I don't dare shut my eyes
I don't wanna miss a thing
I don't wanna let you down
I don't wanna disappoint me
I won't stop looking at others
Thinking that's where I should be
I'm trying to enjoy myself, love myself
Who the fuck is myself?

Jason manque renifler si fort que ça le ferait loucher quand l'autre se proclame un héro – parce que, très franchement, quand t'as eu l'occasion de voir la photo du gars, tu croirais pas. Un héro qui se balade avec un décolleté dans la combi en latex ou cuir ou il sait pas quoi qui est tellement, mais alors tellement moulante que tu peux lui deviner la religion sans problème ? Vu le nombre de dégueulasses qui aimeraient bien lui glisser un billet de cinq dollars dans la ceinture, Nightwing fait plutôt figure de chippendale, et même pas un qui soit chicos et donne envie d'assister à une soirée de la haute avec lui à votre bras, il en fait juste trop, il en montre trop.

Peut-être que c'est sa solution pour éviter qu'on le reconnaisse, que c'est pour ça qu'il se permet de vadrouiller dans les rues sans rien d'autre qu'un masque fin sur la figure qui ne planque pratiquement rien que la couleur de ses yeux. Si la faune locale est déjà en train de baver furieusement devant vos fesses et vos abdos, personne ne va loucher sur votre gueule et plus tard se dire que c'est marrant, mais ce fou furieux qui tabasse les criminels en loucedé ressemble vachement au type que Brucie Wayne a ramené dans son Manoir sur un coup de tête depuis plusieurs années.

Jason ne pipe mot, parce que y en a qui se vexent dès qu'on leur fait remarquer qu'ils se fagotent comme si leur boulot c'est de tapiner à des heures indécentes, et y en a qui aiment ça, et l'ancien garçon des rues n'est pas sûr de savoir quelle option le gêne le plus.

Pour sa part, Nana non plus n'a pas l'air impressionnée.

« Je le sais bien, baba t'a pris sous son toit. La Ligue fait cela aussi, recruter des combattants à fort potentiel quand ils les dénichent. »

Tronche catastrophée non seulement pour le bonhomme qui se trimballe une insulte en guise de blaze, mais aussi pour Bruce. Ce qui… se comprend, vu que Nana ne cause pas beaucoup de sa situation avant de finir chez son père avec un petit frère en prime, mais Jason n'est pas stupide et il en a deviné assez pour comprendre que c'était pas joyeux.

Bon sang, cette fille est une véritable terreur. Elle refuse de se déguiser en chauve-souris, mais elle imite drôlement bien Batman, à cogner pile là où ça fera un mal de chien et impossible d'oublier le bleu pendant la moitié de l'année à venir.

« Anastasia » intervient justement le bougre en question, soigneusement immobile, on dirait qu'elle a un flingue en main et n'attend qu'un cil qui papillote venant de lui pour lui fournir un trio de narines supplémentaires dans la poitrine, « est-ce que… tu penses que j'ai recueilli Richard seulement pour en faire un apprenti ? »

La fille cligne des yeux, lentement. Jason apprend ses tics un à un, il apprend à la lire comme il a appris marmot à lire le plan de l'immeuble et du quartier, à lire les horloges avec leurs aiguilles au lieu des chiffres clignotant en rouge ou vert au-dessus de la devanture des magasins et des pharmacies, et il pense pouvoir affirmer qu'elle réagit ainsi parce que la question lui échappe. Une poule qui a trouvé une cravate, c'est l'expression employée par la maman de Superman, et elle saurait vu qu'elle en a dans son jardin, des poules.

« Pour quelle autre raison ? Personne ne s'encombre d'un enfant à moins d'y trouver une utilité. En passant, quand va-tu commencer notre entraînement, à moi et Jason et Damian ? C'est fort aimable de nous laisser nous habituer à la maison, mais cela fait des mois maintenant et la patience finit toujours par disparaître. »

De l'entraînement ? Ça signifie quoi, ça ? Une minute, Nana vient vraiment d'accuser Batman de vouloir – un nouveau Robin ? Il doit s'agir de ça, vu que le premier a décidé de foutre le camp dans une autre ville, avec une autre bande de gugusses en latex coloré, et quand on a l'habitude de bosser en équipe, on se retrouve bien emmerdé à la jouer cavalier seul une fois largué. Oui, ça se tient.

Et puis, Jason mentirait s'il disait que la perspective de devenir Robin ne lui fait pas un tout petit peu envie. Batman est terrifiant, pour les putes et les mioches autant que pour les braqueurs et les dealers et les maquereaux, mais Robin ? Les criminels le trouvent exaspérant, d'accord, et les minettes sur le trottoir froncent les sourcils quand elles causent de ce marmot qui un de ces jours va rater une acrobatie et se retrouver victime de la gravité, ou se prendre une balle perdue ou un coup de surin dans la tête ou le bide, mais les gamins des rues, ces mômes qui piaillent d'excitation après le bref aperçu d'une cape jaune passant d'un immeuble à l'autre ?

Quel marmot n'a pas rêvé d'être Robin, à un moment ou un autre ? Que ce soit pour pouvoir casser la figure à tonton au lieu de se prendre une raclée, ou juste pour épater les copains en marchant sur les mains après un saut périlleux ? Seulement, ça restait un rêve, vu que Robin est le partenaire de Batman, et bien entendu Batman n'ira pas ramasser un titi des rues pour lui demander de l'aider à coller des sueurs froides aux gens pas respectables et leur faire passer des nuits blanches.

Ou si, finalement ? Jason considère Bruce d'un œil nouveau, curieux et acéré.

Bruce a juste réussi à virer encore plus pâle que d'ordinaire. Il frôle le verdâtre, en fait.

« Tu – Anastasia, ce n'est pas ça du tout » il bafouille, ou pas exactement, la voix faible comme quelqu'un au bord du malaise parce qu'il a rien bouffé depuis le matin de la veille. « Je ne veux pas de soldats, je veux que tu puisses jouer de la musique et que Jason fasse des études à l'Université et que Damian remplisse des cahiers de coloriages, rien d'autre. »

Oh. Jason éprouve une bouffée de déception – parce que Robin, tout de même – mais d'un autre côté, l'Université pour lui ? Quand ça coûte les yeux de la tête, oui mais Bruce a du fric à ne plus savoir qu'en faire, des montagnes de sous qu'il claque en charité et dans ses entreprises alors il peut bien offrir l'Université à un mioche ramassé dans le caniveau si ça lui chante, du moment que Jason bosse assez pour atteindre le niveau suffisant, et ça s'annonce haut, plus haut que l'Everest et le sol menace de vaciller sous ses pieds alors qu'il rumine ce possible futur.

Grayson a un brin sursauté tandis que Nana parlait, mais il s'est détendu quand Bruce a répondu. Sauf que ses yeux restent un peu pincés, un peu froids sur les bords, soupçonnant un coup fourré qui attend son heure pour lui ruiner la semaine.

Nana – penche la tête sur le côté. Son air assommé, perdu, ne s'est pas arrangé du tout.

« Mais c'est pas utile, ça » elle proteste.

Bruce est à genoux maintenant, devant sa fille, les bras levés comme s'il veut la toucher, l'étreindre, mais ses mains hésitent à faire contact, à se poser sur le dos fin, alors elles restent en l'air, suspendues au-dessus des épaules de Nana.

« Je n'ai pas besoin que vous soyez utiles » il dit, presque une plainte. « Juste que vous soyez bien chez moi. »

« Oh » elle fait, d'une voix riquiqui, une voix de souris ou de fourmi, tellement c'est petit, presque impossible à entendre, toujours aussi paumée, parce que malgré les explications le monde continue de marcher à l'envers et elle voudrait que ça arrête, merci beaucoup.

Sauf que le monde ne s'arrête pour personne, même pas les filles de milliardaires.

But they keep telling me
"You've got your whole life ahead of you, baby
Don't worry, don't stress, do your best"
What if that doesn't save me?
They say, "If I could go back, if I was still young
I would've cared less, made more mistakes to learn from"
But you didn't 'cause you had your whole life ahead of you, baby

Pour ce chapitre, vous avez droit à You've Got Your Whole Life Ahead of You Baby par IDER.