LE SERPENT ET L'OISEAU (2)

Hey !

Une fois encore, j'espère que vous allez bien :)

De mon côté, je suis arrivée au chapitre 4 de cette fameuse partie II, mais les contraintes professionnelles font qu'avec la reprise au collège (dont je vous passe les détails, ce n'est même plus drôle à force), ça ne sera sans doute pas si simple. Après, écrire en ce moment est aussi un bon moyen pour moi de me vider la tête et d'évacuer un peu tout ça, donc qui sait ? Je vais tout de même attendre d'avoir avancé sur le n°4 avant de publier, mais pour l'instant j'arrive à tenir mes délais – bon, ce n'est que le troisième chapitre, vous me direz !

Merci à Pamphile pour son retour sur ce chapitre, et à Sun Dae V pour sa super review et le booste de motivation qui va avec :)

Voici donc le petit dernier !

Bonne lecture !

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Rappel des personnages connus :

Les apprentis Aurors

Alice Rowle, Frank Londubat, Benjy Fenwick, Jack Adams, Jody Parker, Andrzej Markiewicz, Travis Wenworth, Fabian Prewett, Gideon Prewett

Aurors connus

John Dawlish, Maugrey Fol Œil, Marcellus Hopkins, Gawain Robards, Roberto Perez, Sturgis Podmore

Intervenants

Kevin Hidden (Dissimulation), Walter Muddle (Potions), Melinda Spellman (Duel)

Membres du Ministère

Julius Brown, Loren Zeller (Département des détournements d'objets moldus), Ambroise Selwyn (chef des Affaires Internes), Bartemius Croupton (chef du Département de la Justice Magique)

Autres

Marlène McKinnon (guérisseuse, amie et colocataire d'Alice)

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Au dernier chapitre : Alice est entrée dans la formation, galère tellement avec les potions qu'elle est sur le point d'arrêter lorsque Londubat lui propose un « pacte » : soit ils obtiennent ce diplôme tous les deux, soit aucun d'eux...

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LEÇON N°3

Vivre le moment présent

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Les deux amies prenaient leur petit-déjeuner sur Here's come the sun et ironiquement, le son de la pluie qui tapait contre la vitre. Marlène était dans sa période Beatles, dont elle venait tout juste de découvrir l'existence, et en faisait profiter matin et soir sa colocataire. Alice dansait au rythme des pulsations en se versant un verre de jus d'orange. Quelques gouttes éclaboussèrent le carrelage. It's all right. Pour la première fois depuis un moment, elle avait l'impression que ces mots pouvaient être vrais.

— Ça fait plaisir de te voir de bonne humeur, constata Marlène avec un sourire. C'est l'effet Londubat ?

— C'est l'effet curiosité. A ton avis, jusqu'à quand il tiendra avant de me déclarer un cas désespéré en potions ?

— Tu exagères.

— T'étais là quand Slughorn a fait un mini-AVC rien qu'en me regardant, non ?

Marlène éclata de rire.

— Je pense qu'on peut accorder à Londubat le bénéfice du doute. Je ne l'ai jamais vu s'énerver et pourtant, il avait de quoi.

— Comment ça ?

— T'étais pas la seule à t'en prendre plein la gueule avec le grand recrutement, ma belle. Londubat est un sang-pur, lui aussi. Augusta a pris position assez tôt.

— Mais elle a pris position contre, fit remarquer Alice.

— Et alors ? Elle a pris position, justement. Comme mes parents. Je suis bien placée pour savoir que ça n'a pas ravi le cercle Serpentard.

— Ils s'en sont pris à lui ?

Alice n'en revenait pas. Le grand recrutement s'était fait dans l'ombre mais quiconque avait un pied dans la société sang-pur savait ce qu'il en était vraiment. Si la déchirure avait été progressive, elle n'en était pas moins nette. L'époque était au changement, il fallait choisir son camp, forger de nouvelles alliances, protéger sa place au sein du noyau ou bien s'en détacher définitivement.

Les sang-purs devaient être solidaires face à leur possible disparition. Ceux qui critiquaient leurs défenseurs étaient des traîtres, aussitôt frappés d'un ostracisme sans procès.

Alice ne s'était jamais demandé comment Londubat avait vécu cette période, et cette idée lui serra un peu le cœur.

— Moi je l'ai un peu cherché, fit Marlène avec un haussement d'épaules. Londubat, c'est pas tellement un garçon qui aime le conflit. Disons simplement que l'amitié ne se bousculait pas au portillon.

Alice était bien placée pour connaître la valeur dissuasive de la colère de Narcissa Black.

— Moi qui croyais que c'était juste un grand solitaire, fit-elle d'un ton faussement léger.

— Y'a peut-être de ça aussi. Un solitaire bien courageux, en tout cas !

— N'exagère pas non plus...

— J'étais en cours de potions aussi, n'oublie pas ! Rien de mieux qu'un chaudron pour faire sortir le dragon qui se cache en toi... Même toi, Alice, tu n'aurais pas la mauvaise foi d'affirmer le contraire.

Alice se mordit la lèvre pour ne pas le dire. Il ne fallait mieux pas sous-estimer sa mauvaise foi. A la place, elle fit ce qu'elle faisait toujours lorsqu'elle ne savait plus quoi répondre : lui décocher un regard noir.

— Comment va ton harceleur, au fait ?

C'était bas. Digne du dragon qui vivait à l'intérieur : brûler sans vraiment le vouloir.

— Il n'est toujours pas dans la Tamise, donc on peut dire qu'il va bien. Pour l'instant. J'ai craché dans son café hier.

— Bien joué. Préviens-moi si tu décides d'employer des moyens plus... radicaux. Je serai là pour cacher le corps.

Malgré la pluie, Marlène ouvrit la porte vitrée qui menait au balcon pour s'allumer une énième cigarette. Elle jeta un regard sur le balcon d'en face puis, déçue de le voir vide, le reporta sur son amie.

— Je savais que je pouvais compter sur toi. Pour l'instant l'humour marche bien vu la faiblesse de sa répartie. Je t'informerai si ça change.

— N'hésite pas. J'essaierai de me libérer entre deux cours de potion.

Alice entreprit de ranger la table du petit-déjeuner, songeuse.

— N'empêche, je lui souhaite bon courage, à Londubat. J'ai essayé d'avancer dans le bouquin que Muddle m'a filé et je n'y pige toujours rien.

— Tu vas y arriver, Alice.

— On verra bien.

Elle fixa le fond de sa tasse où elle croyait voir le bleu de ses yeux à lui. Elle frissonna.

oOoOo

Pour une fois, le gérant de la météo au Ministère était raccord avec la météo réelle : il pleuvait dans les deux cas. La rumeur disait que le pauvre était en plein divorce, et les averses qui cognaient les unes après les autres contre les fenêtres du Bureau, même les plus beaux jours d'automne, étaient loin de la contredire.

Alice passa devant Fenwick pour atteindre la machine à café, le liquide salvateur qu'elle commençait à apprécier, jour après jour. Avec un sourire fatigué, il s'écarta pour la laisser passer.

— Ce n'est que mon troisième gobelet, répliqua-t-il.

— Et ce n'est pas moi qui vais venir te critiquer...

Alice n'était pas surprise qu'il lui adresse la parole. Benjy était comme Travis, il pouvait parler à tout le monde, aux plantes vertes comme aux Serpentard.

Elle pressa le tube de la machine. Rien.

— Et elle t'obéit, à toi ? s'étonna-t-elle en désignant la machine à café.

— Parfois. Il faut savoir lui parler gentiment tu sais, c'est un être sensible.

— Bien sûr.

« Sensible aux coups de pied, en tout cas », songea Alice.

— Laisse-moi faire.

Benjy s'avança et appuya sur le bouton à son tour. Un liquide noir s'en échappa. Peut-être que cette foutue machine n'aimait pas les femmes, ou qu'elle faisait de la discrimination contre les Serpentard. Alice haussa les épaules et reporta son regard sur le Gryffondor. Elle n'avait même pas envie de s'en indigner, pas aujourd'hui.

— Tu n'as pas peur que ton cœur finisse par exploser ? demanda-t-elle alors qu'il terminait son café pour en commander un autre.

— Un peu... Mais on a Muddle aujourd'hui et j'ai eu la mauvaise idée de me détendre hier soir.

Son ton dramatique amusa Alice.

— Te détendre ? répéta-t-elle d'un air faussement outré. Tu es complètement fou, Benjy. Qu'est-ce qui t'a pris ?

— Je suppose que je suis un optimiste. J'ai voulu avoir une vie et tout. Pff.

Alice retint un rire avant de plonger ses lèvres dans son café brûlant. Elle avait beau s'apprêter à entrer à nouveau dans la petite salle des potions, elle était d'humeur joyeuse. Et il y avait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie joyeuse. Elle but une nouvelle gorgée de café en laissant ses pensées vagabonder, et suivit Benjamin jusqu'à la petite salle des potions.

Londubat était déjà là, fidèle au poste. Jack ne tarda pas à surgir dans leur dos, l'air aussi épuisé que son ami – avaient-ils fait ensemble la tournée des bars ? Alors que Jody, Travis et Andrzej préparaient leur matériel en silence, Alice leva une main laconique pour montrer qu'elle les avait vus. Lorsqu'elle croisa le regard de Londubat, un doute la saisit. Avait-il réalisé l'absurdité de sa promesse après une bonne nuit de sommeil ? Avait-il compris qu'il s'était enchaîné à un rocher en train de couler ?

L'arrivée de Muddle dans la salle brisa leur contact visuel. Incapable de lire dans ses pensées, Alice détourna les yeux. Elle pouvait prédire le moment exact où Wenworth allait se montrer infect, déterminer si Jack était mal à l'aise ou quand Benjamin avait la gueule de bois mais Londubat, aussi placide que l'eau du lac de Poudlard, ne lui laissait aucun indice.

Même si – elle n'en doutait pas – il devait bien y avoir de la vie quelque part en dessous.

oOoOo

Le soleil déclinait à travers les fenêtres artificielles du Ministère. Les autres étaient repartis chez eux, laissant Alice et Frank seuls dans la petite salle de potions. Alice avait empilé les trois volumes de Georges Beer-Lambert à côté d'elle et avait ouvert le deuxième à l'endroit où elle était rendue, le temps que Londubat termine la préparation minutieuse de son plan de travail. Ils sortaient d'une longue séance de duel qui avait laissé Alice épuisée, le corps engourdi, la tête ailleurs. Un silence palpable s'était installé entre eux, qu'aucun ne s'était encore décidé à briser.

Alice ne s'était qu'une fois retrouvée seule avec Londubat. Le fameux exposé de quatrième année, dont elle conservait un souvenir brûlant, l'unique moment où ils avaient passé du temps tous les deux. Ils s'étaient donné rendez-vous un samedi après-midi dans la bibliothèque et, leur livre de botanique devant les yeux, rien n'avait réussi à rompre la gêne entre eux, une gêne solide, inextricable, qu'on aurait pu découper au couteau. Même l'étude longue et minutieuse des propriétés de la branchiflore n'avait suffi à prendre le pouvoir sur le silence. Londubat lui avait paru si réservé au milieu de tous ces livres qu'Alice n'avait pas su à quoi se raccrocher. Au bout de deux séances qu'elle assimilait à une forme de torture, elle avait fini par lui proposer qu'ils se partagent le travail pour le faire chacun de leur côté. Il avait acquiescé, tout aussi soulagé.

Ils avaient grandi depuis, bien sûr. Alice avait gagné en assurance ou du moins, elle n'avait plus le même souci de plaire à n'importe qui, et Londubat parvenait désormais à la regarder dans les yeux – leur discussion de la veille l'avait prouvé.

Mais c'était toujours aussi étrange. Un reste d'embarras peut-être, la peur absurde de ne rien avoir à se dire.

Alice fit semblant de poursuivre sa lecture, laissant glisser sur elle les mots de Beer-Lambert, qui ne faisaient toujours pas sens mais qu'à force, elle n'essayait même plus de déchiffrer. Elle se donnait une contenance, s'occupait le temps que Londubat finisse de sortir ses ingrédients.

— Tu comptes vraiment le lire ?

— J'en suis à ma troisième relecture, dit-elle en relevant la tête, surprise d'entendre enfin sa voix.

— Tu as du courage. Ce livre est incompréhensible.

Elle le referma dans un bruit de papier. Pardon ?

— Tu... tu ne le comprends pas ?

— Je ne vois pas qui peut comprendre ça. C'est du charabia.

Étonné par sa réaction, il saisit le premier volume, l'ouvrit au hasard et commença à lire.

— "Les travaux de Claude-Louis Berthollet-Chatelier mettent en avant qu'un système réactionnel soumis à une réaction chimico-magique ayant atteint un équilibre est caractérisé par le fait que les concentrations des réactifs de départ et des mélanges formés sont reliés par une expression dont la valeur est constante à une température donnée. De même, l'aspect cinétique de la masse, que rappelle aussi Waage dans son étude, provient d'un équilibre proportionnel entre les vitesses de la réaction directe et de la réaction inverse. Tout cela dépendant évidemment du coefficient d'absorption du milieu."

Londubat referma le volume.

— Je parie que même Slughorn n'est pas allé au-delà de la page 10.

— Je...

Fait rare, Alice ne sut pas quoi répondre. Elle avait passé tellement de temps en compagnie de Beer-Lambert et de ses digressions imbuvables, persuadée que n'y rien comprendre faisait d'elle une idiote finie, qu'elle avait du mal à prendre le recul nécessaire.

Et il lui disait que...

— Tu veux dire que je n'ai pas besoin de savoir ce qu'est une masse cinétique pour faire des potions ?

Mais pourquoi se prenait-elle la tête depuis si longtemps ?

— Si.

— Ah dommage, murmura-t-elle, déçue.

Alice n'avait jamais aimé les faux espoirs. Londubat posa son dernier instrument sur le plan de travail. Il posait toujours son scalpel à gauche de sa cuillère et ses queues de rat par ordre décroissant, un petit côté maniaque qu'elle avait remarqué depuis longtemps. Elle l'observa tirer de son sac un morceau de parchemin, l'une des premières potions que leur avait données Muddle.

— C'est important de savoir calculer les masses pour anticiper les réactions chimiques et magiques, expliqua-t-il. Mais ce n'est pas aussi compliqué que Beer-Lambert veut le faire croire. (Alice lui renvoya un regard sceptique.) C'est un élitiste...

— Comment ça ?

— Disons que c'était un génie à son époque, mais très porté sur l'idéologie sang-pur. Il a rassemblé toute la théorie des potions dans une grande bibliothèque où l'on ne pouvait accéder que par droit du sang. Si on voulait comprendre son œuvre, il fallait avoir accès à cette bibliothèque. Et donc, être un sang-pur.

— Oh. Et tu crois que ça marche encore aujourd'hui ?

Peut-être qu'elle n'était pas vraiment sang-pur, que sa mère avait fricoté avec des moldus pendant sa jeunesse. Londubat secoua la tête. Alice ravala sa déception, songeant que la génétique, c'était quand même une meilleure excuse qu'être simplement nulle en potion.

— Sa bibliothèque personnelle a brûlé en 1742. On a perdu une bonne partie des références.

— Alors si Muddle m'a donné ce livre...

Alice était trop indignée pour le dire. Londubat termina sa phrase à sa place.

— Il a dû vouloir te décourager.

Elle retint le flot d'insultes qui se bousculaient à ses lèvres. Muddle ne perdait rien pour attendre. Il rejoignait directement la liste – composée essentiellement d'Horace Slughorn – des individus à qui elle enverrait une photocopie dédicacée de son diplôme d'Auror.

Probablement saupoudrée d'arsenic.

— En fait, déclara-t-il, c'est simple. Enfin, simple...

— Simple comme peut l'être le calcul d'une masse cinétique, ironisa-t-elle.

— Disons que tout est dans les propriétés de l'ingrédient. Prends, au hasard, du mucus de veracrasse...

Alice lui décocha un énième regard sceptique. Du mucus de veracrasse ? Au hasard ?

Frank l'ignora.

— Certains ingrédients sont ce qu'on appelle des accélérateurs. Ils favorisent la réaction entre deux éléments et par conséquent peuvent provoquer des réactions... explosives. C'est le cas du sysimbre ou du sang de dragon, par exemple. C'est ce qu'on appelle la loi d'Hector Dahworth-Granger. Le mucus de veracrasse fonctionne comme un épaississant. Il permet au contraire de retarder cette réaction. Il ralentit la masse cinétique, si tu préfères. Du coup, si tu mets ensemble deux accélérateurs pour leurs propriétés, assure-toi toujours de ralentir cette réaction pour qu'elle ait lieu sans explosion.

— Dans le cas de la potion de ratatinage..., commença Alice en jetant un œil au parchemin qu'il tenait entre les mains.

— La rosée de lune s'allie à la valériane. Ni l'un ni l'autre ne sont des accélérateurs. Par contre les deux effets sont de type positif. En théorie, ils ne provoquent ensemble aucune réaction.

Elle commençait à en avoir mal à la tête.

— D'où une énergie cinétique créée à la main, poursuivit Frank. On mélange deux fois dans le sens inverse des aiguilles d'une montre pour provoquer une réaction magique par la production d'énergie. Si on tourne trop, la réaction est excessive et tout s'effondre.

— Alors comment on s'y prend pour calculer tout ça ?

— Sers-toi des propriétés des ingrédients : positif ou négatif, accélérateur ou non. Vérifie si les autres ingrédients sont eux-mêmes compatibles et applique-toi à créer un équilibre. Ou un déséquilibre, d'ailleurs, puisque les effets négatifs proviennent justement de ce déséquilibre. Tout dépend de ce que tu veux en faire.

Alice hocha la tête. Si c'était déjà plus clair que dans les Grandes lois et standards de la masse et ses composés dans la fabrication des potions, ça n'en restait pas moins d'une complexité terrifiante. Il dut saisir au vol la panique dans ses yeux puisqu'il tenta de la rassurer.

— C'est surtout de la pratique, pas grand chose d'autre... Attends-moi.

Londubat sortit de la salle et réapparut quelques minutes plus tard, tenant à la main un autre volume de potion, cette fois nettement plus court (à peine cinq-cents pages).

Typologie des grandes formules nécessaires à la création des potions par Kramers-Kronig, lut Alice.

— Tu as à peu près toutes les formules qui te permettent de calculer la masse et ses réactions ici. Les chapitres 11 et 12 sont particulièrement intéressants.

Alice hocha la tête et un peu sonnée, fourra l'ouvrage dans son sac. Elle jeta un œil sur sa montre, constatant qu'il se faisait tard.

— On essaie de passer à la pratique ?

— C'est parti, soupira-t-elle.

Avait-elle seulement le choix ?

oOoOo

Le silence était-il si dérangeant ?

Alice n'était pas sûre d'avoir un avis aussi tranché sur la question. Au fond, ce n'était pas grave, elle ne travaillait pas avec Londubat pour sa conversation, leurs séances ensemble étaient placées sous l'égide de l'entraide, du sérieux et de l'apprentissage. Ils n'avaient pas besoin de parler et Alice ne pouvait que lui être reconnaissante de ne pas profiter de l'occasion pour lui raconter ses vacances.

— Concentre-toi, souffla-t-il.

L'attention d'Alice avait été distraite par le passage d'une mouche, qu'elle jugeait beaucoup plus intéressante que sa mixture. Inutile de s'en agacer. Elle fixa sa potion, tournant d'un quart sa cuillère en bois en espérant vivement qu'elle finirait par s'éclaircir, puis sourit en la voyant prendre ce qui ressemblait à la bonne couleur.

— Bien. Ne la quitte pas du regard.

Il y avait un gouffre entre la pédagogie de Londubat et celle – absente – de Muddle, dont chaque séance élargissait la faille. Enorgueillie par cette minuscule victoire, Alice esquissa un léger sourire.

— Même quand je découpe mes queues de rats ?

— Non. Dans ce cas-là, mieux vaut regarder les rats. En fait...

Frank s'arrêta, laissant le silence envahir la pièce une fois encore. Il paraissait collecter en lui des pensées fuyantes ; c'était quelque chose qu'Alice avait déjà remarqué chez lui, cette tendance à prendre son temps, ne jamais se précipiter – pas de décision impulsive ou de parole qu'il n'aurait pas mûrement réfléchi. Tout le contraire d'elle, qui n'avait pas toujours la maîtrise de ce qui sortait de sa bouche, ou des choix fomentés par son esprit.

— Si tu me ressors l'histoire de la maîtrise des émotions, Londubat, ce n'est même pas la peine, déclara-t-elle lorsque le silence s'était fait trop épais, trop long à son goût.

— Ce n'est pas une histoire d'émotion, juste de concentration.

— Ah bon, il faut être concentré pour faire des potions ? Tu m'apprends un truc.

Frank ne répondit pas. Alice commençait à se dire que Marlène avait raison. Frank était calme et la provocation n'avait pas le moindre effet sur lui. Mais elle n'était pas un robot, elle. Ils travaillaient sur cette potion depuis quasiment deux heures, Alice était fatiguée, avait faim et sentait grandir l'envie brûlante de rentrer chez elle.

— Si tu es distraite, expliqua Londubat, même par une simple mouche, tu perdras le fil. Tu dois être dans l'action, dans le moment présent, toute entière dédiée à ce que tu fais. La potion c'est une affaire de précision, on ne peut pas vaguement suivre une recette et espérer que ça fonctionne.

C'était pourtant ce qu'elle avait fait pendant toute sa scolarité. Mais elle se garda bien de lui en faire la remarque. Son taux d'explosion en matière de chaudrons en disait long sur l'efficacité de cette méthode.

— Tu veux dire que je n'ai plus qu'à adhérer à ton Carpe Diem pour devenir un génie des potions ?

Les échecs passés avaient rendu Alice réfractaire aux conseils. Le scepticisme était devenu une habitude, un moyen de survivre aux déceptions – sans compter qu'elle avait toujours les trois volumes de Georges Beer-Lambert en travers de la gorge. Londubat n'était pas un mauvais pédagogue mais ses conseils pouvaient-ils suffire ? Elle en doutait grandement.

— Ce serait déjà un bon début, dit-il simplement.

Il était doué pour éviter les pièges du sarcasme, elle pouvait au moins lui reconnaître ça. Il leva les yeux vers elle.

— C'est comme pour ton philtre d'amortencia, en sixième année, tu te souviens ? Tu y étais presque, mais tu as fait deux tours de trop parce que la poudre de serpencendre se... Quoi ?

Alice prit conscience qu'elle devait le regarder avec une stupéfaction évidente.

— Tu viens de me citer une potion que j'ai fait en sixième année. Comment tu fais pour te rappeler ce genre de truc ? On se parlait à peine...

— Il m'arrive d'avoir une bonne mémoire.

Avait-il rougi ? Alice n'en était pas certaine. Il reporta son regard sur sa potion et elle s'obligea à en faire de même, incapable de trouver la moindre réplique pour désamorcer une gêne qu'elle était peut-être la seule à ressentir.

« Concentre-toi. »

oOoOo

Le pacte allait dans les deux sens. Et si Londubat s'occupait de la partie potion, il lui incombait à elle de lui donner des cours de duel. Alice passa des nuits entières à réfléchir à ses talents de duelliste. Il devint évident que la patience et la pédagogie ne faisait pas partie de ses plus grandes qualités. Londubat méritait pourtant une explication. Que faisait-elle qui lui permettait de s'en sortir face un adversaire ? Quels étaient ses atouts ?

Sa détermination ? Son orgueil ? Alice était face à elle-même devant une potion, pas face à un adversaire. Il ne s'agissait pas de gagner ou perdre contre quelqu'un. Et rien ne motivait autant Alice que ne pas perdre. Ne pas perdre la rendait prête à tout, attentive à tout, réveillait une part d'elle qui fonctionnait uniquement à l'instinct et à l'adrénaline.

Mais comment l'expliquer ? Comment aider Londubat comme il le faisait pour elle ? Pour le moment, elle contournait le problème en le faisant travailler les maléfices les plus utiles, mais elle voyait bien qu'il manquait quelque chose, que ce n'était pas vraiment ce dont il avait besoin.

Ce soir-là, elle écarta un dixième Expelliarmus avant d'abaisser sa baguette.

— Je crois qu'il faut que tu te serves de tes émotions.

— Comment ça ?

Alice fit tourner sa baguette entre ses doigts, nerveuse. Sa déclaration sur les émotions était aussi cryptique que Tu les montres trop, Rowle ! et elle était désolée de lui sortir des banalités pareilles. Elle aurait mérité un regard sceptique, voire une franche ironie, pourtant il n'y avait rien de tout ça dans les yeux de Londubat.

Elle soupira.

— Ce n'est pas que tu es mauvais en sortilèges... Je t'assure ! s'exclama-t-elle, prenant conscience qu'il n'en croyait pas un mot. Ta technique est bonne... quand tu n'as personne devant toi.

— Tu veux dire que je suis doué en duel, mais uniquement quand je n'ai pas d'adversaire ?

— C'est à peu près ça.

Alice se mordit la lèvre, certaine qu'elle aurait pu commettre un meurtre si on lui avait dit un truc comme ça. Heureusement qu'il n'était pas susceptible.

— Si on va par là, déclara-t-il dans le même ton, tu es douée en potion quand il ne faut pas mélanger les ingrédients ensemble. Tu découpes plutôt bien les queues de rat.

Alice lui lança un regard mi-amusé, mi-surpris. Il avait peut-être son petit égo, finalement.

— Ce que je veux dire, c'est qu'avec un adversaire en face, certaines émotions sont plus qu'utiles.

Elle recula de quelques mètres et lui adressa un signe de la main.

— Jette moi un sort.

Pardon ?

— Jette moi un sort, Londubat. Tu n'es pas si lent à la détente d'habitude.

Un sourire flottait sur ses lèvres. Elle le provoquait délibérément, savourant son air un peu perdu au centre de la pièce. Londubat tenait sa baguette avec autant de conviction que s'il s'était agi de la queue d'un rat mort.

— Quel genre de sort ?

— Le genre que tu veux. Allez, on n'a pas toute la nuit !

Rictusem...

Alice dévia le sort avant même qu'il ne sorte de sa baguette.

— Tu plaisantes j'espère ? Tu ne vas quand même pas prononcer ton sort ! On est où Londubat, en cinquième année ?

Il soupira.

— Tu es sûre que ce sont mes émotions qu'il faut que j'utilise ?

Inutile de lui répondre. Londubat inspira un grand coup et fit jaillir de sa baguette un jet de lumière rouge. Bon, au moins c'était un sort, qu'elle contra d'un simple Protego. Il n'y avait pas grande conviction, dans ce sort. C'était un sort pour jouer, un sort qui n'attendait que d'être contré.

Alice s'approcha de lui.

— Je crois que j'ai compris le problème. Ou une partie du problème.

— Ah oui ?

— Tu n'as pas envie de me nuire.

Londubat en resta interdit.

— Et c'est... mal ?

— Dans un duel il y aura toujours un adversaire, Londubat. Et si tu deviens Auror, ils ne te voudront pas toujours du bien.

— OK, mais qu'est-ce que les émotions vont...

— J'ai dit certaines émotions. Y'en a des bien. La colère, par exemple. La fierté. La hargne. Il faut que tu aies envie de détruire ton adversaire. Lui ne se gênera pas ! Tu sais dans les duels, ce n'est jamais le plus doué qui gagne, c'est celui qui en veut le plus.

— Devant des mages noirs, d'accord, mais là...

Alice l'arrêta.

— Le truc, c'est que tu ne seras pas évalué devant des mages noirs. Et les mages noirs, ils ont toujours envie de détruire plus que les autres. Alors si c'est pas un truc que tu as appris avant... Je ne parle même pas d'avoir le concours ou pas. Tu te feras détruire sur le terrain.

Remarquant sa pâleur, Alice fit un pas vers lui. Possible qu'elle y soit allée un peu fort.

— Ce n'est peut-être pas pour moi alors.

— Non, Londubat. Pas de ça avec moi. Si je peux uniquement penser à mes queues de rat en faisant une potion, tu peux penser à détruire ton adversaire pendant un duel.

L'argument sembla porter ses fruits.

— Commence par oublier tous tes beaux principes : l'honneur, le respect de l'adversaire, la dignité humaine et bla, bla, bla. On s'en fiche ! Il faut gagner. Par la ruse et la perfidie s'il le faut !

Frank ouvrit de grands yeux et Alice se retint de rire. Elle avait l'impression d'être possédée par Salazar Serpentard en personne. Elle essayait de ne pas trop penser à ce que ses capacités en duel disaient d'elle. Elle s'apprêtait à reprendre son laïus quand elle vit la baguette de Frank bouger de manière presque imperceptible. Trop tard pour riposter. Elle plongea à terre pour éviter le jet de lumière rouge et se cogna au passage sur le sol dur.

Lorsqu'elle se releva en époussetant sa robe, Londubat la regardait avec une pointe d'inquiétude.

— Tu apprends vite !

Alice sourit, satisfaite. Il écoutait vraiment.

oOoOo

L'automne était bel et bien là, la pluie continuait de couler sur les carreaux du Ministère. Les vitres magiques filtraient pour eux une lumière brumeuse. Alice passa devant Jack et Benjy à la machine à café pour prendre quelques gorgées du liquide brûlant qui s'était frayé une place dans son cœur – même si la machine en question n'acceptait de la servir qu'une fois sur deux –, les saluant de la tête au passage. Fenwick était en pleine démonstration et les deux amis la regardèrent à peine.

— D'abord, il te faut des tartines ! C'est pas un petit-déjeuner sans tartines. Et puis je vais te dire quelque chose : plus tu mets des trucs dessus et plus c'est bon. Genre beurre-confiture, le must du must. Ou plus surprenant : gelée de mûre et fromage de chèvre. Ne grimace pas, Jack, le fromage de chèvre ça va avec tout. Si j'avais parlé de roquefort ou cheddar, là tu aurais pu râler ! Mais ça va je ne suis pas hérétique non plus...

— T'es en pleine rédaction du Manuel du petit-déjeuner à l'usage des débutants, Fenwick ?

Benjy leva les yeux vers elle, surpris de la voir lui adresser la parole. Alice ne fut pas étonnée de le voir sourire. Il n'était pas connu pour être susceptible.

— Il est quasiment prêt ! Je détaillais à Jack le chapitre intitulé 'Lever le voile sur la tartine'.

— Un chapitre qui fait polémique, ajouta son ami avec un sourire.

— Je vois ça.

Elle but une gorgée de café.

— Tu as l'air épanouie, Rowle.

Alice fit de son mieux pour ne pas s'étouffer. Elle avait l'air... pardon ? Jack s'éclaircit la gorge, prenant ses précautions.

— Je ne sais pas trop mais... on pouvait pas dire que t'aies eu l'air... détendue ces derniers jours. J'ai l'impression que ça va mieux, c'est tout.

— Tu ne cries même plus après Muddle. D'un côté, c'est dommage, ça égayait l'ambiance.

Alice but une gorgée de café pour se donner une contenance mais ne réussit qu'à s'étouffer avec. Elle lança un regard noir aux deux amis parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre.

L'arrivée des frères Prewett la sauva d'un moment gênant. Dans leur absence de discrétion, ils eurent la gentillesse d'accaparer l'attention des apprentis en s'installant.

— J'ai failli tuer Hopkins, marmonna Fabian en revenant vers le canapé, un café à la main.

— Maugrey a failli tuer Hopkins, rectifia Gideon.

— J'ai failli tuer Hopkins parce que Maugrey a failli tuer Hopkins, tu vois ce que je veux dire ?

Gideon fronça les sourcils.

— Je ne te suis pas.

— A chaque individu qui met Maugrey en rogne, ça me retombe dessus. Qui se tape ses sorties furieuses ? C'est pas Hopkins, c'est moi, et l'instant d'après il me file un rapport de trois pages à rédiger juste parce qu'il est trop énervé pour s'en occuper lui-même.

— Tu peux toujours l'envoyer balader. Ce n'est pas à toi de rédiger ses rapports.

Fabian faillit s'étouffer avec son café.

— Envoyer balader Maugrey ? Es-tu fou ?

Alice eut un sourire. Elle ne connaissait pas ce « Maugrey » mais à la manière dont en parlait Fabian, il avait l'air d'être un sacré personnage.

— C'est qui Hopkins ? interrogea Benjy.

Gideon haussa les épaules.

— Un Auror. Il considère que le Bureau ne devrait pas enquêter sur des disparitions de moldus parce que, tu vois, ce sont des moldus.

— Même si des sorciers sont soupçonnés d'avoir un lien avec tout ça ? demanda Alice.

— Certains considèrent que les moldus ne méritent pas le temps du Bureau. Tu comprends, ils ne sont pas vraiment des êtres humains comme les autres...

La voix du jeune Prewett était légèrement amère.

— Pas une surprise pour Hopkins, ajouta Fabian. Tu te souviens de la tirade qu'il nous a fait sur Julius Brown ? Comme quoi il faudrait couper dans les fonds du Département de détournement des objets moldus, même s'ils n'ont jamais eu autant de boulot qu'en ce moment...

— Il déteste Brown. Et Zeller. Et dans un temps comme le nôtre...

Gideon esquissa un sourire.

— Désolé. On aime bien utiliser la salle des apprentis pour jaser sur les Aurors titulaires.

— C'est un hobby valable, acquiesça Fabian. Ça détend.

Alice voulait bien le croire. Elle passait de nombreux dîners en compagnie de Marlène à critiquer Muddle en long, en large et en travers, et ne s'en lassait jamais.

— Faut juste faire attention à ce qu'ils ne soient pas à côté...

— C'est arrivé à Sturgis, tu te souviens ? fit Gideon les yeux dans le vague.

— Pauvre Sturgis... Maugrey se tenait juste derrière lui, et il n'a remarqué sa présence qu'au bout de cinq – longues – minutes de discours sur l'ampleur de sa paranoïa.

— Je crois que la paranoïa de Sturgis ne s'en est jamais remise, d'ailleurs.

Les deux frères paraissaient tirer de ce souvenir un immense plaisir.

— Mais assez parlé de nous. Comment ça va ?

Alice échangea un regard avec Jack et Benjy. Ils avaient tous développé une tendinite au poignet à force de jeter des sorts et de mélanger leurs potions. Ils rendaient visite deux fois par semaine minimum au petit cabinet d'Arnold Brooks, le guérisseur excentrique préposé au Département, afin de soigner les effets dévastateurs des maléfices qu'ils subissaient chaque jour, et étaient à peine capable de rentrer chez eux une fois la journée terminée.

Benjy se dévoua, un petit sourire provocateur sur le visage.

— Oh, ça va. C'est loin d'être la difficulté insurmontable qu'on nous a vendue.

Un sourire que Fabian lui rendit, clairement amusé. Il se pencha à l'oreille de son frère.

— Je maintiens, les première année sont des créatures adorables.

— On était comme ça tu crois ?

— Aussi naïfs ? C'est bien possible.

— Comment ça, naïfs ? s'inquiéta Jack. On n'est pas naïfs !

On aurait dit que Fabian mourait d'envie de lui tapoter la tête.

— Je suis désolé de briser vos rêves, mes petits, mais on arrive tout juste en novembre. C'est la partie facile.

Alice n'était pas sûre d'aimer cette déclaration. Ils travaillaient sans relâche de sept à vingt-trois heures et c'était la partie facile ?

— Je sais, ça me fait mal aussi, mais il faut bien les prévenir, non ? fit Fabian face au soupir de Gideon. Le choc risque d'être rude.

Son frère s'apprêtait à lui répondre lorsque Londubat s'approcha à son tour de la machine. Il salua les deux frères avant de s'adresser aux autres.

— Je viens de croiser Andrzej qui m'a dit que l'emploi du temps avait changé.

Encore ?

Ne pouvaient-ils pas se décider ? C'était la troisième fois rien qu'aujourd'hui.

— On a potion dans deux minutes.

Fabian sourit en voyant le visage d'Alice se décomposer.

— Ah la torture psychologique : c'est leur spécialité.

— C'est bas mais ça marche bien.

— Surtout, ne les laissez pas vous briser.

Alice eut la désagréable impression que sous une apparente légèreté, les frères Prewett ne plaisantaient qu'à moitié.

« C'est la partie facile », avait dit Fabian.

Sans trop savoir pourquoi, malgré la masse de travail que lui demandait ce début d'année, Alice le croyait volontiers.

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(A suivre)

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Merci d'avoir lu ! J'espère que vous avez apprécié ce petit cours sur les masses cinétiques ! C'est gratuit :D

On se retrouve dans quelques semaines pour la découverte, chez nos amis Aurors, des joies d'un début d'hiver, et d'un tout nouveau cours ! Peut-être que vous pourrez deviner lequel ? Petit indice : c'est très plaisant et sans aucun danger, comme toutes les activités proposées par le monde sorcier (ha, ha, ha).

Prenez soin de vous :)