CHAPITRE 13
Quelques minutes avant les premières lueurs du jour, un grand-duc au plumage hérissé de cristaux de glace se présenta à la fenêtre de la chambre de Sirius, qui l'attendait. L'oiseau lâcha son fardeau tintinnabulant au-dessus de l'édredon et grignota quelques graines dans la main de Sirius avant de disparaître à nouveau dans la nuit. L'aspirant Auror compta, recompta, vérifia encore une fois pour être sûr : vingt gallions. Comme tous les mois. De dépit, il jeta la bourse dans un coin de la chambre : il avait espéré que son oncle avait lu sa dernière lettre, dans laquelle il lui expliquait avoir besoin de trente, parce que le loyer de sa chambre d'étudiant, qu'il partageait avec un camarade, devait être révisé à la hausse – avec la Guerre, le monde sorcier avait découvert l'existence d'un phénomène monétaire inconnu jusqu'alors : l'inflation. Mais sans doute Alphard avait-il déchiré la missive sans même l'ouvrir. Il ne répondait jamais.
Sirius se revoyait à sa sortie de Poudlard, sonnant une nuit d'été chez lui pour le supplier de lui venir en aide. Dans sa candeur de grand adolescent, il pensait son oncle différent du reste de sa famille, un peu comme sa cousine Andromeda, don't il ignorait ce qu'elle était devenue. Car, en apparence du moins, Alphard était l'antithèse des Black : son verbe était rare, mesuré, et ses manières douces. Surtout, il ne prenait position sur rien, si bien qu'il était impossible de savoir ce qu'il pensait. Célibataire, oisif, de santé fragile, il passait son temps à peindre des natures mortes de fleurs dans sa paisible demeure de Claremont Square.
Petit, Sirius était parfois envoyé en pension chez lui. Sa mère, qu'exaspérerait son tempérament fantasque, croyait le punir en l'éloignant d'elle. Mais Sirius était heureux à Claremont Square. Son oncle s'installait à son chevalet, le prenait sur ses genoux et lui montrait avec une patience infinie l'art de préparer les pigments. Sirius se souvenait qu'une nuit où les oreillonsgoules lui avaient arraché des larmes de douleur, son oncle l'avait veillé comme le père qu'il n'avait pas eu. Longtemps, il avait gardé en bouche le goût douceâtre du calmant qu'il lui avait administré à la petite cuillère.
Mais ce soir-là, ce n'était pas l'Alphard de son enfance qui s'était avancé sur le perron. L'homme, toujours élégant mais vieilli, l'avait dévisagé avec distance avant de s'effacer. Sans l'inviter à s'asseoir, il avait écouté ses doléances, puis avait promis de lui faire porter un pécule chaque mois jusqu'à la fin de ses études si, en retour, il lui jurait de ne plus jamais se montrer à son domicile. Interloqué, Sirius avait juré. Se radoucissant, Alphard l'avait raccompagné à la porte. Ils ne s'étaient plus revus. Sirius avait longtemps cru que son oncle ressentait un reste d'affection pour l'enfant qu'il avait été. Mais il s'était trompé. Seule la lâcheté expliquait son attitude. Il ramassa la bourse, qu'il vida rageusement dans la poche intérieure de son blouson. Vraiment, il était temps qu'il devînt indépendant. Il devait cesser d'attendre après les autres. Que ce fût de l'argent ou de l'amour.
Vêtu de son seul pyjama, il descendit à la cuisine. En entrant, il découvrit la bouilloire en train de siffler et Hagrid à genoux qui berçait une caisse en bois don't s'échappaient des bruits inquiétants. En réponse à son regard perplexe, le demi-géant révéla s'être lancé dans l'élevage de scroutts à pétard. « Ils viennent d'éclore », ajouta-t-il, l'œil humide. Sans s'approcher – car il se méfiait des béguins d'Hagrid, surtout lorsqu'ils sentaient aussi mauvais – Sirius lui demanda si ces choses se mangeaient, ce qui lui valut un regard horrifié de Hagrid. Pour se rattraper, Sirius fit mine de s'intéresser à leur régime alimentaire. Hagrid lui répondit, peut-être pour l'effrayer, qu'il n'excluait pas que les scroutts se répandent de sang humain. Ôtant ses gants en peau de dragon, il lui fit voir les suçons de ventouses qui constellaient ses mains. Désireux de savourer tranquillement son café du matin, Sirius émit l'idée d'installer la caisse dans l'ancienne écurie, mais Hagrid refusa au motif qu'il y faisait trop froid pour des nouveau-nés.
La neige s'accumulait contre la fenêtre de la cuisine, montant jusqu'à mi-hauteur des vitres. La tempête annoncée la veille faisait rage. Les arbres ployaient jusqu'à terre sous la force du vent et on n'y voyait pas à deux mètres. Constatant qu'il lui serait impossible de décoller avec un temps pareil, Sirius se sentit aspiré par un profond découragement. Pourtant, rien ne pressait pour son retour au centre de formation. Les cours ne devaient reprendre que le matin du 5 janvier. Et il n'était pas particulièrement impatient de retrouver son colocataire, qui avait dû passer les fêtes de fin d'année à composer des poèmes sur son mal de vivre. Mais il n'en aspirait pas moins à partir. Rester confiné lui était devenu insupportable.
Alors qu'il s'était installé à table avec ses tartines, il eut la surprise de voir surgir Rogue et McGonagall, déjà habillés et en pleine conversation. Du pied, Hagrid poussa discrètement sa caisse près de la fenêtre.
Sirius apprit, au vol, que Maugrey était rentré aux alentours de six heures du matin, d'humeur massacrante ; qu'avec ses collègues, il avait déjoué de justesse un attentat à Piccadilly Circus ; mais que la bousculade qui avait suivi leur intervention spectaculaire avait fait une dizaine de blessés. Au même moment, selon le rapport des Londubat, de faction au ministère, des Mangemorts s'étaient introduits au département des mystères et avaient avadakedavrisé un veilleur de nuit qui avait voulu s'interposer. Aucun objet, toutefois, n'avait disparu, si bien qu'on ignorait ce que les Mangemorts, qui s'étaient volatilisés à l'arrivée des Londubat, étaient venus chercher.
Pour couronner cette nuit affreuse, un hibou harassé était venu, à l'aube, apporter la nouvelle que l'épée de Godric Gryffondor, conservée dans la vitrine du bureau de Dumbledore à Poudlard, avait été remplacée par une copie. Celle-ci était si bien exécutée que ce n'avait été qu'au moment de son époussetage mensuel que les elfes de maison s'étaient rendus compte de la supercherie. Pour McGonagall, cela ne faisait aucun doute : l'auteur du vol était Lucius Malefoy, qui avait agi sur ordre de Voldemort.
« N'est-il pas, Rogue ? » interrogea McGonagall avec une mimique par laquelle elle quémandait une approbation.
Sirius faillit s'étouffer avec sa tartine ; avait-il vraiment entendu la directrice des Gryffondor s'adresser avec une telle déférence à son ancien élève – qui, du temps de Poudlard, n'avait que mépris pour ses cours ?
« Je ne peux rien affirmer avec certitude, rechigna Rogue, qui s'était crispé à l'évocation de son passé. Je n'ai jamais été en mission avec lui. Et nos réunions plénières se déroulaient à visage couvert. Le Seigneur des Ténèbres veillait à être le seul à connaître l'identité de l'ensemble de ses partisans.
– Dis plutôt que t'as pas envie de balancer les copains ! postillonna Sirius entre deux bouchées. En première année, Lucius était ton parrain, n'est-ce pas ?
– Comment oses-tu mettre ma loyauté en doute ! contre-attaqua Rogue d'une voix de gorge. Ai-je failli au moment de tuer Mulciber ?
– Tu l'as fait à contrecœur ! le contredit Sirius avec sa mauvaise foi habituelle. Et je suis sûr que tu le regrettes encore. »
Les prunelles de Rogue se mirent à flamboyer ; n'eût pas été la présence intimidante de McGonagall, il aurait sûrement dégainé sa baguette.
« Ce qui compte, Black, ce n'est pas ce qu'on ressent ! explosa-t-il. C'est ce qu'on fait ! Et moi, en l'occurrence, ce jour-là, j'ai sauvé ta misérable vie !
– Je... j'aurais très bien pu me défendre tout seul », bégaya Sirius, dans ses petits souliers.
Les yeux de McGonagall s'était arrondi de surprise derrière ses lunettes carrées – il fallait en déduire que ce détail de leur expédition n'avait pas filtré.
« Hé bien, que ne le faisais-tu pas ! se déchaîna Rogue. Toi, le soi-disant Gryffondor, tu te tenais là, à genoux devant lui, comme une lavette !
– De quoi tu viens de me traiter, là ? glapit Sirius en le menaçant de sa tartine. Répète un peu pour voir, Serpentard de mes deux !
– Voyons, mes garçons..., modéra McGonagall, qui grimaçait comme si elle tentait de réprimer un sourire. Ne croyez-vous pas avoir passé l'âge de ces enfantillages ? Et surtout ce n'est pas le moment...
– Savez-vous pourquoi Vous-savez-Qui tenait à s'emparer de cette épée ? » s'enquit poliment Hagrid.
Malgré la passe d'armes entre Sirius et Rogue, le demi-géant avait réussi à ne pas perdre le fil de la discussion.
« C'est évident : pour en faire un Horcruxe », affirma tout de go Sirius, qui ne doutait pas de son esprit de déduction.
Rogue répondit à cette affirmation par un rire sardonique :
« Si sa majesté Sirius Ier avait daigné écouter ce qu'a expliqué M. le directeur il y a deux jours, elle saurait qu'un Horcruxe doit nécessairement avoir été obtenu au moyen d'un meurtre. Or, si nos informations sont exactes, personne n'a été tué au moment où le vol a été commis !
– Un lien quelconque doit, en outre, unir l'Horcruxe au sorcier dont il ne reçoit pas un fragment d'âme, compléta McGonagall d'un ton docte.
– Précisément ! acquiesça Rogue. Quelle accointance pourrait avoir le Seigneur des Ténèbres avec le fondateur d'une maison rivale de la sienne ?
– Dans ce cas, pourquoi voudrait-il posséder cette épée, Monsieur-je-sais-tout ? s'entêta Sirius. Pour faire joli chez lui ? Oh, et puis arrête de l'appeler le Seigneur des Ténèbres ! Il n'est plus ton maître ! »
Rogue ne releva pas. Son regard, si pénétrant d'ordinaire, était soudainement devenu vide. Alors que résonnait par intermittences le bruit dérisoire des scroutts s'agitant dans leur prison, Sirius vit son front s'embrunir. Rogue semblait s'être perdu dans le labyrinthe de ses pensées.
« Quelque chose vous préoccupe-t-il ? s'inquiéta McGonagall, qui, elle aussi, avait remarqué le trouble du Serpentard.
– J'espère me tromper, répondit Rogue d'une voix blanche en prenant appui sur le dossier d'une chaise. Mais, à y bien réfléchir... tout y mène. J'aurais dû m'en aviser plus tôt...
– Vous aviser de quoi ? le pressa McGonagall, mais Rogue, abattu, se contenta de secouer la tête comme pour en chasser une pensée désagréable. Est-ce que...
– Accouche, bordel, grommela Sirius, en se resservant anxieusement du beurre.
– Je crains que cette épée, chuchota Rogue, très pâle, sans regarder personne, ne soit ce que j'ai cherché en vain pendant des semaines...
– L'objet qui nous aurait permis de détruire les Horcruxes ! se chargea de préciser Maugrey, qui venait d'entrer dans la cuisine avec un fracas de boîte à tonnerre. J'attendais un peu mieux de votre part, mon cher Rogue ! Par le ventre de Merlin, si j'avais su plus tôt quel usage on pouvait faire de cette épée, je l'aurais mise en lieu sûr et pas dans cette passoire de Poudlard !
– Comment ça ? se récria McGonagall en remontant ses lunettes sur son nez. Sachez qu'on n'entre pas chez nous comme dans un moulin ! Rubeus, ici présent, gardien des clefs, vérifie chaque mois le bon fonctionnement des sortilèges de protection. Quant à Argus Rusard, notre concierge, il ne lâche pas les visiteurs d'une semelle !
– Il a pourtant laissé Malefoy seul ! tonna Maugrey, le visage boursouflé de colère. Comment ce dernier aurait-il pu opérer la substitution si ce n'avait pas été le cas ? J'imagine que votre bien-mal-nommé Argus n'a pas eu le réflexe de le fouiller ni même de lui demander de laisser sa baguette à l'accueil. Mais quelle mouche, dites-moi, vous a piqué de confier la sécurité de Poudlard à ce Cracmol ? Ce garde-chiourme est tout juste bon à courser les mioches qui font le mur et à confisquer des bombabouses ! S'il n'avait pas le jugement d'un boursouf, je l'aurais envoyé en stage à Azkaban pour lui apprendre les rudiments du métier ! »
McGonagall regardait le bout de ses brodequins avec l'air de ne plus savoir où se mettre, bredouillant que c'était Dumbledore qui avait nommé Rusard à ce poste, pour le sortir du chômage, et que Lucius Malefoy n'était pas le premier venu – il avait atteint le grade de préfet-en-chef pendant sa scolarité et, surtout, son père avait financé la rénovation des serres de Poudlard suite aux intempéries du printemps 1978.
Pendant ce temps, Rogue se tenait le dos voûté, les mains dans le dos, ses longs cheveux lui tombant dans les yeux, visiblement désireux de ne rappeler son existence au souvenir de personne. Un peu plus et il se fondait dans le mur.
« Du beau boulot, Servilus ! crut pourtant opportun de s'acharner Sirius. C'était bien la peine de t'échiner à faire toutes ces recherches ! L'objet se trouvait quasiment sous ton nez !
– Quelqu'un veut du thé ? tenta Hagrid, en agitant la théière qui, rapportée à la taille de sa main, semblait sortie d'une dînette.
– Pouvez-vous me dire, Black, ce que vous-même avez apporté à l'Ordre depuis votre enrôlement, aboya Maugrey, mis à part le spectacle désolant de vos extravagances en tout genre ? »
Sirius connaissait parfaitement la réponse : il était rentré bredouille des rares enquêtes qu'on lui avait confiées ; et on ne pouvait pas dire qu'il s'était rendu particulièrement utile lors de sa dernière mission. Il prit donc le parti de se tasser sur sa chaise et de manger sa dernière tartine sans broncher. Hagrid, lui, s'était résigné à boire son thé seul, un pied sur la caisse, qui remuait de plus en plus fort.
« J'imagine que la priorité, à présent, est de retrouver l'épée ? interrogea McGonagall, qui avait regagné son assurance. Elle est indestructible, me semble-t-il.
– Heureusement ! se rasséréna Maugrey. Mais le temps joue contre nous. Jedusor a eu tout le loisir de la cacher dans un lieu inaccessible, comme un caveau funéraire, une grotte immergée, le fond d'un lac gelé ou bien...
– … un coffre à Gringotts », suggéra Rogue d'une voix sourde.
Sirius sursauta en entendant Rogue citer le nom de la fameuse banque. Un souvenir obsédant le liait à cet endroit. Et le passage des années n'avait pas réussi à lui faire oublier la vision du numéro gravé en lettres d'or à côté de la porte.
« 717 ! s'exclama-t-il.
–Pardon? grogna Maugrey, dubitatif, mais Rogue, lui, paraissait avoir compris.
– Le coffre 717 ! Celui de Sis... de Narcissa !
– Votre cousine ? s'enquit McGonagall en haussant un sourcil.
– L'épouse de Lucius Malefoy, corrigea Maugrey, une lueur d'intérêt dans les yeux. Une Mangemort sans doute, elle aussi. Vous êtes certain du numéro ?
– J'y suis déjà allé », confirma Sirius d'une voix songeuse.
Face aux regards suspects qui convergèrent vers lui, il s'empressa de préciser :
« Une seule fois. Il y a longtemps. Quand j'étais gosse... »
Il ferma les yeux et ce fut comme si des toiles peintes descendaient derrière ses paupières. Il revoyait la scène. Tout s'était déroulé, il y avait près de dix ans. Le décor était une chambre de pierre, l'une des plus vastes de Gringotts. Il y avait là sa cousine Narcissa, quinze ans, en quête d'une parure pour son mariage, que venait d'arranger son père Cygnus ; Bellatrix, son aînée, l'air mauvais, toujours prête à mordre ; un elfe de maison au faciès ratatiné, mort quelques jours plus tard, pour un gigot d'agneau mal cuit, et don't Sirius avait oublié le nom ; Walburga, venue remplacer sa belle-sœur Druella, souffrante ; Regulus, ridiculement endimanché ; et lui-même, donc.
Tandis que Walburga congédiait d'un battement d'éventail le Gobelin en livrée qui les avait guidés jusqu'au coffre, l'elfe s'inclinait devant Narcissa, lui présentant une cassette débordant de bijoux. Las! l'héritière eut beau en brasser le contenu, rien ne trouva grâce à ses yeux, mécontentement qu'elle marqua d'un coup de sac à main sur la pommette de l'elfe. En fouillant mieux, sa sœur trouva, finalement, un diadème en platine serti de sept émeraudes, ne l'éclat, jugea-t-elle, s'accorderait à merveille au teint diaphane de Narcissa. Depuis un trône où elle s'éventait avec hauteur, Walburga fit observer que, pour une dame de son rang, ce diadème manquait singulièrement de diamants. Un crêpage de chignon épique s'en suivit avec Bella, qui s'estimait seule autorisée à décider. Pendant ce temps, Sirius, laissé sans surveillance, faisait des roulades sur les tas d'or.
Faisant fi de l'avis de sa tante, Narcissa prit le diadème des mains de Bellatrix et l'ajusta autour de sa tête ; le petit Regulus se jucha sur un fauteuil en face d'elle et lui tendit un miroir pour qu'elle s'y contemplât. Sirius s'était arrêté de jouer pour observer son frère qui, à moitié caché par le cadre doré du miroir, épiait sa cousine avec adoration. Sur le coup, il l'avait cru amoureux d'elle. Avec le recul, il pensait qu'il rêvait plutôt de lui ressembler.
Il rouvrit brusquement les yeux. Tout le monde le regardait.
« Cela me paraît être une hypothèse plausible, décréta Maugrey, qui le gratifia, ainsi que Rogue, d'un signe de tête approbateur. Explorons cette piste dès demain. Minerva, nous aurons besoin de votre expertise en métamorphoses. Rubeus, voulez-vous bien envoyer un hibou à Kingsley et à McKinnon pour leur dire de venir nous prêter main-forte ?
– Et profitez-en, de grâce, pour nous débarrasser de ces puanteurs qui grossissent à la vitesse de l'éclair ! ajouta McGonagall d'un ton de dame patronnesse, en pointant un index accusateur en direction de la caisse, qui tressautait convulsivement sous le pied de Hagrid. Combien de fois vous a-t-on expliqué que la Nature contient assez de monstruosités sans qu'il soit besoin d'en créer de nouvelles ! »
Rogue examina ladite caisse avec une expression indéfinissable, qui aurait pu être de l'intérêt tout autant que du dégoût.
« Mes scroutts ne sont pas plus monstrueux que vous, sans-cœur ! se rebiffa Hagrid en empoignant la caisse pour la presser contre sa poitrine, sans s'inquiéter de la fumée âcre qui sortait par les trous de ver à bois. Ils sont doués de sensibilité, ne vous en déplaise. Et puis, avec tout ce qui arrive… »
Hagrid marqua un temps :
« J'ai besoin de quelque chose à quoi m'attacher. »
McGonagall leva les yeux au ciel. Repensant aux roucoulades de Doge, la veille, Sirius se fit la réflexion que, décidément, l'amour trouvait toujours son chemin.
SBSRSBSRSBSR
Quelques minutes plus tard, alors que Sirius, toujours en pyjama, repassait en sens inverse devant le portemanteau, le sommet de son crâne se refléta dans l'étroit miroir qui surmontait les crochets et il se rendit compte, avec horreur, que ses cheveux menaçaient de devenir aussi malpropres que ceux de Rogue. Aussi, renonçant à sa toilette de chat des jours précédents, prit-il, à reculons, le chemin de la salle de bain, une pièce vétuste et glaciale où clapotaient aléatoirement des récipients de toutes sortes disposés de manière à recueillir l'eau qui dégouttaient des tuyaux endommagés par le gel.
Au-dessus de la baignoire en cuivre, une cape noire tendue entre deux patères finissait de sécher. Sirius la remplaça par une serviette propre.
La salle de bains remontant au XIXe siècle, il n'y avait pas l'eau chaude. Sirius tourna le robinet de la baignoire et, pointant sa baguette, formula un Incendio ! Hélas, il ne réussit qu'à noircir le dessous de la cuve. Il récidiva dans la cheminée et porta à frémissement un chaudron qu'il transvasa laborieusement dans la baignoire déjà à moitié pleine, avant de parfumer l'eau avec ce qu'il trouva sur la tablette du lavabo, à savoir du savon, des sels de bain et plusieurs bouchons d'eau de Cologne à la violette, appartenant certainement à McGonagall. Pour finir, il remua avec le bras pour faire mousser.
Son bain à point, il se déshabilla rapidement tout en vérifiant son reflet dans la psyché, pris de l'angoisse puérile d'être devenu laid pendant la nuit. Il fut rassuré. Malgré sa chevelure passablement crasseuse et la fatigue qui ombrait son visage, son regard était toujours magnétique et sa silhouette racée – bon sang ne saurait mentir ! Il bougea, prit des poses ; à chacun de ses mouvements, que doublait le miroir, ses muscles roulaient avec grâce sous sa peau. Si sa carrure s'était élargie avec l'âge, ses traits avaient gardé leur charme androgyne.
Sirius fit un bond en entendant la porte s'ouvrir – il avait oublié de la verrouiller. Venu reprendre sa cape, Rogue entra sans crier gare, renversa un seau et tomba nez à nez avec lui, nu comme un ver. Bien que le Gryffondor ne fût pas particulièrement pudique, il eut un instant de gêne intense. Jusqu'à ce qu'il vît les yeux étrécis du Serpentard effectuer un furtif aller-retour de son visage à son bas-ventre, en marquant un imperceptible temps d'arrêt sur son torse. Ce fut alors la colère qui envahit Sirius : ce fourbe en profitait pour le reluquer ! Déjà à Poudlard, il se signalait par sa propension à laisser traîner ses yeux partout.
Sirius résolut de prendre Rogue à son propre jeu. Bombant le torse d'un air avantageux, il mit ses poings sur les hanches pour bien lui dégager la vue.
« On apprécie le spectacle, Servilus ? le nargua-t-il, menton en avant. Tu veux que je me tourne ? »
Il pensait que l'autre coincé allait nier farouchement et, sans demander son reste, battre en retraite avec sa cape. Ce fut tout le contraire qui se passa : Rogue baissa de nouveau les yeux et prit son temps pour ausculter, avec une moue désinvolte, presque blasée, chaque détail de l'anatomie de Sirius. Il osa même faire le tour pour prendre connaissance de tous ses attraits.
Tout fier qu'il fût de son corps, Sirius ne put s'empêcher d'être troublé. Qu'est-ce qui pouvait pousser Rogue à se comporter de la sorte : le plaisir de le mettre mal à l'aise ? une curiosité décomplexée ? Ou bien… la concupiscence ? Si Rogue avait goûté le cadet, il n'y aurait rien eu de surprenant à ce que l'aîné lui plût aussi ; les deux frères se ressemblaient tellement ! Sur la tapisserie des Black, on aurait pu les confondre.
L'idée que Rogue pût le désirer charnellement répugnait à Sirius et, en même temps, c'était plaisant de constater que le Serpentard, sous ses airs de ne pas y toucher, était mû par les mêmes pulsions que tout le monde.
Sauf qu'en ce moment même, le plus embêté des deux, c'était lui. À en juger par le picotis de ses joues, il avait même viré au rouge tomate. Ça lui apprendrait à faire le malin ! Il lui fallut tout son courage pour résister à la tentation de s'abriter derrière sa serviette : ç'aurait été un aveu de faiblesse face à Rogue, qui, lui, visiblement, s'accommodait sans problème de sa nudité.
Bien sûr, il aurait dû lui venir à l'idée que, vu ses préférences, le Serpentard était habitué à voir des hommes dans le plus simple appareil ! Son frère, pour commencer. Mais Sirius préférait ne pas y penser. Il y avait peut-être une chance pour qu'entre eux, les choses en fussent restées au stade platonique.
« Alors ? lui lança Sirius d'un ton gaillard, pour donner le change. Comment tu me trouves ? Sexy, hein ? »
En vérité, il commençait à avoir méchamment froid, ce qui ne mettait pas ses attributs virils à son avantage. Et il regretta de ne pas avoir élagué les buissons qu'il avait sous les aisselles.
« Baisable », préféra le Serpentard, qui s'était enfin décidé à relever ses satanés yeux.
L'embarras de Sirius connut un nouvel acmé : il ne s'était pas attendu à ce que Rogue se montrât si cru dans sa réponse.
« Parce que tu crois que c'est de cette façon qu'on va se répartir les rôles, Servilus ? se rebella-t-il. C'est moi qui vais te baiser ! »
Il ne pouvait, évidemment, pas laisser cet affront sans vengeance. Il contracta ses abdominaux, pour bien faire passer le message.
« Ne t'emballe pas si vite ! ricana le Serpentard. Il m'en faudrait davantage ! »
Il n'y avait que ce présomptueux pour faire la fine bouche devant une sculpture de dieu grec telle que lui, pensa Sirius, vexé comme un pou.
« Certes, tu es une belle plante, ajouta le Serpentard d'une voix de velours. Mais, comme tu le sais peut-être, les plantes n'ont pas de cerveau. »
Il devait lui reconnaître un certain talent dans le maniement du compliment vexatoire. Sirius vit rouge.
« Tu as le culot de faire le difficile ? riposta-t-il en l'agrippant par le col de sa chemise. Avoue, hypocrite, que tu adorerais que je te prenne là, tout de suite, à quatre pattes sur le carrelage. Peut-être qu'en mettant une serpillière sur ton ignoble tronche, j'y arriverais. »
Le regard noir, Rogue ne cilla pas. Réalisant ce qu'il venait de dire, Sirius le lâcha et déglutit : il n'en revenait pas d'avoir été si ordurier : soit les ondes nocives de l'Horcruxe rayonnaient jusque dans la salle de bains, soit l'autre raclure avait le pouvoir de tout exacerber chez lui. Il était évident qu'il ne pensait rien de ce qu'il proférait.
« Cesse de te croire irrésistible, Black, lui répondit très calmement Rogue. Même si tu étais le dernier homme vivant sur terre, je ne voudrais pas de toi. »
Qu'est-ce qu'il venait de sous-entendre ? bouillit Sirius. Il n'était pas du tout, mais alors pas le moins du monde, en train de lui de faire des avances ! C'était juste qu'il ne tolérait pas qu'on mît en doute son pouvoir de séduction !
« Ha ouais ? C'est sûr ? Dis-le moi les yeux dans les yeux !
– Tu trouveras bien quelqu'un d'autre pour assouvir tes fantasmes, le nargua Rogue. Pourquoi ne demandes-tu pas à Potter de se dévouer ? »
C'en était trop pour Sirius.
« Faux cul, lui souffla-t-il au visage. Je parie que tu bandes de me voir à poil ! »
N'écoutant que son impulsivité, il remonta sa main entre les cuisses de Rogue, dont les yeux sortirent de leurs orbites. Ce dernier émit une sorte de hoquet. Sirius éprouva une satisfaction sordide à voir qu'il avait réussi à le choquer. Mais qu'était-il en train de faire ? se ravisa-t-il aussitôt. Il avait l'impression d'avoir basculé en plein univers parallèle. Et le plus étrange dans cette histoire, c'était que, bien qu'il eût parlé par boutade, il avait vu juste ; malgré l'épaisseur du tissu, impossible de s'y méprendre : Rogue était furieusement excité. Sirius en avait le vertige. Dire qu'à Poudlard, il se figurait le Serpentard comme un être frigide, voire asexué…
Il savait qu'il aurait dû s'arrêter à ce moment précis, quand son comportement pouvait encore, à la rigueur, passer pour un jeu cruel ou une provocation. Mais Sirius était Sirius : un taurillon lancé à pleine allure.
« Tu vois que j'avais raison ! » jubila-t-il.
Et, pour asseoir sa victoire, il malaxa l'entrejambe de Rogue.
Se ressaisissant, ce dernier l'étourdit d'une volée de gifles. Lâchant prise, Sirius fit plusieurs pas en arrière avant de retrouver son équilibre. D'un geste sec, Rogue reprit sa cape, que Sirius avait jetée en boule sur un banc, et, en repassant devant lui, le défia d'un mouvement du menton. À cette vue, le sang de Sirius ne fit qu'un tour. En un bond, il fut sur Rogue ; il le plaqua violemment contre l'étroit pan de mur qui séparait le lavabo de la baignoire et profita de son hébétude pour faire sauter l'agrafe de sa braguette. Enfin il plongea la main dans son pantalon.
Comme Rogue ne portait rien en dessous, Sirius rencontra d'emblée son sexe, qui pointait entre les pans de sa chemise. Sans hésiter, il se saisit à pleine paume de la masse turgescente et pulsatile. Rogue, qui avait baissé les yeux, remonta vers lui un regard fébrile, qui ressemblait à un encouragement. À peine Sirius commença-t-il à faire coulisser son sexe entre ses doigts qu'il se mordit la lèvre et lâcha sa cape, qui s'abattit sur leurs pieds avec un bruit mat.
Pourquoi Rogue ne le repoussait-il pas d'une bonne gifle, comme il l'avait fait tout à l'heure ? L'idée traversa l'esprit de Sirius que ce fourbe l'avait échauffé à dessein, pour le pousser à cette extrémité. Il croyait avoir le dessus, mais n'était-ce pas plutôt lui qui était en train de se faire avoir ? Pour autant, il n'interrompit pas ses agaceries. Rira bien qui rira le dernier, se persuadait-il. Son plan était arrêté : il allait gentiment amener Rogue au bord de l'orgasme avant de le planter là, son froc sur les chevilles. Comme ça, ce con n'aurait d'autre choix que se finir tout seul, comme le détritus qu'il était.
Sirius se mit à paumoyer Rogue avec rudesse. Inexplicablement, il ne ressentait nul dégoût à faire ça ; le geste lui paraissait simple, naturel même. Il lui arrivait, il est vrai, de se donner du plaisir tout seul. Car un an d'abstinence sexuelle, pour un homme de son âge, c'était une éternité. Il n'aurait jamais pu tenir sans ce défouloir. Mais c'était la première fois de sa vie qu'il caressait un autre garçon. Si on lui avait dit qu'un jour… Il devait s'agir d'un rêve. Il ne pouvait pas être en train de branler Rogue. Même James, au plus fort de sa haine, s'était contenté de lui baisser le caleçon.
Mais, bientôt, Sirius cessa de se tracasser. Il sentait le bassin de Rogue venir à la rencontre de sa main, preuve qu'en dépit de ses dénégations de tout à l'heure, le Serpentard appréciait son commerce. Sa bouche, qu'il gardait d'ordinaire hermétiquement close lorsqu'il ne parlait pas, s'était entrouverte, découvrant des dents plantées n'importe comment ; ses paupières frangées de longs cils noirs papillonnaient avec langueur ; quant à sa maigre poitrine, elle se soulevait et s'abaissait avec une ampleur croissante.
Sirius accéléra le mouvement : il voulait le voir lâcher prise ; il voulait l'entendre le supplier. Ses assauts étaient si fougueux que Rogue, transporté de plaisir, ne parvenait pas à garder les yeux ouverts. Soudain, il vacilla sur ses jambes et, pantelant, dut se retenir au rebord de la baignoire.
Le spectacle de cette vulnérabilité tourna la tête à Sirius, qui redoubla encore de sollicitude, se repaissant des reprises de souffle et des halètements de Rogue, dont le cou ne soutenait plus la tête ; à la manière d'une fleur secouée par le vent, celle-ci ballait dans tous les sens. Pour finir, elle se renversa en arrière et Sirius se retrouva à loucher sur la pomme d'Adam du Serpentard, qui tressautait sous son nez – jamais il ne s'était avisé de l'indécence de cette protubérance.
Vraiment, ce merdeux était bandant dans cette position. Sirius sentait ses entrailles se tordre. Le mouvement de sa main devint frénétique. Mais Rogue ne criait toujours pas. Qu'attendait-il pour s'abandonner complètement à lui ?
Arriva enfin le moment où le Serpentard n'y tint plus et laissa échapper une plainte lascive qui donna des frissons à Sirius. Le Serpentard, qui semblait avoir du mal à tenir debout, accrocha brusquement sa main à la nuque de Sirius, qui s'avisa que la sienne poissait comme un fruit trop mûr. C'était le moment de donner le coup de grâce. Alors Sirius s'appliqua, variant la position, la pression, la vitesse. Rogue se cramponna de toutes ses forces à ses prises.
Et ce ne fut plus qu'une succession de grognements, de jurons inarticulés et de râles, qui firent du bas-ventre de Sirius un volcan en éruption. La joie sauvage qu'il avait d'abord éprouvée à dominer Rogue avait laissé place à une incompréhensible excitation. Son sexe gorgé de sang effleurait de temps à autre le tissu rêche de la chemise du Serpentard. Il en vint à gémir à l'unisson. Mais qu'est-ce qu'il lui prenait ? Certes, Rogue s'était légèrement amélioré avec l'âge, mais il restait un laideron antipathique. Personne ne s'aventurerait à dire le contraire.
Sirius ferma les yeux et fit ses meilleurs efforts pour se représenter une caisse grouillant de scroutts à pétard. Il devait s'arrêter là, se répétait-il comme une antienne. Il s'était promis de laisser le Serpentard sur sa faim. De quoi aurait-il l'air, autrement ?
Mais lorsqu'il entendit Rogue, d'une voix mourante, murmurer « Sirius… », comme s'il l'implorait d'en finir, il oublia toutes ses bonnes résolutions. Son prénom sonnait si sensuellement dans la tessiture basse et onctueuse de Rogue. Appelait-il Regulus de cette manière lorsqu'ils faisaient l'amour ?
Sirius tortura Rogue sans relâche jusqu'au moment où il le sentit trembler de manière annonciatrice. Alors il passa son bras sous son aisselle pour l'empêcher de tomber tandis que celui-ci, à bout, se déversait contre lui, étouffant un brâme dans le creux de sa clavicule. Rogue était si beau à cet instant, avec ses cheveux collés sur ses tempes et ses joues écarlates, que Sirius faillit venir à son tour.
Lorsque tout fut fini, Rogue s'extirpa de l'étreinte de ses bras, remonta machinalement son pantalon et, décillant les yeux, dévisagea Sirius par en-dessous, comme s'il appréhendait sa réaction. Mais ce dernier ne pavoisait pas, loin de là. Il se sentait profondément ridicule avec son torse dégoulinant, son pénis droit comme un dard et son arrière-train en chair de poule. Et pourtant, il n'aurait voulu être ailleurs pour rien au monde. Cela faisait si longtemps qu'il ne s'était pas senti vivant.
Comme un chien qui recherche les caresses, il se frotta contre la poitrine de Rogue et fit rouler sa tête sur son épaule. Il espérait qu'il comprendrait ce qu'il voulait. Il en avait tellement envie. Tellement besoin. Pendant une fraction de seconde, il crut que Rogue, dont les yeux s'étaient élargis, allait lui rire au nez. Mais aurait-il pu le lui reprocher ? Tout ceci était arrivé par sa faute. C'était lui qui avait allumé Rogue. Pourquoi celui-ci devrait-il lui en être reconnaissant ?
Rogue parut hésiter, le repoussa un peu, puis, tordant le buste, il plongea sa main gauche dans la baignoire. Lorsqu'il la ressortit, une fine pellicule de mousse recouvrait ses longs doigts. Sirius n'avait pas besoin d'un dessin pour deviner ce que Rogue avait en tête. Pour autant, il ne prit pas ses jambes à son cou. À froid, certes, l'idée l'aurait rebuté. Mais, à chaud… il avait une folle envie d'essayer. Et puis c'était avec Rogue. Rien ne sortirait de cette salle de bains, il le savait.
D'autorité, Rogue attira Sirius contre lui ; de la main droite, il s'empara de son sexe ; et de la gauche, il se mit à lui pétrir les fesses. Les yeux clos, le souffle coupé, le cœur battant à tout rompre, Sirius s'agrippa à son dos comme à la paroi d'une falaise. C'était excitant, c'était atrocement excitant : le sentiment de dépendre entièrement de la volonté de Rogue ; la sensation de son corps à lui, tout habillé, contre le sien, nu, offert, grelottant ; et l'idée, même, qu'on les surprît dans cette position compromettante – ce n'était pas possible, un court-circuit avait dû se produire dans son cerveau ; c'était ça de rester trop longtemps sans fille.
Pourtant, Rogue n'était pas encore entré dans le vif du sujet ; il se contentait de palper le bas des reins de Sirius, sans le masturber. Mais de temps à autre, l'un de ses doigts, son majeur, encore tiède et glissant de son séjour dans l'eau, quittait le sommet des monts pour explorer l'étroite vallée, s'aventurant de plus en plus en loin à chaque nouvelle incursion et cherchant le passage. Sirius écarta les cuisses en signe d'assentiment. Rogue ne se fit pas prier pour étirer la fronçure et introduire son majeur dans l'orifice palpitant.
Tout en mordillant l'épaule de Rogue, Sirius tâchait de se détendre. Toute curieuse que fût la sensation, elle n'était pas désagréable. D'autant que Rogue, qu'il devinait attentif à ses réactions, officiait avec un tact chirurgical : il progressait avec une infinie lenteur, effectuant de très légères ondulations qui provoquaient des vaguelettes de plaisir dans son ventre. Lorsqu'il eût enfoncé son doigt jusqu'à la garde, Rogue entreprit de fouir en lui comme s'il crochetait une serrure, tout en se mettant à le besogner de l'autre côté.
Sirius se sentit immédiatement décoller ; aucune partenaire ne l'avait jamais choyé comme ça. Tout devint indistinct, confus, ouaté ; il n'entendait même plus tambouriner les fuites autour de lui. Il ne lui fallut pas dix secondes pour se cabrer. Tout en donnant des coups de reins contre la main qui le caressait, il se répandit en poussant des cris de bête, au milieu desquelles il s'entendit grommeler des grossièretés, la pire étant le prénom de Rogue – son vrai prénom, pas le sobriquet dont il l'affublait d'habitude – avant de s'affaisser lourdement, avec le sentiment que cette triste vie l'avait quitté et qu'il venait d'entrer au Paradis au son des trompettes.
Il sentit Rogue le rattraper par les flancs alors qu'il était sur le point de s'effondrer au sol. C'était la première fois de sa vie qu'il éprouvait un orgasme aussi puissant. Il en avait les larmes aux yeux. Il ne savait pas ce qu'il lui avait pris. Il devait être sérieusement en manque. Ou peut-être avait-il les mêmes inclinations que son frère ? Comme l'introspection n'était pas son fort, il reporta l'examen de cette question à un autre jour. Il se dégagea à regret des bras de Rogue, qui le soutenait toujours.
À peine un espace s'était-il créé entre eux que Rogue lui tourna le dos et se rinça les mains dans le lavabo. Puis il sortit sa baguette de la poche de son pantalon et lança un sort de nettoyage à ses habits souillés avant de se pencher pour ramasser sa cape, qu'ils avaient piétinée pendant leurs ébats, et la défroisser du plat de la main. Il feignait l'indifférence, mais Sirius voyait bien qu'il n'était pas dans son état habituel. Il semblait presque… ému.
« Ton bain est en train de refroidir », fit Rogue d'un ton neutre en osant à nouveau regarder Sirius.
C'était sa façon de l'inviter à se laver, comme lui, de ce qu'ils venaient de faire. Sirius acquiesça de la tête, faute de trouver quelque chose d'approprié à dire. Il enjamba le rebord de la baignoire et entra maladroitement dans l'eau, jetant des éclaboussures partout. Rogue agrafa sa cape et tourna les talons. Sirius le regarda s'éloigner. Pourquoi fallait-il que leur interaction se terminât de cette manière ? C'était comme s'il ne s'était rien passé. Mais n'était-ce pas mieux ainsi, après tout ? Ils venaient de se comporter comme des chiens en rut. Il n'y avait pas de quoi être fier.
« Te fais pas de film, hein…, se crut obligé de grommeler Sirius dans le dos de Rogue.
– Ce n'était pas mon intention », répliqua sèchement Rogue avant de claquer la porte derrière lui.
