LE SERPENT ET L'OISEAU (1)
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Coucou !
J'espère que vous allez tous bien, que ce soit côté corps ou esprit !
De mon côté, ce n'est pas la période d'écriture la plus prolifique mais je m'en doutais un peu. Je remercie en tout cas Sun Day V et Polllock pour leur review, parce que connaître vos impressions c'est une vraie source de motivation malgré tout *-*
Je vous laisse donc avec Alice qui fait ses premiers pas dans la formation, et je vous souhaite une très bonne lecture :)
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Leçon n°2 : Maîtriser ses émotions
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Alice l'avait déjà remarqué ; la nouveauté modifiait le regard à la manière d'un filtre. Alors qu'elle serpentait entre les colonnes du hall d'entrée, elle ne s'étonnait pas de voir le décor autour d'elle prendre une couleur plus éclatante que d'habitude, comme la blancheur d'un vêtement pas encore terni par l'usure. L'open space n'était pourtant pas neuf en soi. La moitié des bureaux croulaient sous les piles de parchemins, sur les panneaux régnaient des photographies ternies par le temps et des restes de notes de service gisaient toujours sous les chaises. Mais c'était si différent de ce qu'elle connaissait, plus brut que la magie de Poudlard, plus réel en un sens, qu'elle ne parvenait pas à en détacher son regard.
Sur sa poitrine trônait le badge officiel qu'elle venait de récupérer à l'accueil : « Alice Rowle, apprentie Auror ». Une antithèse ? Maintenant qu'elle n'était plus l'héritière de l'entreprise familiale – de la soi-disant légende des Rowle –, ce nom lui paraissait vide et creux, comme s'il avait cessé de lui appartenir. Pourtant, les mots de son père résonnaient toujours à ses oreilles.
« Tu feras les sacrifices nécessaires, parce que tu es ma fille, parce que tu es une Rowle et parce que comme nous, tu n'as pas le choix. »
Alice les avait faits, les sacrifices, simplement, pas comme il l'entendait. Elle avait agi avec tout l'égoïsme dont elle était capable, et ce n'était pas pour retourner en arrière. « C'est ta vie, maintenant. » Ses propres mots vinrent masquer ceux des autres, avec toute la détermination qu'elle possédait. Son père avait raison, elle n'avait pas le choix, ce qui était fait était fait et à présent, elle avait un nouveau départ à ne pas rater.
Serrant le chaudron qu'elle tenait – ironiquement – entre ses mains, Alice s'avança encore un peu, juste pour apercevoir les trois seuls titulaires déjà installés à leur bureau.
— Je peux savoir ce que tu fous, Perez ?
— Je réfléchis... Y'a combien de f à effraction ?
L'autre ouvrit de grands yeux.
— Parce que tu crois que Croupton a le temps de lire les rapports ?
— Nan, c'est pour mes mots croisés !
Le premier Auror éclata d'un rire qui la fit sursauter. Sa large carrure rappelait celle d'un grizzly, quelque part entre le danger imminent et le sourire débonnaire. Alice était en train de l'observer lorsque son chaudron commença à glisser de ses mains, trop vite pour qu'elle puisse le rattraper.
Il se fracassa sur le sol.
« Merde. »
— Qu'est-ce que tu veux ? s'agaça le dénommé Perez, levant les yeux vers elle.
Il la toisait avec une irritation évidente, jusqu'à poser les yeux sur le badge qu'elle arborait à la poitrine.
— Une Rowle... Intéressant.
Ses yeux bruns brillaient d'une lueur vive d'intérêt. Alice recula d'un pas. Elle n'était pas sûre que cet intérêt soit une bonne chose.
— Tu vois, Robards, ça fait un moment Fol Œil nous bassine avec l'idée qu'il ne se passera pas longtemps avant que les Mangemorts ne se décident à infiltrer nos rangs... Et c'est marrant, j'ai croisé un Rowle il y a moins d'une semaine dans l'Allée des Embrumes...
Une boule d'appréhension se forma dans la gorge d'Alice. Sans doute aurait-elle dû répliquer quelque chose d'intelligent, de suffisamment subtil pour désamorcer la tension qui s'était écrasée sur eux. Elle n'avait aucune envie de savoir ce que sa famille fabriquait dans l'Allée des Embrumes. Elle avait mis trop d'effort à repousser ses intuitions pour s'y abandonner maintenant.
— Fol Œil est encore plus parano qu'avant, s'amusa Robards d'une voix puissante.
— C'est un fait, mais ça ne veut pas dire qu'il ait tort.
Les yeux de Perez lançaient des éclairs. « Je ne suis pas une espionne. » – des mots vides, presque trop simples à prononcer. Ça ne servait à rien de l'affirmer, encore fallait-il le prouver.
— Alice !
Elle se détacha de l'emprise de Perez pour se tourner vers la voix. A l'autre bout du couloir, Jack et Benjamin lui faisaient signe. Elle s'empressa de les rejoindre, soulagée.
— L'emploi du temps vient de changer, expliqua Jack.
— T'es sérieux ?
Il haussa les épaules.
— Bienvenue en cours de duel !
Le monde sorcier était désespérant. Les escaliers immobiles, les emplois du temps fixes, c'était si simple... Or, pourquoi faire simple quand on pouvait se compliquer la vie ?
— Dépêche-toi, ils vont nous attendre !
Trop tard pour déposer ce chaudron qu'elle mourait d'envie d'abandonner dans un coin. Lorsqu'ils parvinrent à bout de souffle dans la salle de duel, Alice fut étonnée de la voir entièrement vide, et beaucoup plus grande qu'elle ne l'aurait cru. Il n'y avait qu'elle, le reste des apprentis et une vieille femme qui n'eut pas l'air d'apprécier leur retard.
— Je crains que ce genre d'accessoire ne nous soit pas nécessaire, Miss...
— Rowle, termina Alice.
Travis lâcha un rire moqueur, auquel elle répondit par un regard noir. Lorsqu'il lui fit signe de le rejoindre, Alice l'ignora. Plutôt se fourrer la main dans une broyeuse que de faire équipe avec cet imbécile.
— La prochaine fois, veuillez arriver à l'heure.
Sa voix ne jouait sur une aucune tonalité particulière mais l'avertissement était clair. Melinda Spellman ne possédait pas une stature impressionnante, c'était son attitude qui vous donnait envie de vous écraser sur le sol. Spellman. La veille, Alice avait entendu Jack réciter les exploits de la vieille femme devant l'emploi du temps. « Une légende vivante ! Vous vous rendez compte qu'elle a fait ses classes contre Grindelwald en personne ? Et elle a joué un rôle clé dans l'attentat contre Gringotts en 1952 ! »
Petite et ridée, proche du siècle d'existence, Spellman avait l'air d'une petite mamie spécialisée dans la fabrication des gâteaux. Il fallait l'observer avec attention pour réaliser que ce n'était qu'une apparence. Il y avait quelque chose dans sa posture, le maintien de sa baguette, ferme et assuré, dans ses yeux clairs et acérés qui lisaient en vous les secrets les mieux cachés.
Melinda Spellman fit tourner sa baguette entre ses doigts fins. Plantée devant eux, elle laissait monter l'attente et savourait leur nervosité.
— Connaissez-vous l'objectif premier dans un duel ?
Le duel. Il y avait deux ans de cela, ils avaient eu – enfin – un professeur de Défense contre les Forces du Mal compétent. Un jeune hongrois spécialisé dans les duels, justement. Les élèves avaient beau se moquer de lui pour son nez en trompette d'une étrange couleur violette, Alice avait toujours apprécié son enseignement. Une armoire lui était tombé dessus à la suite d'un sortilège raté. Il avait fini les derniers mois dans le coma.
Il y eut un silence. A part mettre K.O. son adversaire, Alice ne voyait pas trop ce que...
— Écraser l'adversaire ? proposa Travis.
Spellman l'observa, satisfaite.
— Absolument pas. Mais nous pouvons tous remercier Mr Wenworth pour cette erreur.
— Y'a pas de quoi...
Travis ravalait son mécontentement, c'était visible. Alice ne put s'empêcher de sourire.
Spellman s'avança d'un pas.
— Un troll, lui, va écraser son adversaire. Sommes-nous des trolls ?
La petite assemblée marmonna des « euh non » d'un air peu assuré. Étaient-ils des trolls ?
— Un duel n'est pas un combat.
— Ça c'est original, souffla Wenworth.
Spellman ne lui accorda pas la moindre attention.
— C'est une danse. Il ne s'agit pas d'écraser comme on écrase des insectes. Vous trouverez toujours quelqu'un de plus plus grand et plus puissant que vous. Le duelliste doit savoir éviter les maléfices autant que de les lancer. Il ne s'agit pas d'attaquer mais de savoir exactement quand attaquer, connaître la pulsation et s'en servir pour avancer, voler le temps dont dispose l'adversaire et danser. Vous, là-bas.
Près de la porte, Benjamin eut un mouvement de panique.
— Moi ?
Spellman ne se donna pas la peine de confirmer.
— Nous sommes en plein duel. Que faites-vous ?
L'idée d'attaquer une vieille dame parut ébranler la confiance de Benjamin. Si son désarroi était hilarant, Alice devait bien admettre qu'elle n'aurait pris sa place pour rien au monde.
— Un, deux, trois...
Un jet de lumière rouge se brisa sur la poitrine de l'apprenti.
Benjamin s'effondra.
— C'est la raison pour laquelle les Gryffondor ne font pas toujours d'excellents Aurors, Mr Fenwick. (Benjamin, inconscient, ne put la contredire.) Il faut se protéger d'abord. Ou vous ne vous relèverez pas.
Elle avait prononcé ces mots avec une telle conviction qu'un doute naquit en Alice. Elle n'avait tout de même pas tué Benjamin ?
Si tôt dans l'année ?
Spellman le réanima d'un informulé et s'éloigna de quelques pas, la main gauche serrée sur sa canne dorée. De son autre main, elle fit apparaître un immense grimoire qui s'écrasa à terre dans un bruit de pétard. Les Sorts d'Autodéfense, lut Alice à l'envers.
— J'ose espérer que vous le connaissez déjà par cœur. Si ce n'est pas le cas, ce sera votre livre de chevet pour les prochains jours. Je ne vais pas m'abaisser à vous apprendre les sortilèges de protection les plus basiques. Lisez, entraînez-vous, et on se reverra quand vous serez suffisamment armés pour survivre.
oOoOo
Si Alice avait d'abord pensé la formation comme une prolongation de Poudlard, elle se rendit peu à peu compte qu'il n'en était rien. Certes, il y avait des points communs, mais les différences la rendaient autre par nature. En théorie, les intervenants étaient là pour les aider. En pratique, ils attendaient qu'ils fassent les trois quart du travail par eux-mêmes. La plupart des attendus étaient implicites, des notions qu'ils devaient connaître pour franchir la prochaine marche, mais dont Alice n'avait jamais entendu parler.
En réalité, les cours requéraient un niveau de travail si élevé qu'Alice se demanda plus d'une fois si elle n'avait pas loupé un camp d'été qui aurait pu la mettre à jour. Les apprentis ne parvenaient pas à suivre ? C'était leur problème. Ils manquaient des éléments ? Ils n'avaient qu'à les rattraper, personne ne les attendrait.
Fabian et Gideon avaient raison. Ils ne pouvaient pas se plaindre. Pas auprès des formateurs, du moins, sous peine de faire sèchement rembarrer. Mais entre eux, ils ne se plaignaient pas non plus.
— Qui est l'imbécile qui a pris tous les exemplaires des Sorts d'Autodéfense ? s'écria Jack Adams devant la bibliothèque, furieux.
Personne ne lui répondit. Jody Parker se tenait généralement à l'écart, ne prenant pas la peine de se lier au groupe. Londubat travaillait sur ses livres et ne relevait pas la tête. Quant au garçon blond dont Alice ignorait toujours le nom, il était si discret que la plupart du temps, elle le remarquait à peine. Seul Benjamin prit la peine de poser une main apaisante sur l'épaule de son meilleur ami.
Ils n'étaient pas amis. Ils n'arrivaient pas à être camarades. Dès le début, Croupton avait fait d'eux des adversaires dont il fallait se méfier ou du moins, réussir à dépasser.
Alice jeta un œil du côté de Travis, planqué derrière son livre de duel en attendant le prochain cours.
— A ton avis, marmonna-t-elle, pas assez fort pour que Jack puisse l'entendre.
Plus que les autres, Wenworth avait la compétition dans la peau. Alice l'avait surpris un jour en train de déranger l'ordre alphabétique. Plutôt que de s'en montrer honteux, il avait haussé les épaules.
— Faut bien qu'il y ait un peu de challenge.
— Toi, y'a vraiment eu un problème avec ta répartition.
Un sourire étira les lèvres du Serdaigle.
— T'es juste jalouse de ne pas y avoir pensé la première. Fais pas l'innocente, Alice, toi aussi t'es prête à tout. Je le vois dans tes yeux.
— Pas à tout.
Il haussa les épaules.
— J'aimerais te croire, tu sais. Mais t'as toujours été une bonne menteuse.
oOoOo
Walter Muddle titillait son impatience. Les potions avaient été la matière qu'Alice craignait le plus ; elle ne s'était pas trompée. Existait-il une Bible du parfait potioniste dont elle ne connaissait pas l'existence ? Si oui, elle n'était même pas sûre d'avoir envie de la lire.
Il y avait une bonne centaine de livres sur les potions dans la bibliothèque, pourtant Muddle attendait de chacun une connaissance irréprochable. Alice n'y avait pas touché. Ouvrir Mille herbes et champignons magiques – sans parler de le lire – avait été une véritable torture pendant sa scolarité. Elle n'y pouvait rien si le moindre terme technique s'enterrait aussitôt dans les profondeurs de son cerveau, là où elle n'était jamais fichue de le retrouver. Elle avait beau lire et relire ces foutus bouquins, elle était incapable d'en imprimer le moindre mot.
« Tu parles d'un handicap... »
Walter Muddle caressa sa barbe grisâtre en passant entre les apprentis.
— Il faut toujours vérifier le degré de solubilité de vos ingrédients !
D'une manière générale, Alice ne comprenait pas un mot qui sortait de sa bouche. C'était peut-être la barbe, songea-t-elle, cette barbe immonde qui s'achevait par deux tresses épaisses, sales et ternes, dans laquelle on pouvait apercevoir les miettes de son petit-déjeuner.
— Et la miscibilité n'est pas en option !
Il aurait aussi bien pu parler chinois. La miscibilité ? C'était quoi, ce concept barbare ? Apparemment, suivre la recette à la lettre ne suffisait plus pour être Auror – ce qui ne lui avait jamais trop réussi non plus, pour être honnête –, il fallait désormais anticiper tous les phénomènes chimiques et magiques pour mener à bien une potion, et c'était terrifiant.
Ils n'étaient plus exécutants, ils étaient créateurs.
— Le taux de miscibilité, râla-t-elle sur son coin de table, ce concept tellement utile face aux mages noirs...
Alors que Benjamin riait à côté d'elle, une ombre surgit devant ses yeux.
— Miss Rowle !
Walter Muddle s'était jeté sur elle. Il saisit son bras avant qu'elle n'ait eu le temps de réagir. Alice hurla de surprise.
— Vous êtes folle ?
— Moi, folle ?
Elle avait frôlé la crise cardiaque ! Alice eut la surprise de trouver dans les yeux de Muddle une panique réelle. Une panique partagée par tous les candidats, les yeux rivés avec horreur le flacon de soufre qu'elle tenait entre ses mains.
— Le sisymbre et la chrysope sont parmi les éléments les plus instables et vous... vous y ajoutez du soufre ? Vous voulez tous nous tuer !
— Je... je n'y avais pas pensé...
Muddle se prit la tête entre les mains.
— C'est bien le problème ! Il faudrait peut-être se mettre à penser, Miss Rowle. On a tous failli mourir brûlés vifs par votre faute !
Un poids alourdit les épaules d'Alice. « Sur sept candidats, à peine un parviendra au bout. » La prophétie de Croupton résonnait encore à ses oreilles.
Jack et Benjamin eurent un regard compatissant. Jody Parker esquissa un sourire. Quant à Frank, il poursuivait son travail comme si de rien n'était. Même le débarquement d'un troll des montagnes n'aurait suffi à troubler sa concentration. Londubat donnait tout et ça marchait. Les potions lui réussissaient aussi bien qu'à Poudlard.
— La loi d'Hector Dahworth-Granger est pourtant claire à ce sujet, poursuivit Muddle encore sous le choc. Je ne peux pas croire qu'Horace Slughorn – Horace ! – ne l'ait pas évoqué pendant son cours !
— Oh, il en a parlé, monsieur. A plusieurs reprises, si je me souviens bien.
Un jour, Alice égorgerait Travis Wenworth dans son sommeil. Tu ne perds rien pour attendre. Sans se formaliser de son regard noir, le Serdaigle lui adressa un large sourire.
— Si tu veux, Rowle, je te filerai mes notes prises à Poudlard.
— Trop aimable, Travis.
— Oh tu sais, si je peux aider.
Muddle quitta la salle d'un pas rapide.
Lorsqu'il revint, il tenait entre ses mains trois énormes volumes, intitulés Grandes lois et standards de la masse et ses composés dans la fabrication des potions par Georges Beer-Lambert, un individu qui, à en juger par la trilogie de mille cinq-cents pages chacun, ne possédait pas le sens de la synthèse.
Alice en aurait pleuré.
oOoOo
— Bien joué Mr Markiewicz... Très impressionnant.
Kevin Hidden était beau. C'était probablement la première chose qui frappait chez lui. Pourquoi un homme aussi beau avait-il consacré sa vie à la Dissimulation ? Le mystère demeurait entier.
Peut-être l'était-il trop ?
Ses cours offraient avec ceux de Muddle ou Spellman un contraste bienvenu. Il était exigeant, mais sans la sévérité des deux autres. Il considérait au contraire l'échec comme une partie de la réussite et regardait les candidats avec une patience rafraichissante, sans jamais manquer de leur offrir un commentaire encourageant.
— Pas mal du tout, Miss Rowle. Mais vous pouvez modifier votre nez encore davantage, j'en suis sûr !
Alice n'atteignait pas le niveau de Travis ou Narcissa en métamorphose, mais n'était pas mauvaise pour autant. Après tout, si McGonagall avait jugé qu'elle pouvait tenter sa chance aux ASPIC...
Elle avait travaillé plus dur que jamais pendant sa septième année. Mais les cours de Kevin n'avaient rien à voir. Quand McGonagall leur demandait de transformer un élément de leur visage, elle insistait pour qu'ils créent autour d'eux une bulle de calme et de concentration. Kevin appliquait une toute autre méthode. Il les forçait à bouger dans la pièce, leur donnait des ordres et discutait du dernier single de Celestina Moldubec. Il les distrayait sans cesse, à dessein, et le défi était de conserver jusqu'au bout la modification, tout en continuant à marcher et, pour les plus doués, à lui répondre.
D'eux tous, Andrzej était le plus impressionnant. Benjamin s'était renseigné sur son compte à la machine à café, et c'était bien la seule raison pour laquelle Alice avait finalement connu son nom. Discret, et à peu près aussi bavard que Londubat, Andrzej Markiewicz était né à Varsovie. Il avait suivi ses études à Dumstrang, puis rejoint sa mère qui habitait Londres depuis dix ans. Il maîtrisait la Désillusion sans effort et possédait en outre le talent de se faire oublier, parvenant à modifier sur une longue durée des détails qui changeaient complètement la perception de son visage. Andrzej arrivait chaque jour avec les cheveux un peu plus foncés, un nouveau grain de beauté ou une mâchoire plus carrée.
— Là, voilà !
Alice en conclut que son nez s'était empâté avec succès, et qu'il était toujours au milieu de son visage.
Une excellente nouvelle.
oOoOo
« Raccroche-toi aux petites victoires. »
Bien entendu, elle avait dû étendre un peu sa définition de victoire. Rester en vie, par exemple, ce qui à la fin de la journée, était toujours un sujet de satisfaction.
Il y en avait d'autres : un hochement de tête appréciateur de Spellman, un commentaire de Kevin, chaque instant où Muddle ne critiquait pas sa potion.
Le duel était le cours qu'Alice préférait. Spellman transformait la matière en une pratique aussi intellectuelle que physique. Ce n'était rien de moins qu'une partie d'échec. Savoir lire les intentions de son adversaire, conserver toujours un coup d'avance. Wenworth – qui s'était auto-déclaré comme son partenaire officiel – était doué, mais il possédait un défaut. Il était prévisible. Sa tendance à se trouver brillant lui donnait trop de confiance, pas assez de méfiance, et il choisissait toujours l'option la plus évidente.
Andrzej, lui, était bon en esquive, mais échouait à susciter chez elle un sentiment de danger. Benjamin et Jack fonçaient dans le tas sans toujours prendre la peine de se protéger – malgré les avertissements de Spellman –, et Alice parvenait sans trop de mal à repousser les assauts de Londubat, ce qu'elle considérait comme une revanche silencieuse sur ses potions jugées excellentes par Muddle. De tous les apprentis, Jody Parker fut celle qui lui donna le plus de fil à retordre. L'ancienne poursuiveuse partageait avec Alice la haine de la défaite. Elle n'avait pas peur d'être vicieuse, inventive, et danser avec elle avait un côté terriblement excitant.
Mais les petites victoires n'étaient pas suffisantes pour contrebalancer ce qu'elle éprouvait dans la petite salle de potions. Les heures qu'elle y passait étaient les seules qu'Alice ressassait encore et encore. Ce n'était pas faute d'essayer ! Quand ses camarades parvenaient à adapter la miscibilité d'une queue de rat à celle du lézard en respectant la loi de Debye-Hückel – donc à obtenir une couleur convenable –, la sienne virait à la teinte opposée ou se mettait à bouillir dans son chaudron sans raison valable. Quand elle n'explosait pas.
Épuisée, Alice reposa Grandes lois et standards de la masse et ses composés dans la fabrication des potions – dont elle ne comprenait pas un mot – pour se traîner jusqu'à la machine à café au fond de la pièce. Elle pesta contre ses bras engourdis, et pas seulement parce que ce foutu livre faisait plus de mille cinq cents pages. Lever les bras pour faire fonctionner lui demanda un effort quasi-insurmontable. Et cette foutue machine qui restait muette... Alice secoua le tube, d'autant plus agacée qu'elle n'aimait pas vraiment le café, mais merde quoi, c'était une question de principe.
— Si elle fait son caprice, faut juste lui donner un coup de pied, fit une voix amusée derrière son dos.
Comme si la simple menace avait été suffisante pour la mettre en route, un gargouillis se fit entendre, puis le son d'une bulle, une autre et encore une autre, remontant pour éclater à la surface. Alice remercia Gideon d'un hochement de tête – car ce devait être lui, son frère n'était pas aussi bien coiffé – et retint un bâillement.
— Manque de sommeil ? devina-t-il.
— Non, tu crois ?
Gideon ouvrit la bouche pour répondre quand une voix retentit derrière eux.
— Merlin, j'en peux plus ! On a dû parcourir tout le sud de l'Angleterre en balai pour cette histoire de disparition, un café s'impose.
Les cheveux de Fabian étaient dressés sur sa tête. Il s'appuya sur le canapé pour reprendre sa respiration.
— C'est une flèche, Maugrey... Il pourrait donner une bonne leçon à l'attrapeur des Frelons.
Gideon caressa affectueusement le bonnet jaune et noir qu'il tenait entre les mains et secoua la tête.
— N'exagérons rien. Mais c'est vrai qu'il est rapide.
— Il était tendu, aussi, répliqua Fabian en se traînant jusqu'à la machine. J'ai cru qu'il allait tuer cet imbécile quand il a réalisé qu'il nous a mené sur une fausse piste.
Un léger ploc indiqua à Alice que sa tasse était pleine. Elle la saisit avant que la machine ne décide de faire encore des siennes.
— Vous enquêtiez sur quoi ?
— Un couple de moldu qui a disparu. On nous l'a signalé parce que leur fille aurait vu un homme armé d'un « bâtonnet » traîner dans le coin.
— Les disparitions, c'est le pire je trouve, commenta Gideon. On ne sait jamais si les gens ont été tués ou sont juste partis en vacances. Bref, t'es pas la seule à être crevée.
Fabian devança son frère à la machine, ce qui lui valut un regard outré.
— Hé !
— T'avais qu'à être plus rapide.
Alice but une gorgée de café et grimaça. Elle n'avait aucun goût pour son amertume ou sa valeur diurétique, mais s'habituer au rythme imposé par la formation était plus difficile qu'elle ne l'avait cru.
Benjamin, Frank et les autres carburaient tous au jus de chaussette caféiné et elle avait fini par les imiter.
— Vous avez quoi là ? demanda Fabian.
— Dissimulation.
Les yeux de Gideon se firent rêveur.
— Ah, Kevin ! J'espère qu'il va bien.
— Est-ce qu'il rougit toujours quand il parle ? s'intéressa Fabian.
Alice sourit.
— Oh, même quand il ne parle pas.
— Tu vois, fit Gideon, autant j'ai du mal à regretter Hunt ou Muddle, autant l'absence de Kevin Hidden dans ma vie me pèse un peu plus chaque jour.
Son frère roula des yeux.
— Bien sûr. C'est sa personnalité qui te manque et pas du tout son physique avantageux...
— Enfin, pour qui tu me prends ? Je ne suis pas superficiel.
Ils éclatèrent de rire.
oOoOo
Souviens-toi pourquoi tu es là.
Alice n'aimait pas se comparer aux autres. Elle avait passé toute son adolescence aux côtés de Narcissa Black, si elle avait pratiqué l'exercice, jamais son estime personnelle n'en serait sortie indemne.
Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer que les autres avaient l'air d'aller relativement bien, eux. Non qu'elle passe assez de temps en leur compagnie pour l'affirmer avec certitude, mais aucun n'arborait les mêmes cernes qu'elle, ou ne semblait émotionnellement sur un fil, à deux doigts de mordre leur interlocuteur.
Ce n'était pas tellement relire Georges Beer-Lambert qui améliorerait son humeur, elle en avait conscience, et pourtant le temps qu'elle ne passait pas dans les salles de cours à déposer des queues de rat dans un chaudron, elle le passait avec les Grandes lois et standards de la masse et ses composés dans la fabrication des potions, sans en comprendre le moindre mot, incapable de fermer l'œil le soir venu mais se répétant qu'elle allait y arriver, ce n'était qu'une question de volonté, elle finirait bien par y piger quelque chose !
Les insomnies n'aidaient pas sa concentration, bien au contraire. Or, moins elle était performante en potions, moins elle dormait, et moins elle dormait, moins elle était performante en potions. Un cercle infernal dont elle se serait bien passé. Alice prenait goût à l'amertume du café qui s'accordait à la sienne. Pourquoi avait-elle pris une décision aussi stupide, déjà ?
Ah oui, c'est vrai.
Tout ceci aurait sans doute été plus supportable si les potions ne tenaient pas une place si importante dans leur formation. Mais ils avaient cours avec une telle fréquence que, lorsque par miracle Alice parvenait à fermer l'œil, elle retrouvait Muddle dans ses rêves, où des poils tressés entre eux et des sourcils broussailleux prenaient vie dans une pièce pleine de chaudrons. Préparant une potion de réussite miraculeuse, le vieux formateur coupait sa propre barbe et insistait pour qu'elle laisse pousser la sienne.
Parfois, Slughorn venait le rejoindre. Ils riaient ensemble des performances pitoyables d'Alice. Ils riaient tellement qu'ils ne lui prêtaient plus attention. Alors qu'Alice, qui avait enfin réussi à faire la potion parfaite, essayait en vain d'attirer leur regard, elle réalisait avec horreur que son chaudron était en fromage et que, fondant à la vitesse de l'éclair, il déversait sur le sol une mixture odorante au cheddar.
La paix ne lui venait pas du sommeil. La paix viendrait de la victoire et tout le problème était là : la victoire ne venait pas.
Alice aurait pu demander de l'aide à Marlène, mais en plus de sa propre formation – elle aussi difficile –, son amie avait d'autres problèmes. Elle fumait deux fois plus le matin et buvait le double de café, maudissant son tuteur de formation pour sa condescendance, son habitude de lui caresser l'épaule, les cheveux ou même, c'était arrivée une fois, la cuisse.
— C'est même pas subtil, fit-elle devant la fenêtre, la voix pleine de rage. Un jour je vais lui mettre de l'anthrax dans son café à ce connard, il ne va rien comprendre.
Alice eut un rictus.
— Tu veux un de mes prototypes de potion ? C'est un bon plan pour qu'il s'étouffe avec.
— Tu sais qu'il m'a proposé qu'on aille boire un verre ce soir ?
— Tu lui as répondu quoi ?
— Que j'aurais adoré, mais que je n'en avais pas envie. Il a rigolé, ce con.
Marlène termina sa cigarette en toussant et en alluma une autre dans la foulée.
— Un paquet par jour maintenant ? C'est ça ton rythme de vie ?
— Me juge pas, Alice. Je suis à bout.
— Je m'inquiète pour toi, c'est tout.
Elle eut un sourire désabusé.
— T'inquiète pas pour moi. C'est plutôt pour lui qu'il faut s'inquiéter. Il va finir dans la Tamise d'ici la fin de la semaine.
— Il serait plus utile à nourrir les poissons, commenta Alice d'un ton sombre. A ce propos, possible que Travis aille se joindre à lui.
Marlène éclata de rire.
— J'avais oublié que t'avais des cas de ton côté ! Bah, t'as aussi Adams et Fenwick, ils sont marrants. Tu m'avais pas dit que Londubat y était aussi ?
— Ouais, mais « marrant » c'est pas le mot que j'aurais utilisé pour le définir.
— T'aurais utilisé quoi ?
— Chiant. Ou quelque chose du genre. Il ne dit jamais un mot ! C'est une machine. Enfin, Benjy et Jack arrivent parfois à lui tirer un salut mais pas beaucoup plus.
— Je crois qu'ils arriveraient à faire parler une plante verte, plaisanta Marlène. Faudrait qu'on organise un truc, qu'on aille boire un verre tous ensemble maintenant qu'on a quitté Poudlard. Tout pénibles qu'ils sont, ils me manquent un peu.
Alice sourit. Marlène était une Gryffondor pure et dure. Elle cachait sous une peau d'acier et un tempérament de feu un cœur prêt à fondre comme neige au soleil.
A Poudlard, Jack et Benjamin faisaient partie de son cercle d'amis proches. Marlène les aimait beaucoup.
— Fais donc ça, moi j'irais dormir tôt, je les croise déjà tous les jours...
Marlène prit une nouvelle bouffée, clairement amusée.
— Je suis sûre que là-bas tu joues les grandes solitaires. T'es irrécupérable.
— N'importe quoi.
— Ce n'est pas parce que certaines personnes trahissent que tout le monde est comme ça, lâcha Marlène d'un ton léger.
Le cœur d'Alice accéléra sa course. Elle fit comme si elle n'avait rien entendu.
oOoOo
Alice jeta un œil sur ses queues de rat réduites en bouillie.
Oups.
A force d'imaginer à la place la tête de Walter Muddle pour se motiver, il ne restait plus grand chose de la queue de l'animal. Elle ignora le regard moqueur de Wenworth et prit une profonde inspiration. L'intervenant leur avait donné une consigne particulièrement ardue : changer un poison en antidote. Et non, l'analyse des masses magiques n'était pas en option.
Sur un morceau de parchemin étaient griffonnés ses premiers calculs. Alice s'était basée sur la loi de Guldbert-Waage, la mort nait des éléments contraires ; pour retrouver l'harmonie, elle devait empêcher l'asphodèle et l'ammoniac d'entrer en contact, puis instaurer un rythme uniquement binaire. Deux tours dans le sens des aiguilles d'une montre devraient suffire. Si tout allait bien, son mélange pâlirait peu à peu...
Alice se figea en le voyant devenir de plus en plus sombre.
Respirer, encore.
Ne pas s'emporter.
A côté d'elle, Londubat la narguait de sa mixture parfaite. Une œuvre d'art comme toujours, s'extasiait Muddle. Sauf que, contrairement à Wenworth, Frank ne s'en vantait pas. Il restait égal à lui-même, sérieux et concentré. Alors qu'il était bien sage devant ses ingrédients, Alice le détestait tellement qu'elle rêvait de le découper pour le fourrer dans un chaudron, à la place des queues de rat qu'elle tranchait à la pelle.
Ce n'était pas sa faute, mais elle n'avait pas envie d'être rationnelle.
— Vous montrez trop vos émotions.
La remarque de Muddle – alors qu'elle faisait tant d'effort pour les contenir – suffit à la mettre hors d'elle.
— Qu'est-ce que ça change ? C'est une potion, pas un hippogriffe. Ce n'est pas comme si elle allait se vexer parce que je m'énerve.
Devant Alice qui montrait les dents, Muddle préféra battre en retraite. Un homme raisonnable, songea-t-elle au bord de l'explosion. « Concentre-toi. » Si Londubat en était capable, ça ne devait pas être si compliqué, pas vrai ? Alice se raccrochait à cette idée depuis des semaines. Wenworth avait reçu la grâce de Rowena Serdaigle, Jody ne doutait jamais d'elle-même, Jack et Benjamin avaient un don pour se sortir des pires galères et Andrzej avait des facilités dans à peu près tout.
Ils étaient tous brillants. Londubat, lui, était bosseur. Il était son espoir secret. Il était tout ce qu'il y avait de plus ordinaire et faire une potion à ce niveau d'exigence ne semblait pas lui demander autant d'effort. Pourquoi n'y parvenait-elle pas ?
Qu'avait dit Croupton déjà ?
« Sur sept candidats, à peine un parviendra au bout. »
Alice avait beau connaître les chiffres, elle n'avait jamais vraiment douté d'elle-même. Avec un peu de volonté, on venait à bout de tout. Le doute était désormais bien présent dans son esprit. Si seulement elle pouvait en réussir une ! Elle ne demandait pas la lune.
Dans la petite pièce, aucun des candidats ne disait mot. Alice se concentra comme elle ne s'était jamais concentrée. Elle pouvait le faire, Slughorn en était témoin, sans parler du papier où étaient inscrites ses notes aux ASPIC. Elle déposa le cœur battant la queue de rat au centre exact de sa mixture, fit deux tours dans le sens des aiguilles d'une montre et...
La potion ne prenait toujours pas la couleur attendue.
Non.
La formation était épuisante. Soumis aux aléas d'un emploi du temps imprévisible, ils se levaient tôt et repartaient tard. Ils s'entraînaient à jeter des sorts sur des cibles, à éviter eux-mêmes les sorts, à enchaîner les calculs incompréhensibles, à reconnaître plantes et animaux magiques au premier coup d'oeil, à modifier durablement leur apparence, à traquer des...
— Ce ne sera pas cette fois encore, Miss Rowle.
En plus d'une nouvelle humiliation, Alice sentit s'écraser sur elle une immense lassitude. Elle aurait pu se mettre en colère. Elle s'était mise en colère mille fois, avait découpé en morceaux des centaines de queues de rat. A la place, elle lâcha sa cuillère en bois et la regarda disparaître dans l'épais liquide qui aurait dû être blanc et qui, pour une raison inconnue, était noir.
— J'arrête.
Un murmure à peine audible. Depuis combien de semaines se voilait-elle la face ? Depuis combien de semaines revenait-elle devant ce foutu chaudron sans qu'il ne se passe rien ? Elle était épuisée, dégoûtée, elle n'avait plus envie. Peut-être que Slughorn avait vu juste, qu'elle avait eu tort de s'accrocher. Elle valait un E quand elle donnait tout, certes, mais un E ne pouvait suffire.
Alice erra un moment dans les couloirs du Ministère. Muddle ne l'avait pas arrêtée. Elle n'était pas la première à partir avant la fin. Elle ne serait pas non plus la dernière. De retour chez elle, Alice ne pleura pas. Pour une fois, elle avait pris une décision rationnelle. Elle avait essayé, Merlin en était témoin, à quoi bon s'humilier plus longtemps ?
Elle trouverait un travail dans la Brigade magique ou quelque part d'autre. Elle travaillerait sans relâche à côté pour devenir inattaquable au cas où Il déciderait de se souvenir de sa présence.
Ce n'était pas si grave.
oOoOo
Le matin suivant, Alice attendit que Marlène sorte de l'appartement pour se lever de son lit. Elle avait pris sa décision et ne reviendrait pas en arrière.
Alice retourna au Bureau, déterminée à rendre ses affaires, à se désinscrire officiellement de la liste pour en finir avec cette absurdité. Dans le couloir du hall d'entrée, entre les colonnes, elle passa devant Frank Londubat – qui ferait sans doute un Auror, ou du moins un potioniste, formidable – et se figea. Plantée devant le bureau qui s'occupait de l'administration, ses livres et son chaudron en pagaille entre ses mains, elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour y frapper.
— Tu veux de l'aide ?
Elle se retourna, surprise. C'était bien la première fois qu'il lui adressait la parole. A elle seule en tout cas et non pas à l'ensemble des candidats avec une question comme « qui veut un café ? » ou « vous n'auriez pas une queue de rat en trop ? »
Frank extirpa de ses mains son énorme chaudron et son exemplaire du Guide du bon potioniste. Il recula d'un pas comme pour mieux les regarder, elle et le bureau administratif dans lequel elle s'apprêtait à entrer.
— Tu ne vas pas... les rendre ?
La question lui l'effet d'un coup dans l'estomac. Alice ne répondit pas immédiatement. Dans la voix de Frank se dégageait un jugement presque familier, ce qui était étrange parce qu'ils ne se connaissaient pas. Frank Londubat ne jugeait pas, ne pensait pas, il était une sorte de machine à travailler, qu'elle admirait mais qu'elle ne parvenait pas à comprendre.
— Si, c'est justement ce que j'allais faire. Tu ne m'as pas entendue hier ? J'arrête.
— Je pensais que tu disais ça comme ça, que t'allais revenir.
Elle le regarda avec une sorte de défi dans les yeux.
— Eh bien tu t'es trompé.
Alice s'attendait à ce que Frank finisse par s'en aller. Elle avait pris son ton le plus dur pour ne pas avoir à lui répondre. Il n'en fit rien.
— Tu ne peux pas partir.
Elle faillit s'étouffer avec sa salive. Londubat avait prononcé ces mots comme on énonce un fait scientifique inattaquable. Alice sentit la colère monter. C'était sa vie, son échec si elle avait envie. Bien sûr qu'elle pouvait partir ! En étant un peu réaliste, quelle autre option avait-elle ?
Et surtout, de quoi se mêlait-il ?
— Faut se rendre à l'évidence, je suis absolument incapable faire une potion correcte. Mais bonne chance à toi, tu m'as l'air de bien t'en sortir.
— T'es la meilleure en duel.
Alice se figea.
— Tant que je ne trouve pas un sort qui fasse ma potion à ma place, on ne peut pas dire que ça soit très utile...
— Tu finiras par y arriver. Tu as tenu tête à Slughorn pendant sept ans.
— J'ai aussi détruit un nombre incalculable de chaudrons.
Qu'est-ce qu'il essayait de lui dire exactement ? De croire en elle ? Lui qui ne lui avait jamais adressé la parole en sept ans ?
— C'est juste que... (Il s'arrêta pour peser ses mots.) Tu es la fille la plus déterminée que je connaisse. Si toi tu arrêtes, je peux perdre tout espoir de m'améliorer de mon côté.
— Je suis la... quoi ?
— Tu m'as très bien entendu.
Alice avait été trop perturbée par son tu es la fille la plus déterminée que je connaisse pour réagir de manière articulée. Elle culpabilisait de ne l'associer qu'avec les mots ordinaire, bosseur, voire même ennuyeux. Elle s'en rendait compte à présent : en dehors de ces trois adjectifs qu'elle avait arbitrairement collé à son visage, elle ne le connaissait pas du tout.
Et puis, Londubat n'était pas non plus complètement nul en duel. Certes, elle l'avait battu chaque fois qu'ils avaient été mis en duo mais elle l'avait aussi vu produire de beaux sortilèges. Simplement, il restait dans sa tête et n'anticipait pas les mouvements de son adversaire. Il avait du mal à contrer, à prendre l'autre à son propre piège.
— Ne suis pas mon modèle, d'accord ? Le duel ça se travaille.
— Les potions aussi.
— C'est mignon Londubat mais je suis une cause perdue. Je suis sûre que je fais pleurer Muddle entre deux pauses café !
Il secoua la tête.
— C'est parce qu'il n'a aucune pédagogie. Les potions c'est juste des calculs et de la technique. Si moi j'y arrive...
— Mais t'es un génie de la mixture, ça ne compte pas.
La remarque pouvait sonner comme un compliment mais ils savaient tous les deux que ça n'en était pas un. Alice se mordit la lèvre. Ce n'était ni juste, ni vrai.
Frank soutint son regard.
— On pense tous les deux qu'on peut s'améliorer dans la matière de l'autre, constata-t-il.
Alice l'écoutait attentivement, mais elle avait du mal à voir où il voulait en venir.
— Je peux te proposer quelque chose, déclara-t-il après un silence. Un pacte, si tu préfères.
— Quel genre de pacte ?
— Tu ne quittes pas la formation...
Alice s'apprêta à le couper mais Frank lui fit signe qu'il n'avait pas terminé.
— D'accord, je t'écoute.
— Mais à partir de maintenant, soit on a le concours tous les deux, soit aucun de nous.
Le visage de Londubat était impassible. Alice mit quelques secondes à comprendre ce qu'il voulait dire. Soit tous les deux, soit aucun de nous. Le sens de la proposition se fit peu à peu un chemin dans son esprit. Il y avait quelque chose dans sa radicalité qui lui plaisait, et elle prit quelques secondes pour en savourer la tonalité inattendue, presque absurde venant de lui.
— Si je te suis bien, dit-elle avec lenteur, ça veut dire qu'il est aussi important pour moi que tu réussisses en duel que pour toi que je réussisse en potion. Et inversement...
— Je t'aide à travailler sur ta faiblesse. Tu m'aides à travailler sur la mienne. Jusqu'au bout.
— Tu es sûr, Londubat ? Parce que si on se serre la main, sache-le : je ne brise jamais une promesse.
— Moi non plus.
Ça leur faisait au moins un point commun.
Sans compter le concours avec lequel ils avaient scellé leur destin. Alice jeta un dernier regard à son chaudron, puis sourit à son camarade d'infortune.
— C'est d'accord.
Tous les deux ou rien.
Après un silence, Alice saisit la main qu'il lui tendait.
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(A suivre)
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Une petite pensée sur la tournure des événements ? :)
De mon côté, je vais essayer de m'y remettre pour vous poster la suite sans des délais interminables, donc j'ose vous dire à bientôt !
Bisous, prenez soin de vous !
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