Chapitre 10 : l'écho de la mort

Dans le calme du TARDIS, le murmure constant des moteurs semblait imprégner l'air, créant une mélodie douce et apaisante, presque hypnotique. Pourtant, ce confort apparent contrastait violemment avec l'agitation qui bouillonnait en Alwen. Assise sur le canapé, elle paraissait figée, le regard perdu dans l'infini du temps, au-delà des murs du vaisseau. Ses yeux, vides, étaient fixés sur un point invisible, témoin d'une guerre silencieuse à l'intérieur d'elle-même.

Les lumières tamisées baignaient la pièce dans une chaleur familière, mais même cet espace, ce sanctuaire intemporel, ne pouvait protéger Alwen des ténèbres qui l'envahissaient. Les pensées tourbillonnaient dans son esprit, comme des fantômes du passé refaisant surface, grattant, hurlant, demandant à être libérés.

De l'autre côté de la pièce, le Docteur l'observait en silence, ses cœurs alourdis par l'angoisse palpable qui imprégnait l'air. Depuis leur première rencontre, elles avaient parcouru tant de mondes, traversé des dangers, partagé des moments de lumière, mais aussi des instants où les ombres semblaient vouloir engloutir Alwen. Aujourd'hui, ces ombres étaient de retour, plus sombres et plus intenses que jamais.

Alwen serra ses mains sur ses genoux, ses doigts blanchis par la pression qu'elle exerçait inconsciemment. Son corps entier semblait tendu, à l'image d'un ressort prêt à se rompre. La tension dans ses épaules, la raideur de son dos, tout indiquait un combat intérieur que même elle peinait à comprendre. Ses lèvres se crispèrent, tremblantes, alors qu'elle se battait contre les vagues d'émotions. Finalement, incapable de contenir plus longtemps le poids de son fardeau, elle murmura, sa voix brisée perçant le silence : « You know… I never really talked about it… »

Le Docteur resta immobile, captant chaque inflexion dans le timbre d'Alwen, prête à entendre cette confession. Ses yeux hazel brillaient d'une compassion muette. Elle savait que ce moment n'était pas une simple confidence. C'était une libération, une exorcisation des fantômes qui hantaient Alwen depuis bien trop longtemps.

« The first time I killed someone… I didn't even know I couldn't die. I thought Rose Tyler had just… brought me back. Saved me. » Sa voix vacilla, comme si elle avait dû se battre pour prononcer chaque mot. Alwen baissa les yeux, revivant ce moment. Ce n'était pas qu'un souvenir ; c'était une blessure, encore ouverte, suintant la douleur et le désespoir. Elle inspira profondément, mais même l'air semblait lourd, difficile à avaler. « I thought if I died again, that'd be it. »

Le Docteur pouvait sentir la fissure dans la carapace d'Alwen. Derrière sa force apparente, elle voyait l'enfant effrayée, l'âme brisée par une expérience trop lourde pour être supportée seule. Elle s'approcha légèrement, comme pour montrer qu'elle était là, mais sans jamais envahir l'espace d'Alwen.

« I was alone, somewhere in the outskirts of a war-torn city, a few months after Satellite Five. » La voix d'Alwen s'enrouait à chaque mot, la ramenant à cette époque où tout avait changé. Ses mains tremblaient visiblement maintenant, et ses yeux s'assombrissaient, habités par une terreur d'un autre temps. « He had a knife. I didn't know what to do. I didn't know how to fight back… but I grabbed a rock, and I… I hit him. Again. And again. Until he stopped moving. »

Alwen s'interrompit, sa respiration saccadée. Ses doigts, tachés de ce souvenir sanglant, semblaient encore sentir le poids de la pierre, la résistance de la chair, la vie qui s'échappait de l'homme à chaque coup. Les yeux du Docteur ne la quittèrent pas, remplis d'une tendresse infinie, mais aussi d'une compréhension silencieuse. Elle savait ce que c'était que de porter le fardeau de la mort. Elle savait ce que c'était que d'avoir du sang sur les mains.

« I thought I had no choice. » continua Alwen, son ton plus faible, comme si chaque mot la vidait un peu plus. « It was him or me. I didn't know I could have just… let him kill me. That I would have come back. But in that moment… I was so scared. So terrified of dying again. »

Ses yeux, à moitié fermés, trahissaient la profondeur de cette peur. Une peur viscérale, une peur qui avait transcendé le temps et l'espace. Ce n'était pas seulement la mort qu'elle redoutait, mais l'abîme qui l'attendait, cet écho éternel du néant. « I could still feel the cold from before, the darkness when Rose pulled me back. And I didn't want to go through that again. »

Le Docteur s'approcha doucement et s'assit à côté d'elle. Elle ne dit rien, mais posa sa main sur celle d'Alwen, un simple geste de réconfort, comme pour lui dire sans mots qu'elle n'était plus seule. Que cette lutte, cette douleur, ne serait plus portée uniquement par elle. Le poids des souvenirs était immense, mais ensemble, elles pouvaient les porter.

Alwen ferma les yeux, les larmes qu'elle avait contenues si longtemps commençant à couler, silencieuses. « After he was dead… I looked at my hands. They were covered in blood. His blood. And I felt nothing. Just… relief. That I wasn't dead. » Sa voix se brisa, et un rictus amer se dessina sur ses lèvres. Elle se souvint de cette froideur, de cette déconnexion qui l'avait saisie. « I didn't even realize what that made me. I was so caught up in surviving, in making sure I wouldn't die again, that I didn't care. »

Alwen souffla. « That was the first time » reprit-elle, sa voix plus basse, comme si chaque mot la coupait. « After that… it didn't matter anymore. I started to think that maybe this was who I was supposed to be. A survivor. A killer, if that's what it took. Because if I didn't fight, if I didn't kill… I would be sent back to that darkness. And I couldn't face that again. »

Le silence retomba dans le TARDIS, mais cette fois, ce n'était plus le silence pesant de la souffrance non dite. C'était un silence partagé, où la présence du Docteur, silencieuse mais forte, enveloppait Alwen d'une douceur réconfortante. Elle n'avait pas de réponse à offrir. Pas de mots magiques pour effacer les horreurs du passé. Mais elle était là. Toujours là.

Et pour Alwen, c'était peut-être suffisant pour faire face à l'écho de la mort.