CHAPITRE 12

Sirius avait passé la journée roulé en boule sur son lit, à ruminer ce que James lui avait jeté au visage.

Autant dire que lorsque Hagrid, tout guilleret, était monté le chercher sur le coup de vingt heures, Sirius l'avait envoyé paître : il avait envie de réveillonner comme de se pendre. Mais le demi-géant avait insisté, arguant qu'en ces heures sombres, les occasions de prendre du bon temps étaient rares. Il avait terminé sa tirade en signalant qu'il avait chassé ce matin deux faisans bien dodus et que Doge avait apporté un excellent Hydromel de sa cave. C'était ce dernier argument qui avait fait capituler Sirius.

Rasé de près et les cheveux disciplinés, Sirius eut la surprise, en pénétrant dans le séjour, de découvrir tout le monde déjà installé à table. Hagrid avait pris place sur un marchepied pour pouvoir passer ses jambes énormes sous la table. Vêtu de son sempiternel fez mangé aux mites, Doge se penchait d'un air affable vers McGonagall, qui avait desserré son chignon d'un cran. Du coin de l'œil, Maugrey surveillait la carte suspendue au mur, qui clignotait par intermittences. Quant à Rogue, sa silhouette se tenait en bout de table, immobile, hiératique. Mais qui donc avait réussi à le convaincre d'être là ?

Ignorant sa présence, Sirius s'assit à la dernière place libre, entre Maugrey et McGonagall. Doge dut prendre appui au dossier de son fauteuil pour se lever. Une fois debout, il fit pirouetter sa tête floconneuse, criaillant à la cantonade :

« C'est peut-être la dernière fois que nous fêtons la nouvelle année, chers amis ! Aussi trinquons sans attendre ! »

Il brandit une bouteille d'hydromel poussiéreuse.

« Votre optimisme décoiffant m'avait manqué, Elphias, lui répondit un peu sèchement McGonagall. Pour ma part, je compte bien être encore vivante l'année prochaine. Et que Vous-Savez-Qui ne soit plus qu'un mauvais souvenir.

– La défaite fait partie de l'horizon des possibles », commenta sobrement Maugrey.

D'une main tremblante, Doge entreprit de remplir les coupes en cristal ciselé que Hagrid avait dénichées dans le buffet. Ce pisse-froid de Rogue, évidemment, bouda celle qu'on lui tendit ; Maugrey déclina aussi, car il ne se désaltérait qu'avec sa potion de force ; quant à Hagrid, par égard pour la précieuse cristallerie des Dumbledore, il s'abstint d'y poser les doigts ; depuis qu'il avait fait exploser un verre en le serrant un peu fort, il ne buvait plus que dans un seau trouvé dans l'ancienne écurie.

« À la vôtre ! »

Doge sifflait si fort en respirant qu'on aurait dit qu'il était en train de faire une crise d'asthme. Avec un sourd désespoir, Sirius songea qu'en ce moment même, à l'autre bout du pays, la fête battait son plein à l'étage des Trois Balais. Il voyait James, tiré à quatre épingles, tout sourire, cette garce de Lily à son bras. Leurs anciens camarades de classe se pressaient autour d'eux, les complimentant pour leurs fiançailles – le couple avait fait paraître un avis d'une demi-page dans la Gazette du sorcier. Sirius vida sa coupe d'un trait. Non, il n'était pas jaloux. Il s'en foutait de James. Il s'en foutait de tout. Il se resservit, une première fois, puis une seconde. L'alcool commençait à faire effet, brouillant ses pensées. C'était mieux comme ça.

Un chat-huant toquait du bec au lucarnon ; Maugrey alla relever le pli, qu'il parcourut en quelques secondes. Hagrid s'était éclipsé en cuisine.

« Devrais vous quitter bientôt, annonça-t-il d'un ton lugubre en revenant s'asseoir. Le bureau des Aurors m'informe que la Marque des Ténèbres aurait été aperçue au-dessus de Piccadilly Circus. C'est la seconde fois cette semaine. Vous savez ce que cela signifie. Sauf contrordre, les Londubat enverront leur rapport à minuit trente. Minerva, Elphias : je suppose qu'il est superflu que je vous rappelle les consignes ? »

Les deux permanenciers hochèrent la tête.

« Marlene McKinnon a-t-elle rendu ses conclusions sur Ribbleshead ? demanda McGonagall. Il ne me semble pas que vous en ayez parlé hier.

– C'était bien le mode opératoire que nous soupçonnions, répondit Maugrey, sans plus de précision.

– Kingsley vous a-t-il parlé de cette thèse en criminologie magique ? s'enquit Doge, en poussant vers Maugrey l'épais volume qu'il venait de tirer de la mallette posée à côté de lui. La doctorante a analysé les soixante-douze attentats commandités par Vous-savez-qui pour en déduire des modèles prédictifs. »

Pendant ce temps, Hagrid servait les entrées – des tourtes aux champignons – pliant son énorme carcasse au-dessus de la table, qui lui arrivait aux genoux. Sirius écoutait d'une oreille distraite, le nez dans sa coupe et le cœur en berne. C'était le réveillon le plus déprimant qu'il eût passé de toute sa vie. Il sentait flotter l'odeur fétide de la mort. Ne pouvait-on pas discuter d'autre chose que de la guerre ? Mais de quoi parler d'autre ? Seule la Cause les unissait. Pour le reste, ils n'avaient rien en commun.

C'était, du moins, ce que pensait Sirius jusqu'à ce que, de manière fortuite, son regard croisât celui de Rogue. Pendant une fraction de seconde, il eut l'impression de se voir dans un miroir. Le visage de Rogue – pâle, émacié, éteint – lui renvoyait l'image de sa propre condition. Lui aussi devait survivre dans le regret de ce qui aurait pu être et de ce qui avait été. Sûrement s'en voulait-il de ce qui était arrivé à Regulus. Et des victimes qu'il avait faites. Comment pouvait-il dormir la nuit avec le sang qu'il avait sur les mains ?

Au fil de la conversation, qui roulait à présent sur la communication du Ministère, la directrice de la maison Gryffondor s'était animée. Tant et si bien qu'elle se lança dans une diatribe contre Millicent Bagnold :

« Toujours à minimiser la menace et à expliquer que rien ne prouve l'implication de Vous-savez-qui ! Alors que les preuves abondent ! »

Elle faisait de grands gestes. Malgré son air pincé, sa robe en tartan vert bouteille et le fait qu'elle eût le double de son âge, Sirius, qui l'observait à la dérobée, trouvait qu'elle était charmante dans sa colère. C'était curieux qu'elle n'eût jamais connu l'amour, ainsi que le prétendait la rumeur, pensa-t-il. Son instructeur, aussi, avait une réputation de célibataire endurci. Certes, la profession d'Auror, dangereuse et solitaire, n'était pas propice aux rencontres. Un peu comme celle de garde-chasse – Hagrid devait, en outre, composer avec un physique difficile à apparier. Et le vieux Doge, qui avait moisi toute sa carrière au Magenmagot, était-il veuf ou bien, comme le suggérait l'absence d'alliance à son annulaire, ne s'était-il jamais marié ? Sirius constata avec horreur qu'il était entouré de personnes qui avaient traversé une vie entière sans personne à leurs côtés.

« Millicent a une confiance aveugle dans ses collaborateurs, soupira Doge. Hélas, ceux-ci la conseillent bien mal.

– J'ai des raisons de penser que le département de la justice magique a été infiltré, grommela Maugrey. Des collègues sont mis à pied pour des motifs futiles. Des dossiers disparaissent. »

Hagrid avait débarrassé les entrées. Il revint avec une expression confuse et un plat qui sentait le brûlé :

« Les faisans sont, hum, peut-être, un rien trop cuits. Il y a de la sauce au Whisky, pour ceux qui veulent ».

Hagrid remplit les assiettes de chacun. La viande était carbonisée. Maugrey se mit à mastiquer sa part avec abnégation. McGonagall noya la sienne dans la sauce. Doge prit le parti de découper sa portion en minuscules morceaux. Rogue, lui, mâchait avec méthode dans un coin de sa bouche avant de déglutir. Après avoir examiné son morceau sous toutes les coutures, Sirius le repoussa d'un geste ostensible au bord de l'assiette. Il comprenait bien que personne ne voulait vexer Hagrid, mais tout de même.

« De la sauce ? lui proposa diplomatiquement McGonagall. Elle est absolument délicieuse, Rubeus.

– C'est le moment de réviser votre sortilège de rémoulage, Black, lança Maugrey, qui fit la démonstration du tranchant de son couteau.

– S'il me restait des dents, jeune homme, je vous en prêterais volontiers, rit doucement Doge, exhibant son dentier en porcelaine.

– Ce morceau-ci est sûrement plus tendre », assura Hagrid, un peu embarrassé, en fourrageant dans le plat.

Il s'empressa d'en servir un autre à Sirius, mais ce dernier avait l'air tout aussi calciné que le premier.

« T'es vraiment qu'un gosse de riches, Black. Toujours à faire le délicat. Si tu savais ce que ça fait d'avoir faim. »

Un silence gêné suivit la sortie de Rogue. Sirius hésita à riposter. Avant de se rappeler les horreurs qu'il lui avait lui-même crachées la veille, sous l'influence de l'Horcruxe. Et puis, s'avisa-t-il en apercevant le bouquet de gui suspendu au plafond, c'était la nouvelle année : l'occasion de prendre de bonnes résolutions. Comme celle, par exemple, de contrôler son impulsivité. Ou d'admettre ses torts. Dans un élan de magnanimité, qui lui coûta beaucoup, il conclut que Rogue et lui étaient quittes. Il tint toutefois à se défendre ; son amour-propre avait souffert à s'entendre traiter de « gosse de riches » :

« Je ne suis le fils de personne. Ma famille de tarés m'a renié quand j'avais seize ans. Depuis cette date, je n'ai plus rien. Sinon, je ne crècherais pas ici. »

Il venait de plomber un peu plus l'ambiance, se dit-il après coup. Un tic releva le coin de la bouche de Rogue. Maugrey fronça les sourcils. McGonagall demanda à Doge de lui passer le sel, quoique son assiette fût vide. Hagrid se frappa brusquement le front du plat de la main et repartit en cuisine, dont il ramena une assiette d'épinards froids. Et la conversation, laborieusement, se remit en route. Dans une tentative de varier les sujets, Doge aligna des anecdotes sur son voyage en Égypte, que personne n'écouta. Maugrey semblait soucieux. Et McGonagall, contrariée.

« Alastor, vous ai-je dit que le fils Malefoy s'est présenté la semaine dernière à Poudlard ? intervint-elle brusquement. Il était venu, soi-disant, de la part d'Abraxas, son père, pour proposer un mécénat à M. le directeur. Mais, à le voir fureter partout et à poser des questions, on aurait plutôt dit qu'il était en reconnaissance... Croyez-vous que…

– Toute la famille fait l'objet d'une surveillance renforcée…, se borna à répondre Maugrey.

– L'allégeance des Malefoy à Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom est un secret de polichinelle », chuchota Doge.

Par coïncidence, une alarme retentit ; la carte suspendue au mur clignotait de manière inquiétante. D'un bond, l'Auror prit congé de la tablée, aboyant d'ultimes instructions depuis le corridor. À peine fut-il parti que Sirius tendit le bras vers la seconde bouteille d'hydromel, dont il fit prestement sauter le bouchon : il en proposa à ses voisins, par politesse, mais, en réalité, il comptait s'enivrer tout seul avant de remonter se pelotonner sur son lit, pour y attendre le sommeil – et, surtout, l'oubli.

Et dire qu'à Poudlard, c'était lui le roi de la fête, le centre de tous les regards, celui qui donnait le la. D'ailleurs, il détestait la solitude : en permanence, un essaim composite – amis, admiratrices, envieux, simples curieux – bourdonnait autour de lui. Solaire, dépoitraillé, un verre à la main, son bras accroché au cou d'une fille, il multipliait les bons mots, riait à gorge déployée et s'étourdissait jusqu'à l'aube sur la piste de danse. Mais où avait donc bien pu passer ce Sirius-là ?

En guise de dessert, Hagrid servit une chose indescriptible, à base de suif et de mélasse noire, bourré de sultanines séchés, qu'il flamba avec tant d'ardeur qu'il faillit mettre feu aux poutres du plafond. Il le nappa, pour finir, d'une louche d'un liquide jaunâtre et grumeleux – sans doute de la crème anglaise ratée – et le posa, fier de lui, au centre de la table. On sentait qu'il y avait mis tout son cœur. Sirius supposa que le palais des demi-géants n'était pas celui du commun des mortels. Alors il prit sur lui d'avaler quelques bouchées du gâteau, imité par les autres convives.

Minuit approchait. Hagrid était retourné en cuisine, d'où on l'entendait faire la vaisselle. Doge et McGonagall étaient passés au salon, où ils sirotaient des digestifs tout en commentant les articles du Sorcier du Soir. Quant à Sirius et Rogue, ils se trouvaient encore à table. Ils avaient fini leur repas depuis longtemps et la bouteille d'hydromel était vide. Rien, donc, ne les retenait là – hormis la présence de l'autre. Pour autant, aucun des deux ne semblait d'humeur à décrocher un mot. Rogue balayait méticuleusement les miettes de la nappe damassée. Quant à Sirius, les coudes sur la table, il faisait tournoyer entre ses doigts une fourchette à dessert en vermeil. On entendait craquer les contrevents ; il ventait comme avant une tempête et Sirius se demanda si le lendemain, il pourrait repartir, ainsi qu'il l'avait escompté.

Ses yeux tombèrent sur Rogue et il prit son courage à deux mains.

« Dis, on pourrait peut-être arrêter de s'ignorer ? »

Rogue détacha son regard de la nappe pour le hisser lentement à la hauteur de celui de son interlocuteur :

« Laisse-moi deviner, Black…, répondit-il avec sa sinuosité habituelle. Tu as quelque chose à me demander ?

– Oui… », repartit Sirius du tac-au-tac.

Il inspira profondément :

« Pardon. »

Voilà, il l'avait dit. Du premier coup. Sans bafouiller. Le lustre ne s'était pas décroché. Le buffet en palissandre tenait toujours debout sur ses pieds. Et, imperceptiblement, Rogue parut se détendre.

« Jusqu'à ce que James me l'apprenne, je ne savais pas… », se justifia évasivement Sirius.

Mais à en juger par le silence de pierre tombale de Rogue, celui-ci avait très bien compris ce à quoi il faisait allusion.

Sirius profita de ce que le fer était encore chaud pour enchaîner par une question :

« Est-ce que c'est lui qui… »

Il prit garde à ne pas nommer son frère ; aussi longtemps qu'il se contentait de dire « lui », il gardait une espèce de distance qui lui donnait l'illusion de maîtriser ses émotions.

« … t'a demandé de me prévenir s'il lui arrivait quelque chose ? »

Rogue laissa échapper un soupir excédé :

« Je me disais aussi. Rien n'est gratuit chez toi !

– Réponds pour une fois ! » commanda Sirius en donnant un coup de poing sur la table.

Il avait beau jouer sa vie sur cette question, il ne s'avilirait pas à supplier.

Croisant les bras, Rogue se rencogna contre le dossier de sa chaise.

« Penses-tu vraiment que j'en aurais eu l'idée moi-même ? Dois-je te rappeler en quels termes nous étions à Poudlard ? »

Cette réponse était du Rogue tout craché : oblique. Sirius revint à la charge.

« Dois-je comprendre que Regulus ne me détestait pas autant qu'il le disait ? »

Et voilà, il n'avait pas pu s'en empêcher. Et comme il le redoutait, malgré ses efforts pour la contrôler, sa voix s'était brisée de manière pathétique au moment de prononcer le prénom de son frère. Il espérait que Doge et McGonagall, assis à quelques mètres de là, ne l'entendaient pas.

Plus hermétique que jamais, Rogue mit une bonne minute à articuler une réponse, ce qui, dans l'état d'appréhension où Sirius se trouvait, lui parut une éternité.

« Il pouvait être… sentimental ».

C'était sa façon d'acquiescer. Sirius aurait dû se sentir soulagé. Mais l'intonation de Rogue, à l'intersection de la répugnance et du ressentiment, lui fit monter la moutarde au nez.

« De quoi te plains-tu ? le reprit-il. Ça ne te dérangeait pas qu'il soit sentimental avec toi, n'est-ce pas ? Est-ce à dire que personne d'autre n'aurait dû compter pour lui ? »

Il se mordit les doigts d'avoir été si direct, car il vit Rogue immédiatement reculer sa chaise et déplier sa longue silhouette avec raideur. Le Serpentard était vêtu de la même robe cintrée qu'il arborait la nuit de son retour. À la clarté du chandelier en bronze posé sur la table, Sirius remarqua qu'elle présentait des traces de brûlures au niveau de la poitrine, sûrement causées par des maléfices cuisants, et que le bas avait été reprisé à plusieurs endroits, comme s'il avait été déchiré par des ronces.

Par une association d'idées involontaire, il lui revint en mémoire les vêtements sales, miteux et dépareillés qu'arborait Rogue la première fois qu'il l'avait aperçu, gamin, à la gare de King's Cross, à côté de sa mère, aussi bizarre et laide que son fils, qu'elle morigénait pour qu'il tînt sa tête droite, comme si cela pouvait rattraper le reste. Ce dernier, filiforme, les godillots en dedans, ses cheveux gras tombant plus bas que ses épaules, avait déjà cet air strict et sévère auquel semblait le prédestiner son prénom. Lorsqu'un camarade l'avait percuté par inadvertance avec son charriot à bagages, il s'était révélé incroyablement hargneux, jetant à terre la cage à hibou du maladroit.

Puis Rogue avait gravi le marchepied du train et s'était installé dans un compartiment, où il avait ouvert un livre, sans prêter attention à James et Sirius, lesquels faisaient connaissance sur la banquette d'en face. De tout le voyage, Rogue n'avait pas relevé les yeux, sauf au moment où les nouveaux amis avaient évoqué leur maison de prédilection ; le nez en l'air, l'autre crétin avait alors affirmé la supériorité de Serpentard. Mais comment son frère avait-il trouvé le moyen de tomber amoureux de ce type !

« Sais pas ce qui pouvait lui plaire chez toi, marmonna Sirius tandis que Rogue contournait la table pour prendre le chemin de la porte.

– Comment pourrais-tu comprendre ? contre-attaqua ce dernier alors qu'il passait à côté de lui. Le sang était bien la seule chose que ton frère et toi aviez en commun !

– Ah ouais ? grinça Sirius en se levant à son tour pour se mettre à sa hauteur. Et vous deux, à part baiser ensemble, vous partagiez quoi ? Votre fascination pour Voldemort ? »

Rogue prit un air offusqué, qui donnait l'impression qu'il avalé un œuf tout rond. Sirius voulait bien admettre qu'il y était allé un peu fort. Mais l'autre l'avait cherché avec ses piques et ses dérobades !

« Tu n'es vraiment qu'un porc ! mugit Rogue.

– Au temps pour moi, vous aviez au moins un point commun : celui d'avoir un balai dans le c… !

– C'est la nouvelle année ! chantonnait Hagrid avec allégresse. C'est la nouvelle année ! »

Le demi-géant s'était précipité dans le séjour aux premiers tintements du carillon. Il ouvrit ses larges bras en grand, pour accueillir quelqu'un, mais personne ne s'y risqua. Doge, notamment, était bien trop occupé à tenter d'attirer McGonagall sous le gui. Cependant, Rogue et Sirius se regardaient en chiens de faïence.

« Je n'ai pas vu le temps passer en votre compagnie, chère Minerva, zézaya Doge, qui semblait avoir abusé du digestif. Me feriez-vous l'honneur… ?.

– Voyons, Elphias, ceci n'est plus de notre âge – enfin, surtout du vôtre », répliqua peu élégamment McGonagall, qui ne consentit qu'à une poignée de mains.

Une joyeuse confusion s'en était suivie, car Hagrid avait distribué à chacun un sachet de chez Zonko, dans lesquels ils trouvèrent, entre autres cotillons, des serpentins farceurs, qui faisaient des chatouillis dans le cou, et des « langues-de-caméléon », une réinterprétation visqueuse et adhésive des fameuses langues-de-belle-mère moldues.

Sous le regard mi-amusé mi-consterné de McGonagall, Doge se mit soudain à chanter une chanson égrillarde qui énumérait les usages détournés qu'on pouvait faire d'une baguette magique. Rogue avait l'air de se boucher mentalement les oreilles. Pour la première fois depuis longtemps, Sirius eut un vrai sourire. Son frère ne l'avait pas oublié. Son frère l'aimait encore. Et son frère avait voulu le lui dire par-delà la mort. Dans un élan de gratitude, Sirius donna une accolade à Rogue, mais ce dernier le repoussa comme s'il était un véracrasse et quitta la pièce à grands pas, sans saluer personne.