Malefoy

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Drago passa son avant-bras sur son front. Il était trempé et l'eau de ses cheveux dégoulinait dans ses yeux. La pluie avait commencé à tomber alors qu'il travaillait à l'extérieur avec deux autres camarades. Ils avaient espéré pouvoir se mettre à l'abri mais ce gros balourd d'Hagrid les en avait empêché. Il affirmait que ce n'était pas un peu d'eau qui allait les tuer et qu'ils avaient trop à faire pour s'arrêter.

Quand des éclairs avaient commencé à zébrer le ciel et que la petite pluie s'était transformée en averse torrentielle, le garde chasse avait consenti à les laisser tranquille. Bien trop tard de l'avis du Serpentard. À une certaine époque, il n'aurait pas manqué de clamer haut et fort que son père en entendrait parler. Mais la situation de Drago avait drastiquement changé. Il n'était plus ce garçon privilégié que papa pouvait sauver en toute circonstance. Désormais, son père était derrière les barreaux de la prison d'Azkaban et Drago avait été reconnu coupable et forcé à des travaux d'intérêt général.

— Foutu garde-chasse avec sa foutue tour… marmonna-t-il.

— Tu recommences à te plaindre, Drago, remarqua Timus, son camarade de besogne.

C'était un garçon au teint pâle et aux cheveux bruns. Il était en cinquième année à Serpentard et avant cette semaine, Drago ne lui avait jamais adressé la parole.

— Pas du tout.

— Bien sûr que si, accentua Chester, son autre camarade.

Chester était le jeune frère de Timus. Tous les deux s'étaient portés volontaires pour rénover Poudlard durant les vacances. Alors, ils avaient rejoint Drago pour tenter de réparer la tour ouest du château.

Lors de la bataille de Poudlard, cette tour avait été ravagée par les sortilèges et une bonne partie de l'édifice s'était effondrée.

Dans le cas d'une rénovation normale, il aurait suffi de quelques tours de magie réalisés par des professionnels du bâtiment mais les maléfices qu'avait encaissés la tour empêchaient toute reconstruction magique. Il fallait d'abord déblayer les gravas à la main. Un travail de longue haleine qui demandait une certaine endurance physique.

Au début, Drago avait donc trouvé les deux frères bizarres : qui voudrait, de son plein gré, travailler aussi dur et à la manière des moldus? Puis il avait compris. Sept jours à porter des pierres déliaient les langues et vous rapprochaient.

— Drago! Timus! Écoutez! Vous entendez?

Chester marchait devant les deux plus vieux. Ses chaussures, gorgées d'eau, faisaient un bruit de trompette à chacun de ses pas. Il accéléra la cadence. Le son se répercuta en écho sur les murs de pierre.

— C'est trop drôle!

— C'est hilarant, Chester, ironisa son frère en levant les yeux au ciel.

Drago essuya de nouveau l'eau qui coulait dans ses yeux. Il devait le dire, il devait se lancer.

— Timus?

Le garçon tourna la tête vers Drago, à l'écoute.

— J'ai eu des nouvelles de ma mère ce matin.

— Oh.

Il vit Timus se tendre à ses côtés. Inconsciemment, il ralentit le pas, créant de la distance avec Chester. Le jeune sorcier, toujours focalisé sur ses chaussures, s'éloignait d'un bon pas.

— Elle… Elle n'a jamais entendu ou vu quoique ce soit qui parlait de la famille Hoss, continua Drago à voix basse. Je suis désolé.

— Ah. Bon. (Les épaules de Timus s'affaissèrent, il semblait déçu.) T'as pas à t'excuser Drago, c'est pas ta faute.

— Je sais. Mais, je suis quand même désolé, j'aurais aimé vous aider à les trouver.

— C'est comme ça. Je… Je devrais rejoindre Chester, il serait capable de se perdre ce gros débile.

Effectivement, le plus jeune avait disparu de leur champ de vision, mais ils pouvaient toujours entendre ses chaussures couinantes au loin. Timus se força à sourire à Drago et s'éloigna rapidement.

Drago souffla. Il avait redouté ce moment toute la journée et ne pouvait pas s'empêcher de se sentir coupable. Car Timus et Chester Hoss étaient orphelins. Leurs parents avaient été assassinés par ordre du Seigneur des Ténèbres, l'année dernière. Un crime horrible qui révulsait Drago. Il s'était demandé à plusieurs reprises s'il avait eu connaissance de cette mission donnée par Voldemort. Après tout, son manoir était le QG des opérations. Même s'il n'avait participé à rien, il était présent à certaines réunions, il avait entendu et vu des choses qu'un adolescent de seize ans ne devrait jamais affronter. Connaissait-il les attaquants? Quelques mangemorts étaient toujours en liberté, en faisait-ils partis? Est ce que c'était ces deux mangemorts qui s'étaient présentés au manoir saouls et tachés de sang un soir d'hiver qui avaient réalisés cet acte monstrueux? Ou cette bande de rafleurs bruyants qui étaient venus réclamer une récompense après une mission réussie?

Hélas, Drago avait beau tenter de se rappeler des événements de l'année passée, aucune réponse ne vint. Et sa mère n'avait, apparemment, pas plus d'informations que lui. Alors la culpabilité le rongeait. Il aurait pu faire tellement mieux. Sur combien de situation de ce genre avait-il fermé les yeux?

Drago arrivait à présent dans le hall d'entrée. Il avait hâte de prendre une douche bien chaude et méritée.

La grande porte s'ouvrît brusquement faisant pénétrer une bourrasque de vent qui fit frissonner le blond. Il jeta un œil à la personne assez courageuse pour avoir été dehors par ce temps et s'arrêta net quand il la reconnut. C'était Granger, trempée de la tête au pieds, suivit de prêt par sa valise.

Que faisait-elle là? Normalement, elle ne devait revenir que demain, avec tous les autres . Y avait-il eu un problème?

— Granger?

La jeune femme, qui tentait vainement de refermer la porte en luttant contre le vent, regarda par dessus son épaule. Le sorcier sortit sa baguette de sa poche et la porte se referma dans un claquement. C'était incroyable comme les enfants de parents moldus ne pensaient jamais à utiliser la magie pour ce genre de chose.

— Je… Bonjour Malefoy… Elle le regarda de haut en bas: Qu'est ce qui t'es arrivé?

Drago baissa la tête pour constater de son propre accoutrement. Ses vêtements étaient trempés et tâchés de poussière. Il avait remonté les manches de sa chemise, dévoilant son tatouage sordide, et déboutonné les premiers boutons du col. Il avait les cheveux mouillés, sales et en bataille. Lui qui était toujours tiré à quatre épingle, faisait peine à voir.

Il redressa la tête vers la Gryffondor. Elle n'avait pas meilleure allure. Également trempée par la pluie, ses cheveux bruns collaient à son visage et à son cou. Son pull était devenu difforme sous le poids de l'eau et ses chaussures étaient pleines de boue.

— Tu peux parler, Miss-je-sais-tout, se moqua-t-il.

En réponse à sa pique, un sanglot s'échappa de la bouche de la brune. Ses épaules furent prises de soubresauts. Elle pleurait. Les yeux de Drago s'écarquillèrent de surprise: depuis quand réagissait-elle ainsi? Il la connaissait plus résistante aux moqueries d'habitude. Elle s'avança jusqu'à lui, toujours en pleurant. Une fois à portée de main, elle le poussa une première fois, puis une deuxième puis elle se mit à lui tambouriner la poitrine avec ses poings.

— Je… Je ne suis pas une… une miss-je… je-sais-tout! Stu… Stupide serpent!

Drago, qui était d'abord resté les bras ballants, sous le choc, lui attrapa les poignets pour la stopper. Il se doutait que ce n'était pas véritablement lui qui l'avait mise dans cet état, mais qu'importe la raison, il ne tenait pas à devenir son bouc-émissaire. Elle lui adressa un regard noir mais se laissa faire.

— Bien sûr que si, tu es une Miss je-sais-tout, insista-t-il. Et la plus horripilante que je connaisse. Si tu n'existais pas, je t'inventerais seulement pour le plaisir de pouvoir me moquer de tes manies de première de la classe.

Il ne comprit pas vraiment pourquoi mais sa remarque fit sourire la brune. Le nez rouge et le visage baigné de larmes, elle s'adressa vraiment à lui.

— Je… Je te déteste!

— Moi aussi je te déteste, Granger, sourit-il. Et maintenant, je vais te lâcher tout doucement. Attention, pas de geste brusque.

La jeune femme gloussa. La crise de larme était terminée. Il libéra alors ses poignets. Elle joignit ses mains contre sa poitrine et baissa la tête, gênée. Elle avait vraiment l'air pitoyable ainsi.

— Je ne sais pas ce qui t'es arrivé, et je ne veux pas le savoir. Mais tu devrais aller te prendre une bonne douche avant d'attraper la crève.

— Oui… (Elle releva les yeux vers lui) Pardon pour… tout ça.

Elle fit un vague geste de la main pour englober la situation passée. Ses yeux mordorés accrochèrent ceux gris de Drago. Ils restèrent un instant sans bouger, en silence, à se contempler. Hermione Granger dégageait quelque chose de sauvage ainsi mouillée par la pluie. Ses cheveux et ses cils ressortaient plus foncés à cause de l'eau. Ses yeux, son nez et sa bouche étaient rouges d'avoir pleuré. Il vit ses sourcils se froncer et ses dents mordre sa lèvre inférieure. La situation était étrange, mais pas désagréable. Soudain, l'envie d'embrasser la Gryffondor le saisit. Son corps entier semblait attiré par elle, noyé par des vagues de chaleur alors qu'il s'imaginait happer cette bouche rouge. Inconsciemment, il commença à se pencher vers elle.

Mais elle rompit le contact. La brune cligna plusieurs fois des yeux, comme si elle revenait sur Terre. Elle tourna la tête pour chercher sa valise. Celle-ci attendait toujours en lévitation derrière elle. Elle regarda à nouveau Drago.

— Je ferais mieux d'y aller (elle commença à faire quelques pas). On se voit cette nuit? Pour parler de tu-sais-quoi?

Le blond acquiesça. Le moment était passé, retour à la réalité. C'était Granger, par Salazar, sa pire ennemie! Il devait seulement se servir d'elle pour accéder à plus d'informations concernant sa malédiction. D'ailleurs, Drago avait beaucoup de choses à dire à Granger à ce propos. Il avait eu le temps de lire l'ouvrage qu'elle lui avait passé sur le Felimalis avant les vacances et avait lui-même réalisé quelques recherches. Il avait aussi constaté des changements au moment de sa transformation et avait hâte de le partager avec quelqu'un. Même si ce quelqu'un était la Gryffondor. Il avait eu beaucoup de mal à l'admettre mais depuis qu'elle l'avait surpris dans la tour d'astronomie, il s'était sentit plus apaisé, comme délesté d'un poids trop lourd à porter.

Il la regarda monter les escaliers, un instant. Puis un frisson lui rappela que lui aussi avait besoin de se réchauffer. Un feu de cheminée après la douche ne serait pas de refus.

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Quand Drago entra dans la Salle sur Demande, vers vingt-trois heures, il trouva Granger en train de se ronger les ongles en faisant les cent pas. Elle n'avait pas encore remarqué sa présence.

— Tout va bien? demanda-t-il davantage pour s'annoncer que par réelle inquiétude.

Granger s'arrêta de marcher et lui offrit le sourire le plus faux qu'il n'avait jamais vu.

— Très bien, Malefoy. Alors, tu as lu le livre que je t'ai donné?

— Oui, répondit-il en allant s'asseoir sur le canapé vert, c'était enrichissant, même si j'avais déjà quelques notions sur ce Félimalis.

— Et tu as compris que tu en étais un!

— Exact… Et j'ai toujours du mal à y croire. Cette créature a de tels pouvoirs que ça dépasse l'entendement.

Lors d'une de ses transformations, il avait vaguement réussi à combattre ses pulsions primaires pour s'observer un instant dans une glace. Il avait alors découvert une toute nouvelle apparence.

— Qu'as tu appris exactement?

Drago pencha la tête sur le côté : il rêvait ou elle lui faisait une interrogation surprise? Il s'adossa contre le dossier du canapé, croisa les mains derrière sa tête et regarda le plafond, pensif.

— Eh bien… Je sais ce que j'en ai lu dans le livre que tu m'as donné: que c'est une créature nocturne légendaire, qui n'a pas été recensée depuis une centaine d'années. Qu'elle serait dotée de grands pouvoirs. Notamment qu'elle aurait une maîtrise du feu ou qu'elle serait capable de guérir n'importe quelle blessure magique. Je sais que son sang a des vertus médicinales et que ses plumes renferment une grande puissance magique, les rendant inestimables. Et je sais que c'est pour tout ça que le Félimalis a été chassé en masse par les sorciers avant d'être porté disparu. Honnêtement j'ai un peu de mal à me dire que c'est en cela que je me métamorphose. Je n'ai rien de tout ça hormis une vague ressemblance physique.

— Tu évolues, tu n'as peut-être pas encore atteint ta forme finale… D'ailleurs je me demandais… À quoi ressemblais-tu au tout début?

— Pourquoi veux-tu savoir ça?

— Ta mutation est assez rapide depuis que je t'ai vu la première fois… Tu étais maigre, sans poil ni plume. Assez effrayant pour tout dire. Mais maintenant…

Drago afficha une moue de dégoût à la simple pensée de l'être informe et maladif qu'il avait aperçu dans le miroir, chez sa tante.

— Ta première description correspond assez bien à ce que j'étais les premiers jours.

— Ça voudrait dire que tu as commencé à évoluer seulement depuis quelques semaines… Pourquoi pas avant?

— Je ne sais pas. Il n'y a eu aucun changement dans ma vie. À part la rentrée à Poudlard, peut-être…

Mais il n'y avait aucune sorte de lien. En quoi retourner en cours pourrait bien faire évoluer sa malédiction? Plongé dans ses réflexions, il ne vit pas que Granger s'était agitée. Elle avait recommencé à marcher de long en large.

— Je sais que tu ne crois pas à tout ça mais… Les histoires moldues sur les êtres maudits sont certainement inspirées de faits réels… Malefoy… As-tu développé des sentiments pour quelqu'un?

Quoi?! Quel était le rapport avec leur conversation? Sa mâchoire se crispa, le ton qu'il employa alors devint glacial :

— Cette question n'a pas d'intérêt.

Avait-elle détecté son attirance pour elle quelques heures plus tôt? Il était hors de question qu'il lui avoue. Toutefois, la sorcière ne voulait pas en rester là. Toujours debout, elle croisa les bras.

— Malefoy, si tu veux que je puisse t'apporter mon aide, il faut que tu coopères. Arrête d'être aussi buté!

— Granger, répondit-il sur le même ton qu'elle, à quel moment ai-je demandé ton aide?

Elle se pinça les lèvres, puis leva les mains en l'air.

— Très bien, je vais te laisser alors… Moi qui pensait qu'on avait dépassé ce stade…

Elle commença à marcher vers la porte. Bordel, il ne pouvait pas la laisser partir. Elle avait raison. Ils avaient passé ce moment où il prétendait se débrouiller seul. Sa présence lui était bénéfique. Et il devait toujours la convaincre de lui laisser l'accès à la Réserve.

— Attends! Tu as raison… Reste.

Il la vit sourire de satisfaction avant qu'elle ne se force à adopter un visage impassible et à revenir à l'endroit où elle se trouvait. Elle s'installa en tailleur sur le tapis, face à lui. Elle lui adressa un air intéressé, toute ouïe.

— Quoi? demanda-t-il, un peu perdu.

— La réponse à ma question… As-tu des sentiments pour quelqu'un? s'exaspéra Hermione.

— Pourquoi? Quel intérêt de savoir ça?

— Réponds simplement à la question!

— Je n'ai pas envie de parler de ça avec toi, Granger.

Qu'est ce qu'elle cherchait à la fin? Ils n'étaient pas assez proches pour s'épancher sur leur vie sentimentale. Il y avait une limite!

— J'aimerais simplement vérifier une théorie, Malefoy. As-tu des sentiments pour quelqu'un depuis la rentrée?

— Non! Par Salazar! Je n'aime personne!

Drago observa Granger, la mettant au défi de le contredire. Mais la Gryffondor se contenta d'hausser les épaules.

— Si tu le dis…

— Bien sûr que… Rah! Tu es vraiment exaspérante.

Il se pinça l'arrête du nez. Il avait vraiment l'impression de perdre son temps avec elle. Une vraie torture… Une torture, la douleur… Une pensée commençait à germer dans son esprit.

— J'ai remarqué une autre différence, ajouta le Serpentard, hésitant. Avant, la transformation était une vraie séance de torture… Enfin, ça l'est toujours mais c'était pire. Je perdais connaissance à chaque fois. Depuis un mois, je suis parfaitement conscient. J'ai aussi l'impression que ça dure de moins en moins longtemps.

Il se releva d'un coup. Par merlin… Est ce que ça pouvait signifier qu'il se rapprochait du but involontairement? Il commença à marcher à travers la pièce, pensif. Hermione le regarda faire, intriguée. Il avait passé l'été à souffrir le martyr, sans aucun changement physique. Et en un mois, tout avait été bouleversé. Il se repassa l'extrait de poème en tête. Il l'avait lu tellement de fois, qu'il le connaissait par cœur :

« Par trois fois la sentence tombera,

Son corps, chaque minuit, se tordra

Le monstre alors se réveillera,

Et au jour levant s'évanouira.

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Assoiffée et affamée,

La bête hideuse…

Qu'ils libéreront la créature

De toute forme de torture.»

Il était en train d'être libéré, sa torture s'atténuait de jour en jour. La professeur Solar avait parlé de pardon dans son cours sur les malédictions… Granger faisait des allusions sur ses sentiments… Son regard se porta sur la sorcière : est ce qu'elle pouvait avoir un lien? Il avait commencé à lui parler. Il lui avait confié ses secrets bon gré mal gré. Il s'était même senti apaisé chaque fois qu'elle assistait à sa métamorphose… Drago passa son pouce sur sa chevalière, symbole de la maison Malefoy. Non, impossible! Ce genre de supposition farfelue ne le mènera nulle part. Ce qu'il lui fallait c'était des réponses claires. Réponses que Granger refusait de lui apporter. La colère remplaça le doute.

— Malefoy?

Granger s'était levée et rapprochée de lui. Cette sang-de-bourbe qui ne comprenait rien à rien allait subir sa rage.