Prologue
"Dans la chaleur de leur grand terrier, vivait toute une famille de renards", lut Harry à haute voix en mettant le ton pour que l'enfant sur ses genoux puisse suivre l'histoire.
Le petit garçon en question était plus occupé à faire des bulles avec sa bouche et à émettre des gazouillis qu'à écouter réellement son parrain lui lire un livre, mais il était clair que tous deux profitaient pleinement de ce moment de complicité.
Harry sentait les cheveux roses de Teddy lui chatouiller le nez. Jetant un regard circulaire sur les alentours, il trouva que le parallèle entre l'histoire et son environnement était frappant. Les Weasley étaient tous affairés à leurs occupations dans leur nouvelle maison fraîchement bâtie pour remplacer l'ancienne, détruite il y a deux ans de cela pendant la guerre.
Le crépitement du feu dans l'âtre apportait une ambiance chaleureuse à la pièce. Molly s'activait en cuisine, préparant un festin dont les arômes alléchants se répandaient dans toute la maison. Arthur, plongé dans la réparation d'un vieil objet moldu, souriait en écoutant les rires qui résonnaient autour de lui.
Hermione et Ron étaient présents eux aussi, quelque part dans l'immensité de la demeure, probablement absorbés par les révisions que la jeune femme entreprenait en vue d'entamer ses études supérieures. Tous deux avaient poursuivi leurs études après la guerre, à l'inverse de Harry qui n'avait pu retrouver une existence normale comme ses deux meilleurs amis. À Sainte-Mangouste, on lui avait diagnostiqué un sévère stress post-traumatique et prescrit de longues vacances, loin du tumulte politique et des assauts des journalistes. Il ne voyait plus que sporadiquement ceux qui avaient toujours été des phares dans sa vie tumultueuse.
Hermione nourrissait de vastes ambitions pour réformer le système politique sorcier d'Angleterre, et Ron était sur le point de devenir le premier Auror de sa promotion. Sans Harry pour lui faire de l'ombre et lui ravir la vedette, le jeune rouquin s'était forgé une solide réputation au sein de sa brigade, et le Département des Aurors ne tarissait pas d'éloges sur ses talents et ses réflexes de mage.
Harry se réjouissait que ses deux meilleurs amis puissent mener leur vie malgré toutes les atrocités qu'ils avaient traversées durant leur scolarité, et ne leur tenait aucune rancune de ne pas lui rendre visite aussi souvent qu'il l'aurait souhaité pour se sentir soutenu et entouré en cette période. Le fait d'être devenu le parrain de Teddy lui avait offert un moyen de s'oublier lui-même et ses tourments, afin d'offrir à son filleul l'enfance qu'il n'avait pu connaître.
Les premières semaines avaient été complexes, entre l'apprentissage du changement des couches, le rot à faire après le biberon, et toutes ces petites choses dont un adolescent de dix-sept ans n'a aucune idée. Pourtant, c'était bien là ce dont Harry avait dû se préoccuper durant ses longs mois en Écosse, loin de la foule et à l'abri des regards indiscrets, dans la charmante demeure d'Andromeda Tonks.
La famille Weasley, endeuillée par la perte d'un fils, avait récupéré une petite chaumière exiguë après la destruction de leur maison, et Harry s'y était senti de trop. Andromeda avait alors naturellement proposé à Harry de les rejoindre, elle et Teddy, afin qu'il mène à bien sa mission de parrain. Le jeune homme s'était ainsi retrouvé avec la plus étrange des familles recomposées en l'espace de quelques semaines.
La seule obligation à laquelle il s'était soumis à contrecœur était de s'occuper des funérailles de feu son ancien professeur de potions, Severus Rogue. Étonnamment, Harry avait été inscrit en second dans son testament, juste après Draco Malfoy. Qui aurait pu croire que Draco était le filleul du maître des potions ? Hélas, comme ce dernier avait été envoyé à Azkaban pour de nombreuses années, il incombait à Harry d'hériter de la difficile tâche d'organiser les funérailles d'un homme qui l'avait détesté toute sa vie. Peut-être Severus avait-il eu une idée du sort qui attendrait son filleul à la fin de la guerre, d'où le fait d'inscrire Harry comme héritier. Ce dernier s'était plié au devoir de respecter la mémoire d'un homme qui avait donné sa vie pour lui, ou plutôt, pour l'amour de Lily Evans.
Le testament de Severus Snape était empreint d'une sobriété presque austère. Il avait stipulé qu'il souhaitait être inhumé sous un vieil orme centenaire, avec pour seule marque une pierre tombale dépourvue de toute épitaphe ou fioriture. Pas de discours, pas de fleurs, simplement le silence et l'ombre des branches pour veiller sur lui.
En plus de ces instructions funéraires, Harry avait hérité d'une petite fiole contenant un liquide argenté traversé de stries dorées, que même Hermione, malgré toute son érudition, n'avait pu identifier. Sur le verre, collée de travers, se trouvait cette simple phrase, fort peu caractéristique du maître des potions méticuleux qu'avait été Severus Rogue : « Buvez-moi ».
Deux ans auparavant, Harry avait hésité à consommer cet étrange héritage.
« Franchement, je n'ai pas confiance », avait déclaré Ron en croisant les bras, une moue méfiante sur le visage. « C'est peut-être une sorte de Felix Felicis... mais à l'envers. »
Hermione avait levé les yeux au ciel. « Ron, la Felix Miseris n'existe pas. Et même si elle existait, ce serait une potion hautement illégale et dangereuse. La Felix Felicis est déjà suffisamment toxique ; un surdosage peut entraîner des effets catastrophiques. »
« Peut-être que Rogue a inventé une potion spéciale juste pour toi, Harry », avait suggéré Luna d'une voix douce, ses yeux rêveurs fixés sur le flacon scintillant. « Après tout, il était très doué pour créer des choses inédites. »
Harry avait soupiré, le regard perdu dans les reflets dorés qui pétillaient à l'intérieur de la fiole. « C'est bien ma chance. Une potion mystérieuse léguée par un homme qui m'a détesté pendant des années. Qu'est-ce que je suis censé en faire ? »
« Il ne t'a jamais vraiment estimé en potions », avait fait remarquer Luna. « Il pensait probablement que le nom ne te dirait rien. Il te voyait comme un Gryffondor impulsif, sans réaliser qui tu étais vraiment. Peut-être espérait-il que tu suivrais simplement la consigne, sans te soucier de ce qu'elle contient. »
« C'est complètement irresponsable ! » s'était exclamé Ron, les sourcils froncés. « Tout le monde sait qu'on ne boit pas une potion sans en connaître le nom. »
« Ou qu'on n'accepte pas de chocolats d'inconnus... » avait ajouté Luna avec un clin d'œil malicieux.
Ron avait rougi à l'évocation de son empoisonnement, avant de se tourner vers Harry. « Je ne toucherais pas à ce truc si j'étais toi. »
Hermione avait posé une main rassurante sur le bras de Harry. « Je suis d'accord avec Ron. Nous devrions l'analyser d'abord. Je peux demander à McGonagall l'accès au laboratoire de potions avancées à Poudlard. Peut-être pourrions-nous découvrir de quoi il s'agit. »
« Ou demander à Slughorn », avait suggéré Ron. « Il adore ce genre de mystères. Et puis, il t'apprécie bien plus que Rogue ne l'a jamais fait. »
Harry avait hoché la tête, bien que son regard restât fixé sur la fiole. Une part de lui était tentée de suivre l'instruction simple et directe : « Buvez-moi ». Après tout, Rogue avait sacrifié sa vie pour lui. Peut-être était-ce un ultime geste de réconciliation ou un message cryptique.
« Tu ne vas quand même pas la boire, n'est-ce pas ? » s'était inquiété Ron en voyant l'expression pensive de son ami.
Harry avait esquissé un léger sourire. « Pas tout de suite, en tout cas. Je préfère éviter de me transformer en crapaud géant ou pire encore. »
« Ce serait fâcheux », avait commenté Luna avec sérieux. « Les crapauds géants ont une vie sociale très compliquée. »
Après avoir confié le flacon à Slughorn, Harry avait attendu plus de deux années sans obtenir de nouvelles concernant la mystérieuse potion qu'il contenait, allant même jusqu'à en oublier l'existence, tant il était absorbé par l'éducation de Teddy. Chaque jour était une aventure avec son filleul : les premiers mots balbutiés, les premiers pas chancelants, les éclats de rire partagés. Ces moments précieux avaient rempli sa vie d'une joie nouvelle, lui permettant de trouver un certain équilibre après les tumultes du passé.
Puis, en cette veille de Noël, le vieux maître des potions était venu le retrouver devant la cheminée du Terrier.
Refermant le livre d'histoires qu'il lisait à Teddy, Harry laissa le petit garçon trottiner vers les biscuits fraîchement cuits par Molly, ses cheveux changeant de couleur au gré de son excitation.
Observant son filleul avec tendresse, Harry fit signe à Slughorn d'approcher.
«C'est une énigme à laquelle je n'ai pas de réponse», soupira le vieil homme, dont l'orgueil semblait blessé à la mesure de son ignorance. Il tenait la fiole délicatement entre ses doigts boudinés, la lumière du feu se reflétant dans le liquide iridescent. «Jamais je n'ai vu une telle combinaison d'ingrédients dans une potion. C'est une création totalement inédite.»
Intrigué, Harry se redressa sur son siège. «Vous avez réussi à l'analyser ?»
Slughorn acquiesça, bien que son expression demeurât soucieuse. « Des composants des plus singuliers», reprit-il. «Des pétales de mandragore lunaire, récoltés lors d'une éclipse; des larmes de phénix cristallisées; de la poudre d'étoile filante; et, plus surprenant encore, une essence rare de miroir de mémoire. Chaque ingrédient est en soi extrêmement rare et puissant, mais leur association est... déroutante.»
Harry fronça les sourcils, tentant de se remémorer ses cours de potions. «Qu'est-ce que cela signifie ? Quels effets pourrait avoir une telle potion ?»
Slughorn secoua lentement la tête. «C'est là tout le mystère. La mandragore lunaire est réputée pour ses propriétés de liaison entre le monde des vivants et celui des esprits. Les larmes de phénix possèdent des vertus curatives et régénératrices sans pareilles. La poudre d'étoile filante est utilisée pour altérer le temps et la perception de la réalité. Quant à l'essence du miroir de mémoire, elle est censée refléter l'âme de celui qui la consomme.»
Il marqua une pause, l'air profondément pensif. «De plus, la structure de la potion suggère qu'elle est conçue pour être bue en sept gorgées distinctes. Chaque gorgée semble activer une réaction spécifique. C'est comme si la potion était programmée pour déclencher une série d'effets successifs.»
Harry sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine. «Sept gorgées ?»
Cette précision lui rappelait douloureusement les Horcruxes, et il trouva cela de très mauvais goût. Le teint pâle de Slughorn indiquait qu'il partageait ce malaise.
Le professeur hocha gravement la tête. «Les potions nécessitant une ingestion fractionnée sont extrêmement rares et d'une complexité redoutable. Cela révèle une intention très précise de la part du créateur. Je dois avouer que, malgré toute mon expérience, je n'ai jamais rencontré une telle concoction.»
Harry prit une profonde inspiration, tentant de maîtriser l'inquiétude qui montait en lui. «Que me conseillez-vous de faire ?»
Slughorn le regarda avec une gravité inhabituelle. «La décision vous appartient, Harry. Mais je vous recommande la plus grande prudence. Si vous envisagez de consommer cette potion, assurez-vous d'être entouré de personnes de confiance et dans un environnement sécurisé.»
Harry acquiesça distraitement, ses pensées déjà ailleurs. Il remercia Slughorn et glissa la fiole dans sa poche intérieure.
Vous vous en doutez peut-être, mais Harry fit tout le contraire de ce qui lui avait été conseillé, craignant d'inquiéter ses amis ou de les mettre en danger. Andromeda avait décidé d'emmener Teddy aux États-Unis pendant les fêtes, afin de le présenter à la branche américaine de son défunt mari. Harry avait préféré rester en Angleterre, aspirant à un peu de solitude pour la première fois depuis deux ans.
La relation avec Ginny s'était étiolée avec le temps. Elle lui avait reproché d'être trop jeune pour assumer l'éducation de Teddy, estimant qu'il sacrifiait sa jeunesse et leurs projets communs. Elle ne l'avait pas compris, ne s'était intéressée qu'au héros auréolé de gloire, sans percevoir l'homme derrière les cicatrices, celui qui avait dû grandir trop vite. Il était hors de question pour Harry de laisser Teddy connaître le sort d'orphelin qu'il avait lui-même subi. Il s'était donc engagé corps et âme dans ce rôle, même si cela signifiait mettre sa vie personnelle entre parenthèses. Encore une fois…
Ainsi, le voilà, jeune célibataire de dix-neuf ans, bientôt vingt, dans une petite chaumière isolée en Écosse. La neige tombait en flocons épais, recouvrant le paysage d'un manteau immaculé. Le silence environnant n'étant perturbé que par le souffle du vent glacial.
Harry sortit la fiole de sa poche, la contemplant avec une intensité renouvelée. Son cœur battait la chamade, partagé entre l'appréhension et la détermination.
Il se remémora les paroles de Slughorn, les mises en garde, les incertitudes. Mais une voix intérieure le poussait à aller de l'avant. Peut-être cette potion contenait-elle des réponses, un ultime message de Severus Rogue, cet homme qu'il avait si mal compris de son vivant.
Se levant, il prépara soigneusement la pièce. Il disposa des coussins autour de lui en cas de chute, vérifia que la porte était bien verrouillée et que personne ne viendrait le déranger. Il s'assura également que sa baguette était à portée de main, prêt à réagir en cas de besoin.
Prenant une profonde inspiration, Harry déboucha délicatement la fiole. Un parfum délicat s'en échappa, mêlant des notes florales et boisées, évoquant à la fois la nostalgie et l'espoir. Il porta le flacon à ses lèvres et but la première gorgée.
Partie I - Première gorgée
La première gorgée eut un goût affreux de médicament. Harry sentit sa tête tourner douloureusement, comme si une graine avait germé dans son crâne et que la plante cherchait à percer la surface. La douleur n'avait rien de semblable à celle provoquée par sa cicatrice, non. Les yeux fermés, la tête entre les mains, il attendait que la souffrance cesse, dans un désespoir qui lui parut durer des heures interminables.
« Monsieur Potter, avez-vous un problème ? » lui demanda une voix de vieille femme qu'il peinait à identifier.
Comment cela était-il possible ? Il n'avait prévu aucune visite pour la journée, et la porte de la chaumière était scellée par des sorts de niveau quatre. Se pouvait-il que son mal de tête l'ait empêché d'entendre les alarmes ? Qui aurait pu percer ses sortilèges de défense ? Un ex-Mangemort venu chercher vengeance ?
Harry retira les mains de ses yeux. La lumière était étrangement blanche, non pas cette blancheur attendue en temps de neige, mais plutôt celle, plus triste et froide, des hôpitaux.
Son regard croisa alors les yeux inquiets d'une femme aux cheveux grisonnants. Elle portait l'uniforme officiel des infirmières de Sainte-Mangouste. Jetant un coup d'œil circulaire autour de lui, Harry s'aperçut qu'il était allongé dans un lit aux draps immaculés, dans une chambre privée. Ainsi donc, la potion qu'il avait ingérée avait causé un tel mal qu'on avait dû le conduire d'urgence à l'hôpital.
« Combien de temps ai-je dormi ? » demanda Harry, essayant de cligner des yeux pour mieux distinguer le visage de l'infirmière sans ses lunettes.
« Je dirais à peine quelques heures », le rassura la vieille femme avec un sourire bienveillant.
Soulagé, le jeune homme se détendit et se laissa glisser sur son oreiller. Il avait craint d'avoir sombré dans un coma profond ou une longue maladie qui l'aurait éloigné de Teddy.
« Qui m'a amené à l'hôpital ? » demanda-t-il en se frottant les yeux, heureux que le mal de tête se fasse de moins en moins tenace.
« Qui ? » répéta la vieille dame, visiblement surprise par sa question.
« Oui, je menais une expérience dans mon laboratoire de potions », expliqua Harry avec le peu de patience qui lui restait face au mal de crâne. « Hermione ou Ron ont dû se douter que je ferais une bêtise, mais qui est intervenu pour m'emmener ici si rapidement ? »
Un silence lourd lui répondit, l'obligeant à ouvrir de nouveau les yeux pour rencontrer le regard confus de l'infirmière.
« Monsieur Potter », articula-t-elle comme si elle s'adressait à un enfant étourdi, « vous êtes ici depuis une semaine déjà. Il vous fallait un bilan médical complet après... après... » Elle semblait très mal à l'aise de poursuivre.
« Après quoi ? » demanda Harry, de plus en plus désorienté.
Après quelques secondes d'hésitation et un regard circulaire pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls, elle se pencha vers lui et répondit à voix basse : « Depuis votre combat avec Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, bien sûr ! ». La vieille femme semblait lui en vouloir de l'avoir contrainte à prononcer ces mots.
«Mais cela fait déjà deux ans que je l'ai combattu...» grogna Harry, incrédule.
L'infirmière l'observa avec un regard où perçaient le doute et la méfiance.
«J'étais venue vous apporter nos examens. Je pense que nous avons raison de vous garder plus longtemps ici jeune homme. Vous avez plus que besoin de repos après cette année de cavale à travers toute l'Angleterre."
«Mais de quoi parlez-vous enfin? Où sont Andromeda et Teddy? s'écria Harry, de plus en plus nerveux face à cette femme qui semblait vouloir le rendre fou.
«Ils sont passés il y a une heure, pendant que vous dormiez. Quel adorable petit filleul vous avez...» dit-elle en roucoulant presque. Puis son visage s'assombrit. «On nous a dit que ses parents sont morts pendant la bataille de Poudlard... Quelle tragédie, si jeune, à peine quelques semaines, et déjà orphelin...»
«Quelques semaines? Mais Teddy a...» Harry ne voulut pas terminer sa phrase. Il commençait à se demander s'il n'était pas simplement en train de subir les effets de la potion qu'il venait d'ingérer.
«Excusez-moi, miss?»
«Miss Persephone Dowell», répondit la vieille femme en levant le menton d'un air pincé.
«Miss Dowell», répéta Harry, le cœur battant. «Pardonnez-moi, mais je perds un peu la notion du temps ici. Quel jour sommes-nous, s'il vous plaît?»
«Aujourd'hui, nous sommes le 9 mai 1998», répliqua-t-elle en jetant un sort de réchauffement sur ses couvertures. «Vous devriez vous reposer encore un peu, monsieur Potter, vous avez une mine affreuse.»
Sur ces mots, elle le laissa seul face à une avalanche de questions.
Dès que la vieille femme eut fermé la porte, Harry se jeta littéralement sur le journal posé sur sa table de nuit. Miss Dowell ne l'avait pas trompé : c'était bel et bien le 9 mai 1998, deux ans dans le passé!
Ainsi, la potion de Rogue l'avait fait voyager dans le temps? Comment le maître des potions avait-il pu concevoir un breuvage si complexe? Pris de vertige, il se laissa retomber sur son lit, mais à l'instant où il s'assit, il sentit un objet dur dans la poche arrière de son pyjama. Avec une grimace de douleur, il attrapa l'objet contondant. C'était la potion de Snape! Mais comment... Après réflexion, il se souvint soudain qu'il avait retrouvé de la même façon la pierre philosophale dans sa poche. C'était la magie de Snape à l'œuvre, sans aucun doute. Fallait-il à présent comprendre en quoi cette date était si pertinente pour le maître des potions? Après tout, n'était-il pas déjà mort à cette époque?
De son côté, Harry avait passé la majeure partie de son temps à Sainte-Mangouste durant la semaine qui avait suivi son combat contre Voldemort. On lui avait fait subir une batterie de tests et d'examens afin que tous puissent être rassurés sur la santé de celui qui était devenu le sauveur du monde sorcier d'Angleterre. Il avait même reçu une lettre de la reine Élisabeth, le remerciant pour ses services ayant préservé la couronne des forces du mal. On pouvait supposer que la reine y voyait davantage une sorte de combat religieux contre le Malin qu'une véritable victoire magique.
Harry ne s'était pas douté que la liste des séquelles qu'il avait subies pouvait être si longue. En plus des nombreuses blessures physiques—coupures, hématomes, céphalées et autres. Iil souffrait également de malnutrition et de carences qui, selon les médecins, risquaient de provoquer un grave retard dans sa croissance. Il n'avait pas osé leur expliquer son enfance désastreuse aux côtés des Dursley et les multiples privations qu'il avait endurées avant même de savoir qu'il était un sorcier.
De plus, il était apparemment atteint de ce qu'on appelle dans le jargon médical un état de stress post-traumatique. Une fatigue morale et psychologique s'ajoutait à sa fatigue physique, certainement due au fait qu'il avait sauvé son école et le monde sorcier de maints périls pendant plus de sept années consécutives. Les infirmières lui avaient strictement interdit de se lever pendant plus d'un mois, le contraignant à un repos absolu. L'hôpital avait eu la présence d'esprit d'interdire toute interview, tout visiteur et tout journaliste indésirable pendant cette période de convalescence, offrant à Harry un répit bien mérité.
En un mois bien tassé, Sainte-Mangouste était habilement parvenue à traiter sa fatigue et sa catatonie grâce à un traitement adapté aux anciens combattants—ce qui était ironique compte tenu de son jeune âge. Les infirmières s'étaient heureusement montrées douces et patientes avec lui jusqu'à ce qu'il soit définitivement guéri et puisse enfin profiter de la paix qu'il avait instaurée dans le monde sorcier.
«Réfléchis», se dit Harry à lui-même en faisant tournoyer le liquide iridescent entre ses doigts, allongé sur son lit d'hôpital. «Pourquoi un homme comme Snape aurait-il voulu que tu te retrouves à cette date précise alors qu'il est déjà mort? À quoi Rogue tenait-il tant, et dont il ne peut plus s'occuper à présent, alors que moi, je le peux encore...»
Le jeune homme réfléchit pendant de longues heures, si bien qu'il se plongea dans la lecture du journal posé sur sa table de chevet pour se remettre au fait de l'actualité de l'année 1998. Ollivander avait rouvert sa boutique de baguettes, tout comme une grande partie des marchands du Chemin de Traverse. Gringotts prétendait que le récent vol dans la chambre forte des Lestrange était dû à un manque volontaire de surveillance en signe de résistance contre le Seigneur des Ténèbres, et que...
Soudain, Harry écarquilla les yeux. Le 9 mai aurait lieu le procès de Draco Malfoy, accusé d'être au service de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, tout comme une grande partie de sa famille. Tous savaient à quel point les Malfoy avaient joué un rôle crucial dans la montée au pouvoir de Voldemort, notamment en lui laissant utiliser leur manoir comme base pour tous ses plans monstrueux visant à plonger le monde sorcier dans le chaos.
À l'époque, Harry était bien trop mal en point pour se présenter à l'audience; il avait espéré que les Malfoy se sortiraient, comme toujours, de ce mauvais pas, grace à leur influence. Mais les circonstances avaient voulu qu'après la guerre, des coupables soient désignés pour que les gens se délestent du poids de leur propre lâcheté. Les Malfoy avaient été tout désignés pour remplir ce rôle. Lucius avait écopé d'une peine à vie à Azkaban, et bientôt Draco irait le rejoindre. Quant à Narcissa, sa santé fragile la conduirait à mourir dans une petite chambre louée du Chemin de Traverse, privée de sa fortune et dans une solitude des plus misérables.
Harry sentit son estomac se nouer à cette pensée. Il avait bien tenté de faire entendre raison à Kingsley Shacklebolt, le nouveau Ministre de la Magie, après sa sortie de Sainte-Mangouste, mais le mal était déjà fait; la justice, aussi imparfaite soit-elle, avait désigné Draco comme un ennemi public numéro un, et les jurés s'étaient félicités pendant de nombreux mois d'avoir mis une telle «vermine» derrière les barreaux. Puis la vie avait continué, et tous avaient oublié le triste sort d'une des familles sorcières jadis les plus influentes de Grande-Bretagne.
Cela tombait sous le sens à présent. Cette potion avait été créée pour que Harry sauve le filleul de Severus Snape : Draco Malfoy.
Peut-être Harry aurait-il dû élaborer un plan avant de se lancer tête baissée dans sa nouvelle mission. Après tout, courir en chemise d'hôpital ouverte dans le dos au milieu du métro londonien n'était pas exactement l'idée qu'il se faisait d'une opération discrète. Jamais il n'aurait imaginé devoir se donner autant de mal pour sauver sa némésis de toujours d'un destin tragique derrière les barreaux. Et pourtant, les regards médusés des passagers, scandalisés par sa tenue pour le moins inappropriée, étaient déjà une épreuve en soi.
Il faut dire que les infirmières lui avaient donné du fil à retordre. Miss Dowell avait même menacé de lui jeter un sortilège de Pétrification s'il ne retournait pas immédiatement dans son lit.
«Mais je dois de toute urgence aller au procès des Malfoy! Ils ont besoin de mon aide!» s'était écrié Harry en tentant de se frayer un chemin.
«Le monde sorcier peut bien se passer de son héros quelques semaines de plus, monsieur Potter. Il faudra parler à votre thérapeute de ce syndrome du sauveur, si vous voulez mon avis», avait rétorqué Miss Dowell, les bras croisés et le sourcil levé.
«J'ai une mission à accomplir, Miss Dowell, je vous en prie, laissez-moi passer!»
«Mais oui, bien sûr, mais avant, il vous faut prendre vos médicaments!» dit-elle avec un sourire mielleux qui ne laissait présager rien de bon.
Échapper à tout le personnel de l'hôpital avait été un défi digne du Tournoi des Trois Sorciers. Trouver autre chose à se mettre que sa charmante robe d'hôpital ouverte dans le dos relevait de la mission impossible, à moins de dérober les uniformes des infirmières—ce qui, il en convenait, n'améliorerait pas sa situation. Tandis qu'une armée d'infirmières furieuses était à ses trousses, il s'était miraculeusement réfugié dans un placard à balais. Cruelle ironie, mais au moins, personne n'aurait l'idée saugrenue de le chercher ici. Du moins, l'espérait-il.
Fouillant dans son esprit à la recherche d'un sortilège ou d'une idée lumineuse pour se sortir de ce pétrin, Harry pensa d'abord à Dobby avec nostalgie. Le brave elfe aurait sans aucun doute pu l'aider et le transporter directement au tribunal des sorciers, tout en lui fournissant une tenue décente. Mais Dobby n'était plus là pour le secourir. Puis un autre visage aux oreilles de chauve-souris lui vint en tête.
«Winky?» appela-t-il à mi-voix, sans vraiment y croire.
Dans un «Pop» caractéristique, l'elfe de maison apparut dans le placard exigu, manquant de le faire basculer sous le choc.
«Hic...» hoqueta l'elfe en titubant légèrement. «Le maître Potter a appelé Winky? Winky répondra toujours à l'appel de l'ami préféré de son Dobby! Hic!»
Harry grimaça en percevant l'odeur âcre d'alcool qui émanait de l'elfe. Winky avait toujours noyé son chagrin dans la boisson depuis qu'elle avait été renvoyée de son précédent emploi, contrainte de travailler dans les cuisines de Poudlard. Mais sa dépendance semblait s'être aggravée depuis que Dobby, le seul elfe qui s'inquiétait pour elle et lui témoignait de l'affection, avait trépassé. Le jeune homme sentit une pointe de culpabilité le traverser en réalisant que le malheur de la petite elfe était en partie de sa faute. Peut-être que ce voyage dans le temps pourrait lui permettre de sauver plus que Draco Malfoy?
Se raclant la gorge, Harry déclara avec le plus de sérieux possible:
«Winky, moi, Harry James Potter, souhaite t'employer. Accepterais-tu de travailler au service de la famille Potter?»
Les yeux de la petite elfe s'écarquillèrent, semblant sur le point de sortir de leurs orbites.
«Maître Harry Potter veut employer Winky? Winky accepte avec joie!» s'exclama-t-elle en s'inclinant si bas que son nez en trompette frôla le sol.
Harry savait qu'Hermione ou même Dobby n'auraient jamais toléré qu'il fasse de Winky son esclave; il avait donc soigneusement formulé sa proposition pour en faire son employée rémunérée.
Un fil de lumière argentée s'enroula autour d'eux, scellant leur accord. C'est alors que Winky éclata en sanglots et, avant qu'il ne puisse réagir, vint se moucher bruyamment sur la blouse d'hôpital de Harry.
«Winky ne boira plus, promis! Winky fera tout ce que le maître voudra!» sanglota-t-elle entre deux reniflements.
Harry soupira, légèrement dépassé par les événements. Il réalisa que lui inculquer les valeurs salariales et l'indépendance ne serait pas une mince affaire. Mais chaque chose en son temps.
Se redressant pour adopter une posture plus autoritaire—autant que possible en chemise d'hôpital—il déclara: «Bien, je ne souhaite pas que tu gâches ta santé avec de l'alcool, Winky. Je veux que tu vives heureuse et longtemps. J'ai grandement besoin de tes services.»
Winky émit un nouveau gémissement, cette fois de joie, et se remit à pleurer si fort que Harry craignit que les infirmières ne les découvrent. Il eut toutes les peines du monde à la calmer, tout en se demandant comment il en était arrivé là.
Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on engageait une elfe de maison alcoolique dans un placard à balais pour échapper à une horde d'infirmières en colère. Mais si cela pouvait l'aider à sauver Draco Malfoy et, qui sait, améliorer le sort de Winky, alors le jeu en valait la chandelle.
«Écoute-moi très attentivement, Winky, il me faut absolument me rendre au tribunal sorcier de Londres. Je dois témoigner en faveur des Malfoy avant qu'il ne soit trop tard.»
Le visage de l'elfe se renfrogna soudainement.
«Les Malfoy ne sont pas gentils, vilains maîtres qui ont été méchants avec Dobby!» lança-t-elle avec véhémence.
Puis, réalisant qu'elle venait de contredire un sorcier, Winky plaqua ses mains sur sa bouche et lui lança un regard horrifié.
«Winky mauvaise elfe! Winky désobéit! Pitié, monsieur Potter l'ami de Dobby, ne me chassez pas! Winky promet qu'elle sera obéissante désormais!» s'écria-t-elle en se remettant à pleurer.
«Tu as le droit d'exprimer ton opinion, Winky», la rassura Harry en posant une main réconfortante sur son épaule. «Narcissa et Draco m'ont aidé pendant la guerre à des moments décisifs. C'est à mon tour de leur venir en aide, tu comprends?»
Les yeux de la petite elfe s'illuminèrent, et après un dernier hoquet rempli de larmes, elle hocha la tête en signe de compréhension.
Winky, encore à moitié saoule, les fit transplaner hors de Sainte-Mangouste avec quelques difficultés. Le tribunal étant protégé par des lois anti-transplanage s'appliquant même aux elfes de maison, elle les fit atterrir dans une ruelle obscure de Londres, à mille lieues de leur destination. Harry ne se plaignit pas; au moins était-il hors des couloirs de l'hôpital, avec une chance réelle d'arriver au procès à temps. Tandis que Winky se rendait invisible à ses côtés, il opta pour le métro, quitte à passer pour un échappé d'asile psychiatrique. Après tout, ce n'était pas entièrement faux.
Arrivé devant le grand bâtiment imposant, dominé par deux statues de griffons d'or symbolisant la justice, il interpella un homme qui ressemblait à un journaliste.
«Je vous échange votre manteau contre une interview exclusive», déclara-t-il, sous le regard ébahi de l'homme.
«Mo... Monsieur Potter?» balbutia le pauvre bougre avec un fort accent américain. «Mais enfin, que faites-vous ici dans un tel accoutrement?»
«Je sors de Sainte-Mangouste pour témoigner en faveur de la famille Malfoy», répondit Harry, commençant à être lassé de cette rengaine. «J'ai besoin de quelqu'un pour raconter les faits afin que le public soit de notre côté. Puis-je compter sur vous, monsieur?»
«Arlo Bloom, du journal Les Balais de Salem», déclara l'homme en ôtant son chapeau avec empressement.
«C'est un journal américain, je suppose?» devina Harry.
«En effet, et ce serait un honneur d'écrire un article sur cette affaire, si vous désirez toujours mes services.»
«Votre manteau?» demanda Harry d'un air suppliant, commençant sérieusement à avoir froid aux fesses.
«Oh, bien sûr!» s'écria l'homme en enlevant prestement son manteau pour l'offrir au jeune sorcier, qui avait maintenant l'air encore plus incongru, vêtu d'un élégant manteau noir par-dessus sa blouse d'hôpital à pois bleus.
«Nous pourrions peut-être vous trouver une tenue plus appropriée», suggéra Arlo, notant son malaise.
C'est à cet instant précis que l'horloge choisit de sonner dix heures.
«Plus le temps!» s'écria Harry en se précipitant à l'intérieur. «Nous sommes déjà en retard!»
Arlo Bloom le suivit, tentant tant bien que mal de sortir un carnet et une plume de sa poche tout en courant. «Attendez, monsieur Potter! Un mot sur votre stratégie de défense? »
«Ma stratégie ? C'est de mettre à nu tous ces prétendus juges qui étaient bien au chaud chez eux pendant que des enfants se battaient à leur place,» grogna Harry, déjà agacé d'avoir ce journaliste collant à ses basques. Mais s'il devait supporter un chroniqueur américain insistant pour augmenter les chances de Draco, il s'y plierait.
Ils franchirent les portes du tribunal, attirant instantanément tous les regards. Un silence stupéfait accueillit l'entrée du Survivant en blouse d'hôpital sous un manteau trop grand, suivi d'un journaliste essoufflé et d'une elfe de maison.
Harry fut étonné de constater que, comme lors de son dernier passage au Ministère, la salle était remplie de Détraqueurs. Il pensait qu'après la chute de Voldemort, cette habitude d'utiliser ces créatures infernales pendant les procès aurait cessé d'elle-même. Visiblement, il avait été trop optimiste. Il pouvait voir le corps courbé de Draco Malfoy au milieu de la pièce, vaincu par l'aura de désespoir des Détraqueurs, tandis qu'une Narcissa toute tremblante attendait son tour pour être jugée. Et dire que Harry avait laissé une telle chose arriver dans sa propre chronologie. Malade ou pas, il n'avait pas d'excuse de ne pas être intervenu, et il remerciait mentalement Snape de lui avoir donné l'opportunité de redresser ses torts.
D'un sort silencieux, il invoqua Prongs, son Patronus, qui illumina la pièce d'une lumière bleutée éblouissante. Le cerf majestueux trotta au centre de la salle, contraignant le public, les juges à se protéger les yeux.
«Vous savez vraiment comment faire une entrée remarquée, monsieur Potter,» déclara le journaliste, un sourire en coin, tentant de rattraper sa plume qui s'était envolée.
Harry se tourna vers le greffier. «Je suis ici pour témoigner en faveur de Draco Malfoy. J'espère ne pas être en retard.»
Le greffier, encore sous le choc, bafouilla : «Non... enfin presque, mais le procès n'est pas encore terminé.»
Avec un hochement de tête respectueux et l'air de rien, comme s'il ignorait totalement qu'il ne portait pas de caleçon, Harry et ses compagnons d'infortune allèrent s'asseoir sur un banc vide dans la salle. Il nota que sa tenue faisait sensation : les chuchotements et les regards étonnés le suivaient comme son ombre.
C'est à cet instant que Harry remarqua le regard gris acier posé sur lui. Draco Malfoy, les mains entravées par des chaînes anti-magie, le scrutait, la bouche légèrement ouverte d'ahurissement.
Leurs regards se croisèrent, et le temps sembla suspendu. Les yeux de Draco, habituellement froids et distants, brillaient d'une lueur mêlant surprise, confusion et peut-être... espoir. Harry sentit une chaleur inattendue monter en lui, comme s'il avait avalé un chaudron de Pimentine. Les traits fins de Draco étaient accentués par la lumière tamisée de la salle d'audience, et malgré la situation, il dégageait une élégance naturelle. Une mèche blonde retombait négligemment sur son front, ajoutant une touche de vulnérabilité à son allure habituelle.
Harry leva le pouce, essayant de le rassurer, maintenant qu'il était là, tout irait pour le mieux. Mais au vu de l'expression incrédule du blond, il n'était pas certain d'être parvenu à l'apaiser.
Le juge frappa son marteau, ramenant tout le monde à la réalité. «Nous allons maintenant entendre le troisième témoin. Veuillez vous avancer à la barre.»
Harry se leva, lissant inutilement son manteau trop grand, et se dirigea vers la barre des témoins. En passant près de Draco, il sentit le blond se détendre légèrement alors que Prongs trottait gracieusement autour d'eux, chassant les dernières traces des Détraqueurs. Être en contact permanent avec ces créatures avait de quoi rendre malade n'importe qui, même un Malfoy. Harry ne put s'empêcher de remarquer les légères cernes sous les yeux de sa Némésis, le teint pâle de son visage, mais aussi la courbe délicate de sa mâchoire.
«Bon sang, Harry, concentre-toi,» se dit-il en secouant la tête. Ce n'était vraiment pas le moment de remarquer la mâchoire ciselée de son ancien rival.
«Monsieur Potter, veuillez décliner votre identité pour le procès-verbal,» dit le juge d'une voix solennelle.
«Harry James Potter, euh... héros malgré lui,» répondit-il, arrachant quelques rires étouffés dans l'assemblée.
Le juge leva un sourcil mais ne releva pas. «Très bien. Vous connaissez l'accusé, Draco Malfoy ?»
«Oui, depuis notre première année à Poudlard.»
«Très bien, vous pouvez témoigner.»
Harry prit une profonde inspiration. «Je suis ici pour attester que Draco Malfoy n'est pas le criminel que l'on dépeint. Il a agi sous la contrainte de Voldemort et de sa propre famille. Il a eu de nombreuses occasions de me nuire, mais il ne l'a pas fait.»
Un murmure parcourut l'assemblée. Le juge leva la main pour rétablir le silence.
«Pouvez-vous être plus précis, monsieur Potter ?»
«Lors de la bataille de Poudlard, Draco a choisi de ne pas me dénoncer alors qu'il en avait l'opportunité. Il a également hésité à accomplir les missions que Voldemort lui avait confiées, montrant ainsi qu'il n'adhérait pas aux idéaux du Seigneur des Ténèbres.»
Il jeta un coup d'œil vers Draco, qui le regardait avec une intensité palpable. Harry sentit ses joues chauffer légèrement, mais il continua : «Je crois qu'il mérite une seconde chance. Le condamner ne ferait que perpétuer le cycle de haine et de vengeance.»
Le procureur s'avança, un sourcil levé. «Monsieur Potter, n'est-il pas vrai que vous et l'accusé avez eu une relation... tumultueuse pendant vos années à Poudlard ?»
Harry haussa les épaules. «Comme beaucoup d'adolescents, nous avons eu nos différends. Disons que nos échanges étaient... animés.»
Des rires étouffés fusèrent dans la salle.
«Et qu'est-ce qui vous fait penser que monsieur Malfoy a changé ?»
Harry sourit légèrement. «Disons que quand quelqu'un risque sa vie pour ne pas trahir un ennemi supposé, cela en dit long sur sa véritable nature. Et puis, je suis convaincu qu'il a un potentiel inexploité pour faire le bien. Après tout, s'il a survécu à sept ans de Poudlard sans me jeter un sortilège impardonnable, c'est qu'il y a de l'espoir, non ?»
Le procureur sembla décontenancé. «Très bien. Avez-vous autre chose à ajouter ?»
«Oui. Si nous voulons construire un avenir meilleur, nous devons apprendre à pardonner. Draco Malfoy peut apporter beaucoup à notre société, s'il en a l'occasion. Et puis, soyons honnêtes, le monde sorcier serait beaucoup moins divertissant sans lui.»
Des murmures amusés parcoururent l'assemblée. Le juge esquissa un léger sourire avant de reprendre son sérieux.
«Merci, monsieur Potter. Vous pouvez regagner votre siège. Les juges vont délibérer.»
Tandis que l'ensemble du public sortait, Harry crut percevoir un cliquetis de chaînes. C'était Draco qui tentait de faire un pas dans sa direction.
«À quoi tu joues, Potter ?» grinça le blond, l'air piqué dans sa fierté d'aristocrate mal léché.
«Euh, voyons voir, j'essaie de t'éviter un aller simple pour Azkaban,» répliqua Harry, perdant un peu de sa fougue devant la mauvaise humeur du blond.
«Pour qui tu te prends, avec tes grands airs de sauveur ? Il y a des gens dans cette salle qui sont mieux habilités que toi à me sortir de là. Mon père a des relations...»
«Ton père est à Azkaban, mon vieux. Je crains que toutes les relations qu'il avait ont fini par lui tourner le dos pour sauver leur peau. La moitié des personnes ici sont soit coupables, soit lâches. Ils ont besoin d'un bouc émissaire, et tu es tout désigné pour être la victime.»
Si c'était possible, Draco devint encore plus pâle sous la lumière bleue de Prongs.
«Je vais connaître le même sort, n'est-ce pas ? Ils vont briser ma baguette et ce sera un aller simple pour Azkaban.»
«Ils ne briseront pas ta baguette, Dray,» déclara Harry avec un sourire rassurant. «C'est moi qui l'ai, et il est hors de question que je leur dise. Je me suis mis dans la poche un journaliste américain—enfin, je crois. Si le verdict est défavorable, je peux t'assurer que l'opinion publique conduira à une réévaluation de ton cas, et d'ici peu, tu seras de nouveau un homme libre.»
Draco lui lança un regard ahuri, ses sourcils arqués atteignant presque sa ligne de cheveux.
«Depuis quand as-tu un goût pour la politique, Potter ?» siffla-t-il, visiblement perplexe.
Harry haussa les épaules avec désinvolture. «Depuis que je cours dans tous les sens avec un bébé aux cheveux roses dans les bras. On apprend vite à négocier quand on est parrain d'un métamorphomage-garou en bas âge.»
Devant le regard incrédule de Draco, Harry se sentit obligé d'ajouter pour ne pas passer pour un fou complet : «Au fait, tu as le cousin le plus mignon que la terre ait jamais connu. C'est étonnant que vous ayez un lien de parenté. Il s'appelle Teddy.»
Draco cligna des yeux plusieurs fois, comme s'il essayait de déchiffrer un code secret. «Tu délires complètement, Potter. Un bébé aux cheveux roses ? Mon cousin ? Je suis censé comprendre quelque chose ?»
Harry esquissa un sourire malicieux. «Eh bien, je suppose que les Malfoy ne sont pas les seuls à avoir des secrets de famille.»
Avant que Draco ne puisse répliquer, les juges revinrent et le public reprit place dans la salle. Le haut juge, un sorcier à la barbe aussi imposante que sa stature, prit la parole :
«Après délibération, le tribunal déclare Draco Malfoy coupable. Cependant, compte tenu de son jeune âge et des circonstances atténuantes, il est condamné à dix ans d'emprisonnement avec sursis, sous condition de bonne conduite.»
Un cri de désespoir s'éleva depuis le box des accusés. Narcissa, pâle comme un spectre, semblait prête à s'évanouir. Pour Harry, ce cri résonna comme un écho douloureux, lui rappelant celui de sa propre mère. Ce son que les Détraqueurs adoraient lui faire revivre.
Avant que Draco ne soit emmené par les gardes, Harry lui attrapa l'épaule. «Fais-moi confiance, Dray. Mon plan va marcher. Ne perds pas espoir.»
Les yeux de Draco, habituellement si froids, étaient désormais voilés par une lueur d'inquiétude. D'une petite voix qu'Harry ne lui connaissait pas, il murmura : «Je ne veux pas y retourner.»
Harry sentit une pointe aiguë de compassion le traverser. Il savait à quel point Azkaban pouvait briser un homme. Même Hagrid, qui n'y avait passé que peu de temps, en était ressorti marqué à jamais.
Cherchant désespérément un moyen de lui remonter le moral, une idée farfelue lui vint soudain à l'esprit. Jetant un regard autour de lui pour s'assurer que toute l'attention était braquée sur eux, il déclara : «Prends Prongs avec toi !»
«Prongs ?» répéta Draco en fronçant les sourcils. «Qu'est-ce que tu racontes encore, Potter ?»
Sans laisser le temps à Draco de protester ou de lancer l'une de ses remarques acerbes, Harry s'avança et, avec une audace qu'il ne se connaissait pas, l'embrassa à pleine bouche. Un silence stupéfait s'abattit sur la salle d'audience. Des jurés aux juges, en passant par les journalistes, tous restèrent bouche bée. Les flashs des appareils photo crépitèrent frénétiquement, immortalisant l'instant sous tous les angles possibles. Personne ne s'aperçu ainsi que Prongs avait disparu.
Les gardes, se remettant de leur stupéfaction, s'empressèrent d'éloigner Draco, le tirant par les chaînes qui entravaient ses poignets. Le regard du blond était un mélange d'incrédulité et de colère, mais pour la première fois depuis des années, il ne trouva rien à répliquer. Peut-être parce qu'il mystérieusement la bouche pleine.
Harry, sentant les regards brûlants de l'assemblée sur lui, haussa les épaules avec un air faussement innocent. «Quoi ? On n'a jamais vu une démonstration d'affection avant une séparation ?» lança-t-il, une lueur malicieuse dans les yeux.
En réalité, le jeune homme n'était particulièrement fier de son coup, mais c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour lui transmettre son Patronus en toute discrétion à Draco. Après tout, c'était ce que les Détraqueurs cherchaient à prendre lorsqu'ils administraient leur baiser : l'essence même de l'âme, symbolisée par le Patronus. Harry venait de le prêter à sa Némésis sans même réfléchir aux conséquences de son act. Tout ce qu'il savait, c'est que pour mener à bien son plan, il fallait que Draco garde courage, et que Prongs pourrait l'aider à tenir le coup jusqu'à ce qu'il puisse le faire libérer.
Les gardes, se remettant de leur stupéfaction, entraînèrent Draco hors de la salle. Le regard du blond était indéchiffrable, mais pour la première fois en sept ans, il ne lança aucune insulte.
Arlo Bloom, qui n'avait pas perdu une miette de la scène—ni une occasion de vendre du papier—s'exclama avec enthousiasme :
«Monsieur Potter, c'était... époustouflant! Une déclaration d'amour en pleine salle d'audience! Mon article va faire la une du monde sorcier!»
Harry se tourna vers lui avec un sourire malicieux. «Assurez-vous simplement de bien souligner que nous sommes jeunes, fougueux et pleins de rêves. Et n'oubliez pas de mentionner que je compte faire libérer mon 'amant' prétendument Mangemort de prison. Ça devrait faire grimper vos ventes, non?»
Le journaliste hocha vigoureusement la tête, les yeux pétillants comme ceux d'un enfant devant un magasin de sucreries. «Vous êtes un génie du marketing, monsieur Potter! Je vous engagerais bien comme agent publicitaire!»
Pendant ce temps, Narcissa était appelée à la barre, le visage aussi pâle que les murs de la salle d'audience. Harry savait qu'il ne pouvait pas la laisser seule dans cet état de détresse. Cette fois, il n'eut pas besoin de stratagèmes audacieux pour convaincre le tribunal. En racontant avec émotion comment Narcissa avait menti à Voldemort pour protéger son fils et, indirectement, sauver Harry lui-même, il parvint à toucher le cœur même du juge le plus endurci. Grâce à son intervention, il obtint sa libération.
À la sortie du tribunal, Harry proposa à Narcissa de l'accompagner chez Andromeda, sa sœur qu'elle n'avait pas vue depuis des décennies. Les deux femmes se retrouvèrent, les yeux embués de larmes, dans une étreinte qui fit même renifler Winky. Des larmes de douleur, de remords et de pardon coulèrent librement, scellant leurs retrouvailles. Harry, se tenant un peu en retrait, ne put s'empêcher de penser que réunir une famille déchirée était une bonne journée de travail.
Il était étrange pour Harry de revoir son filleul, Teddy, aussi minuscule. Le bébé métamorphomage gazouillait joyeusement, changeant la couleur de ses cheveux à chaque nouvelle émotion, un véritable kaléidoscope vivant. Le jeune homme sourit en observant les boucles passant du rose au bleu, puis au vert, mais une pointe de nostalgie le traversa. Il espérait sincèrement que la potion de Rogue lui permettrait de retourner dans sa propre chronologie une fois sa mission accomplie. Il n'était pas prêt à revivre les nuits blanches et les couches à changer toutes les demi-heures. Une fois, c'était déjà bien assez.
En attendant la publication de l'article d'Arlo Bloom, Harry s'occupa en bricolant avec une vieille machine à coudre, confectionnant des vêtements à la taille de Winky. La petite elfe, en le voyant s'affairer avec du tissu, avait d'abord éclaté en sanglots, persuadée qu'il souhaitait la libérer en lui offrant des vêtements—un véritable cauchemar pour un elfe de maison traditionnel. Mais comme leur relation n'était pas fondée sur un contrat de servitude, mais sur un emploi rémunéré (même si le concept de salaire restait encore un peu flou pour Winky), il lui expliqua patiemment qu'il ne pouvait tolérer que son employée se promène à ses côtés avec un simple torchon pour tout vêtement. Il ajouta que ce serait "mauvais pour les affaires", ce qui acheva de convaincre Winky d'enfiler la jolie robe mauve qu'il avait cousue pour elle, assortie de petits gants en dentelle blanche, d'un chapeau percé pour laisser passer ses grandes oreilles, et de ravissants mocassins en peau de crapaud géant. Une véritable tenue de haute couture elfique—si tant est que cela existât.
Narcissa, qui observait le manège depuis un fauteuil, le regardait faire ce cirque avec une élégance stoïque, une tasse de thé délicatement posée entre ses doigts. Finalement, elle rompit le silence :
«Vous faites vraiment tout cela pour un elfe de maison ? Ne pensez-vous pas qu'elle va être... comment dire... un peu ridicule dans cet accoutrement ?»
Harry haussa un sourcil amusé. «Mon amie Hermione me tuerait si elle apprenait que je maltraite une elfe de maison. Elle compte bien changer les lois sur le servage une fois qu'elle aura un pied au Ministère. Il faut montrer l'exemple dès maintenant, surtout avec des personnalités en vue, si nous voulons que les choses changent rapidement et que la situation des elfes de maison s'améliore. Et puis, avouez que Winky est adorable dans cette tenue. On dirait une véritable ambassadrice de la mode elfique.»
Winky rougit et fit une petite révérence. «Maître Harry Potter est trop bon. Winky est honorée de porter ces beaux vêtements.»
Narcissa prit une gorgée de thé, méditant les paroles du jeune homme. «Vous rendez leur liberté aux elfes, vous sauvez des Mangemorts de la prison à vie... Pourquoi cet engouement pour les causes perdues, Potter ?»
Harry resta silencieux un instant, les yeux fixés sur le tissu qu'il coupait avec soin. Puis, avec un léger sourire, il répondit : «Parce que je crois que personne n'est réellement une cause perdue. Chacun mérite une seconde chance. Et peut-être que, quelque part en aidant les autres à se reconstruire, je me reconstruis moi-même. Après tout, si on ne prend pas soin des "choses brisées", qui le fera ?»
Narcissa observa distraitement ses ongles encore noircis par son séjour à Azkaban, qu'elle n'était probablement pas parvenue à nettoyer complètement. Un silence s'installa, seulement perturbé par le cliquetis de la machine à coudre.
«Je me souviens de la première fois que j'ai emmené Draco choisir ses robes de sorcier,» commença-t-elle finalement, la voix légèrement tremblante. «Il était si fier d'être dans la même année que le célèbre Harry Potter. Lucius n'arrêtait pas de le pousser à devenir votre ami, certainement pour vous tenir à l'œil. Mais Draco était encore trop jeune et innocent pour comprendre les enjeux. Il pensait simplement qu'il pourrait enfin se faire un véritable ami, quelqu'un qui ne serait pas lié à notre famille et formaté à obéir aveuglément. Il m'a raconté qu'il vous avait croisé chez Madame Guipure, mais que par respect, il avait fait semblant de ne pas vous reconnaître. Il était si fier d'avoir osé vous adresser la parole... Je me suis surprise à rêver que quelqu'un puisse le sortir de tout cela... Quelqu'un qui l'arracherait à l'emprise perverse de Lucius, car moi, je n'en ai jamais eu la force...»
Ses yeux s'embuèrent, et une larme solitaire coula le long de sa joue pâle. Harry, pris de compassion, se leva et s'approcha d'elle pour la réconforter, sachant que Draco n'apprécierait certainement pas que sa mère souffre à cause de lui.
«Vous avez été une bonne mère, j'en suis certain,» déclara-t-il en posant une main chaleureuse sur la sienne. «Je suis bien placé pour savoir à quel point vous avez tout fait pour le protéger.»
Narcissa retira brusquement sa main, comme si elle avait été brûlée. «C'est faux !» s'écria-t-elle, la voix brisée par l'émotion. «J'ai été faible ! J'ai laissé Lucius écraser toute mon identité, jusqu'à me faire renier des membres de ma famille. Puis je l'ai laissé faire de même avec Draco ! Quelle mère digne de ce nom laisserait arriver une telle chose ?»
Lentement, Harry s'approcha davantage, comme on s'approche d'un animal blessé qui pourrait fuir à tout moment. Il reprit délicatement la main de Narcissa et glissa sur ses doigts un gant qu'il avait tricoté lui-même. Les mailles étaient si fines qu'elles ressemblaient à de la dentelle. C'était Molly Weasley qui lui avait appris à coudre et tricoter. Il avait toujours associé le tricot à ses premiers cadeaux de Noël, ces fameux pulls à l'initiale de son prénom. Il avait voulu maîtriser l'art de fabriquer des vêtements, et Teddy avait été son cobaye pendant plusieurs mois, jusqu'à ce que ses créations soient acceptables. Pour les gants de Narcissa, il s'était surpassé.
«Parfois, l'amour nous rend aveugles,» dit-il doucement. «On veut tellement plaire à l'être aimé qu'on s'oublie soi-même. Ne vous oubliez plus, Narcissa. Laissez-vous être la belle personne que vous êtes. C'est ainsi que vous attirerez les personnes qui vous méritent vraiment.»
La femme observa ses mains gantées avec surprise, comme si elle n'en revenait pas. La maille était si fine qu'elle ressemblait à s'y méprendre à de la dentelle.
«C'est de la toile d'araignée du Bengale ?» demanda-t-elle, reconnaissant immédiatement la qualité du matériau.
Harry sourit légèrement. «Non, c'est de l'acromantula. Le professeur Slughorn trouve trop cher de la faire venir du Bengale, alors il demande à Hagrid de la récolter pour lui dans la Forêt Interdite.»
Narcissa leva un sourcil, à la fois impressionnée et peut-être un peu horrifiée à l'idée de porter quelque chose provenant de ces créatures. «Vous êtes bien plus mature que votre âge ne le laisse présager, monsieur Potter,» déclara-t-elle en se levant avec élégance.
Harry haussa les épaules. «J'ai dû grandir vite pour survivre…»
Elle le regarda un instant, une lueur indéchiffrable dans les yeux. «Peut-être que vous êtes celui qui pourra sauver mon fils, après tout.»
Il répondit avec un sourire timide. «Je ferai de mon mieux.»
Narcissa quitta la pièce, laissant Harry seul avec ses pensées.
Au lendemain de sa conversation avec Narcissa Malfoy, Harry se retrouva face à une vision qui aurait fait frémir n'importe quel sorcier : une véritable nuée de hiboux envahissait la cuisine des Tonks. Leurs serres chargées de journaux locaux, de lettres piquantes et de beuglantes furieuses, ils semblaient tous là pour lui rappeler que son geste au tribunal n'était pas passé inaperçu.
Harry soupira en ouvrant une beuglante, et la voix stridente d'Hermione s'éleva aussitôt, résonnant dans toute la maison : « Tu étais censé rester à Sainte-Mangouste pour te reposer, Harry ! Mais non, il a fallu que tu joues les héros et que tu embrasses Draco Malfoy en pleine audience ! Quand apprendras-tu à ne pas te jeter tête baissée dans les ennuis ? »
Il referma la lettre d'un geste agacé et attrapa celle de Ron. Pas de beuglante cette fois, mais l'amertume transparaissait entre chaque ligne. « Franchement, Harry, tu te rends compte de ce que tu as fait ? Embrasser cette fouine de Malfoy ? C'est comme si tu nous crachais à la figure. Je t'aime bien, mais là, tu exagères. »
Harry serra les dents. Le soutien qu'il espérait de ses deux meilleurs amis semblait s'éloigner. Une légère amertume s'installa en lui, mais il balaya ce sentiment en fouillant dans le tas de lettres jusqu'à tomber sur le dernier numéro du Chicaneur.
Le mystère cosmique des âmes jumelles enfin dévoilé ! Chers lecteurs,
Selon nos sources astrologiques, l'alignement rare de Mars rétrograde avec la constellation du Ronflak Cornu a provoqué une inversion des énergies magnétiques affectives. Les vibrations lunaires de la septième orbite ont convergé vers les Gémeaux, créant une distorsion spatio-temporelle. De plus, l'influence des Nargoles, particulièrement actifs cette saison, aurait amplifié les émotions latentes. Les centaures avaient prédit que "lorsque le Lion embrassera le Serpent sous la lune rousse, les secrets du cœur seront révélés". Cet événement confirme donc que les forces cosmiques œuvrent d'une manière que le Ministère préfère ignorer. Restez à l'écoute, car les étoiles nous réservent encore bien des surprises !
Harry secoua la tête en lisant l'article, amusé malgré lui. Lovegood et ses théories astrologiques... Il préféra ne pas chercher à comprendre ce que Xénophilius avait voulu sous-entendre cette fois-ci. D'un geste désinvolte, il repoussa le Chicaneur et attrapa le numéro du Sorcière Hebdo.
Là, en lettres grasses, un article de Rita Skeeter l'attendait.
Scandale au Ministère : Harry Potter embrasse Draco Malfoy en pleine audience !
Le monde sorcier est en émoi après les événements stupéfiants qui se sont déroulés hier au tribunal du Ministère de la Magie. Harry Potter, le célèbre Survivant, a une fois de plus fait parler de lui, et pas de la manière la plus glorieuse. Alors que le procès de Draco Malfoy touchait à sa fin, Potter a fait une entrée théâtrale, vêtu d'une blouse d'hôpital sous un manteau trop grand — un choix vestimentaire douteux pour un tel événement. Mais le véritable choc est survenu lorsqu'il s'est approché de l'accusé et l'a embrassé en pleine bouche ! Oui, vous avez bien lu : Harry Potter a embrassé Draco Malfoy devant une salle comble et médusée. Faut-il y voir une manœuvre désespérée ou une déclaration d'affection ? Quoi qu'il en soit, ce geste laisse perplexe. Potter a toujours aimé le dramatique, mais n'a-t-il pas franchi une ligne cette fois-ci ? Après avoir obtenu la libération de Narcissa Malfoy, il prend sous son aile le fils. Cherche-t-il à s'attirer les faveurs de l'ancienne élite sorcière ? Le Ministère reste silencieux, mais il est clair que des explications s'imposent. Le public a le droit de savoir si son héros est en train de perdre pied ou s'il cache des motivations plus sombres.
Harry, exaspéré, froissa le journal et le jeta dans la cheminée d'un geste rageur. Il leva les yeux pour croiser les regards éberlués d'Andromeda, Narcissa et du petit Teddy, qui observaient la scène sans oser dire un mot.
« Ah, voilà quelque chose d'intéressant ! » s'exclama Harry en attrapant le dernier journal. Un sourire fleurit sur ses lèvres lorsqu'il reconnut l'article d'Arlo Bloom.
Interview exclusive avec Monsieur Potter : « Tout le monde mérite une seconde chance »
Enfin, un peu de bon sens au milieu de cette tempête médiatique. Harry s'installa confortablement, prêt à savourer l'article d'Arlo, tandis que le ciel de la cuisine se remplissait encore de nouveaux hiboux, chargés de lettres que, pour une fois, il avait bien l'intention d'ignorer.
Dans un tournant inattendu des événements, Monsieur Potter a récemment pris la défense de Draco Malfoy lors de son procès, suscitant de nombreuses questions au sein de la communauté sorcière. J'ai eu l'opportunité de m'entretenir avec lui pour comprendre les motivations derrière ses actions audacieuses.
Arlo Bloom : Monsieur Potter, merci de nous accorder de votre temps. Votre intervention lors du procès de Draco Malfoy a surpris beaucoup de monde. Qu'est-ce qui vous a poussé à témoigner en sa faveur ?
Monsieur Potter : Merci à vous, Arlo. Pour être honnête, je crois fermement que tout le monde mérite une seconde chance. Draco a grandi dans un environnement où les choix étaient souvent dictés par sa famille et les circonstances. Je pense qu'il est capable de changer et de contribuer positivement à notre société.
Arlo Bloom : Certains pourraient dire que votre geste était inattendu, voire choquant, notamment lorsque vous l'avez embrassé en plein tribunal. Était-ce une stratégie délibérée ?
Monsieur Potter (sourire en coin) : Disons que j'aime surprendre. Plus sérieusement, je voulais attirer l'attention sur l'importance du pardon et de la rédemption. Parfois, il faut un geste fort pour faire bouger les choses.
Arlo Bloom : Vous avez mentionné le pardon. Pensez-vous que la communauté sorcière est prête à pardonner à Draco Malfoy et à d'autres qui ont suivi le mauvais chemin ?
Monsieur Potter : Je l'espère. Nous sortons d'une période sombre, et continuer à nourrir la haine ne fera que nous tirer vers le bas. Il est temps de reconstruire ensemble, sans exclure ceux qui sont prêts à changer.
Arlo Bloom : Comment décririez-vous votre relation actuelle avec Monsieur Malfoy ? Est-ce le début d'une nouvelle amitié ?
Monsieur Potter : Nous avons encore du chemin à parcourir, mais je suis ouvert à cette possibilité. L'important est de laisser le passé derrière nous et de se concentrer sur l'avenir.
Arlo Bloom : Certains critiques estiment que vous prenez un risque en défendant un ancien Mangemort. Que leur répondez-vous ?
Monsieur Potter : Le véritable risque serait de ne rien faire et de laisser les mêmes schémas se répéter. Si nous voulons un monde meilleur, nous devons être prêts à tendre la main, même à ceux qui ont fauté.
Arlo Bloom : Vous avez également aidé Narcissa Malfoy à retrouver sa sœur. Pourquoi était-ce important pour vous ?
Monsieur Potter : La famille est essentielle, surtout après les épreuves que nous avons traversées. Réunir les gens peut aider à guérir les blessures profondes et à favoriser la réconciliation.
Arlo Bloom : Certains voient en vous un héros, d'autres un provocateur. Comment vous voyez-vous vous-même ?
Monsieur Potter (riant) : Je me vois comme quelqu'un qui essaie de faire ce qui est juste, même si ce n'est pas toujours facile ou bien compris. Si je peux inspirer d'autres personnes à agir avec compassion, alors j'aurai accompli quelque chose de bien.
Arlo Bloom : Pensez-vous que votre geste aura un impact sur le sort de Draco Malfoy ?
Monsieur Potter : Je l'espère sincèrement. Mais au-delà de son cas personnel, j'espère que cela incitera les gens à réfléchir sur la manière dont nous traitons ceux qui ont fait des erreurs.
Arlo Bloom : Une dernière question, Monsieur Potter. Quel message souhaitez-vous transmettre à la communauté sorcière en cette période de reconstruction ?
Monsieur Potter : N'ayons pas peur de pardonner et de croire en la capacité de chacun à changer. C'est ensemble que nous pourrons construire un avenir meilleur.
Arlo Bloom : Merci beaucoup pour cet entretien éclairant.
Monsieur Potter : Merci à vous, Arlo. C'était un plaisir.
Harry eut à peine le temps de songer que l'espoir n'était peut-être pas encore totalement perdu lorsque la porte d'entrée claqua avec une telle force que toute la maisonnée sursauta. Teddy éclata aussitôt en sanglots, et Narcissa Malfoy porta la main à sa bouche, surprise. Andromeda tourna la tête, l'air agacée.
« Je n'ai jamais reçu autant de courrier de ma vie, Monsieur Potter ! » s'exclama Arlo Bloom, échevelé, la cravate de travers, et l'allure d'un homme qui a passé la nuit dans les bars à potins. Sans laisser à Harry le temps de digérer l'interruption, il posa devant lui une pile de lettres.
« La Sorcière et le Sureau, Nevada Witch Closet, Washington Potion Times... Ils veulent tous votre interview exclusive ! Vous avez réussi à captiver l'opinion publique dans le monde entier, Monsieur Potter. »
« Alors… cela veut dire que mon Draco va être libéré ? » demanda Narcissa d'une voix tremblante, l'espoir brillant dans ses yeux.
Le sourire triomphant d'Arlo s'atténua légèrement face à l'attente désespérée de la femme. Il adopta un ton plus mesuré.
« Je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs, Madame Malfoy. Votre famille est encore perçue comme celle qui a le plus soutenu le Seigneur des Ténèbres. Si aucune sanction n'est prononcée, beaucoup verront cela comme un déni de justice. Et vous savez ce que cela signifierait : une réputation désastreuse pour l'Angleterre magique, et une invitation ouverte aux malfaiteurs du monde entier. Monsieur Potter a réussi à éveiller l'empathie sur la nécessité du pardon, mais le véritable combat reste à mener pour obtenir la libération de votre fils. »
Narcissa, les épaules affaissées par la déception, baissa la tête. Harry, sentant la tension dans la pièce, prit la parole.
« Que proposez-vous, Arlo ? Vous devez avoir une idée. »
Arlo ajusta sa cravate d'un geste théâtral, le visage soudain empreint d'une gravité calculée.
« Nous devons convaincre le public que Draco Malfoy n'est pas le Mangemort qu'on s'imagine. Il doit apparaître non pas comme un héritier de la haine, mais comme une âme innocente, quelqu'un qui mérite une seconde chance. En un mot, nous devons le blanchir complètement, le rendre… blanc comme neige. »
Harry écarquilla les yeux. « Blanc comme neige ? Arlo, c'est un véritable tour de force que vous proposez là. Autant demander à Peeves d'être courtois ou à Dumbledore de revenir d'entre les morts ! »
Narcissa se redressa brusquement, les poings serrés de détermination. « Mon Draco est un bon garçon ! Il a toujours essayé d'être à la hauteur des attentes de son père, mais il jouait un rôle. Tout ce qu'il voulait, c'était être accepté. Je peux vous dire qui il est vraiment : un jeune homme calme, sensible, qui n'aspire qu'à la beauté et à l'art. Il n'a jamais eu la capacité d'être cruel. Il était maladroit dans ce rôle que Lucius voulait lui imposer, à la limite du pathétique tant il n'y correspondait pas. »
Harry fut déconcerté par cette description passionnée. Parlait-elle vraiment de Draco Malfoy ? Le même qui avait passé ses années à Poudlard à insulter Hermione pour ses origines moldues, à tourmenter Neville, à rabaisser Ron, et à traiter Crabbe et Goyle comme des serviteurs ?
« Un rôle ? » répéta-t-il, dubitatif.
Narcissa planta son regard dans celui de Harry, défiant, comme si elle pouvait lire ses pensées. « Le Draco que je connais est introverti, réservé, terrorisé par son père. Il n'avait pas le droit à l'erreur sous peine de recevoir un coup de canne. Mais avec moi, il montrait une douceur insoupçonnée. Il est brillant en potions, mais il n'a jamais été doué pour les sortilèges de duel. Notre sang, aussi pur soit-il, s'est appauvri au fil des générations. Les Malfoy et d'autres familles semblables deviennent moins puissants, ou montrent des signes de dégénérescence intellectuelle. Mon fils a été épargné par ce dernier problème, mais il n'a rien d'un grand mage. »
Harry se retint de grimacer. Narcissa ne faisait pas dans la demi-mesure, livrant un portrait à la fois élogieux et acerbe de son propre fils.
« Draco a-t-il un talent, quelque chose qui pourrait susciter l'empathie du public ? » demanda Arlo, visiblement à la recherche de l'angle parfait pour son prochain article.
« La musique », répondit Narcissa sans hésiter. « Draco est un musicien accompli. C'est là que réside son véritable talent. »
« La musique ? » s'écrièrent Harry, Andromeda et Arlo en chœur, le regard aussi perplexe que si Narcissa venait de leur annoncer que Draco tricotait des écharpes aux couleurs de Gryffondor pendant son temps libre.
Narcissa hocha la tête, un sourire énigmatique jouant sur ses lèvres. « Il chante depuis qu'il est tout petit. C'est un aspect de lui que peu de gens connaissent. La musique est son refuge, sa manière d'échapper aux attentes étouffantes de son père. »
Harry cligna des yeux, l'image de Draco Malfoy, le petit prince de Serpentard, se transformant soudain dans son esprit. Il l'imagina, seul dans sa salle de bain, utilisant son célèbre peigne en argent comme un micro, chantant des airs mélancoliques tout en se lissant méticuleusement les cheveux. La scène, à la fois ridicule et attendrissante, le fit sourire malgré lui.
Andromeda haussa les sourcils, amusée malgré elle. « Eh bien, je suppose qu'on ne peut jamais vraiment connaître quelqu'un, n'est-ce pas ? »
« Peut-être pas, » murmura Harry, l'air pensif, une lueur de curiosité inattendue dans le regard.
Les journaux continuèrent de débattre et de spéculer sur l'affaire Malfoy au point que le Ministère de la Magie n'eut d'autre choix que de reconsidérer la peine de Draco. Harry, soulagé, s'accrochait à l'idée que les efforts de son témoignage n'avaient pas été vains. Pourtant, il ne pouvait chasser de son esprit l'image de Draco, enfermé dans une cellule froide d'Azkaban, seul au milieu des eaux glacées de la mer du Nord. Il priait en silence que Prongs soit assez puissant pour chasser le désespoir dans le coeur du blond.
Arlo Bloom, jamais en reste lorsqu'il s'agissait de faire parler de lui, avait réussi à décrocher une interview exclusive à Azkaban pour recueillir des nouvelles du détenu le plus médiatisé du moment. À son retour, Harry l'attendait de pied ferme, une impatience brûlante marquant son regard. Mais Arlo, fidèle à lui-même, prit tout son temps pour relater son aventure, détaillant chaque goutte d'eau qui suintait des murs de la prison, se plaignant de l'humidité et de l'obscurité. Il alla même jusqu'à comparer la situation avec celle des États-Unis, où, selon lui, "ils ont la décence d'offrir une mort rapide aux criminels, au lieu de les laisser croupir dans des geôles insalubres."
Harry avait dû se retenir de lui tordre le cou, pressant Arlo de passer aux informations essentielles. Enfin, après une éternité, le journaliste se décida à partager ses impressions sur Draco : "Maigre comme un Sombral en hiver, mais il se tient droit, presque fier. Étrange pour quelqu'un qu'on croirait brisé." Cette description, loin de le rassurer, laissa Harry et Narcissa encore plus inquiets, rongés par l'angoisse et l'incertitude. L'attente de la date d'un second procès semblait interminable.
Enfin, la convocation arriva.
Le tribunal était bondé, débordant de sorciers venus assister à ce qu'on appelait déjà "l'affaire de la décennie". Draco Malfoy se tenait au centre de la salle, pâle et tremblant. Dire qu'il était amaigri était un euphémisme : il n'était plus que l'ombre de lui-même, la peau sur les os, se balançant doucement d'avant en arrière, le regard perdu, serrant contre sa poitrine un trésor invisible.
La tension dans la salle était presque palpable, l'air lourd et oppressant, comme si le monde entier retenait son souffle. Harry jeta un coup d'œil vers Narcissa. Elle était d'une pâleur mortelle, le dos raide, les mains crispées sur le bord de son siège. Malgré son expression impassible, Harry devinait la peur qui la rongeait.
Le juge principal, un vieil homme aux cheveux argentés et aux yeux perçants, se leva et frappa trois fois son marteau. Le silence se fit aussitôt, dense et lourd.
«L'audience est ouverte. Nous sommes ici pour déterminer le sort de Draco Malfoy, accusé de complicité avec le Seigneur des Ténèbres, de complot contre le Ministère et d'atteinte à la sécurité de Poudlard. Les accusations sont graves, et bien que des témoignages aient été présentés en votre faveur, Monsieur Malfoy, nous devons examiner vos actes avec la plus grande rigueur.»
Harry se leva, le cœur battant à tout rompre.
«Honorables juges, je suis ici pour attester que Draco Malfoy, bien que manipulé par son père et contraint d'agir sous la menace du Seigneur des Ténèbres, n'a jamais véritablement adhéré à leurs idéaux. Lors de la bataille de Poudlard, il a eu plusieurs occasions de me livrer, mais il a choisi de ne pas le faire. Je crois sincèrement qu'il mérite une seconde chance.»
Les juges échangèrent des regards, leurs expressions impénétrables. Harry sentait son estomac se nouer. Il savait que son témoignage était crucial, mais serait-ce suffisant?
Narcissa se leva à son tour. Son visage émacié trahissait des jours de fatigue et d'angoisse. Elle prit une profonde inspiration avant de s'adresser à la cour.
«Mon fils a été piégé dans un rôle qu'il n'a jamais souhaité jouer. Depuis son enfance, il a été conditionné par les attentes démesurées de son père, par des idéaux de pureté du sang et de domination qu'il ne comprenait pas pleinement. Mais je suis ici pour vous dire qu'au-delà de tout cela, Draco est un jeune homme sensible, qui aspire à la paix. Il a été brisé par des attentes impossibles. Il mérite une chance de montrer qui il est vraiment, loin de l'ombre de Lucius Malfoy.»
Sa voix se brisa légèrement sur les derniers mots. Harry posa une main réconfortante sur son épaule, et elle lui adressa un faible sourire empreint de gratitude.
Le juge principal hocha la tête, son visage demeurant impassible. Il se pencha vers ses collègues, échangeant des murmures à voix basse. Puis, se redressant, il s'apprêta à prononcer la sentence.
«Draco Malfoy, malgré les témoignages en votre faveur, le tribunal ne peut ignorer vos actes passés. En tant que soutien avéré du Seigneur des Ténèbres et complice de multiples méfaits, vous devez répondre de vos crimes. Le Magenmagot est prêt à rendre sa décision.»
Mais avant que la sentence ne soit prononcée, un murmure étrange s'échappa des lèvres de Draco. Au début, ce n'était qu'un filet de voix, à peine audible. Puis, il commença à fredonner une mélodie douce, presque enfantine, ses yeux fixés sur un point lointain, comme s'il voyait un monde invisible aux autres. Harry savait que le blond mettait simplement leur plan en pratique, mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter réellement pour l'état mental de Draco en cet instant.
Les premiers mots de la chanson étaient fragiles, comme s'ils traversaient une mer de souvenirs. Draco se mit à chanter d'une voix vacillante, mais étrangement pure.
You can't take my past
You can't take my history
You could take my pa
But his name's a mystery
Nothin' you can take from me was ever worth keepin'
Oh, nothin' you can take was ever worth keepin'
La mélodie, douce et mélancolique, flottait dans l'air, remplissant l'espace d'une émotion brute et désarmante. C'était une vieille chanson, une berceuse presque, mais dans la bouche de Draco, elle ressemblait à une incantation désespérée, une prière pour l'âme perdue qu'il semblait être devenu.
Les juges se regardèrent, abasourdis. Certains murmuraient que Malfoy avait perdu l'esprit. On entendit même une femme dans l'assemblée étouffer un sanglot. Harry, lui, restait figé, le cœur serré. Il n'avait jamais vu Draco ainsi, complètement dépouillé de son arrogance habituelle, une fragilité déconcertante peinte sur son visage pâle. C'était comme s'il assistait à une confession silencieuse, une réminiscence de l'enfant qu'il avait été avant que le monde ne le corrompe.
Can't take my charm
Can't take my humor
Can't take my wealth
'Cause it's just a rumor
Nothin' you can take was ever worth keepin'
No, nothin' you can take was ever worth keepin'
You can't take my sass !
La voix de Draco se brisa sur le dernier mot, et il laissa tomber la tête, essoufflé. Le silence dans la salle était absolu, presque sacré, comme si personne n'osait bouger. Narcissa couvrit sa bouche de sa main tremblante, les larmes perlant au coin de ses yeux.
Le juge principal, qui s'était levé pour prononcer la sentence, resta figé, la bouche entrouverte. Il lança un regard perplexe à ses collègues, comme s'il cherchait une confirmation dans leurs yeux. Finalement, il se racla la gorge.
« Il semblerait… que nous soyons face à une situation complexe », dit-il, d'une voix moins assurée qu'auparavant. « Draco Malfoy, votre comportement pourrait indiquer une altération mentale sérieuse. »
Un murmure parcourut l'assemblée. Harry n'arrivait pas à y croire. Leur plan était en train de fonctionner !
Le juge, après avoir délibéré avec les autres membres du magemannot, prit une profonde inspiration et se redressa. « Au lieu de l'emprisonnement à vie à Azkaban, le tribunal a décidé de vous assigner à résidence afin que vous receviez les soins nécessaires"
Un soupir de soulagement se propagea comme une vague dans la salle. Narcissa éclata en sanglots, se couvrant le visage de ses mains. Harry la prit doucement par les épaules, les yeux brillants d'émotion. Il croisa le regard de Draco, et pour la première fois, il n'y vit ni défi, ni arrogance, mais une gratitude silencieuse, presque imperceptible.
Draco murmura un "merci" à peine audible, avant de baisser les yeux. Harry hocha la tête, son cœur débordant d'un sentiment qu'il n'aurait jamais cru ressentir pour son ancien ennemi.
Le retour à la chaumière des Tonks se fit dans un silence pesant. Narcissa tenait fermement la main de son fils, comme si elle craignait qu'il ne disparaisse à nouveau. Draco, quant à lui, avançait lentement, le regard vide, les épaules voûtées par le poids des épreuves traversées à Azkaban. Aucune parole ne semblait pouvoir atteindre le jeune homme, encore moins l'apaiser après des semaines passées au milieu des Détraqueurs.
Le soir venu, Harry s'affaira en cuisine aux côtés d'Andromeda, préparant un dîner simple mais réconfortant. Ils laissèrent les Malfoy se retrouver près du feu crépitant de la grande cheminée, offrant à mère et fils un moment d'intimité. Malgré leurs efforts, Draco ne parvint à avaler que quelques cuillerées de soupe. Son visage émacié et ses mains tremblantes témoignaient de la profonde détresse qui l'habitait.
Il devint rapidement évident que Draco avait besoin d'un bon bain. La saleté incrustée dans ses cheveux et sous ses ongles révélait qu'il n'avait pas eu l'occasion de se laver correctement depuis longtemps. Mais à dix-huit ans, il était compréhensible qu'il ne souhaite pas que sa mère l'aide dans cette tâche intime. Winky, l'elfe de maison, s'était proposée avec entrain, mais le regard de dégoût silencieux que lui adressa Draco fit comprendre à Harry que ce n'était pas une option envisageable.
Prenant une profonde inspiration, Harry se porta volontaire. Après tout, ils avaient le même âge, et peut-être sa présence serait-elle moins gênante pour Draco.
Il retroussa ses manches et fit couler un bain chaud, versant quelques gouttes de potions parfumées à la fleur d'oranger et à la bergamote, concoctées par la main experte d'Andromeda. La vapeur emplit rapidement la petite salle de bains, créant une atmosphère apaisante.
Lorsque Draco entra, le silence devint presque palpable. Harry sentit ses joues s'empourprer sans vraiment savoir pourquoi. Il était habitué à donner le bain à Teddy, mais aider un garçon de son âge était une tout autre affaire.
Draco serrait contre sa poitrine quelque chose d'invisible, comme un trésor précieux qu'il refusait de lâcher. Harry se demanda s'il n'était pas réellement perturbé mentalement. Quelles horreurs avait-il pu vivre en prison pour en arriver là ?
Une idée traversa alors l'esprit de Harry, et il se sentit obligé de vérifier sa théorie, aussi Essayant de paraître détendu, Harry brisa le silence.
« Tu veux que je t'aide à enlever tes vêtements? »
Draco recula instinctivement, resserrant son étreinte sur la chose invisible, ses yeux s'écarquillant comme un animal traqué.
« Hé, tout va bien, » dit Harry en levant les mains, les paumes ouvertes dans un geste apaisant. « On est juste tous les deux ici, il n'y a pas de jugement. Je veux juste t'aider. »
Le blond sembla hésiter, sa méfiance cédant peu à peu sous le ton rassurant de Harry, mais il ne relâchait toujours pas sa prise.
Avec une douceur infinie, Harry tendit les mains.
« Écoute, » dit-il d'une voix calme. « Si tu me le prêtes un instant, je te promets que je te le rendrai dès que tu seras propre comme un sou neuf. »
Draco resta immobile, ses muscles tendus, mais lentement, presque à contrecœur, il lui tendit une petite boule d'énergie bleutée, faible et vacillante.
La supposition de Harry se confirmait : c'était bien le Patronus de Draco, réduit à une forme minuscule et affaiblie. Sans doute avait-il lutté pour le garder en vie, comme une flamme vacillante contre l'obscurité oppressante d'Azkaban.
Harry prit délicatement la petite lumière, la nourrissant d'un peu de sa propre magie. Prongs s'illumina brièvement avant de se stabiliser, et Harry la déposa sur le bord du lavabo, à portée de vue de Draco.
« Voilà. Elle est là, et elle t'attend, » murmura-t-il.
Le blond hocha faiblement la tête, ses épaules s'affaissant légèrement, comme si un poids venait de glisser de son dos.
Harry l'aida ensuite à enlever son pull usé, troué par endroits, puis son pantalon de prisonnier, encore plus déplorable. Le corps de Draco était une vision terrifiante : maigre à faire peur, ses côtes saillaient sous sa peau translucide. Harry sentit une bouffée de tristesse, se souvenant de l'état de Sirius après son séjour à Azkaban.
La baignoire fut rapidement souillée par la saleté, l'eau virant au gris foncé. Harry dut changer l'eau à plusieurs reprises, utilisant des sorts d'Assainissement. Il continua, méthodiquement, à laver Draco, de la tête aux pieds, prenant un soin particulier avec ses cheveux emmêlés. Le blond se détendit peu à peu, fermant les yeux sous les doigts experts de Harry, qui massait doucement son cuir chevelu. Il avait appris cet art en s'occupant de Teddy, et il semblait que cela faisait également des merveilles sur Draco.
Soudain, Harry entendit des sanglots étouffés. Draco pleurait, silencieusement, les larmes se mêlant à l'eau savonneuse. Harry savait que ce n'était pas de la simple tristesse, mais une honte profonde, presque viscérale. Pour un Malfoy, être lavé par son ancien rival devait être une humiliation insoutenable.
Harry inspira profondément, sentant une hésitation familière monter en lui. Il n'avait jamais abordé cette partie de sa vie, même pas avec Ron ou Hermione. Ces souvenirs, enfouis dans un coin sombre de son esprit, étaient comme une vieille cicatrice qu'il n'avait jamais voulu rouvrir. Mais en voyant Draco, aussi brisé et vulnérable, il décida qu'il était peut-être temps de partager un fragment de sa propre fragilité. Après tout, s'ils allaient trouver un terrain d'entente, il fallait qu'ils se mettent à égalité, pour une fois.
« Tu sais, » commença-t-il avec un sourire triste, « quand j'étais petit, je me lavais dans l'évier de la cuisine. Les Dursley n'étaient pas très... généreux en matière de confort. »
Draco releva la tête, les sourcils froncés dans une expression de scepticisme. C'était un visage qu'Harry connaissait bien, celui de l'adolescent méprisant qui avait été son rival pendant tant d'années.
« Oh, arrête, » grimaça Draco d'une voix rauque. « Comme si on aurait pu laisser le précieux Potter se laver dans un évier. Tu te moques de moi, c'est ça ? »
Au lieu de se vexer, Harry décida de continuer, déterminé à déconstruire l'image idéalisée que Draco avait toujours eue de lui. Il se pencha un peu plus, ses mains continuant de rincer les cheveux du blond avec douceur.
« J'ai été recueilli par mon oncle et ma tante, des Moldus qui détestaient la magie. Je n'ai appris que j'étais un sorcier qu'à l'âge de onze ans, quand j'ai reçu ma lettre de Poudlard. »
Les yeux de Draco s'élargirent de surprise, et il se tourna brusquement vers Harry, l'air abasourdi.
« Impossible ! » s'exclama-t-il. « Dumbledore n'aurait jamais toléré que son petit protégé subisse un tel traitement. »
Harry lâcha un petit rire sans joie. « C'est Dumbledore lui-même qui m'a laissé sur le pas de leur porte, dans un drap, en pleine nuit, alors que je n'avais qu'un an. »
Le visage de Draco se figea. Lentement, il se détourna, fixant le carrelage blanc de la salle de bain avec une expression songeuse. Harry pouvait presque voir les pièces du puzzle s'assembler dans l'esprit du blond.
« Je me souviens de toi, » murmura Draco, presque pour lui-même. « La première fois que je t'ai vu chez madame Gippure, tu avais l'air si maigre... Je pensais que c'était juste ton allure... Mais maintenant que tu le dis… » Sa voix s'éteignit, et il sembla hésiter avant de poser la question qui le brûlait. « Est-ce que ces Moldus te... maltraitaient ? »
Harry haussa les épaules, continuant de masser doucement le cuir chevelu de Draco. « Je dirais que c'était surtout de la négligence. Ils m'ignoraient juste la plupart du eux, j'étais juste un fardeau. »
Draco resta silencieux un moment, puis secoua la tête, l'air résolu. « À ta place, je leur aurais fait payer. Pas seulement à eux, mais à tout le monde moldu. Je serais parti rejoindre le Seigneur des Ténèbres, moi, plutôt que de devenir le pantin de Dumbledore. »
Harry s'arrêta un instant dans sa tâche. Il savait que ces mots n'étaient pas dits par cruauté, mais par une logique de survie que Draco avait toujours connue. Il lui sourit, un sourire triste mais compréhensif.
« Tous les Moldus ne sont pas mauvais, » dit-il doucement. « Il y a des bons et des mauvais, comme chez les sorciers. On ne peut pas juger les gens par leur origine. Ce sont leurs actes qui comptent. »
Draco roula des yeux, mais Harry perçut une ombre d'émotion dans son regard, une hésitation, comme s'il n'était pas sûr de pouvoir continuer à défendre ses vieilles certitudes.
« Tu sembles croire que tout le monde mérite une seconde chance, même ceux qui ne l'ont pas gagnée, » murmura Draco, sa voix plus faible, presque brisée.
Harry acquiesça lentement. « Oui. Parce que je sais ce que ça fait de ne pas en avoir. Et je pense que toi aussi, tu le sais, Draco. »
Le blond demeura silencieux, les mots suspendus dans l'air, sans réponse. Pourtant, cela ne l'empêcha pas de se précipiter sur le Patronus de Harry dès sa sortie du bain. Harry préféra ne pas intervenir. Il savait que Draco n'était pas prêt à se séparer de ce fragment d'espoir, pas encore.
Ils n'en reparlèrent plus. Ni le lendemain, ni le jour suivant. Draco s'enferma dans un silence pensif, seulement brisé par des cauchemars agités. Harry l'entendait souvent crier dans son sommeil, des cris étouffés, hantés par une angoisse qu'il connaissait trop bien. Après la guerre, il avait traversé les mêmes nuits blanches. Sans Andromeda, il ne savait où il serait aujourd'hui. Et il se surprenait à vouloir offrir à Draco ce même soutien, si seulement ce dernier acceptait de l'accueillir.
Un après-midi ensoleillé, Harry s'approcha, un sandwich généreusement garni à la main. Draco, quant à lui, semblait absorbé par un livre poussiéreux : Le Quidditch à travers les âges. Harry sourit ; c'était, selon lui, la meilleure thérapie qui soit.
« Ça te dirait d'aller voler un peu ? » lança-t-il nonchalamment.
Draco leva les yeux, comme s'il n'avait pas bien entendu. Il referma son livre d'un geste lent, marquant la page d'un doigt distrait avant de fixer Harry, les sourcils froncés.
« Voler ? » répéta-t-il, sceptique. « Tu plaisantes ? »
Harry secoua la tête en souriant. « Pas du tout. Il fait beau, le vent est parfait pour une balade en balai. Je me suis dit que ça te changerait un peu les idées. »
Draco le dévisagea, l'air méfiant. « Je suis assigné à résidence, Potter. Ce mot te dit quelque chose ? »
« Le domaine fait plusieurs hectares. À moins que tu ne t'envoles jusqu'au ministère, je pense qu'on est tranquilles, » répliqua Harry en lui tendant le sandwich. Depuis quelques jours, il s'était mis en tête de redonner de l'énergie à Draco, et cela impliquait visiblement beaucoup de casse-croûtes et un peu de sport.
« Écoute, Potter, » grogna Draco, agacé, « je n'ai pas besoin de toi pour me materner. Je sais encore m'occuper de moi-même ! »
Harry leva les mains en signe d'apaisement. « D'accord, d'accord. Mais sérieusement, bouder dans un coin avec un vieux bouquin sur le Quidditch ? Je doute que ça t'aide à retrouver la forme. »
Draco croisa les bras, les lèvres pincées. « Je ne boude pas, Potter. Je médite. »
« Ah, bien sûr, j'avais oublié à quel point Le Quidditch à travers les âges est… profond, » rétorqua Harry avec un sourire espiègle.
Les joues de Draco prirent une teinte rosée. « Peut-être que je médite sur toutes les façons de te faire taire. » Il arracha le sandwich des mains de Harry, l'examinant comme s'il s'attendait à y trouver une araignée. « Qu'est-ce que c'est, ça ? Un piège pour m'empoisonner ? »
Harry fit mine de réfléchir. « Voyons voir... Il y a de la mayonnaise, un peu de cornichon… et peut-être une pincée de potion de vérité. Juste pour que tu avoues que tu adores passer du temps avec moi. »
Draco roula des yeux. « Merlin, tu es insupportable. »
Harry haussa les épaules. « Et pourtant, tu es encore là. Alors, tu viens voler ou tu préfères rester ici à marmonner dans ton coin ? Ou peut-être as-tu peur que je te mette une raclée ? » ajouta-t-il avec un clin d'œil provocateur.
Draco prit un air choqué, posant la main sur son cœur. « C'est toi qui devrais avoir peur Potter. Je suis encore capable de te battre avec les yeux fermés. »
Sans plus attendre, ils se dirigèrent vers la remise à balais. Draco s'extasia sur une série de balais de collection appartenant à Tonks, évoquant avec enthousiasme une édition limitée de 1995. Harry, amusé, réalisa pour la première fois que Draco partageait sa passion pour le Quidditch. Il ne put s'empêcher de taquiner le blond en imitant une révérence exagérée devant le balai.
« Oh, mon précieux, ne fais pas attention à ce Philistin, » s'exclama Draco en montant sur son balai avec élégance.
« Alors maintenant, tu parles à ton balai ? » s'étonna Harry. « Ça devient inquiétant. »
« Que veux-tu, Potter ? Il faut bien que je trouve une conversation intelligente quelque part, » répliqua Draco avec une moue de fausse innocence.
Harry prit son envol et exécuta quelques figures aériennes pour s'échauffer. Puis il se tourna vers Draco et cria, provocateur : « Alors, Malfoy, tu suis ? Ou tu préfères rester là à caresser ton balai ? »
Le regard de Draco s'enflamma, et il accéléra brusquement.
Ils volaient à toute vitesse, se lançant des piques et riant aux éclats. À ce moment précis, Harry se rendit compte qu'il s'amusait réellement. Peut-être pour la première fois depuis des mois, il oublia que cette escapade n'était qu'une mission confiée par Severus avant sa mort. Il n'y avait plus que le vent, la vitesse, et cette rivalité ancienne, maintenant teintée d'une complicité inattendue.
« Tu sais, Potter, » dit Draco en se stabilisant à ses côtés, essoufflé mais rayonnant, « tu es presque supportable quand tu perds. Presque. »
Harry lui fit un clin d'œil. « Je vais encadrer ce compliment, Malfoy. C'est le plus beau que tu m'aies jamais fait. »
Le soir venu, Draco daigna enfin s'asseoir à table pour partager un repas. Harry était ravi de cette journée qu'il jugeait plutôt réussie. La nuit, en revanche, s'annonçait plus compliquée : Teddy faisait ses dents et passait le plus clair de son temps à pleurer ou à mordre tout ce qui passait à sa portée. C'était le tour de Harry de s'occuper du bébé loup qui hurlait à la lune comme s'il voulait réveiller tout le quartier.
Sur le point d'aller faire chauffer un biberon dans la cuisine, Harry sursauta en découvrant Draco assis à une chaise, éclairé par une lumière jaunâtre qui lui donnait des airs de zombie.
« Ne peux-tu pas faire taire cette ignoble créature ? » râla Draco avec une moue dédaigneuse.
« Cette adorable créature s'appelle Teddy, et c'est ton petit cousin, je te rappelle, » grogna Harry, agacé par les remarques acerbes du blond quand il s'agissait de son filleul.
« Cette chose ressemble plus à un gobelin qu'à un être humain, » grinça Draco. « Déjà que je dors mal, il faut en plus que ses gémissements résonnent dans toute la maison en pleine nuit. Ne peux-tu pas le calmer ? »
« Tu n'es pas le seul à avoir du mal à dormir ! » s'énerva Harry, d'une voix si forte que Teddy éclata en sanglots encore plus bruyants.
Ignorant Draco, Harry se concentra sur l'essentiel : préparer le lait tout en vérifiant scrupuleusement les dosages pour que la potion anti-douleur fasse effet.
« Tant que tu y es, Potter, vu que tu ne sais manifestement pas te servir de ton elfe de maison, profite-en pour me faire chauffer du thé, » lança Draco nonchalamment.
« Je ne suis pas ton serviteur, Draco ! » s'emporta Harry. « Fais ton thé toi-même, tu es un grand garçon ! » grogna-t-il alors que Teddy hurlait de plus en plus fort dans la cuisine.
Draco roula des yeux avec un soupir exaspéré. « Oh, pour l'amour de Merlin ! Donne-le-moi. »
Harry hésita une seconde, puis, sans trop savoir pourquoi, il plaça Teddy dans les bras de Draco. Le bébé le dévisagea, fronçant les sourcils de la même manière que Draco. À cet instant précis, leur parenté ne faisait aucun doute. Harry supposa que Teddy préparait une grosse commission, vu l'intensité de son regard concentré.
Mais, à la surprise totale de Harry, Draco se mit à fredonner une berceuse.
Deep in the meadow, under the willow.
A bed of grass, a soft green pillow.
Lay down your head, and close your eyes.
And when they open, the sun will rise.
Here it's safe, and here it's warm.
Here the daisies guard you from every harm.
Here your dreams are sweet, and tomorrow brings them true.
Here is the place where I love you.
La voix de Draco, douce et étonnamment apaisante, résonna dans la cuisine. Le bébé arrêta de pleurer instantanément, comme s'il était sous un sortilège.
Harry resta figé, bouche bée. Voir Draco Malfoy, l'ancien prince des Serpentard, bercer un bébé en chantant une mélodie, c'était... inattendu, pour ne pas dire totalement irréel.
« Quoi ? » grogna Draco en relevant la tête, agacé par le regard incrédule de Harry. « Tu vas rester là à me fixer toute la nuit ou tu comptes préparer ce fichu biberon ? »
Harry secoua la tête pour sortir de sa stupeur et se mit à la tâche. « Je… je n'ai jamais entendu cette berceuse. C'est une chanson de ta famille ? »
Draco haussa les épaules, les yeux baissés sur Teddy qui commençait déjà à somnoler. « Ma mère me la chantait quand j'étais petit… » avoua-t-il d'une petite voix incertaine.
« Je dois avouer, je ne m'attendais pas à te voir en... nounou improvisée, » plaisanta Harry, en terminant de préparer le biberon.
« Ne t'y habitue pas, » répliqua Draco avec une lueur d'ironie dans les yeux. « C'est la première et la dernière fois. »
Teddy poussa un petit gémissement, et Draco lui tapota maladroitement le dos. Le bébé émit un rot sonore qui fit sursauter le blond. Harry éclata de rire.
« Eh bien, Malfoy, je crois que tu viens de te faire un nouvel ami. »
Draco regarda le bébé qui s'était blotti contre lui, une mèche de cheveux changeant de couleur pour virer au blond presque argenté, comme une imitation involontaire. Un sourire indéchiffrable se dessina sur les lèvres de Draco.
« Tu devrais te voir. On dirait que tu commences à t'attacher à lui, » fit remarquer Harry, croisant les bras, amusé.
« Attacher ? » Draco lança un regard noir à Harry. « Je ne m'attache pas, je me fais attaquer par un gremlin en pleine poussée dentaire. C'est très différent. »
Mais malgré ses mots, Harry voyait bien que Draco prenait soin de Teddy. Le bébé avait même arrêté de pleurer, comme s'il s'était calmé au contact du blond. Les cheveux de Teddy changèrent de couleur, virant à un blond argenté, presque identique à ceux de Draco.
Harry éclata de rire. « Tu es bien plus doué avec les bébés que je ne l'aurais imaginé. Je pourrais presque te confier la garde de Teddy. »
Draco fit mine de frémir. « Ne me menace pas, Potter. Je ne suis pas prêt à sacrifier ma santé mentale pour ton louveteau. »
Harry s'adossa au comptoir, observant Draco d'un air pensif. C'était si étrange de le voir dans cette situation, si naturel, si à l'aise, loin de l'arrogance habituelle. Une pensée fugace lui traversa l'esprit : et si, derrière cette façade glaciale, Draco avait toujours été ainsi, quelqu'un de tendre, capable de prendre soin des autres, si on lui en laissait l'occasion ?
« Merci, Draco, » finit-il par dire, la voix plus douce.
Draco leva les yeux vers lui, surpris par ce ton sincère. « Ne t'y habitue pas, Potter. Je ne fais pas ça pour toi. Je le fais parce que, contrairement à toi, j'ai encore un peu de dignité. »
Harry sourit, secouant la tête. « Bien sûr, Malfoy. Tout ce que tu fais, c'est par dignité. » Il s'approcha et tapota l'épaule de Draco, une étincelle de gratitude dans le regard.
Un silence s'installa, paisible, seulement troublé par le souffle régulier de Teddy, qui s'endormit enfin dans les bras de Draco. Harry prit une profonde inspiration et murmura :
« Tu sais, Malfoy, tu pourrais faire un père génial un jour. »
Draco le fusilla du regard, mais ses lèvres s'étirèrent en un sourire presque imperceptible. « Et toi, Potter, tu devrais te taire avant que je ne te jette un sort.
Malgré ses protestations et ses airs de détachement, Draco passait de plus en plus de temps avec Teddy. Harry s'en amusait intérieurement. Il se souvenait de l'effet qu'avait eu le louveteau sur lui autrefois : un ancrage, une raison de se lever le matin, de sortir de ses pensées sombres pour prendre soin d'un être plus fragile que lui. En s'occupant de son filleul, Harry avait peu à peu laissé derrière lui ses schémas de pensées destructrices, et il avait remonté la pente, bien déterminé à être digne de ce petit être. À observer Draco, il avait l'impression que le blond suivait le même chemin, au grand soulagement de Narcissa.
Les journées s'écoulaient ainsi, rythmées par les jeux avec Teddy et les piques habituelles entre Harry et Draco. Mais les nuits demeuraient une autre histoire. Les cauchemars de Draco persistaient, violents et inexorables. Harry l'entendait parfois murmurer dans son sommeil, des supplications étouffées qui se transformaient en cris déchirants.
Aux alentours d'une heure du matin lorsque Harry fut tiré de sa somnolence par un hurlement qui lui glaça le sang. Draco. Ce cri n'avait rien de normal ; c'était un cri de terreur pure, d'une douleur viscérale. Ne pouvant rester plus longtemps sans agir, Harry se leva précipitamment et se dirigea vers la chambre du blond.
La porte était entrouverte. Harry hésita une seconde, puis la poussa doucement. La scène qui s'offrit à lui lui serra le cœur : Draco, recroquevillé sur son lit, secoué de sanglots incontrôlables, ses épaules frêles tremblant sous la couverture. Le voir ainsi, si vulnérable, le fit paraître infiniment jeune, loin de l'arrogant héritier qu'il avait été.
Prenant une inspiration, Harry s'approcha et s'assit sur le bord du lit sans un mot. Il tendit une main hésitante, effleurant d'abord les mèches blondes emmêlées avant d'y glisser doucement ses doigts. Le corps du blond se tendit sous le contact, mais il ne se détourna pas. Au contraire, il sembla s'abandonner, ses pleurs reprenant de plus belle, lourds et profonds, comme s'ils venaient d'un endroit trop longtemps scellé.
Après ce qui sembla être une éternité, les pleurs de Draco se tarirent enfin. Il inspira profondément, s'essuya maladroitement les joues avant de murmurer d'une voix rauque, presque brisée :
« Tu crois que certains sont choisis pour vivre, d'autres pour mourir, pour souffrir ou pour être heureux ? » Sa voix se brisa, et il détourna le regard, fixant un point invisible dans l'obscurité de la pièce. « Quand je regarde en moi, je me dis… peut-être que je ne suis pas fait pour aller bien. Peut-être que je ne suis pas fait pour être, tout simplement. »
Harry sentit une vague de tristesse l'envahir. Il n'avait jamais entendu Draco parler ainsi, avec une telle détresse.
« Je pense que personne n'est destiné à souffrir... La douleur, elle vient, elle nous détruit parfois. Mais elle ne définit pas qui nous sommes, ni ce que nous méritons. »
Draco resta silencieux un instant, puis tourna la tête vers lui, ses yeux gris brillants de larmes. « Alors pourquoi moi, Harry ? Pourquoi ai-je l'impression que c'est tout ce qui m'attend ? »
Harry ne répondit pas tout de suite. Il savait qu'aucune parole ne pourrait effacer ce que Draco portait en lui, cette culpabilité, ce poids invisible.
« Peut-être parce que tu n'as jamais eu quelqu'un pour te dire que tu n'as pas à porter tout ça seul, » murmura-t-il finalement. « Peut-être parce que tu crois que tu dois tout expier, même ce qui n'est pas ta faute. »
Les yeux de Draco s'écarquillèrent légèrement, comme s'il avait été frappé par une vérité qu'il n'avait jamais osé formuler à haute voix. Un tremblement le parcourut, et il enfouit son visage dans ses mains.
Harry s'approcha encore, glissant son bras autour des épaules tremblantes du blond. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était tout ce qu'il pouvait offrir : sa présence, son écoute, son silence. Et cette fois, Draco ne se débattit pas, ne chercha pas à se dérober. Il se laissa aller contre lui, s'autorisant pour la première fois à relâcher la garde.
Dans les jours qui suivirent, une habitude étrange s'installa entre eux, une sorte de rituel nocturne silencieux. Lorsque la maisonnée sombrait dans le sommeil, Harry rejoignait Draco dans son lit. Il n'y avait pas de mots échangés, seulement la présence de l'autre, un apaisement tacite. Si l'un faisait un cauchemar, l'autre était toujours là, instinctivement, pour chasser les ombres du mauvais rêve. Petit à petit, Harry s'éveillait dans les bras de celui qu'il avait autrefois considéré comme son ennemi juré, et Draco ne le repoussait pas. Au contraire, il semblait presque s'agripper à cette proximité, comme à une bouée dans une mer agitée.
Leurs journées se fondaient dans une nouvelle complicité, une routine qui n'avait rien de planifié mais qui s'imposait naturellement. Ils se mettaient à marcher ensemble, explorant les hectares de forêt qui entouraient le domaine, longeant les rivières sinueuses et se frayant un chemin dans les sous-bois. L'air frais et les senteurs de la nature leur faisaient un bien immense, comme si, à chaque pas, ils laissaient derrière eux un peu du poids qu'ils portaient sur leurs épaules.
Ils se surprenaient à courir, à sauter par-dessus les troncs d'arbres couchés, à se lancer des défis absurdes et puérils. Harry proposa une course jusqu'à l'arbre le plus vieux de la forêt ; Draco accepta, feignant l'indifférence avant de partir en trombe, riant comme un enfant. Ils escaladaient des rochers, tentaient de grimper aux arbres et se bousculaient en riant, tombant parfois à terre, le souffle coupé par leurs éclats de rire.
Ils étaient redevenus des adolescents, ceux qu'ils n'avaient jamais eu la chance d'être. La guerre avait volé leur jeunesse, mais ici, loin de tout, ils se retrouvaient à redécouvrir l'insouciance qu'ils pensaient perdue à jamais.
Le soleil déclinait doucement, projetant une lumière dorée à travers le feuillage des arbres, transformant la clairière en un écrin de calme. Harry et Draco, essoufflés après une course effrénée, s'étaient effondrés sur l'herbe tendre, leurs rires s'éteignant peu à peu pour laisser place au murmure de la rivière.
Aujourd'hui, Draco entonna un nouvel air, une berceuse douce, presque chuchotée. Harry se laissa porter par la mélodie, ses yeux se fermant un instant, emporté par la paix de ce moment partagé. Mais lorsqu'il ouvrit les yeux, Draco le fixait, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres.
« Ça a pris du temps… mais je suis prêt à présent !, » murmura Draco ses mots suspendus dans l'air comme une promesse inachevée.
Harry se redressa, intrigué par la lueur dans le regard du blond. « Prêt à quoi ? » demanda-t-il, sentant une tension naître dans son ventre, un pressentiment doux-amer qu'il ne parvenait pas à nommer.
Draco détourna les yeux, observant un instant la rivière qui coulait, paisible et imperturbable. Puis il se tourna à nouveau vers Harry, ses yeux gris éclairés par une tendresse inattendue. « Prêt à te rendre ce que tu m'as prêté, bien sûr, » répondit-il d'une voix calme, presque chuchotée.
Avant que Harry ne puisse comprendre, il sentit les lèvres de Draco sur les siennes. C'était un baiser léger, hésitant, comme une feuille qui se pose délicatement sur l'eau. Le temps sembla se figer autour d'eux, le murmure de la rivière s'estompa, et Harry perdit tout sens de la réalité. Il n'y avait plus que la chaleur douce de ce contact, la sensation de Draco qui se pressait contre lui avec une douceur presque enfantine.
Au creux de ce baiser, une étrange sensation se fit sentir. Une lueur argentée passa entre leurs lèvres, une énergie familière. Harry réalisa soudain : Draco lui rendait son Patronus. Cette lueur protectrice, cette force qu'il avait discrètement prêtée pour veiller sur Draco dans ses moments de terreur, revenait maintenant à lui.
Le cœur de Harry se serra, envahi par une vague d'émotions contradictoires. Une part de lui voulait répondre à ce baiser, s'abandonner à ce sentiment qu'il n'avait jamais osé nommer. Mais la peur le submergea. Et si ce n'était qu'un malentendu ? Et si ses propres sentiments le trahissaient ? Tout cela était trop intense, trop soudain. Incapable de faire face, il recula brusquement, se détachant de Draco comme s'il venait de toucher une flamme.
Sans un mot, il se leva et s'enfuit. Ses pieds frappaient le sol avec une urgence désespérée, les battements de son cœur résonnaient dans ses oreilles, couvrant la voix de Draco qui l'appelait, suppliant. Mais Harry ne se retourna pas. Il courait, aveuglé par ses propres peurs, ses pensées tourbillonnant comme des feuilles emportées par le vent d'automne.
Il atteignit enfin la chaumière des Tonks et s'y réfugia, haletant. Le silence de la maison semblait lui hurler sa propre lâcheté. Il s'appuya contre le mur, le souffle court, et son regard tomba sur la petite fiole de potion de Severus, abandonnée dans un coin sombre. Il n'avait pas pensé à elle depuis des mois. Pourtant, maintenant, elle représentait une issue, une échappatoire à ce chaos émotionnel.
Sans réfléchir davantage, il saisit la fiole et avala une gorgée. Le goût amer brûla sa gorge, et presque aussitôt, une douleur sourde monta dans sa tête, comme une tempête prête à éclater. La sensation était différente cette fois : c'était comme si une force invisible cherchait à s'échapper de lui, descendant dans sa gorge, comprimant sa poitrine jusqu'à l'étouffer.
Il tomba à genoux, ses doigts crispés autour du flacon. Une vague noire le submergea, et la pièce se dissout autour de lui. Tout devint flou, puis noir.
Lorsqu'il reprit conscience, il était en sueur, allongé dans un lit qui lui était étrangement familier. Il se redressa d'un coup, attrapa ses lunettes, et découvrit Ron penché sur lui, l'air inquiet.
« Harry, tu vas bien ? » demanda Ron, la voix teintée de nervosité. « Tu as eu l'air de faire un mauvais rêve… »
Harry le regarda, encore désorienté, ses pensées peinant à reprendre leur cours normal. Il réalisa soudain qu'il n'était plus dans la chaumière. Il se trouvait dans le dortoir de Gryffondor, entouré des rideaux rouges qu'il connaissait par cœur. Mais il y avait quelque chose de différent, une sensation étrange d'avoir voyagé plus loin qu'il ne l'avait prévu.
« Aucun serpent n'a essayé de te mordre, j'espère ? » plaisanta Ron pour détendre l'atmosphère.
Mais Harry ne répondit pas. Il se leva d'un bond, traversa le dortoir en trombe, ignorant les protestations de Ron, et se précipita vers le miroir de la salle de bain. Ce qu'il vit lui coupa le souffle : son propre reflet, plus jeune de plusieurs années. Ses traits juvéniles, presque enfantins, lui renvoyaient l'image d'un garçon de seize ans.
Il n'avait pas retrouvé son époque. Il avait été projeté encore plus loin dans le passé, en pleine sixième année à Poudlard. Un frisson glacé lui parcourut l'échine, et il sentit la peur s'emparer de lui.
Il avait voyagé dans le temps, mais pas là où il l'avait espéré.
