Sanji passa le reste de la journée à éviter Zoro du mieux qu'il pouvait. Il se convainquit qu'il n'avait pas bien entendu les paroles de l'épéiste lorsqu'il s'était éloigné de la porte de la cuisine. Zoro ne pouvait pas laisser entendre qu'il gardait activement un œil sur Sanji puisqu'il recherchait rarement l'attention du cuisinier - à moins d'avoir faim ou de chercher la bagarre - et passait le plus clair de son temps à s'entraîner dans le nid de pie ou à faire la sieste sur le pont, inconscient du monde qui l'entourait. Cependant, lorsque Zoro lui proposa de l'accompagner au marché pour finir ses courses, il devint évident que l'épéiste avait vraiment l'intention de surveiller le bien-être du cuisinier, et bien que le blond soit réticent à l'admettre, c'était une chance qu'il l'ait fait.
L'état de santé de Sanji se détériorait d'heure en heure, et il fut victime d'une poignée de graves mésaventures : il contraria un marine armé et impitoyable sur le marché en trébuchant étourdiment sur l'homme et en renversant son repas sur son front, il mit le feu à sa propre frange de cheveux en tentant d'allumer faiblement une cigarette dont il avait grand besoin, et il faillit s'ouvrir la tête sur le trottoir en trébuchant et en tombant dans des escaliers en pavés. A chaque fois, Zoro n'était pas loin et était venu silencieusement à la rescousse du cuisinier, à la grande honte et à l'embarras du blond.
Sanji ne savait jamais quoi répondre lorsque Zoro lui demandait « Ça va, Cook ? » car son ton n'était jamais le même que lorsqu'ils se disputaient ou s'engueulaient - il était tout à fait sérieux, comme s'il était vraiment inquiet. Ce dernier incident sembla particulièrement troubler l'épéiste qui se précipita dans les escaliers en prononçant cette même question avec une nette note de panique sous-jacente. Il n'attendit même pas la réponse avant de s'agenouiller à côté du cuisinier abattu. Sanji sentit des doigts s'enfoncer dans ses cheveux blonds et sursauta au contact soudain.
« Tu t'es cogné la tête ? » demanda Zoro, tâtant chaque centimètre carré du cuir chevelu de Sanji, à l'affût de toute réaction d'inconfort. La palpation était d'une douceur inattendue, et il y avait un léger tremblement au bout de ses doigts, ce qui n'était pas non plus caractéristique de l'épéiste.
« Je vais bien, enlève tes sales pattes de mes magnifiques cheveux, Marimo ! » s'écria-t-il, en colère contre son coéquipier qui le touchait si délicatement. Zoro savait que Sanji n'était pas assez faible pour se laisser faire par une volée de marches, alors pourquoi était-il si soulagé de trouver le cuisinier indemne ?
« Euh...désolé, » marmonna Zoro en retirant rapidement sa main d'un coup sec. « J'ai juste... »
« Juste quoi ? » insista Sanji. Il pouvait voir que quelque chose dérangeait l'autre homme car il y avait une étincelle inattendue de peur réelle dans les yeux de l'homme intrépide qui commençait à peine à s'estomper. Zoro se leva et tendit silencieusement la main pour aider Sanji à se relever, mais le blond se mit péniblement debout, ignorant volontairement le geste par pur entêtement. « On dirait que tu as vu un fantôme. Quel est ton problème ? » demanda Sanji.
« J'ai vu un fantôme, d'une certaine façon, » répondit Zoro avec solennité. « Mon amie d'enfance, Kuina, est morte en tombant dans les escaliers de notre dojo. Elle s'est brisé la nuque sur le coup. Alors excuse-moi si je me suis un trop précipité. »
Sanji le regarda, abasourdi. « Oh. Merde, c'est... »
« Oublie mes problèmes, cuisinier stupide. J'en ai assez de ton masochisme. Tu dois voir Chopper pour lui parler de ce qui t'arrive, et je ne veux pas entendre tes conneries sur le fait de dormir ou d'attendre que ça passe. Est-ce que tu peux au moins voir clair en ce moment ? »
« Pourquoi tu ne peux pas t'en aller et me laisser prendre soin de moi ? Ce n'est pas comme si c'était inhabituel pour les gens d'être malades. »
« Alors tu admets que tu es malade ? » répliqua Zoro.
« Argh ! Je ne sais pas, je ne suis pas médecin ! Je sais juste que je ne vais pas laisser un petit rhume m'empêcher de faire mon travail ! »
« Je sais que tu mens. Ce n'est pas possible que ce soit juste 'un petit rhume'. Fais-toi examiner ce soir pour que Chopper puisse te soigner avant qu'on reprenne la mer. Je ne veux pas compter sur la cuisine merdique de Nami si tu es cloué au lit et que nous sommes à des kilomètres d'une île avec des repas décents. »
« Ne dis pas de conneries sur la cuisine de Nami-san alors qu'elle travaille si dur pour me remplacer dans la cuisine ! Je vais te botter le cul, espèce de bâtard ingrat ! »
La menace de Sanji n'avait pas beaucoup de poids alors qu'il se balançait sur des pieds incapables de le tenir debout, et encore moins de porter un coup efficace. C'est la prise de conscience qu'il ne serait pas capable de botter le cul de Zoro s'il le voulait qui convainquit Sanji d'aller enfin voir leur médecin pour un check-up, et Chopper n'était pas content de lui pour avoir caché un problème médical.
« Comment as-tu pu ignorer ce problème pendant des jours, Sanji ? Je m'attendais à quelque chose comme ça de la part de Zoro ou de Luffy, mais je pensais que tu étais plus intelligent que ça. »
De retour au navire, le petit renne lui fit passer quelques tests de coordination de base (dont beaucoup échouèrent) et découvrit que Sanji avait aussi une légère fièvre en plus des douleurs et des vertiges qu'il ressentait. « Tu as dit que les symptômes augmentaient avec le temps, alors je veux que tu restes à l'infirmerie ce soir pour que je puisse les surveiller et écarter les causes possibles. »
« D'accord, je m'allongerai dès que j'aurai fini de préparer le dîner. »
« Non, tu dois te reposer ! Surtout que tu ne peux pas marcher en ligne droite sans te cogner contre quelque chose ! » gronda Chopper, et Sanji fut contraint d'abandonner le combat.
Il n'aimait pas se soustraire à ses obligations de cuisinier du navire, mais il devait admettre qu'il était épuisé après une nouvelle journée d'activités qui l'avaient vidé de son énergie tout en lui permettant de supporter ses symptômes désagréables. Il s'endormit à l'infirmerie avant même d'avoir eu la chance de goûter le fruit des efforts culinaires de Nami.
Il se réveilla un peu plus tard au son de pas lourds se répercutant dans son crâne et de douleurs aiguës et lancinantes qui lui ôtèrent immédiatement la vue pendant quelques secondes. « Ah merde... » gémit-il d'une voix rauque car sa bouche était plus sèche que le désert d'Alabasta. Sa gorge se serra et se desserra tandis que ses muscles se contractaient, et un verre d'eau fraîche lui fut poussé dans la main, qu'il engloutit instantanément pour soulager ses entrailles desséchées.
L'estomac de Sanji se révolta immédiatement contre l'intrusion du liquide, et il se recroquevilla sur lui-même tandis que des vagues de nausée le submergeaient. Une main ferme le retint lorsqu'il commença à basculer vers le bord du lit.
« T'as une sale gueule, Sourcil en Vrille. »
« Va te faire foutre, » grogna Sanji. Pourquoi l'épéiste était-il encore avec lui ? Où étaient ses belles Nami-san et Robin-chan, et pourquoi n'étaient-elles pas à son chevet pour l'aider à boire de l'eau ?
« Je prends ça comme un "tu as raison". Tu n'allais pas t'endormir, Cook. » Quelque chose dans le ton de l'épéiste fit marquer une pause à Sanji, car il était à nouveau suspicieusement sérieux, et il savait que Chopper était là pour le diagnostiquer correctement cette fois-ci.
« Alors, c'est grave ? » demanda-t-il en se retroussant les lèvres. « Pas assez grave pour que je ne puisse pas fumer, sûrement. » Il s'apprêtait à sortir son paquet de cigarettes de sa veste, mais Zoro lui repoussa la main.
« Chopper n'est pas encore tout à fait sûr. Il dit qu'il veut faire d'autres tests, alors d'ici là, il ne faut absolument pas fumer, d'accord ? »
« Tu ne me dénoncerais pas, n'est-ce pas ? J'en veux juste une ou deux, et tu ignores toujours Chopper quand il te donne des conseils, stupide bretteur. »
« J'ai dit non. » Le ton de Zoro était sans appel.
Sanji lui lança un regard dégoûté. « Qu'est-ce que tu es, ma nounou ? Je suis un adulte, je peux m'empoisonner les poumons si je veux ! » Il se pencha à nouveau en avant, et Zoro se leva de sa chaise comme l'éclair. Il prit la veste noire de Sanji sur la table de chevet et récupéra son briquet dans la première poche dans laquelle il plongea ses doigts.
« Tu es sans espoir. Je m'en occupe jusqu'à ce que Chopper te laisse sortir de ta quarantaine. »
« Quarantaine ? » demanda Sanji lorsque Zoro fut à mi-chemin de la porte.
« Oui, tu n'as pas le droit d'être en contact avec les autres. Tu n'as pas le droit de fréquenter le reste de l'équipage tant que Chopper n'est pas sûr que ce qui t'affecte n'est pas contagieux. »
« Alors pourquoi es-tu ici, idiot ? »
Le pas de Zoro faiblit à ce moment-là, mais il repris rapidement son rythme sans se retourner. « Je l'ai déjà bien mauvaise, » marmonna-t-il.
« Qu'est-ce que tu viens de dire ? » demanda le blond, supposant que le marmonnement était offensant.
« Rien. Chopper est parti chercher de la nourriture. Il sera bientôt de retour pour te dire tout ce qu'il sait à ce sujet, alors arrête de te plaindre et reposes-toi. » Il referma la porte derrière lui d'un coup sec, emportant avec lui le briquet volé.
Sanji jeta un coup d'œil à la porte où le dos de l'épéiste disparaissait - les muscles y étaient tendus sous son t-shirt blanc, ce qui laissait penser à Sanji que Zoro était plus anxieux qu'il ne le laissait paraître. Ses sourcils en vrilles se froncèrent alors qu'il se demandait si cela signifiait que Chopper avait découvert quelque chose de terrible à propos de son état. La porte s'ouvrit pendant qu'il la fixait et le renne en question entra, portant une assiette d'œufs et de bacon avec une assiette de fruits et un grand verre de jus d'orange.
« Je t'ai apporté le petit déjeuner, Sanji ! Même s'il est presque l'heure du déjeuner, » dit Chopper avec enthousiasme.
Il posa les plats sur la table à côté du cuisinier dont le nez se fronça à l'odeur. Elle aggravait ses nausées récemment calmées, mais il savait qu'il n'avait pas mangé depuis le déjeuner d'hier et qu'il était vide de nutriments solides. L'horreur l'envahit à cette seule idée, et son estomac se sentit soudain inconfortablement creux. Des visions d'un rocher stérile entouré d'une mer sans fin défilèrent dans son esprit, poussant Sanji à enfourner à la hâte quelques œufs jaunes et pelucheux dans sa bouche, en souhaitant qu'ils ne remontent pas. Heureusement, ce ne fut pas le cas, et il put finir jusqu'à la dernière bouchée sans créer de désordre que Chopper aurait à nettoyer.
Le médecin au nez bleu attendit patiemment, regardant Sanji manger avec une expression curieuse. Le cuisinier se sentait comme une sorte de spécimen sous un microscope, alors il se racla la gorge dès qu'il eut fini de manger et dit, « Donne-le moi directement, Doc. Combien de temps me reste-t-il ? » Un sourire se dessina sur ses lèvres, que Chopper ne sembla pas apprécier.
« J'estime qu'il te reste encore un jour et demi, » lui dit gravement le renne.
« Haha. D'accord, alors qu'est-ce qui m'arrive ? »
« ...Je ne plaisante pas, Sanji, » ajouta Chopper sur le même ton sérieux que Zoro avait pris l'habitude d'utiliser avec lui.
Sanji pâlit, d'une part à cause des paroles du docteur et d'autre part à cause de la faiblesse croissante qui assaillit son corps jusqu'à ses os. « ...Hein ? » marmonna-t-il bêtement.
« J'ai été extrêmement prudent en prenant soin de toi pendant la nuit, mais ton corps ne réagissait pas à ce que je faisais. Ton état s'est aggravé d'heure en heure, apparemment à un rythme fixe, alors que tes fonctions métaboliques ralentissaient. Je ne sais pas ce qui a causé ce déclin rapide, mais je ne suis pas sûr de pouvoir trouver une solution médicale avant la fin du délai prévu. » Chopper retint son souffle en se préparant à la réaction de Sanji.
« Et à la fin de ce délai, je mourrai, c'est ce que tu dis ? » confirma Sanji en déglutissant difficilement.
Chopper hocha brusquement la tête, les larmes aux yeux : « À moins que nous ne trouvions la racine du problème, oui. »
« Tu en as parlé au reste de l'équipage ? »
« Oui. Je suis ton médecin, il est donc de mon devoir d'être avec toi pendant que j'essaie différents traitements, mais je ne voulais pas risquer de te rendre visite pour l'instant. Je suis désolé. »
« Eh bien, merde, » grommela Sanji, fronçant les sourcils en regardant sa veste que l'épéiste avait si négligemment jetée sur le sol. « Je peux fumer ? » ajouta-t-il avec espoir, oubliant qu'on lui avait volé son briquet.
Chopper hésita une seconde avant de dire à contrecœur : « Je ne le recommande pas, mais tu le prends un peu trop bien, et honnêtement, tu ne peux pas être beaucoup plus mal. Vas-y, profites-en si ça peut t'aider à te sentir mieux. »
Un sourire se dessina sur la bouche de Sanji, jusqu'à ce qu'il se souvienne de ce que Zoro avait fait. « Bon sang, ce stupide Marimo a pris mon briquet ! »
« Quoi ? Zoro était à l'infirmerie ?! Depuis combien de temps ?! » hurla Chopper.
« Je n'en ai aucune idée, il était là quand je me suis réveillé. »
« Gah ! Cet idiot n'écoute jamais rien de ce que je dis ! Je dois aller lui parler, et je ne peux pas rester ici trop longtemps au cas où je serais capable de répandre ce que tu as. Je reviendrai plus tard pour faire d'autres tests, d'accord ? »
« Bien sûr, Chopper. »
Sanji plaqua un faux sourire sur son visage, qu'il savait que son crédule coéquipier croirait, jusqu'à ce que le petit docteur quitte la pièce dans un soupir de colère. Il se recoucha alors, une cigarette éteinte entre les lèvres, constatant avec agacement la quantité d'énergie qu'il avait dû dépenser pour se disputer avec Zoro et écouter les vagues diagnostics de Chopper.
C'est de la folie. Je n'arrive pas à croire que je vais vraiment casser ma pipe si tôt dans notre aventure, pensa-t-il d'un air morbide. Mais ces idiots ne vont pas me laisser mourir sans se battre, surtout pas Luffy ou le Marimo. Il ne savait pas pourquoi il incluait Zoro dans cette pensée, mais il savait instinctivement que c'était vrai - l'épéiste têtu était tout aussi protecteur envers ses nakama que leur capitaine. Il ne laisserait jamais l'un d'entre eux mourir s'il pouvait y faire quelque chose. S'il y a un moyen de me sauver, ils le trouveront.
