques heures. Même les lendemains de garde, il revient en fin d'après-midi, après quelques heures de sommeil chez lui, dans cet appartement où sa présence est aussi fugace que celle d'un fantôme. Il lui arrive même de dormir à l'hôpital dans un lit qu'il aménage dans son bureau, il prend la plupart de ses repas à la cafétéria du cinquième étage, il lui est déjà arrivé plus d'une fois de prendre une douche dans les vestiaires du personnel, il a des affaires de rechange dans son bureau, juste au cas où… Des cas qui se produisent bien trop souvent, de toute évidence, mais il ne peut pas faire autrement. Il apprécie la sérénité que lui procure le fait d'être présent, sur place, quand bien même il ne lui faudrait que quelques minutes pour venir depuis chez lui. Être à portée de main le rassure. Avoir Potter à portée de main le rassure…
Les infirmières et les médecins de son service s'y sont habitués, sans doute. Draco n'entend plus de réflexions ou de petites remarques, il ne voit plus de sourires sarcastiques ou de regards narquois, sa présence est devenue une habitude, une autre normalité. Cela semble contenter tout le monde, d'une certaine façon. On sait qu'il est là, ou qu'il sera là dans peu de temps, il est toujours disponible pour un coup de main, pour un deuxième avis sur un patient, pour une question impromptue. Sa permanence rassure… Dans le fond, il se doute de ce que les gens doivent penser ou deviner: qu'il est là pour Potter, pour garder un œil sur lui parce qu'il ne lui est pas indifférent, mais honnêtement… il s'en fout. Après tout, c'est une partie de la vérité et finalement, tout le monde trouve son compte dans cette situation. Lui, les infirmières, ses collègues médecins, les patients, l'administration de l'hôpital… Potter?
En fin de compte, il n'y a que Potter dont la réaction reste une incertitude. Potter dont le comportement a changé de façon subtile depuis «l'incident»… La colère que Draco percevait dans ses yeux verts, dans ses gestes secs, cette espèce de hargne glaciale et puissante, cet écœurement contre ce qu'il avait fait, contre le monde entier ou contre ce que ce monde l'a obligé à devenir, contre Draco en dernier lieu parce qu'il a été celui qui a mis à jour cette faiblesse et ces horreurs en lui, tout ça a disparu. Évaporé. Aujourd'hui, Potter n'est plus que lassitude et quelque chose comme de la résignation, il est abattu et déprimé. Il a eu le temps de réaliser ce qu'il avait fait, de comprendre pourquoi il l'avait fait et de détester ce qu'il est devenu. Passés le choc et l'humiliation de ces réactions qu'il ne maîtrise pas, passée la honte, il ne reste plus que ce sentiment de ne pas se reconnaître soi-même, d'être un étranger dans son propre corps, dans son propre esprit, avec cette peur sournoise et latente de s'enfoncer plus profondément encore dans la noirceur, la folie et cette violence instinctive qui sommeille en lui.
Potter passe des heures à regarder par la fenêtre, à contempler le ciel gris et l'automne qui s'installe, à observer les feuilles qui s'arrachent avec le vent et qui retombent avachies dans les flaques d'eau, à ressentir l'humidité qui imprègne les pelouses, la lumière morne et la solitude. Et c'est encore ainsi que Draco le trouve lorsqu'il entre dans la chambre avec deux gobelets de café fumant. Il y a tout de même cette balle, le seul mouvement qui anime cette chambre triste, cette balle qui rebondit inexorablement sur le mur, puis sur le sol, avant de retourner dans la main de Potter et de repartir vers le mur… Mais la façon dont il la lance est molle, le rebond est mou et même le son qu'elle produit lorsqu'elle heurte le mur est mou. L'énergie a disparu dans les ténèbres intérieures de Potter, avalée par le renoncement et l'abandon, et il ne reste plus que ce geste machinal, automatique, presque inconscient, que Draco vient interrompre avec ses deux gobelets de café.
Un sursaut, un bref affolement dans les yeux de Potter, une main qui dévie de quelques millimètres… La surprise passée, la crainte s'éloigne pour laisser place à l'accablement habituel de Potter; la balle, elle, s'écrase avec un bruit différent contre le mur, plus mat, plus étouffé, son rebond se décale de quelques centimètres, elle passe loin de la main de Potter et finit sa course en soubresauts mollassons avant de rouler vers l'armoire. Leurs regards convergent vers elle, presque étonnés qu'elle ne soit pas revenue dans la main de Potter par sa volonté propre, ou par une étrange loi de l'univers qui l'obligerait à ne jamais varier de sa trajectoire malgré les aléas de la vie. Et puis brusquement, la balle frémit une seconde, comme si elle se ramassait sur elle-même, avant de bondir droit dans la main de Potter.
Debout avec ses deux cafés, Draco reste fixé sur cette main qui enserre la petite balle blanche. L'incompréhension le saisit, longuement, en même temps qu'une sombre fascination pour ces doigts puissants. Il connaît leur force, il connaît leur poigne, il les a sentis sur sa gorge, sur sa propre chair, et il ne peut s'empêcher de les imaginer ailleurs… Et au milieu de ses rêveries inappropriées, l'explication se fait jour dans son esprit, aussi intrigante que stupéfiante.
– Accio?
Potter hoche simplement la tête, avec une grimace hésitante et embarrassée.
– J'arrive encore à faire quelques bricoles… des choses basiques.
Draco hoche la tête à son tour, privé de mots par la sidération. Potter arrive encore à faire quelques «bricoles»… Malgré les bracelets anti-magie qui brillent de leur large reflet métallique à ses poignets, sa puissance est telle qu'il parvient à réaliser un sortilège d'attraction et Merlin sait quoi d'autre. Et qu'est-ce que ce serait sans les bracelets?!… Draco imagine sans peine qu'il ait fallu trois hommes pour le maîtriser au Département des Mystères. Sans compter que sa puissance a dû être amplifiée par la douleur et la rage d'avoir vu toute son équipe se faire massacrer. Une puissance telle qu'après l'étonnement, c'est un soupçon de fierté qui vient naître au fond de son cœur. Pas pour lui-même, non, mais pour Potter. Il n'a jamais été n'importe qui; bien qu'il n'ait pas été élevé dans la magie, Potter n'a jamais été un sorcier de bas étage. Il est puissant, capable de bien plus que le commun des mortels, il est digne des plus grands. Il a été l'Élu, Celui-qui-a-vaincu, le Champion de la Lumière. Et il continue à se battre, ailleurs, pour d'autres causes et d'autres lumières.
Et pourtant Potter, malgré sa puissance, est aujourd'hui un homme brisé, tremblant, qui sursaute au moindre bruit et dont le regard exprime parfois une terreur sans nom quand il n'est pas tout simplement éteint. La légèreté apparente des premiers jours s'est enfuie à mesure qu'il sombre dans une grisaille permanente, les sursauts de bonne humeur sont rattrapés par les idées sombres, par le deuil de ses coéquipiers, par les images cauchemardesques qui reviennent inlassablement le hanter et le plongent dans un abîme d'horreur sans fin.
Longtemps, Draco s'est demandé ce que Potter avait vu, avait vécu, pour parvenir à le mettre dans cet état… Qu'est-ce qui est susceptible de briser un homme pareil, lui qui a côtoyé le pire depuis toujours? Quel dilemme, quelle vision d'épouvante, quelle souffrance, physique ou morale, a pu le détruire à ce point?… Une curiosité morbide, mêlée d'une certaine fascination pour des abominations que Draco n'imagine même pas. Qu'il ne pourrait même pas concevoir si elles avaient lieu devant lui… En vérité, quand il en voit le résultat, jour après jour, Draco n'est plus certain de vouloir savoir. Potter lui fait déjà trop mal au cœur sans qu'il n'en sache davantage.
Un mouvement de sa part tire brusquement Draco de ses réflexions: Potter fait rouler la balle dans sa main avant de la reposer lentement sur le rebord de la fenêtre et sans savoir pourquoi, il y voit un autre renoncement. Comme si Potter, qui n'est pas censé pouvoir faire de la magie, se privait volontairement d'un de ses rares plaisirs. Il cède à ce qu'on attend de lui, il se coule dans le moule, il abdique sa liberté, sa puissance, son autonomie. Et ce que Draco voit comme une capitulation silencieuse lui est infiniment douloureuse. Il préférerait encore un sursaut de rage et de colère que cette façon de s'éteindre et de se laisser aller.
Soudain, il s'avance d'un pas et pose ses deux gobelets de café sur le rebord de la fenêtre, juste à côté de la balle immobile, puis il sort sa baguette. À sa vue, Potter frissonne violemment, les yeux rivés sur cette menace implicite, avant de se maîtriser.
– Donne-moi tes mains, ordonne Draco.
Les yeux verts de Potter se lèvent vers lui, incertains, emplis d'une appréhension sourde qu'il ne laissera pas éclater au grand jour.
– Tends les bras, insiste-t-il en levant sa baguette.
Potter blêmit, frissonne à nouveau. Il lui faut fermer les yeux une seconde et prendre une grande inspiration avant de réussir à lever vers lui des mains dont il ne parvient cependant pas à empêcher le tremblement insidieux.
Draco ne s'y attarde pas. Il pointe sa baguette vers les mains de Potter dont le teint vire au gris verdâtre et il récite l'incantation qui va le libérer. Il connaît la formule de tête, il l'a apprise par cœur dès que le médecin du Département des Mystères la lui a confiée. Au début, il a voulu l'utiliser tout de suite, délivrer Potter de ce carcan qui l'emprisonnait comme un vulgaire moldu, qui le privait de son essence-même. Et puis au fil des heures, au fil des jours et des sursauts d'angoisse de Potter, il a attendu, il a temporisé, parce que cette responsabilité l'effrayait et qu'il voulait en savoir davantage sur son état. Dernièrement, il s'était presque résolu à les lui retirer. Hormis quelques crises de panique et des aversions compréhensibles, Potter paraissait adapté à son retour dans le monde… Jusqu'à «l'incident».
Ce jour-là, Potter aurait pu le tuer à mains nues, mais sa dangerosité avec une baguette n'en paraît que plus grande. S'il avait été libre d'utiliser la magie, qui sait ce qui se serait produit? Est-ce qu'il l'aurait tué d'un Avada réflexe? Est-ce qu'il lui aurait lancé un Sectumsempra, comme autrefois? Aujourd'hui, les infirmières sont formées à ces soins d'urgence; Emily plus que n'importe quelle autre aurait su lancer le contre-sort, arrêter les hémorragies les plus massives et pallier au plus pressé… Mais si cela se produisait une fois Potter transféré dans un autre service ou relâché dans la nature? S'il avait ce même genre de réflexe face à n'importe qui, face à n'importe quel mouvement brusque ou geste de baguette…?
Fondamentalement, Draco le croit toujours incapable de s'en prendre au premier venu; il est persuadé que Potter finirait par réaliser son geste et reprendre ses esprits. Il a toujours cette confiance absolue en lui, que rien ne vient ébranler. Et en voyant la manière dont Potter est atteint par cet incident, la manière dont il s'en veut et dont il se sent coupable, elle n'en est que plus ancrée en lui. Au bout du compte… si Potter est finalement capable de faire de la magie même avec les bracelets, tout ceci n'a plus lieu d'être. Il n'a que trop attendu, et le soulagement le dispute à la honte.
Lorsque les bracelets disparaissent des poignets de Potter, Draco ressent comme une petite onde de choc dans la chambre, une vibration discrète dans l'air; l'oscillation d'un souffle de vent comme si le monde reprenait enfin sa respiration. Sur les avant-bras de Potter, la magie semble crépiter un instant, hérissant ses poils et sa peau d'un courant électrique piquant, puis tout retombe et disparaît. Incrédule pendant quelques secondes, Potter finit par masser ses poignets, rougis de ces carcans de métal qui bridaient sa magie. Puis il lève enfin son regard et ce que Draco y voit le fige sur place.
En premier lieu, il y a de la surprise et de l'incompréhension. Pourquoi lui? Pourquoi est-il celui qui le délivre ainsi de cette privation de magie?… Entremêlé à cet étonnement, Draco devine du soulagement, aussi. L'impression de Potter de retrouver enfin son intégrité, cette part de sorcier qui complète sa part humaine; il est de nouveau entier et en pleine possession de ses moyens… Et puis, peu à peu, à mesure qu'il réalise que Draco possédait la clef de sa liberté, Potter doit se demander depuis quand… Depuis quand, de médecin était-il devenu geôlier? Depuis quand exécutait-il les basses besognes du Département des Mystères? Alors, dans ce regard vert que Draco chérit toujours autant, apparaît lentement de la déception. De la peine, de la douleur et de la déception. Et c'est cela, plus que n'importe quoi d'autre, qui déchire son cœur et son âme.
Face à ce regard qui le blâme – à juste titre –, Draco se sent pâlir et il doit serrer les dents pour garder un semblant de contenance. Il pourrait supporter n'importe quoi venant de Potter: de la rage, un éclat de colère ou un éclat de voix, des accusations à n'en plus finir… il trouverait même légitime de recevoir un coup de poing en pleine figure si ça pouvait le soulager et combler le fossé qui se creuse de seconde en seconde entre eux… Mais lire de la déception dans ce regard, c'est pire que tout. C'est un univers qui s'écroule, tout un monde de confiance et de complicité réduit en poussière, un espoir de rapprochement anéanti par cette responsabilité écrasante dont il n'a même pas voulu.
Dans son esprit, Draco se défend de cette mise en accusation. Il n'a rien désiré de tout cela, on lui a imposé de porter le poids de cette décision et il a été contraint d'endosser ce fardeau pour protéger Potter d'une situation plus difficile encore… Prendre Potter sous son aile, accepter de le prendre en charge, c'était lui épargner d'autres difficultés, le délivrer des griffes du Département des Mystères, veiller sur lui d'une manière que Potter ne devine pas… Et pourtant, Draco doit reconnaître qu'il détient le contre-sort à ces bracelets anti-magie depuis des jours et des jours, et qu'il ne vient de l'utiliser que maintenant. Il a attendu, temporisé, sous tout un tas de prétextes aussi fallacieux les uns que les autres, mais au final, la vérité est là: il aurait pu libérer Potter de cette restriction de magie, il aurait pu lui rendre sa dignité depuis longtemps, et il ne l'a pas fait.
– Je suis désolé, murmure-t-il d'une voix blanche.
Potter esquisse un petit sourire triste, ou résigné, qui ressemble presque à une grimace douloureuse, et il hoche doucement la tête.
– Je comprends…
Le cœur en lambeaux, Draco serre les dents et pâlit un peu plus. La compréhension de Potter l'écrase et le piétine, son indulgence ne fait que creuser plus profond un abîme de regrets, de culpabilité et de honte au fond de son âme. En cachant ce qu'il savait, en maintenant lui-même Potter dans cette prison de métal, en portant le poids de cette décision, il a détruit toute la confiance que Potter avait en lui. Tout ce qu'ils avaient mis des semaines et des mois à construire, une relation fiable, cette exigence de vérité entre eux, comme un gage de leur respect mutuel, et cette certitude pour Potter de toujours pouvoir compter sur lui… tout ce que Draco a essayé de bâtir est brusquement mis à bas par ce contre-sort employé trop tard.
Brusquement, Draco aimerait revenir en arrière et se retrouver au Département des Mystères, devant ce médecin inhumain et dénué d'empathie, il aimerait refuser de porter la responsabilité de Potter, dire tout ce qu'il pense de leurs méthodes et avouer le fond de son cœur en hurlant à pleins poumons, il aimerait lui envoyer son poing dans la figure ou renverser le bureau sur ce sourire un peu trop narquois, mais il est trop tard. Il a déçu Potter et il ne peut même pas le blâmer pour ça.
Entre la rage, la honte et la culpabilité, Draco a soudain l'impression de s'effondrer. Comme si son corps, morcelé, allait se répandre au sol, aux pieds de Potter. Il sent ses yeux qui brillent dangereusement, il sent la grosseur qui enfle à nouveau dans sa gorge et le regard trop compréhensif de Potter devient impossible à soutenir. Il a envie de fuir, de disparaître, de balancer sa démission à l'hôpital, puisqu'il n'est plus apte à s'occuper de qui que ce soit, et d'aller se terrer au fond de son canapé ou au fond d'un obscur salon oublié du Manoir, comme autrefois. Il n'a rien à faire là, ni dans cette chambre, ni auprès de Potter. En devenant son geôlier, il a parjuré toutes ses convictions; en devenant plus que son médecin, il a abdiqué son rôle de soignant et son intégrité. Toutes les limites qui sous-tendaient son estime de lui-même ont été franchies, renversées, piétinées… Aujourd'hui, il ne lui reste plus que des sentiments fracturés et des remords.
– Assieds-toi et bois ton café. Ça va être froid.
Le ton de Potter est sans appel, Draco obéit et se laisse tomber dans son fauteuil avant même de l'avoir réalisé. Puis il mesure toute la dérision de cette situation: Potter qui ordonne et lui qui obéit, Potter qui devrait le chasser de son univers et qui lui intime de rester, Potter qui pourrait réchauffer son café d'un simple sortilège maintenant qu'il peut faire de la magie… et cette ironie amère lui donne envie de ricaner et de pleurer en même temps.
L'ombre qui se dessine dans son champ de vision lui fait relever la tête et il devine Potter, juste devant lui, qui lui tend son gobelet de café. Lorsqu'il le prend, leurs doigts se frôlent, s'effleurent, et Draco ressent ce petit picotement de magie qui remonte dans sa main et qui fait vibrer ses os. C'est doux, c'est chaud et c'est aussi profondément bouleversant… La magie de Potter est une caresse sur son âme meurtrie, sur sa culpabilité et sur son cœur déchiré, dont il n'a probablement même pas conscience. C'est presque douloureux de ressentir cette douceur bienveillante alors que Draco vient de le trahir. Il doit fermer les yeux pour que l'émotion passe. Lentement.
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Les minutes s'écoulent dans un silence religieux tandis que Potter boit tranquillement son café. Draco, lui, se contente de le conserver entre ses mains et d'essayer de se réconforter à cette chaleur qui s'étiole peu à peu. Il ne le boit pas: il est incapable d'avaler quoi que ce soit pour l'instant. Il a le sentiment d'être vide, lessivé par les émotions, comme s'il venait de réchapper d'une tempête et de sortir de l'eau après s'être fait ballotter par les flots dans un sens et dans l'autre. Il se tient là, sur la grève, à côté de Potter; le corps meurtri, le souffle court et vidé de toute énergie. Abasourdi. Et pourtant, dans un sursaut de lucidité, il voudrait encore se défendre:
– Je suis désolé… J'ai dû…
– Je ne veux pas savoir, fait Potter avec un geste de dénégation et un pâle sourire. J'imagine bien que tu as toi aussi les mains liées et que tu as tes propres contraintes…
Draco hoche la tête et se tait, incapable de réfléchir au sens des paroles de Potter, mais il ressent cela un peu comme une absolution, comme un pardon, et une part de culpabilité déserte ses épaules. Il s'en trouve à la fois allégé et à la fois plus vide; libéré mais sans rien qui vienne combler l'espace laissé en creux par la honte et les regrets. Même l'empathie et la générosité de Potter ne viennent pas lui mettre du baume au cœur. Il se sent dépouillé, dénudé. Il sait bien quelles étaient ses contraintes, oui: le travail, le regard des autres, la pression du médecin du Département des Mystères, sa propre volonté terrible de faire pour le mieux, malgré tout le reste… Mais la pire de toutes ces contraintes reste… ses sentiments.
– Je ne t'en veux pas, ajoute Potter avec un petit sourire désolé.
Il tourne la tête vers lui et son regard vert ne contient plus aucune trace de rancœur, de reproche ou de colère. Même la déception a disparu, chassée par la douceur et la compréhension, par la perception d'un monde qui les dépasse, qui exige d'eux plus qu'ils ne peuvent donner. Ils sont quittes, au fond, semble dire Potter. Chacun est devenu quelque chose qu'il n'aurait pas voulu être: Potter un rescapé traumatisé, Draco un geôlier… Ils sont à égalité, tous les deux victimes des circonstances, d'un enchaînement de situations révoltantes… Pour la première fois, peut-être, ils se comprennent intimement, d'une façon essentielle et absolue.
– Je suis fatigué, avoue Draco dans un souffle.
Les mots sont sortis malgré lui, sans contrôle, comme un trop-plein d'émotions qui se déverse ou qui déborde. Et au moment où il le dit, il ressent à quel point il est épuisé, à quel point il n'en peut plus, à quel point le fait de ne rien maîtriser dans sa vie, ni ses émotions, ni ses sentiments, le submerge et l'écrase. Comme Potter qui ne maîtrise ni ses réminiscences, ni ses sursauts de panique, il a l'impression d'être dépossédé de sa volonté, d'être le jouet des aléas de la vie et de la volonté des autres. Un pantin qui s'agite de façon saugrenue et vaine.
– Tu as besoin de vacances, répond Potter avec un sourire plus franc. Tu es là tout le temps… Tu as besoin de prendre du temps pour toi. De sortir de cet hôpital et de prendre du recul…
Draco soutient son regard; il le voit et il le regarde, les yeux verts, les rides et les cicatrices qui parsèment son visage, la barbe noire et les cheveux en bataille, la fatigue… – différente de la sienne, mais omniprésente –, cette fêlure au fond de l'âme… Cet éclat de fragilité qui l'attire comme un aimant et qui le rend fragile à son tour.
Potter a raison, il doit prendre du recul.
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Prendre du recul, ce soir-là, consiste d'abord à quitter l'hôpital pour aller dîner dehors, dans la ville, dans la vraie vie. Il n'a rien réservé, il n'avait rien prévu, mais le premier restaurant dont la carte lui plaît fait l'affaire. Il dîne seul, en tête à tête avec ses pensées. Le regard des autres ne l'atteint pas, ou plus, ou pas en ce moment… Il se fait plaisir et le repas est savoureux. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas pris autant de plaisir à manger.
Bien entendu, ses pensées le ramènent régulièrement à Potter, ce qu'il est en train de faire, ce qu'il parvient à manger sur le plateau-repas de l'hôpital, ce qu'il pense… Ce qu'il ressent de toute cette situation.
Bien entendu, dès qu'il a fini son dîner, Draco est de retour à Sainte-Mangouste. Il voudrait parler à Potter, maintenant qu'il a pris un peu de recul – ou au moins quelques heures pour lui. Sans doute bien dérisoire par rapport à ce qu'il faudrait, mais ses émotions se sont calmées, il se sent plus serein, plus apaisé et il voudrait avoir avec lui une conversation posée sur son avenir et sur les choix qui s'offrent à lui. Il a pris certaines résolutions mais Potter a sa part de décisions, puisque Draco lui a rendu son libre arbitre.
Il se trouve qu'il a bien fait de revenir à l'hôpital car dès son arrivée, le médecin de garde réclame son aide au sujet d'un patient complexe qui les occupe pendant plusieurs heures. Draco en sort encore un peu plus fatigué mais satisfait; cette fois, il s'agit d'une bonne fatigue, celle d'avoir œuvré pour un autre, pour sauver une vie. Une fatigue qui a du sens, qui lui rend un peu d'estime de lui-même, qui lui donne ce sentiment d'être utile et un soupçon de fierté. Et ce sentiment, après son demi-échec avec Potter, lui fait un bien fou.
C'est donc le cœur un peu plus léger qu'il se rend dans la chambre de Potter. Il est tard, bien plus qu'il ne l'aurait voulu; près de minuit… La conversation qu'il souhaitait semble compromise, Potter doit dormir, mais ce n'est pas grave. Draco se dit qu'il va juste jeter un œil, s'assurer que tout va bien et peut-être se reposer un peu en attendant que Potter se réveille. De toute façon, malgré les potions, il ne dort jamais bien longtemps…
Parvenu devant la porte, il ne frappe pas; il abaisse juste la poignée, le plus doucement possible, et il se glisse dans la chambre en silence. La pénombre le saisit et il fouille la pièce du regard pour chercher la silhouette de Potter. Les lumières sont éteintes, seule une faible lueur émane de la salle de bains, un simple Lumos installé là comme une veilleuse, pâle et vacillante.
C'est étrange parce que l'espace d'un battement de cœur, Draco a l'impression de rentrer dans cette chambre comme s'il rentrait chez lui, dans sa propre chambre, comme s'il allait se glisser dans son lit, auprès d'un amant, après un réveil nocturne ou être rentré tard. Il connaît la disposition des meubles sans avoir besoin de les voir, il avance à tâtons, en silence, pour ne pas réveiller l'autre, il guette la respiration paisible ou le mouvement entre les draps… Pendant une seconde, le désir de se glisser auprès d'un corps chaud et endormi submerge toutes ses pensées, puis la réalité revient lentement à la surface. Un bout de couverture qui dépasse de l'angle de l'armoire lui dit que Potter s'est encore allongé là, dans ce recoin aveugle, loin de la porte, qui le tranquillise.
Draco s'avance encore d'un pas, prêt à rejoindre son fauteuil, quand il aperçoit la silhouette de Potter, non pas allongé, mais assis sur la couverture, le dos appuyé contre l'armoire, les bras négligemment posés sur ses jambes repliées. Son visage est noyé par l'obscurité mais un discret reflet de lumière sur ses pupilles indique qu'il est réveillé et qu'il a même les yeux ouverts.
– Tu ne dors pas? murmure Draco.
Un simple souffle, pour ne pas troubler la quiétude de la nuit, pour ne pas éveiller davantage celui qu'il vient rejoindre.
– Je n'ai pas pris de potion, répond Potter comme une évidence.
– Pourquoi?
Potter hausse les épaules, hésite un instant, puis s'explique à mi-voix:
– Je ne veux pas en abuser. En ce moment, c'est compliqué… Je ne veux pas que ça prenne trop d'importance, que ça devienne… une habitude. Ou un besoin.
Pendant qu'il parlait, Draco a fait le choix de s'asseoir, non pas dans le fauteuil, mais par terre, à côté de Potter, sur un bout de couverture restant. Dans la même position que lui, le dos appuyé contre l'armoire et les jambes repliées. Leurs épaules sont à quelques millimètres de se frôler; il peut sentir la chaleur de son corps juste à côté du sien.
– C'est déjà arrivé?
Malgré le trouble qu'il ressent à se tenir si près de lui, Draco reste attentif à leur conversation, à ces aveux en demi-teinte des craintes profondes de Potter. Celui-ci rejette la tête en arrière pour la poser contre le bois massif de l'armoire et il soupire.
– Parfois. Je l'ai vu… des hommes à moi, des mecs solides. Et puis… le besoin de décompresser… Je peux comprendre le refuge, l'envie d'oublier, de chasser les images de cauchemar qui font irruption quand tu essayes de t'endormir… Mais c'est trop facile de tomber là-dedans. Je ne veux pas.
Draco est surpris sans l'être vraiment. Ces dernières nuits durant lesquelles Potter avait ingurgité des potions de sommeil en nombre pour oublier «l'incident» ne lui ressemblaient pas vraiment. Ce n'était qu'une fuite en avant, pour éviter de faire face. La réalité, c'est que Potter est en permanence dans l'hyper maîtrise, dans le refus de perdre le contrôle de la situation ou de perdre ses moyens. Le sommeil reste un moment de vulnérabilité auquel il a du mal à céder, de la même manière que la dépendance à une quelconque potion est un esclavage qui le révulse.
– Tu sais qu'il n'existe pas de risque d'accoutumance…? tente doucement Draco.
– La dépendance n'est pas que physique, assène-t-il brusquement. Je ne veux pas plonger là-dedans pour essayer d'oublier. Je sens que je pourrais glisser trop facilement.
Draco devine que cette fois, l'oubli ne concerne pas seulement «l'incident», mais tout ce que Potter a vécu ces derniers temps, les images de massacre et les cris qui reviennent le hanter, la perte de ses hommes et la culpabilité enfouie. Une solution de facilité pour éloigner les angoisses et les cauchemars, qu'il refuse viscéralement. Et c'est un aveu de faiblesse terrible que de se sentir sur une pente glissante vers la dépendance et de l'admettre ainsi. C'est aussi une force de caractère impressionnante que de s'en rendre compte et de le refuser, et Draco n'en est que plus admiratif.
– Mais tu as besoin de dormir…
Potter laisse échapper un gloussement sec et narquois.
– On disait toujours…: on se reposera quand on sera morts.
On se reposera quand on sera morts. La phrase résonne longtemps dans le silence et dans l'esprit de Draco. À présent, il mesure ce qu'elle peut vouloir dire pour Potter, maintenant que tous ses hommes sont morts sauf lui… La culpabilité du survivant. Le refus de s'octroyer le moindre répit parce qu'il ne s'en estime pas le droit… ou parce qu'il ne s'en estime pas digne.
Draco soupire doucement, perdu dans ses pensées, ses sentiments chaotiques et sa tendresse douloureuse pour Potter. Il le comprend, viscéralement. Il entend la tentation de l'oubli et il entend ce refus de céder, quitte à rendre les choses plus difficiles encore; il ressent cette envie de se faire du mal, de se piétiner soi-même, parce qu'il n'y a aucune raison d'être encore là quand les autres ne le sont plus; il partage cette impression de vacuité, d'errance à la recherche de soi, de quête d'un but qui se dérobe au bout des doigts dès qu'on essaie de le toucher… Il a ressenti ce genre de choses auparavant; des moments ternes, sombres, dépourvus de sens… Dieu merci, la médecine a croisé son chemin et a jalonné sa vie. Encore en arrivant tout à l'heure, il a ressenti à nouveau cette sensation d'être légitime, utile et un peu fier de soi en s'occupant de ce patient fragile… Mais Potter?
Sa mission, quelle qu'elle soit, est un échec, ses hommes sont morts, le Département des Mystères ne veut plus de lui et il n'y a rien ni personne qui ne le retienne nulle part. Sans parler de la cohorte d'horreurs qu'il trimballe dans son esprit et dans ses souvenirs, et qui le suit comme une ombre menaçante. Potter est seul et ne sait rien faire d'autre que se battre – ou se débattre dans les affres de guerres qui ne signifient rien pour lui… Brusquement, Draco se demande ce qui l'empêcherait de se suicider, si les ombres de son âme devenaient trop pressantes. Et il n'en sait rien… Le plus urgent est sans doute là: chasser ces ombres pour redonner à Potter un peu d'air, un peu de lumière, et peut-être un jour une perspective un peu plus lointaine… Et ce constat ne fait que le conforter dans sa décision.
– Harry…, commence-t-il à mi-voix tandis que ce prénom trop rarement employé roule sur sa langue avec bonheur. Il faut qu'on parle. Sérieusement…
Draco cherche encore ses mots, la façon d'amener ce sujet délicat sans le faire passer pour un rejet ou une fuite, que Potter lève une main pour l'interrompre.
– Je sais de quoi tu veux parler et je sais à peu près ce que tu vas me dire. Et je suis d'accord avec ça.
– D'accord?! balbutie Draco. Tu ne sais même pas…
– Tu veux me transférer ailleurs et je pense que c'est nécessaire, dit Potter d'un ton ferme. Ma présence ici ne mène à rien. Les infirmières n'ont aucun soin à me faire, je n'ai pas besoin d'une surveillance médicale permanente; je vais bien – du moins, physiquement… Je sais qu'hier tu as été obligé de transférer un patient un peu limite pour libérer une place et accueillir une urgence. Alors que moi j'occupe un lit pour pas grand-chose… Je n'ai rien à faire ici. Ce sera mieux pour tout le monde.
Draco déglutit avec peine tandis que son cœur s'étrangle sourdement. La résolution de Potter tranche si fort avec ses propres hésitations que c'en est douloureux. Il a presque l'impression que Potter veut partir, qu'il veut le fuir et ne plus supporter sa présence permanente. Qu'il le trouve envahissant. Qu'il préfère prendre ses distances… Et bien qu'il se soit résolu à cette même décision de transférer Potter, ce sentiment d'être rejeté le déchire.
– … Et ce sera mieux pour nous deux, poursuit Potter après un court silence. Tu n'es plus mon médecin et je ne suis plus ton patient, depuis longtemps. Ce genre de rapports ne peut plus fonctionner entre nous, on a trop de passif, on se connaît trop… Il vaut mieux que je quitte ton service, que tu retrouves une vie normale, des horaires normaux, et qu'on se voit simplement pour boire une bière, loin de tout ce merdier.
Draco détourne la tête et contemple la fenêtre où brillent quelques étoiles dans la nuit extérieure. Il est un peu sonné, il ne sait plus quoi penser, il ne sait plus si le discours assuré de Potter est un rejet pur et simple ou au contraire, une façon de le protéger, il ne sait plus s'il doit aller dans son sens ou lutter de toutes ses forces pour le faire changer d'idée. Il est pourtant parvenu aux mêmes conclusions: la présence de Potter influe sur son rôle de médecin, avec lui et avec les autres patients, elle empiète sur sa vie, elle est injustifiée sur le plan médical et de toute façon, il ne peut rien lui apporter pour tenter de soulager ses angoisses et ses crises de panique… Ils ont besoin de quitter cette relation biaisée, pas très saine, et de prendre du recul.
Mais fondamentalement, ça lui fait peur. Instaurer une distance entre eux, même nécessaire, signifie ne plus voir Potter aussi souvent qu'il en a envie, se voir moins, se voir peu, et finalement, une fois que chacun sera accaparé par d'autres choses, ne plus se voir du tout… et ça lui paraît impensable. Effrayant.
Au milieu de ces paroles sombres qui lui apparaissent comme un tournant et une distance dans leur relation, Draco s'accroche à la seule lueur d'espoir qu'il entrevoit: cette suggestion de boire une bière ensemble, hors de l'hôpital et de son contexte pesant, hors de ce rapport malsain où il se trouve être le médecin d'un patient qui signifie trop de choses pour lui. Boire une bière dans un pub, tranquillement, comme ils l'avaient fait lorsque Potter était dans son centre de convalescence; un moment sans enjeu, tout en complicité et en douceur.
Les deux pensées cohabitent douloureusement dans son esprit: d'un côté, la crainte de perdre Potter et de voir leur relation se distendre, et de l'autre l'espoir de construire quelque chose en dehors des murs blancs et aseptisés d'une chambre d'hôpital. La crainte et l'espoir… des montagnes russes sur lesquelles son cœur oscille et chavire, meurtri de se trouver ainsi bringuebalé d'un bord à l'autre. Mais l'âge lui a aussi appris à faire taire ses états d'âme pour aller de l'avant. Draco pose un masque impassible sur son visage, il maîtrise les tremblements de sa voix de manière à ce qu'elle paraisse calme et posée, et il reprend le fil de la conversation avec gravité.
– Si on est d'accord sur le principe de te transférer ailleurs, il reste tout de même deux possibilités, déclare-t-il. Soit je te transfère dans un centre de santé mentale spécialisé pour les traumatismes psychiques liés à la guerre… Ils sont très bien, très compétents, ils travaillent en partenariat avec l'armée chez les moldus, ils ont l'habitude des anciens combattants et des problèmes spécifiques qu'ils rencontrent… Soit, si tu ne veux vraiment pas de ce genre d'endroit, je te renvoie dans le centre de convalescence où tu étais pour ta rééducation. Wilson te prendra si je le lui demande et je sais qu'ils ont là-bas une psychologue très compétente et qui maîtrise un peu le sujet. Ce sera sans doute plus long et moins efficace que le centre de santé mentale mais c'est à toi de décider.
Potter le dévisage dans la pénombre, esquisse une grimace devant le choix qui s'offre à lui: la facilité ou la sagesse, mais il n'attend pas longtemps avant de se jeter à l'eau:
– Trouve-moi une place dans ce centre de santé mentale.
Draco frissonne un instant, secoué par le poids de cette décision et tout ce qu'elle implique. Potter semble avoir pris la mesure de ses difficultés depuis son retour et il semble enfin prêt à faire ce qu'il faut. Si son hospitalisation dans son service était vaine et inutile, elle a peut-être au moins permis ce cheminement qui le conduit vers des professionnels adaptés. Potter a besoin d'aide et le reconnaît à demi-mots…
Draco hoche la tête, marquant son approbation autant que son acquiescement, et respire profondément face à l'émotion qui le saisit à nouveau. Cette décision n'a pas dû être facile à prendre. C'est un bouleversement, un point de bascule nécessaire mais difficile. La force extraordinaire de Potter est finalement d'admettre ses propres fragilités… Malgré l'éloignement inévitable qui se profile, Draco n'en est que plus admiratif. Et ému.
– Je pense que tu fais le bon choix.
Potter lui sourit, plus largement cette fois. Peut-être soulagé d'avoir pris cette décision.
– C'est toi qui m'a convaincu, dit-il avant de grimacer: À ton corps défendant… Si j'ai été capable de t'agresser, toi, alors de quoi suis-je capable vis à vis de n'importe qui…? Je ne peux pas être un danger pour les autres.
Malgré la pénombre à peine troublée par le Lumos qui tremblote au fond de la salle de bains, leurs regards se croisent et s'accrochent un long moment. La décision de Potter le soulage lui aussi. Elle l'absout de ses errances et de ses hésitations, elle le conforte dans la confiance qu'il a en lui, elle dessine un chemin d'espoir qui va forcément les emmener ailleurs, les emmener plus loin…
– Ça va bien se passer, affirme Draco avec un sourire. Je n'ai aucun doute là-dessus.
.
.
Le silence est plus confortable à présent que cette décision est prise et qu'un avenir se profile, même réduit à un horizon de quelques jours. C'est un basculement, la première impulsion qui amorce un pas, un mouvement qui prédit la marche en avant. C'est également un jalon, une étape, difficile mais nécessaire, vers autre chose, les prémices d'un chemin. Et ce chemin, Draco souhaite de tout son cœur être là pour l'observer, de la même manière qu'il est là en ce moment-même: aux côtés de Potter. Proche de lui par sa présence, disponible et volontaire pour le soutenir, attentif et attentionné… Même s'il y aura sans doute quelques coups durs, il est prêt à être cette épaule sur laquelle Potter pourra s'appuyer autant qu'il veut.
À cette pensée, Draco sourit doucement, pour rien, pour lui-même. Le regard perdu sur la fenêtre voilée de nuit, il songe qu'il se sent bien. Réellement bien. Pour la première fois depuis des jours, depuis le retour de Potter peut-être, ou depuis ce moment où le médecin du Département des Mystères a débarqué dans le service, il se sent serein et détendu. Ni au fond d'un gouffre de doute et de tristesse devant l'état de Potter, ni au sommet d'un moment d'euphorie parce qu'il vient de lui sourire, de lui faire un clin d'œil ou une plaisanterie un peu osée… C'est un entre-deux, un endroit à mi-chemin, plus doux, plus confortable, une sensation de calme et de paix. Une paix avec lui-même, sans doute… Et la quiétude de savoir que Potter prend la bonne direction.
Avec un soupir de contentement et de satisfaction, Draco reprend conscience de leur position, assis côte à côte à même une vague couverture. Il perçoit la rudesse du sol que n'amortit aucun matelas, au point qu'il ne sent plus ses fesses et qu'il regrette amèrement sa presque maigreur. Dans son dos, le contact de l'armoire est frais, un peu raide. Il a brusquement envie de remuer pour retrouver des sensations dans ses membres engourdis, mais il ne le fera pas pour ne pas troubler le moment… Pour ne pas troubler le silence et l'obscurité.
Il entend le souffle lent et régulier de Potter; si lent que Draco a presque l'impression qu'il s'est endormi. Lui non plus n'a pas bougé, figé dans cette position nonchalante, les avant-bras posés sur ses jambes repliées et les mains pendantes. Il a simplement rejeté la tête en arrière, contre l'armoire, et on pourrait penser qu'il a les yeux clos. La chaleur de son corps se diffuse entre eux; Draco la perçoit au niveau de son épaule, à quelques millimètres de celle de Potter, et au niveau de leurs genoux et de leurs coudes, qui ne sont guère plus éloignés. À nouveau, il a envie de gigoter mais pour s'approcher un peu, cette fois, pour forcer le contact et profiter plus amplement de cette chaleur… Pour fusionner le plus de points possibles entre leurs deux corps. C'est une pensée utopique et fantasmée, bien sûr, mais elle le réchauffe autant que la chaleur de Potter. Et en fermant les yeux, il imagine d'autres façons de fusionner, qui s'évaporent en songes délicieux…
– Merci.
Le murmure de Potter le tire soudain de ses rêveries. Draco frissonne. Il met une fraction de seconde à reprendre pied dans la réalité, sans savoir s'il était en train de fantasmer consciemment ou de sombrer dans une certaine somnolence en laissant son esprit divaguer sans retenue. Peu importe l'intention, le résultat semble le même.
– Merci de ce que tu fais, reprend Potter sans lui laisser le temps de réagir. Et de ce que tu as fait…
Dans le même mouvement que celui qui l'a incité à parler, Potter franchit la maigre distance qui sépare leurs corps et penche la tête de côté pour la poser sur son épaule. Ébahi, Draco reste figé par la surprise avant de sentir un grand élan de chaleur et de fourmillements qui éclot dans son ventre pour se répandre en lui. Dans une recherche spontanée de tendresse ou de réconfort, Potter a posé sa tête – sa joue en réalité –, sur son épaule. Un geste fraternel ou… intime. Un geste d'abandon…
Secoué et émerveillé à la fois, Draco a presque envie de lever la main, de replier son bras pour venir toucher cette joue, la caresser, pour glisser ses doigts sur la gorge offerte ou dans les cheveux sombres, pour venir donner ce réconfort que Potter attend. Ce geste, cette façon de s'abandonner contre lui, la confiance que cela suppose malgré ses propres erreurs, lui met presque les larmes aux yeux. C'est un petit rien qui signifie tellement; tout un monde dans cet espace franchi entre leurs deux corps. Il a envie de montrer à quel point ce geste l'émeut, le bouleverse, fait chavirer son cœur; il voudrait se tourner pour prendre Potter dans ses bras, il voudrait l'enlacer pour le protéger de ses propres démons et de ceux du monde extérieur. Il voudrait l'envelopper de douceur…
Et il a à peine le temps de songer à tout ça, à peine le temps de savourer la sensation chaude et grisante qui navigue dans son ventre, que Potter s'est redressé.
La fugacité de l'instant laisse à Draco une impression désagréable de froid, de douleur et d'acte manqué. Lorsqu'il tourne la tête vers Potter, celui-ci a de nouveau la tête en arrière, appuyée contre l'armoire et il est aussi immobile que s'il n'avait jamais bougé. Impassible au point que Draco en vienne à douter: a-t-il imaginé ce contact éphémère? Était-il à nouveau en train de rêvasser jusqu'à ne plus distinguer ses souhaits de la réalité? Ce serait un crève-cœur pire que de n'avoir pas osé lever la main pour venir caresser le visage de Potter.
Draco hésite à relancer la conversation d'un mot ou d'une question pour en avoir le cœur net quand Potter se remet à parler:
– C'était une mission de la plus haute importance… Un truc secret-défense, un code rouge, une usine à gaz. Les personnes au courant se comptaient sur les doigts d'une main. On devait transmettre un artefact magique à la résistance locale, la réussite de cette mission pouvait changer le cours de la guerre. Évidemment, on n'avait pas droit à l'erreur… Et personne ne devait savoir: une telle ingérence pilotée par une puissance étrangère aurait été un scandale et aurait pu faire tomber bon nombre de têtes.
Tandis que Potter soupire une seconde, Draco reste figé avec une sensation de frisson glacial qui coule le long de sa colonne vertébrale. La chaleur de leur contact éphémère lui semble bien loin et surtout irrémédiablement perdue. Ce sont presque des sueurs froides qui inondent son corps à présent, mélange d'appréhension, de douleur et d'émotion, car, sans savoir pourquoi, il pressent que Potter va se confier, qu'il va enfin livrer ce qui s'est passé lors de sa dernière mission et que ces paroles vont le bouleverser plus qu'il ne l'est déjà. Il le souhaitait, et pourtant maintenant, il le redoute; cette confession tant attendue l'effraie… Il ne sait pas s'il est prêt à affronter ça. Ni dans quel état ils en sortiront l'un et l'autre.
– Évidemment, de toutes les équipes, ils ont choisi la mienne. La meilleure sur le terrain, la plus aguerrie, la plus performante, même si l'infiltration n'était pas vraiment notre spécialité… Nous étions treize; j'ai demandé à chacun s'il se portait volontaire. Je ne voulais pas décider à leur place, il ne fallait que des gars prêts à aller jusqu'au bout, quelles que soient les conséquences, prêts à mourir s'il le fallait. Deux se sont désistés, un s'est fait porter pâle… On est partis à dix: sept hommes, deux femmes, et moi.
Potter marque une pause, allonge ses jambes devant lui et croise les mains sur son ventre; Draco en profite pour respirer.
– J'aimais autant qu'on soit un petit groupe, reprend-il rapidement. C'est plus facile pour être discret, pour se faufiler. Je les connaissais bien, j'avais toute confiance en eux… Notre but était de transporter cet artefact avec nous, une sphère de quelques centimètres… On ne savait même pas ce qu'elle contenait, si c'était une arme ou autre chose, mais son importance était primordiale. On était censés la transmettre à la résistance, avec le sortilège capable de l'ouvrir et tenter de rentrer en un seul morceau. On a avancé pendant quatre jours et trois nuits, toujours plus profond derrière les lignes ennemies, à la faveur de l'obscurité, des sortilèges de désillusion et de transplanages discrets. Aucun combat, juste ne pas se faire repérer… avancer comme des fantômes. La quatrième nuit, on a été cernés et faits prisonniers. Les dix. Sans un seul échange de sortilège.
Potter déglutit puis reprend d'une voix sourde.
– Au départ, on a été enfermés dans la même cellule, pendant deux ou trois jours, sans baguette, sans lumière, sans eau ni nourriture. Je te passe les détails sordides d'hygiène et de promiscuité; le plus dur a été de maintenir une cohésion… Nos boucliers de défense, nos sortilèges de protection, tout avait été balayé parce que les autres étaient très bien informés. Ils connaissaient nos méthodes, les mots-clefs pour lever les charmes, ils savaient. La seule explication, c'est que quelqu'un avait trahi. Alors chacun a commencé à douter, moi le premier; à regarder son voisin de cellule de travers et à remettre en cause les engagements et les loyautés. Quand les tensions ont commencé à vraiment monter entre les gars, ils nous ont séparés. Du moins, ils m'ont séparé d'eux.
Draco tourne un peu plus la tête vers Potter tandis que celui-ci laisse filer quelques secondes de silence. Dans la tension de sa voix, dans la façon dont il crache certains mots, Draco devine tout ce qu'il ne dit pas: l'amertume, la douleur de la trahison, la culpabilité de n'avoir rien vu… De n'avoir su protéger personne. D'avoir échoué.
Le regard de Potter reste fixé vers la fenêtre, presque aveugle aux étoiles qui scintillent au-dehors ou à la lueur qui tremblote dans la salle de bains. Il est tout entier tourné vers ses souvenirs et les visions qui le hantent, mais contrairement à bien d'autres fois, maintenant qu'il a commencé à parler, il ne tremble pas, il n'est pas effrayé, ni assailli d'angoisses. Sa voix est tendue, vibrante de la crispation due à ces souvenirs, mais elle reste ferme et assurée.
– L'autre souci… c'est que j'étais le seul à détenir le sortilège-clef pour ouvrir l'artefact. Le seul capable de résister à un Impérium, et Merlin merci, depuis Voldemort, j'ai fait quelques progrès en occlumencie! ricane-t-il avec acidité. On s'est tous doutés qu'ils allaient essayer de nous monter les uns contre les autres, pour me faire parler, de jouer avec nos dissensions. Utiliser la trahison, la confiance perdue, nous manipuler mentalement… Avant qu'on soit séparés, j'ai essayé de les préparer à ce qui allait venir; j'ai essayé de les réconforter, de les ressouder…
La voix de Potter se voile brusquement, soulevée par l'émotion, et Draco sent la même émotion venir enfler dans sa gorge et étrangler son cœur. Il voudrait ne pas savoir mais il sait comment tout cela s'est fini: Potter a été le seul survivant. Tous ceux dont il parle, ces hommes encore vivants dans son récit ne sont que des morts en sursis, tombés au cours d'une guerre sordide, assassinés au fond d'une cellule sans revoir la lumière du jour.
– Ils sont tous morts, lâche brusquement Potter. Un par un.
Draco sent la tension qui noue ses propres muscles et ses nerfs, qui crispe ses mâchoires au point d'en devenir douloureuse. Il voudrait bouger pour la soulager, pour passer à autre chose mais il n'ose pas. Si Potter ne parle pas maintenant, il ne parlera jamais.
– Ils ont pris un premier gars au hasard et ils l'ont torturé devant moi, jusqu'à ce qu'il meure. Ils ne posaient pas de questions, ils ne lui demandaient rien, ils l'ont juste torturé. Moi, je ne voyais rien, à cause du sortilège d'aveuglement qu'ils m'avaient jeté, mais j'entendais… J'ai reconnu sa voix, bien sûr; et puis j'entendais les coups, les sortilèges, le bruit des os qui se brisent… j'entendais ses cris, ses suppliques et ses pleurs. Parfois, je recevais des projections de sang, j'entendais son corps tomber… Je l'ai entendu agoniser. À la fin, ils ont levé le sortilège et ils m'ont obligé à voir: ce n'était plus qu'une bouillie de chair et de sang. Du sang partout…
La voix de Potter tremble et il s'agite brusquement, il lève les mains et se frotte le visage, les yeux, plusieurs fois, comme s'il voulait laver ces visions d'horreur, effacer ces souvenirs pires que des cauchemars… Draco, lui, comprend. Il comprend tout: la peur du sang, la peur du noir, l'aversion absolue pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la viande, à de la chair, et cette compréhension est infiniment douloureuse. Elle écrase son cœur et son âme, elle le piétine, elle le réduit en miettes et il sait déjà qu'il en sortira à jamais changé.
– Après ça, ils m'ont ramené dans ma cellule, seul. Dans le doute, je n'ai même pas osé manger ce qu'ils m'avaient amené… Le lendemain, ça a recommencé. Dans la même pièce, aveugle, avec un autre de mes hommes… De temps en temps, ils me laissaient voir la boucherie avant de m'aveugler à nouveau. Je savais que je pouvais tout arrêter d'un mot, qu'ils ne voulaient que le sortilège pour ouvrir l'artefact, que torturer mes hommes plutôt que moi était juste un moyen de pression pour me faire parler…
Potter se passe une main dans les cheveux, presque violemment. Draco a presque l'impression qu'il va s'en arracher une poignée.
– Mais je pouvais pas leur livrer ça et peut-être l'avenir de la guerre! On avait déjà échoué dans notre mission, on ne pouvait pas en plus leur faire ce cadeau. S'il y avait la moindre chance… Alors, ils les ont torturés, jusqu'à ce qu'ils meurent, un par un. Certains m'avaient fait promettre de ne pas parler, même s'ils venaient à me supplier… Ils ont tous supplié. Certains m'ont insulté. Certains m'ont maudit, jusqu'à la dixième génération…
Potter hausse les épaules et ricane d'une voix amère et désabusée:
– Quelle importance… je n'aurai jamais d'enfants.
Cette image brusque d'un avenir à peine évoqué et déjà fracassé fait sursauter Draco. Il voudrait s'accrocher à cette image d'espoir, à ce sursaut de vie au milieu des images d'horreur, et les mots, ses premiers depuis que Potter a commencé à parler, sortent avant même d'avoir été réfléchis:
– Ne dis pas de bêtises! Tu ne sais pas de quoi l'avenir est fait.
Potter se met à rire au milieu du silence, un rire froid, monstrueux, qui le glace jusqu'au sang.
– Je suis une bête, Malfoy! Mon quotidien, c'est de me battre et de tuer. Je ne reviendrai jamais à une vie normale!
Son rire s'éteint en s'étranglant sur une toux rauque et un bruit étrange qui ressemble presque à un sanglot. Draco se mord les lèvres pour contenir son émotion. Il sent ses yeux qui papillonnent pour tenter de maîtriser leur humidité croissante et son souffle trop court qui se bloque dans sa poitrine; il sent son ventre tendu, retourné, bouleversé.
– Qu'est-ce que tu aurais fait, toi? demande brusquement Potter en tournant un regard halluciné vers lui. Si tu avais eu le sort de tes hommes entre les mains? Si tu avais pu tout arrêter d'un seul mot?… Si tu avais dû choisir entre leur vie et la possible fin de la guerre? Entre leur vie et celle de milliers d'autres personnes?…
– Je…, balbutie Draco la bouche sèche. Je n'en sais rien.
Il n'est même pas sûr que Potter attende une réponse, il n'est même pas sûr qu'il l'entende parler. C'est une question purement rhétorique, une façon de poser en mots le dilemme qui l'a envahi alors et qui n'appelle aucune bonne solution. Le genre de dilemme qui peut détruire un homme.
– Ils avaient tous confiance en moi, reprend Potter sourdement en fixant à nouveau la fenêtre. Dans chacun de leur regard, j'ai vu l'espoir que j'allais les sauver… Mais j'avais déjà choisi. À chaque fois qu'il en passait un devant moi, je me disais que c'était lui qui nous avait trahis. Qu'il ne méritait pas de vivre…
Potter déglutit bruyamment; dans la vague lueur qui émane de la salle de bains, ses yeux semblent soudain humides et sa voix tremble un peu quand il poursuit:
– Et puis, il y avait ce sortilège… Vingt-et-une roses, ils appelaient ça. Une variante d'un sortilège de découpe. Ils font tendre une main et ça… découpe des lamelles au niveau des doigts. Sur toute la longueur. Un par un. Jusqu'à l'os… Des lamelles de chair si fines qu'elles se recourbent vers l'arrière et ça fait comme des pétales de rose. Je les ai tous entendus hurler… Les doigts. Les orteils… Vingt roses chez les femmes. Vingt-et-une roses chez les hommes… Et tu sais quelle est la vingt-et-unième rose pour un homme, Malfoy?
Livide, Draco secoue la tête, autant pour nier que parce qu'il ne veut pas savoir. Et même s'il avait voulu répondre quoi que ce soit, même lui dire de se taire, il aurait été incapable de parler.
– La bite, Malfoy! La bite! fait Potter avec un rire dément et saccadé qui s'éteint pour finir en un gémissement désespéré et s'étrangler aussitôt.
Potter tremble maintenant, pendant quelques secondes. Draco le voit serrer les dents puis se mordre les lèvres pour réussir à se contenir, il renifle, ses yeux brillent de plus belle. Il semble lutter pour ne pas cacher son visage entre ses mains, pour ne pas s'effondrer.
Dieu merci, Draco sait, pour avoir observé ses mains et pour l'avoir vu nu peu après son retour, que Potter n'a pas été touché par ce sortilège. Il a subi d'autres choses, des coups, des brimades, des privations, il a été obligé de voir ce que ses hommes ont subi et d'en porter la responsabilité, mais physiquement, il a été relativement épargné. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas souffert, d'une autre manière…
Malgré tout, ce qui choque le plus Draco sur l'instant, reste la barbarie sauvage dont ont fait preuve les geôliers de Potter. Cela remue en lui des souvenirs anciens et douloureux, des stigmates de la guerre, enfouis au fond de sa mémoire et qu'il aurait préféré oublier définitivement: les jours, les semaines, les mois passés à côtoyer sa folle de tante et Voldemort, les hurlements des prisonniers au fond du Manoir, le plaisir vicieux de ces deux sadiques lorsqu'ils torturaient le premier venu, leurs regards hallucinés qui vont revenir hanter ses cauchemars pendant les prochaines nuits… Eux et bien d'autres: les Yaxley, les frères Lestrange…
Jamais. Jamais il n'a pu comprendre comment l'Homme pouvait à ce point oublier ce qu'il est, oublier que l'autre est son semblable, pour verser dans la cruauté et la barbarie.
Un bref mouvement de Potter interrompt ses pensées et celui-ci reprend déjà, d'une voix de plus en plus rauque et éprouvée.
– Après ça… ils m'ont laissé pourrir dans ma cellule avec tous les cadavres. J'ai cru que j'allais devenir fou. Je crois même que par moments, je le suis devenu…, murmure-t-il avant de se taire quelques secondes. Je parlais à mes hommes, je les secouais pour les faire réagir, je leur demandais de me pardonner… J'étais couvert de sang, de lambeaux de chair, je les serrais dans mes bras, les uns après les autres… Tous.
Une larme silencieuse roule sur la joue de Potter, un infime scintillement dans l'obscurité de la chambre et Draco s'aperçoit que ses propres joues sont humides, sans même qu'il sache depuis combien de temps. La douleur de Potter lui est insupportable, il voudrait le prendre dans ses bras, lui aussi, lui témoigner sa présence, sa compassion, lui prouver qu'il n'est pas seul, tout simplement, mais il devine que Potter n'en a pas fini avec ses confessions.
– Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Sans doute quelques heures mais ça m'a paru des jours… Au bout d'un moment, leur chef est venu me voir, dans ma cellule. Il avait l'artefact avec lui, il le lançait et il le rattrapait, comme s'il s'agissait d'une vulgaire petite balle. Il m'a dit: «Tu vas rire, Potter…!». Il a prononcé le sortilège et l'artefact s'est ouvert. Il était vide, il ne s'est rien passé…
– Comment…?
– Je suppose que c'est moi, dans un moment où je n'étais plus conscient de grand-chose… un moment d'égarement ou de folie, j'ai dû le laisser échapper.
Saisi par l'horreur, Draco frissonne et réprime instinctivement un mouvement pour tendre la main vers Potter. Il ne sait pas si ce serait bien perçu ou non, si Potter ne prendrait pas ça pour une menace, mais il cède au besoin de passer ses doigts sur son propre visage et dans ses cheveux. Un petit geste pour reprendre pied dans la réalité, pour revenir au ici et maintenant, pour renouer avec leur environnement. Ce n'est certes qu'une chambre d'hôpital et le confort sommaire d'une couverture sur le sol, mais ils sont au chaud, en sécurité, loin de ce théâtre macabre, à des milliers de kilomètres de cette sauvagerie inhumaine. Cela n'efface rien de ce que Potter vient de raconter, mais Draco a besoin de ce petit geste pour retrouver un semblant de douceur, de contact humain et de normalité.
– En partant, reprend Potter qui n'est malheureusement pas au bout de son chemin de croix, leur chef a ricané et il a dit quelque chose du genre «Tes petits collègues n'accordent pas beaucoup d'importance à ta vie, Potter!»… Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai pété un plomb. Ma magie s'est libérée, comme un accident de magie chez les enfants… Je ne me souviens pas de grand-chose mais… je sais qu'ils sont tous morts, je me souviens de grandes flammes, d'un incendie, et je me suis retrouvé en train de transplaner vers l'Angleterre, une infinité de sauts, complètement instinctifs, à moitié conscient…
Étrangement, Potter joue avec la couture de son jean avant de poser les mains sur ses cuisses. Il a redressé la tête, sa voix est de nouveau ferme, posée, bien loin de l'émotion qui la faisait vibrer quelques minutes plus tôt, ses yeux ne brillent plus. Mais une amertume palpable est de retour.
– J'ai débarqué au Département des Mystères comme un fou furieux, j'ai tout retourné, j'ai fouillé les bureaux, les archives, les pensines… Je ne me souviens plus de tout, mais j'ai dû lancer quelques Impérium aussi et fouiller certains esprits… J'étais… ivre de colère. Je crois que j'aurais pu tuer tout le monde là-dedans. Je ne sais même pas ce qui m'a retenu…, soupire-t-il. Quand ils ont enfin réussi à me maîtriser, je ne tenais plus debout, je n'avais pas dormi depuis des jours, j'étais en état de choc. Ils m'ont gavé de potions pour me faire tenir tranquille, ils m'ont mis les menottes anti-magie et ensuite ils t'ont contacté pour me faire hospitaliser. J'étais dans un état second, en pleine sidération, mais entre ton service et la psychiatrie, le choix était vite fait.
Incertain, Draco réfléchit à toute vitesse. Il repasse dans son esprit les souvenirs de cet entretien avec le médecin du Département des Mystères, ses explications, il remet ça en perspective avec la version de Potter et il persiste à ne pas comprendre.
– Mais… Pourquoi avoir retourné le Département des Mystères? Ils n'étaient pas responsables de…
– Bien sûr que si, répond Potter dans un souffle. L'artefact n'était qu'un leurre. Notre mission n'était qu'un leurre. Ils nous ont volontairement envoyé derrière le front ennemi, sous un prétexte bidon, pour faire diversion, pendant qu'une contre-offensive avait lieu ailleurs. Ils ont sacrifié mes hommes, ils ont sacrifié leur meilleure équipe pour que l'appât soit plus crédible, ils comptaient sur moi pour tenir le plus longtemps possible, pour ne rien dire et maintenir les autres concentrés sur nous pendant que la résistance attaquait à des dizaines de kilomètres de là… Nous étions le piège. Nous étions le morceau de viande attaché au bout d'un hameçon, crache-t-il. Personne n'était censé en réchapper… Ce n'est pas un de mes hommes qui avait trahi, c'est le Département des Mystères qui a soufflé notre position et le moyen de désactiver nos boucliers de protection… Ils nous ont sacrifiés. Froidement. Délibérément.
– Tu es sûr de ce que tu avances? s'étrangle Draco. Parce que si c'est le cas…
– Bien entendu que je suis sûr, l'interrompt Potter d'un ton ferme. Ils me l'ont confirmé eux-mêmes, le type que tu as vu et qui se prétend médecin, et deux ou trois des gorilles que tu as déjà aperçus avec moi… Ils m'ont gardé quelques jours avant de te contacter, pour me convaincre du bien-fondé de leurs agissements. Ils ont eu le temps de se justifier, de m'expliquer leur point de vue, au nom du «plus grand bien» comme autrefois, les nécessités de la guerre et toutes ces conneries.
– Et ils t'ont relâché quand même? souffle Draco sans réfléchir. Ils n'ont pas eu peur que tu reviennes venger tes hommes?
Potter rejette la tête en arrière, contre le métal dur de l'armoire, et dans la mince lueur qui vient du Lumos de la salle de bains, Draco voit sa bouche se tordre en une grimace douloureuse. Il semble à nouveau au bord des larmes, soulevé par une émotion immense.
– Non, fait-il d'une voix où vibre un trémolo fragile. Parce qu'ils savent que j'aurais sans doute fait pareil à leur place. Parce qu'il vaut mieux sacrifier deux doigts qu'une main entière, ajoute-t-il en levant sa main gauche où manquent l'annulaire et l'auriculaire. Parce qu'il vaut mieux sacrifier dix vies plutôt que des milliers…
Bouleversé, ravagé par la douleur de Potter, Draco se sent profondément vide et impuissant. Il a l'impression que ses membres sont figés, lourds comme du plomb, et pourtant il s'aperçoit qu'il tremble, de froid, de fatigue, d'un contre-coup nerveux. Son esprit est sidéré, blanc, incapable d'une pensée cohérente, lessivé par toutes les émotions qu'il a ressenties durant le récit de Potter. Un récit assourdissant de violence… Les mots et les images se brouillent devant ses yeux qui brûlent d'épuisement. Il voudrait oublier et il voudrait pleurer, pour vider ce chaos cauchemardesque qui envahit son âme. Il voudrait fuir et il voudrait prendre Potter dans ses bras… Il ressent presque à sa place la culpabilité monstrueuse, le sentiment d'échec, d'impuissance, la honte d'avoir sacrifié ces hommes dont aucun ne l'avait trahi, la honte de se dire qu'il les sacrifierait à nouveau si l'avenir de la guerre en dépendait… Et il ne peut rien faire. Rien.
Alors, Draco tend la main. Enfin…
Il recouvre la main désœuvrée de Potter qui repose sur sa cuisse, il la prend dans la sienne, cette main qui n'a que trois doigts et qui représente si bien tous les sacrifices que Potter a dû faire. La paume est chaude, un peu rêche, plus large et plus grande que la sienne. Potter se laisse faire, sans réagir. Lorsque Draco tourne la tête vers lui, il ne croise pourtant pas son regard; ses yeux sont fermés, ou lointains. Il ne donne aucun signe d'assentiment ou de refus. Il ne donne même aucun signe qu'il a perçu son geste… Mais lorsque Draco entrelace leurs doigts, Potter répond à sa proposition muette et leurs mains sont bientôt serrées l'une contre l'autre avec la force du désespoir.
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Longtemps, ils se tiennent ainsi, assis l'un à côté de l'autre sur le sol de cette chambre plongée dans la nuit, les mains jointes, les doigts croisés, à se tenir comme si leurs vies en dépendaient.
Peu à peu, Draco se relâche. L'émotion soulevée par ce geste partagé décroît lentement, à mesure que s'éloigne le récit de Potter, à mesure que leurs respirations s'apaisent, que leurs cœurs ralentissent à l'unisson. Le silence est complet au creux de la nuit, pas même troublé par les allées et venues des infirmières. Le temps paraît presque suspendu, ou s'écouler infiniment lentement, comme si toute leur vie était concentrée dans ce moment de partage. Tout l'univers dans ces deux mains entrelacées. Un moment en creux, dont le calme leur appartient.
C'est un geste d'humanité. Un peu intime… Draco ne veut pas savoir de quoi il présage, il refuse de toutes ses forces de se projeter à demain, aux jours qui viennent ou à l'avenir; il veut juste… savourer le moment présent, savourer sa main dans la main de Potter et l'étreinte puissante qu'il lui rend.
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Plus tard, Potter relâche doucement sa pression pour dégager ses doigts et s'allonge sur le côté, recroquevillé sur la mince couverture, une main sous la tête.
– Tu devrais renforcer le sortilège de silence sur la chambre…
Sa voix n'est plus qu'un murmure exténué, vaincu par la fatigue et l'émotion, un peu rauque d'avoir tant parlé.
– Pourquoi?
– Pour les autres patients… Je vais faire des cauchemars, je vais sans doute crier dans mon sommeil.
Draco ne doute pas qu'il va lui aussi faire des cauchemars… Il se glisse derrière Potter et s'allonge contre lui, entre l'armoire et ce corps chaud qui frissonne d'épuisement.
– De toutes les fois où tu as dormi en ma présence, tu n'as jamais crié.
Il hésite. Et puis il ose: il passe son bras par-dessus le corps de Potter, rejoint sa main et leurs doigts s'entrelacent.
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Allez, ne retenez que cette dernière image pour oublier le reste... :)
A samedi prochain!
La vieille aux chats
