CHAPITRE 18

Sa tentative d'approche se solda par une gifle retentissante : si Marlene n'était pas bégueule, elle n'était non plus née de la dernière pluie.

« Quoi ? protesta Sirius, en portant la main à sa joue endolorie. Je croyais que tu n'attendais que ça...

– Tu me prends pour une idiote ? le gronda Marlene tandis qu'elle s'extirpait des draps qu'ils partageaient. Il n'y a que quand tu es ivre que tu as envie de moi ! »

Et la jeune femme de trouver refuge dans le lit d'à côté. Sirius se sentit honteux, une fois de plus.

Pas d'avoir tenté de voler un baiser à sa camarade. Car il n'avait fait que lui rendre la monnaie de sa pièce. Et puis ce n'était pas comme si c'était la première fois que les choses dérapaient entre eux ; ils avaient déjà échangé un baiser à Noël. À dormir ensemble, forcément, ils tentaient le diable. D'ailleurs, ça jasait dans le cottage.

Encore moins honteux d'avoir bu comme un trou – il n'allait tout de même pas renier ce qui avait été l'une des principales occupations de sa jeunesse !

Non, la vraie cause de sa honte, c'était qu'il ne tenait plus l'alcool ; le même élixir qui, autrefois, le rendait incroyablement gai et spirituel, faisait à présent de lui un être pathétique.

« Je t'assure que j'ai dessoûlé, assura-t-il. Tu n'as qu'à me demander de te réciter la recette de l'Amortentia.

– Tu vas continuer longtemps à t'auto-détruire comme ça ? soupira Marlene.

– Comme tu y vas... »

Mais sa camarade n'exagérait pas. Après que Rogue fût parti, Sirius était redescendu à la cave. En inspectant les murs, il avait remarqué un moellon non lié qu'il avait dégagé avec précaution, mettant au jour une niche abritant un flacon sans étiquette. Sirius l'avait débouché avec les dents et humé en connaisseur. Ça sentait l'interdit – à n'en pas douter, une eau-de-vie artisanale, remontant à l'époque de la prohibition des produits moldus, quand les sorciers faisaient des merveilles avec les ingrédients qu'ils avaient sous la main. Au nez, sûrement de la courge ou de la carotte. Les effluves lui brûlaient les narines. Ça devait titrer au moins à 60 C°. Le genre de truc à rendre aveugle. Impossible de trouver mieux pour soigner une peine de cœur. Enfin, une peine.

Il avait tout ingurgité sans reprendre sa respiration.

Alertés par Molly, qui l'avait découvert quelques minutes plus tard en train de comater sur une caisse de bocaux, les jumeaux Prewett avaient dû unir leurs forces pour lui faire remonter l'escalier. Il avait voulu dire qu'il était en état de marcher, mais à peine avait-il desserré les lèvres que ses boyaux s'étaient retrouvés dans ses bottes. La suite était confuse. Il se souvenait avoir été traîné par les aisselles à travers des couloirs qui n'en finissaient pas, chaque cahot se traduisant par un roulis d'entrailles, avant d'être étalé en chien de fusil sur le carrelage de la salle de bains où les frères Prewett l'avaient abandonné en compagnie d'une cuvette.

Il s'était longuement vidé.

Venu prendre de ses nouvelles, Hagrid lui avait débarbouillé le visage avec une serpillière râpeuse et pris l'initiative lui faire ingérer un remontant à base de... Sirius n'avait pas eu le loisir d'apprécier : le demi-géant lui avait tenu le front tandis qu'il régurgitait la mixture dans les toilettes.

À l'exception de Lily – déjà repartie pour Londres, où l'attendait James – tout le cottage avait défilé pour se repaître du spectacle. Deaborn avait disserté sur les méfaits de l'alcoolisme chez les jeunes. Sans cesse d'aspirer son thé, McGonagall l'avait regardé de haut. Plus loquace, Molly l'avait traité d'épave. Tout juste arrivé pour son tour de permanence, Remus lui avait tapoté les joues. Peter, lui, avait cru drôle de narrer ses bitures les plus mémorables, dont celle qui avait donné lieu au fameux cliché sur lequel on voyait Sirius baisser son pantalon. Mondingus avait renchéri en racontant que, dans sa jeunesse, lui montrait carrément son ZOBà tout le monde, ce qui avait déclenché l'hilarité générale. Londubat était plié en deux et Fenwick se tapait sur les genoux. Seul Remus s'était offusqué.

Heureusement, Sirius s'était assoupi avant la fin de la curée.

Trois heures plus tard, il s'était réveillé aussi en forme qu'au sortir du tambour d'un lave-linge moldu, en mode essorage. Le rez-de-chaussée baignait dans une odeur de viande rôtie. Il avait alors entendu des rires et des éclats de voix en provenance du séjour. Les membres de l'Ordre festoyaient comme des rois ; tout en dévorant les bécasses ramenées par Hagrid de sa chasse matinale, ils trinquaient à la paix.

Toujours nauséeux, Sirius s'était mis au lit sans dîner. Marlene l'y avait rejoint un peu plus tard.

« Oser me faire la morale alors que tu fumes comme un pompier ! » lui lança-t-il, rancunier.

Car cette dernière avait allumé une cigarette, donT elle semblait se délecter.

« Partage, un peu...

– Bats les pattes, cabot ! C'est la dernière et je compte bien la garder pour moi !

– Pourquoi tu boudes ? Mon offre était sérieuse. Je suis sûr que tu as autant besoin de décompresser que moi ! Et crois-moi : aucune des filles avec lesquelles j'ai couché ne s'est jamais plainte de mes services...

– Gros vantard ! Tu crois que je vais marcher ? Si c'est juste l'affaire d'une nuit, je préfère encore me passer une ceinture de chasteté. »

Elle tira sur sa cigarette.

« Au fait, j'ai réfléchi, dévia-t-elle soudain. Faut qu'on rentre au Centre. Cela fait plusieurs jours que les cours ont repris. Les profs doivent se demander ce qu'on fabrique. Déjà qu'on n'est pas très assidus... »

Elle avait enchaîné ces phrases d'une traite, comme si elle les avait répétées.

« Comment ça ? s'étonna Sirius. Hier encore, tu disais à Lily... Pourquoi es-tu si pressée de partir tout à coup ?

– Ce n'est pas toi qui te plaignais de tourner en rond ? »

Sirius ne répondit rien, déconcerté par le tour que prenait la conversation. En vérité, depuis son rapprochement avec Rogue, il ne tenait plus tellement à rentrer au Centre.

« Tu veux qu'on redouble notre année ou quoi ? le provoqua Marlene.

– Maugrey a dit qu'il s'arrangerait avec le directeur du Centre, tenta-t-il d'argumenter. On ne sera pas sanctionné pour notre absence.

– Tu peux m'expliquer comment nous allons rattraper le retard que nous sommes en train de prendre ?

– Je ne te savais pas si bonne élève ! s'esclaffa-t-il. Toi qui sèches la moitié des cours ! Entre nous, crois-tu vraiment qu'on apprend à devenir Auror là-bas ? Les missions que nous faisons pour l'Ordre sont bien plus instructives.

– Mouais... il y a des enseignements donT je me serais bien passée, maugréa Marlene en tirant plus fort sur sa cigarette. Je me suis fait avoir comme une débutante par ta cousine. Cette chienne s'est servie de moi comme appât... Si je m'étais mieux débrouillée, Maugrey...

– Tu n'as rien à expier ! l'interrompit vivement Sirius, qui sentait venir la crise de larmes. Personne ne s'attendait à ce que les choses tournent ainsi. Et puis, tout amoché qu'il soit, Maugrey se porte comme un charme. Tu as vu ? Il a repris ses rondes. Il en a vu d'autres, crois-moi. »

Mais Marlene, dont les yeux étaient devenus humides, ne semblait pas convaincue :

« J'suis pas sûre que le métier soit pour moi. Je n'ai pas le cuir assez épais. »

Pendant quelques minutes, elle fuma en silence, l'air absent.

Un bruit de bottes dans le couloir ; on toqua à la porte : c'était Hagrid qui, comme chaque soir, faisait la tournée des chambres avec une bassinoire remplie de braises. Tandis que le demi-géant s'affairait à balayer les matelas – Marlene et Sirius s'étaient décalés au bord de leurs lits respectifs pour le laisser faire – son regard broussailleux n'avait de cesse d'effectuer des aller-retour attendris entre les deux camarades. Sirius aurait mis sa main à couper que ce grand sentimental, à la vocation ratée, se réjouissait de les voir ensemble. Ce dernier eut toutefois le tact, rare chez lui, de s'abstenir de tout commentaire. Comme pour s'excuser de les avoir dérangés dans un moment aussi intime, il s'éclipsa sur la pointe de ses gros pieds, fracturant au passage le linteau de la porte avec le sommet de son crâne.

Sirius eut un sourire désabusé : s'il en avait été ainsi, tout aurait été tellement plus simple. À travers la fumée, il remarqua que le regard lumineux de Marlene accrochait le sien :

« Dis-moi, Sirius, que s'est-il passé pour que tu te mettes dans un état pareil ? »

Le jeune sorcier baissa préventivement les yeux, au cas où sa camarade aurait été tentée de pratiquer la légilimancie sur lui.

« Rien », souffla-t-il, à court d'explication crédible.

Il savait bien qu'il n'allait pas s'en tirer comme ça. S'il n'avait pas eu l'esprit si engourdi, il aurait invoqué le contre-coup de Gringotts. Ou parlé de sa famille de cinglés. Objectivement, il avait plein de raisons d'être déprimé. Mais, s'il devait être honnête, la seule qui occupait son esprit en cet instant était d'avoir été repoussé par Rogue. Jamais personne n'avait osé. On aurait dit que pour cet énergumène, la tendresse était une chose encore plus sale que le sexe. Traitait-il aussi mal Regulus ?

« Un peu bruyant, ce rien », sous-entendit Marlene.

Et elle se mit à siffloter. Vraiment, cette fille était exaspérante. Déjà, à Poudlard, elle se distinguait par sa capacité à extorquer des confidences. Rien de surprenant à ce qu'elle fût devenue une enquêtrice hors pair.

« Les Français ont une expression marrante pour parler de cela, reprit-elle en chassant la fumée de sa cigarette.

– Parler de quoi ? » repartit Sirius, doNt les joues s'étaient embrasées.

Mais pourquoi n'avait-il pas lancé un Assurdiato ? Le sortilège de base en pareille circonstance... Seize mois de formation de haut niveau en tapinois, et il se faisait avoir comme un bleu. Pris la main dans le sac – enfin, dans le pantalon.

« 'tends... Je l'ai sur le bout de la langue. »

Sirius avait beau chercher dans son catalogue d'expressions grivoises, il ne voyait pas ce que Marlene trouvait à qualifier de « français » dans ce qu'il avait fait avec Rogue.

« Ha oui, cela me revient... ils disent « l'amour vache ».

– Mais qu'est-ce que tu me chantes ? se récria Sirius, faisant ses meilleurs efforts pour ne pas se liquéfier. On n'a pas... On a juste... parlé de Reg' et... on s'est un peu... accrochés.

– Et réconciliés..., compléta Marlene en reprenant une bouffée.

– Pas vraiment, non..., bougonna Sirius. Ce type est irrécupérable... »

Il n'avait pas été capable de dissimuler son dépit. Marlene émit une espèce de gloussement, puis tapota l'extrémité de sa cigarette au-dessus d'une coloquinte évidée dont elle se servait comme d'un cendrier :

« Tu prends des risques, très cher. Je suis bien placée pour savoir à quel point on peut idéaliser un mort. Au jeu de la rivalité posthume, on sort rarement gagnant. »

Sirius se figea à cet aphorisme. Rivalité posthume ? Comme un refrain, les mots de Rogue se mirent à tourner dans sa tête. Bien sûr que Regulus et lui se ressemblaient. Mais la comparaison s'arrêtait au physique. Pour le reste, ils n'étaient pas de la même galaxie. Pourquoi les mettre en concurrence ? Une boule s'était formée dans sa gorge. Ça recommençait. Comme une fatalité.

Ses parents, déjà, lui préféraient Regulus. Prématuré resté chétif, incapable de tenir sur un balai, toujours fourré dans ses bouquins, affichant en toutes circonstances le sérieux d'un pape. Bref un blanc-bec qui n'avait pas le quart de son rayonnement, ni le moindre esprit critique, mais qui, à force de se tenir le doigt sur la couture, avait gagné l'estime de ses parents et le peu d'affection doNt ils étaient capables, et fini par le reléguer, lui, son flamboyant aîné, au rang d'ersatz. À tel point que les soirs de réception au Square Grimmaurd, Sirius était prié de rester à l'ombre. Son père avait honte de ses idées iconoclastes – comment un garçon sain d'esprit pouvait-il être fier d'être un Gryffondor ? – et sa mère, de sa manie de se déguiser en Moldu.

Alors Sirius avait mis toute son énergie à aggraver son cas : il avait multiplié les frasques, fait le mur, bu plus que de raison, couru les filles, pissé dans les jardinières du salon et barbouillé de graffiti l'austère façade du 12. L'apothéose avait eu lieu le jour du mariage du cadet des fils Lestrange, quand il avait plastiqué la pièce montée. Sa mère l'avait frappé jusqu'à ce qu'il perdît connaissance. À James, qui s'était inquiété de son état en le voyant débarquer le lendemain à Godric's Hollow avec un corps tuméfié, il avait raconté s'être battu. Car chez Sirius, le déni était une seconde nature.

« Je doute que tu parviennes à prendre la place de ton frère », le crucifia Marlene.

À cet instant, le Gryffondor se sentit comme le mégot que la jeune femme écrasait consciencieusement dans sa coloquinte. Sans vouloir être médisant, il aurait juré qu'elle était jalouse. Mais de qui ? De Rogue ou de lui ? Car – Sirius avait encore pu le constater la veille – elle observait l'ancien Mangemort avec un peu trop d'insistance pour quelqu'un qui disait ne pas avoir de vues sur lui.

« Pourquoi chercherais-je à prendre sa place ? » répondit-il en arquant les sourcils.

Sa voix chevrotait. Quel mauvais comédien il faisait !

« Veux-tu vraiment me le faire dire ? répliqua Marlene avec aigreur. Avoue que Rogue t'obsède depuis Poudlard. Tu passais ton temps libre à le harceler. Même après que James ait lâché l'affaire, tu as continué. T'es-tu déjà demandé pourquoi tu avais tellement besoin de le provoquer ? N'as-tu jamais émis l'hypothèse que tu refoulais quelque chose vis-à-vis de lui et que ta soi-disant haine cachait de la frustration ? Oh, comme tu rougis, beauté... cramé !

– C'est moi qui bois, mais c'est toi qui dérailles ! explosa Sirius. Je n'en ai rien à secouer de ce triste sire, aujourd'hui comme hier !

– Grand orgueilleux, va ! Faudrait être aveugle pour ne pas voir l'effet qu'il te fait. Vous baisez avec autant d'ardeur que vous vous engueulez ! »

Ce n'était pas possible : cette ch*euse avait dû lui carotter le crâne pour voir ce qu'il s'y passait, pensa Sirius. Fuir, il devait fuir. D'un bond, il sortit du lit et enfila ses bottes encore mouillées de sa déconfiture. Il allait marcher dans la forêt jusqu'à s'abrutir de fatigue. Ou bien piquer une tête dans la Serpentine. Ou encore se transformer en chien et se rouler à poils dans la neige.

« Quel dommage que tu n'aimes pas les filles ! s'exclama Marlene en le regardant s'habiller en panique. Tu imagines les beaux enfants qu'on aurait fait à nous deux.

– Devenir parrain suffit à ma peine, grommela-t-il. Et je ne suis pas... ce que tu sous-entends. Si tu avais voulu, je te l'aurais prouvé cette nuit. En tout cas, nombreuses sont celles qui peuvent témoigner du contraire !

– C'est ça, rassure-toi..., ricana Marlene, tout en recrachant la fumée de sa cigarette par les narines. À d'autres. »

Sirius enfilait son pantalon à cloche-pied :« Si t'étais un mec, tu saurais qu'une br*nlette , c'est juste... une façon de se dépanner !

– Oh Sirius, tu es tordant quand tu t'y mets ! S'il existait un championnat de la mauvaise foi, tu le remporterais haut-la-main ! »

Sirius empoignait le bouton de la porte lorsque Marlene lui lança, l'air de rien :

« Au fait, j'oubliais, puisque tu as décuvé : Maugrey veut te parler. Tu le trouveras au fumoir. »

Sirius jeta un regard désespéré à l'édredon au confort duquel il venait de s'arracher ; pourquoi le monde était-il si cruel ? Il n'avait pas la moindre envie de se faire passer un savon par Maugrey, qui avait dû avoir vent de sa cuite. Mais il savait que toute tentative pour lui échapper était vaine ; l'Auror aurait été capable de le traquer jusqu'en enfer.

En bras de chemise, Maugrey le salua d'un hochement de tête ; il finissait de changer les grips de ses baguettes de combat. En bon professionnel, il en possédait une panoplie lui permettant de faire face à n'importe quelle situation ; les baguettes courtes, en bois de tremble, étaient réservées au combat rapproché ; les longues, en bois de laurier, d'un maniement difficile, mais extrêmement puissantes, permettaient de frapper son adversaire à distance ; il y avait aussi des baguettes conçues pour parer des maléfices spécifiques, donT les Impardonnables.

Son office achevé, Maugrey donna un coup de chamoisine pour faire briller, les répartit dans ses différentes poches, à l'exception de la poche arrière – il avait retenu la leçon, après avoir perdu un bout de fesse en s'asseyant sur une baguette – et rangea son nécessaire d'entretien dans une mallette en cuir à ses initiales – un cadeau de ses étudiants, donT il était très apprécié.

Ce fut seulement à cet instant que Sirius, qui baillait aux corneilles, osa lui demander :

« Vous vouliez me voir ? ».

Il était, en effet, quelque peu perplexe de trouver son instructeur si détendu ; Marlene lui avait-elle encore fait une farce ?

« Nous voulions vous voir, Black », corrigea Maugrey, cependant que son œil magique obliquait vers la droite.

Sirius tourna la tête vers l'endroit qu'il lui désignait. Hormis la partie où ils se trouvaient, la pièce était plongée dans l'obscurité. Il dut attendre que ses yeux s'y accommodassent pour remarquer la présence de Dumbledore près de la fenêtre. Immobile, l'air songeur, ce dernier faisait mine de regarder au dehors, ses mains fripées se rejoignant dans son dos. Il était vêtu d'une robe de sorcier traditionnelle, en soie violette, rebrodée de perles et miroirs, très semblable à celles qu'il arborait lors des événements officiels. Sans doute arrivait-il tout juste du Ministère et n'avait-il pas eu le temps de se changer.

Rien, dans son attitude, n'indiquait qu'il eût remarqué l'arrivée de Sirius ; l'homme était-il sourd – cela n'aurait rien eu de surprenant ; il venait tout de même de dépasser les cent ans ! – ou bien ménageait-il ses effets ? Sirius opta pour la seconde hypothèse : il savait quel cabotin Dumbledore pouvait être.

« Monsieur... », toussota-t-il en guise de salut.

Affectant une solennité presque comique, Dumbledore daigna enfin se tourner vers lui.

« Enfin, vous voilà ! lui lança-t-il avec une jovialité qui jurait avec ses traits tirés. Nous vous attendions avec impatience, Sirius. »

L'intéressé tiqua : depuis quand Dumbledore l'appelait-il par son prénom ? Et se prétendait-il ravi de le voir ? Tous ces salamalecs, foi de Patmol, ça puait la mauvaise nouvelle.

« Que me vaut cet honneur, monsieur le directeur ? » jugea-t-il malin d'ironiser, en esquissant une révérence.

En bon petit con qu'il était, il donnait des verges pour se faire battre. Mais il n'en démordrait pas : Dumbledore l'avait toujours eu dans le nez, sans aucune raison ; pour preuve : l'anodine « affaire de la racine » lui aurait valu d'être flanqué à la porte de Poudlard si James n'avait pas plaidé sa cause. Au moins son insolence de ce soir donnait-elle à Dumbledore un motif valable pour le détester !

Mais ce dernier ne se formalisa pas – ou bien, plus probablement, il n'en laissa rien paraître. Il s'était avancé vers Sirius, les mains jointes : son habit étincelait de mille feux à la lumière du bec de gaz et c'était à peine s'il ne se haussait pas sur la pointe des pieds pour se grandir.

« Vous allez le savoir, cher ami, fit-il, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Mais d'abord, asseyez-vous, je vous prie. »

Trois chaises entouraient le guéridon, que Maugrey débarrassa d'un coup de baguette. Dumbledore et Maugrey prirent place. Sirius s'apprêtait à les imiter lorsque ses reins courbatus se rappelèrent à lui ; il se fit alors la réflexion que le fauteuil à oreilles, juste en face de la cheminée, avait l'air bien plus confortable que ces chaises au dossier canné. Mais Maugrey, qui n'avait pas goûté ses singeries de tout à l'heure, le rappela grossièrement à l'ordre.

À peine Sirius s'était-il laissé tomber sur sa chaise que Maugrey s'inclina vers Dumbledore :

« Vous y mettrez sans doute plus de tact que moi ».

Sirius entendit le sang pulser dans ses tempes. S'ils s'étaient concertés sur ce qu'ils allaient lui dire, c'était que l'affaire était sérieuse. À coup sûr, l'autre fossile allait lui annoncer qu'il était viré. Il n'aurait plus qu'à faire son baluchon et à déguerpir, la queue entre les jambes. Une fois de plus. Et dire que James, pour le convaincre de s'engager, lui avait présenté l'Ordre comme une « grande famille » dans laquelle chacun avait un « rôle à jouer ». Il aurait dû se méfier de la comparaison. Car à la fin, c'était toujours lui qui faisait la brebis galeuse.

Il se renversa crânement en arrière, croisant les bras et ouvrant grand les cuisses. Sa révérence, il allait la tirer avec panache !

« Pas la peine de prendre des gants, se mit-il à fanfaronner en se balançant sur sa chaise. J'en ferai pas un drame. À vrai dire, même, ça m'arrange. J'étais justement en train de me dire que je devrais consacrer plus de temps à mes études. »

Dumbledore et Maugrey échangèrent un regard amusé ; voilà qu'ils se moquaient de lui à présent ! Était-il donc si peu crédible quand il parlait d'être sérieux ?

« Vous conviendrez avec nous que votre motivation à servir la Cause a pu, plus d'une fois, paraître vacillante, lui répondit Dumbledore avec bienveillance. Et que c'est assez légitimement qu'avec Alastor, nous avons envisagé de vous délier de votre engagement. Il nous semble toutefois préférable de vous offrir une chance de prouver que l'Ordre peut compter sur vous. Par un fait heureux, vous êtes le seul à pouvoir rendre le petit service que nous allons vous demander ».

Sous sa chevelure en bataille, les yeux de Sirius s'écarquillèrent : quelle soupe était en train de lui servir Dumbledore ? Une mission d'une nature si particulière qu'elle ne pouvait être réalisée que par lui – vraiment ? Foutaises ! Si cette ganache sénile était venu le chercher, c'était parce que personne d'autre n'avait voulu s'y coller ! Sûrement une mission suicide... Bien vu : c'était là un moyen radical et définitif de résoudre le problème qu'il posait à l'Ordre.

« Quel petit service ? » s'enquit-il avec méfiance.

Pour toute réponse, Dumbledore souleva son chapeau. D'une poche ménagée dans la doublure, il tira un petit objet brillant qu'il déposa sur la table. Sirius n'eut pas besoin de lui demander ce donT il s'agissait. Il n'avait pas quitté les bancs de Poudlard depuis assez longtemps pour avoir oublié cette planche célèbre, tirée de l'édition de 1956 de L'Histoire de Poudlard, sur laquelle le médaillon de Salazar Serpentard était représenté à côté de l'épée de Godric Gryffondor, du diadème de Rowena Serdaigle et de la coupe d'Helga Poufsouffle.

« Vous l'avez retrouvé ? »

Dumbledore secoua négativement sa barbe :

« Il ne s'agit pas de ce que vous pensez.

– Ça y ressemble fort, pourtant, le contredit Sirius, sûr de son fait.

– Prenez-le ».

Les yeux azurés de Dumbledore pétillaient au-dessus de ses lunettes en demi-lune. Sirius hésita, subodorant un piège ; car s'il devait accorder foi à ce que Maugrey avait affirmé lors de la dernière réunion plénière, ce pendentif était l'un des sept Horcruxes de Voldemort. Mais si tel était le cas, se ravisa-t-il aussitôt, Dumbledore n'aurait pas pris le risque de le porter sur lui.

Tendant la main, Sirius effleura du bout de son index le S serti d'émeraudes en forme de serpent qui ornait le couvercle du médaillon. Aucune manifestation suspecte – ni lumière, ni chaleur, ni vibration, ni tintement – ne se produisit. Rassuré, le jeune sorcier s'empara du médaillon et le fit rouler dans la paume de sa main pour l'observer sous toutes ses faces. Moins lourd qu'il n'y paraissait, l'objet était dans un piètre état : le métal – sûrement de l'argent – présentait des marques de corrosion et les pierres précieuses étaient recouvertes d'une pellicule opaque. Sirius frotta avec son pouce, goûta : c'était du sel.

« Vous êtes allé le repêcher dans la mer ?

– Vous brûlez, sourit Dumbledore. Dans une grotte marine, plus précisément. »

Par association d'idées, Sirius songea au cadavre de Regulus, à son uniforme maculé de sable mouillé. Une bouffée de tristesse monta en lui, donT il s'efforça de se distraire en concentrant son attention sur le médaillon. Une discrète charnière, sur le côté, indiquait que celui-ci pouvait s'ouvrir. Sirius approcha l'objet de son oreille et le secoua. Le médaillon semblait vide. De toute façon, vu sa taille, Il ne pouvait guère contenir qu'un portrait ; du poison, peut-être.

« Ouvrez-le », lui intima Dumbledore.

Maugrey ne disait rien, mais, à en croire la manière dont il triturait sa baguette, il était mal à l'aise. Une fois encore, Sirius hésita : pourquoi Dumbledore se montrait-il si pressant ? Savait-il ce que renfermait le médaillon ? Malgré sa défiance, la curiosité l'emporta et, du bout du doigt, il pressa le S en saillie. Comme il l'avait escompté, le couvercle s'ouvrit de lui-même, preuve que l'objet n'était pas un Horcruxe.

Un bout de parchemin plié en huit garnissait le fond du médaillon. Sirius interrogea ses voisins du regard. Maugrey avait baissé les yeux.

« Lisez, lui dit Dumbledore d'une voix onctueuse. Ceci vous concerne. »

À ces mots, le trouble de Sirius redoubla. S'aidant de ce qu'il lui restait d'ongles – car il les rongeait – il retira le parchemin de son écrin et, avec précaution, le déplia.

Il n'eut pas besoin de descendre jusqu'à la signature pour savoir que cette lettre – car c'en était une – était de la main de Regulus. Bien que l'écriture n'eût pas le soin qu'il lui connaissait, il ne pouvait pas la confondre avec une autre : haute, inclinée, un peu maniérée. Sur la fin, le tracé devenait malhabile, comme si Regulus, à bout de forces, ne parvenait plus à tenir correctement sa plume.

S'agissait-il d'une sorte de testament ? frémit Sirius. Enfin, il allait savoir... Il porta la main à sa gorge : son émotion était telle qu'il ne parvenait plus à respirer.

Las! À la lecture des premiers mots, rendue difficile en raison de l'humidité qui avait délavé l'encre, il tomba de haut : Regulus se disait à l'article de la mort, mais ses derniers mots ne s'adressaient pas à lui, ni à leurs parents ; pas même à Rogue. Ils s'adressaient à Voldemort. Regulus poussait la déférence jusqu'à l'appeler par son titre de pacotille.

Sirius reposa la lettre sur la table et se prit la tête entre les mains : devait-il vraiment poursuivre ? Il ne voulait pas savoir jusqu'à quel point son frère avait épousé les idées de ce monstre. Il s'était si longtemps bercé de l'illusion qu'il n'était pas mort en Mangemort... Mais à quel jeu sadique jouait Dumbledore en lui mettant ça entre les mains ?

« Sauf votre respect, Albus, maugréa soudain Maugrey, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de...

– Vous êtes trop protecteur envers ce garçon », l'interrompit Dumbledore, dans un désaveu cinglant.

Sirius leva un sourcil : « trop protecteur », cet ours mal léché qui passait sa vie à lui secouer les puces ? Dumbledore avait décidément un sens de l'humour bien à lui.

« Lisez jusqu'au bout, Sirius », lui enjoignit ce dernier.

Sirius reprit la lettre en main avec le sentiment qu'on lui faisait boire le calice jusqu'à la lie. Mais le contenu de la lettre se révéla à rebours de ce à quoi il s'attendait. Dans ce qui ressemblait à une menace voilée, Regulus affirmait à son maître avoir découvert son « secret », ce que Sirius interpréta comme une allusion au rite d'immortalité. La phrase suivante confirma qu'il avait vu juste, car, dans celle-ci, Regulus clamait qu'il avait l'intention de détruire le « véritable Horcruxe » dès qu'il le pourrait. La conclusion, presque illisible, laissait entrevoir un Regulus combattif, exhortant d'autres sorciers à poursuivre sa quête et exprimant le vœu qu'un jour Voldemort, redevenu mortel, croiserait le chemin d'un adversaire à sa hauteur.

Pendant quelques secondes, Sirius resta sans réaction. Le médaillon qu'il avait sous les yeux n'était donc qu'une réplique, que Regulus, tout en sachant que cette audace lui coûterait la vie, avait substituée à l'original pour tromper la vigilance de son maître et se laisser le temps de trouver comment détruire l'Horcruxe.

Devait-il se réjouir de ce qu'il venait d'apprendre ? D'un côté, certes, son cœur se gonflait de fierté à l'idée que son petit frère fût mort en apostat, en rebelle, bref en héros ! Mais d'un autre côté, la douleur de l'avoir perdu pour toujours, au moment même où il comprenait enfin ce qui les liait, s'en trouvait ravivée.

Mais pourquoi cette tête de mule s'était-il lancé seul dans cette quête périlleuse ? Il aurait pu se rallier à l'Ordre, comme l'avait fait ce pleutre de Rogue. Et ils se seraient réconciliés ! et ils auraient combattu ensemble Voldemort !

Ses joues ruisselaient ; ça dégoûtait sur ses mains, la lettre, la nappe. Il n'avait même pas la force d'essuyer. Il devait offrir un spectacle affligeant. Mais, pour la première fois de sa vie, l'image qu'il donnait de lui ne paraissait plus si importante. Il était las du personnage qu'il jouait, tellement las...

« Depuis quand le savez-vous ? »

Ce fut à peine s'il reconnut sa voix, tellement les sanglots la déformaient. Les pouces sous le menton, Dumbledore affectait une componction de circonstance, sans paraître ému le moins du monde.

« Depuis la nuit où Severus Rogue est revenu d'entre les Mangemorts, répondit calmement ce dernier. C'est lui qui nous a révélé l'existence des Horcruxes. Et en gage de sa bonne foi, il nous a remis le médaillon. Si nous avons tardé à porter ces informations à votre connaissance, c'est parce qu'il nous a paru important de nous assurer, au préalable, de la véracité de son récit. »

Sirius attrapa le bord de la nappe pour s'en tamponner les yeux.

« Avant de mourir, mon frère... a-t-il... souffert ? »

Le silence qu'observèrent les deux hommes en réponse à sa question se passait de commentaire. Mais pourquoi avait-il cherché à savoir ? Son regard embué rencontra celui, dissymétrique, de son instructeur, qui, sous ses cicatrices, semblait désolé ; soit ce rustre était soudainement devenu émotif, soit... il faisait vraiment pitié.

Alors, dans le silence de la nuit, Dumbledore se mit à parler :

« Votre frère a été victime du maléfice de protection de l'Horcruxe. La grotte où son corps a été retrouvé abrite un lac souterrain aux eaux noires, impénétrables et peuplées d'Inferi à la solde de Voldemort. Au milieu de ce lac se dresse une île minuscule : c'est là, au fond d'un bassin ensorcelé, qu'était caché l'Horcruxe. Pour s'en emparer, votre frère a dû vider le bassin, ce qu'il n'a pu faire qu'en buvant la potion qu'il contenait. Cette dernière lui a causé des hallucinations si épouvantables que, pour y mettre fin, il s'est frappé la tête contre le bassin. Une fois qu'il est tombé inconscient, les Inferi l'ont entraîné au fond du lac. »

Sirius laissa tomber son front sur le guéridon, accablé. C'était encore pire que tout ce qu'il avait imaginé. S'il survivait à ces révélations, plus rien ne pourrait jamais l'atteindre. Il sentit Maugrey poser sa main sur son avant-bras.

« Vous ne me demandez pas ce qu'est devenu le véritable Horcruxe ? » repritDumbledore, qui n'était pas homme à perdre le Nord.

Comment pouvait-il, sous son allure débonnaire, être dénué d'empathie à ce point ? pensa Sirius en relevant la tête. En comparaison, même la machine à exécuter les ordres qu'était Maugrey semblait humaine !

« Ce n'est pas en vous lamentant sur votre sort que vous honorez la mémoire de votre frère, fit Dumbledore en riposte à son regard assassin.

– Et que devrais-je faire ? grogna Sirius, à deux doigts de lui cracher au visage. Expliquez-moi.

– Continuer son œuvre, comme lui-même le souhaitait. »

Était-ce la détermination avec laquelle Dumbledore avait prononcé ces quelques mots ? Sirius sentit sa colère se muer en une exaltation féroce :

« De quelle manière ?

– En mettant la main sur le véritable Horcruxe. »

Sirius ouvrit les bras en signe d'impuissance :

« Encore faudrait-il que je sache où il se trouve ! J'imagine que cette fois-ci, Voldemort l'a encore mieux caché...

– Il remue ciel et terre pour le retrouver. D'où l'opération meurtrière du marché aux puces de Camden Town, où une fausse piste l'avait conduit.

– Mais alors...

– Le médaillon de Salazar Serpentard est très certainement en possession de Kreattur, l'elfe de maison de vos parents. Car nous avons la preuve que c'est lui qui a guidé votre frère jusqu'à la grotte. Quelques jours plus tôt, lui-même y avait été laissé pour mort par Voldemort, après lui avoir servi de cobaye pour ses maléfices. Tout laisse à penser qu'avant de mourir, votre frère a demandé à son elfe de placer le véritable Horcruxe en lieu sûr. »

Sirius en resta les bras ballants. C'était un cauchemar et il allait se réveiller. Il ne pouvait pas croire que son frère eût choisi cette chose au faciès repoussant et à l'odeur pestilentielle comme exécuteur de ses dernières volontés. Pourquoi n'avait-il pas plutôt désigné Rogue ? Et d'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, où était-il, ce traître, pendant que son frère mourait dans d'atroces souffrances ?

« Vous devez vous rendre au Square Grimmaurd », entendit-il Dumbledore lui asséner.

Il ne trouva rien d'autre à dire que :

« Pourquoi moi ? Je ne suis pas le seul à savoir me servir d'une baguette.

– User de la force avec Kreattur se solderait inévitablement par un échec. Comme vous devez le savoir, il était profondément attaché à votre frère, n'ayant jamais eu à subir de mauvais traitements de sa part. Il se laisserait tuer plutôt que de révéler l'emplacement de l'Horcruxe.

– Même si vos parents vous ont renié, vous restez leur fils et donc un des maîtres de la maison, intervint Maugrey. De sorte que si, en leur absence, vous vous présentez au Square Grimmaurd et que vous ordonnez à Kreattur de vous conduire à l'Horcruxe, celui-ci n'aura d'autre choix que de vous obéir.

– Mes parents ne sortent jamais, objecta mollement Sirius. Ils ont peur du monde.

– Ils doivent assister après-demain à l'enterrement de votre oncle, trancha Dumbledore. Cela vous laisse deux heures.

– Mon oncle ? » bégaya Sirius.

Alphard était mort ? Et il était censé le savoir ? Le choc fut tel qu'il n'eut pas le réflexe de s'indigner de la brutalité avec laquelle on venait de lui annoncer cette nouvelle.

« Albus, je n'avais pas encore trouvé le temps de lui dire que... », entendit-il Maugrey chuchoter à l'oreille à de Dumbledore.

Mais ce dernier balaya ses scrupules d'un revers de main.

« Nous savons le soutien matériel que votre oncle vous apportait, déclara-il à Sirius, comme si cela aurait dû être le seul motif de sa peine. Mais n'ayez crainte : à partir de maintenant, l'Ordre y pourvoira. »

En vérité, ce qui inquiétait Sirius, c'était surtout que son interlocuteur fût au courant des moindres détails de sa vie privée, y compris des liens qu'il avait conservés, par le truchement d'Alphard, avec sa sulfureuse famille. L'information devait faire tache dans son dossier.

« Vous rendez-vous compte de ce que représente pour moi le fait de revenir là d'où je me suis enfui il y a quatre ans ? parvint-il à articuler.

– Oui », se borna à répondre Dumbledore.

Définitivement, ce vieux renard le mettait à l'épreuve.

Il était près d'une heure du matin lorsque Sirius regagna sa chambre. De guerre lasse, il avait fini par céder. Mais à la seule perspective de devoir remettre les pieds dans la maison de ses parents, il se sentait étouffer. Il redevenait le gosse malaimé et maltraité qu'au fond de lui-même, il n'était pas sûr d'avoir jamais cessé d'être.

Marlene ne dormait pas. Assise dans son lit, elle semblait absorbée par la lecture d'un manuel de techniques de défense contre les forces du mal. Mais Sirius avait la nette impression que c'était un subterfuge pour l'ignorer.

« Tu m'en veux pour tout à l'heure ? demanda-t-il anxieusement.

– J'ai bon espoir de guérir un jour, grogna l'aspirante Auror en giflant une page.

– Guérir ?

– … du stupide amour que je ressens pour toi. »

Sa franchise réduisit Sirius à quia. Il avait beau être un Gryffondor, il n'aurait jamais eu le courage d'avouer ses sentiments, surtout en sachant qu'ils n'étaient pas partagés. Enfin... à supposer qu'il tombât un jour amoureux. Vu le contexte, ce n'était pas près d'arriver, grâce à Merlin ! Quoiqu'en pensât Marlene.

« Pourtant, je ne chôme pas pour te dégoûter..., fit-il avec un petit rire.

– Je crains que ce ne soit, précisément, ta folie et ton total mépris des convenances qui me plaisent tant chez toi. Parfois, j'aimerais être aussi... »

Reposant son manuel sur ses genoux, Marlene chercha le mot :

« Libre...

– Il n'y a rien à envier chez moi », lui répondit Sirius en ôtant ses bottes.

Marlene ne rebondit pas. Elle-même ne se livrait jamais qu'au compte-gouttes, au gré de ses accès de tristesse. Depuis sa liaison avec Theodore, donT elle avait minimisé la radicalisation, elle était en froid avec ses parents, un couple mixte se targuant d'être progressiste, mais qui interceptait ses hiboux et surveillait ses fréquentations. C'était pour leur échapper que, sur le conseil d'Alice Londubat, elle s'était inscrite à l'Aurorat – décision que ses parents n'avaient de cesse de lui reprocher, au motif que ce n'était pas un métier pour une femme, surtout jolie comme elle.

« Il voulait te voir pour quoi, Maugrey ? » se décida-t-elle à demander à Sirius.

Elle crevait d'envie de le savoir, évidemment ; c'était ça qui l'avait tenue éveillée. Alors Sirius lui raconta tout, sans fard. Comme il l'espérait, elle écouta et compatit.

S'ils n'étaient pas en couple, ils faisaient la paire, pensa Sirius le cœur plus léger. Deux éclopés affectifs, l'un servant de béquille à l'autre. Une amitié boiteuse. Une amitié malgré tout. Au fond, la seule relation authentique qu'il eût jamais nouée en ce bas-monde. Car à qui d'autre que Marlene s'était-il montré comme il était ? Même vis-à-vis de James, il s'était toujours donné le beau rôle. Il aimait tellement être un objet d'admiration pour les autres, à défaut d'en être un pour lui-même.

Une dizaine de minutes après qu'il eut éteint la lumière, Marlene, qui n'avait pas cessé de se retourner dans ses draps, lui demanda brusquement :

« Tu dors ?

– Évidemment ! fit Sirius avec un sourire qu'elle ne vit pas. Et toi ?

– Tu sais, Dumbledore a raison ; c'est le moment de montrer qui tu es vraiment.

– Qui je suis ? répéta Sirius, avec un rire acide. Tu veux dire, un pauvre type ?

– Mais non, idiot. Un héros. Comme ton frère. »