Il l'observa en silence depuis la porte de son bureau, soucieux. Candice était connue pour sa gourmandise, et elle ne refusait jamais un repas à l'extérieur avec son équipe sans une bonne raison. Or, c'était la deuxième fois qu'Antoine essuyait un refus après l'avoir invitée à les rejoindre, et avec une excuse bancale en prime.
Non, décidément, quelque chose n'allait pas avec sa commandante, et il comptait bien découvrir quoi.
La tête baissée sur ses papiers, Candice grimaça en sentant son estomac faire des siennes. Elle entoura sa taille d'un bras, ignorant comme elle put la faim qui se faisait sentir. La tentation était grande, mais plus grande encore était sa détermination à se débarrasser de ses rondeurs qu'elle ne supportait plus. Les regards en coin, les critiques, les remarques déguisées… La commandante n'en pouvait plus, et elle avait fini par céder et se mettre à un régime drastique. Finies les douceurs, finies les calories. Et malheureusement, finis aussi les repas avec son équipe. Elle n'avait pas envie de se justifier à chaque fois sur ses choix diététiques, et encore moins d'essuyer moqueries et sous-entendus. Alors elle avait pris le parti de ne plus s'exposer à ce genre de situation. Et puis bon, ce n'était pas la première fois qu'elle déclinait une invitation de son équipe. Bon, d'accord, c'était la deuxième fois de suite qu'elle refusait alors que c'était son capitaine qui formulait l'invitation, mais vraiment, ce n'est pas comme s'il prêtait attention à ce genre de détail.
Son estomac se mit à gargouiller, et Candice laissa échapper un soupir. Elle aurait tout donné pour une bonne pizza… Non, on ne pense pas comme ça. Se morigéna-t-elle. Elle saisit sa bouteille d'eau et c'est en levant les yeux vers le plafond, en plein milieu de sa gorgée, qu'elle le vit. Elle s'étouffa à moitié, surprise, et il entra en fermant la porte derrière lui.
"Tu m'expliques?" lança le capitaine Antoine Dumas en dévisageant sa supérieure.
"Je bois de l'eau, Antoine. Tu sais, c'est ce que font les gens pour rester hydratés!" Rétorqua la commandante Candice Renoir après avoir repris son souffle, épongeant son chemisier bleu pâle.
"À d'autres, Candice. Je croyais que tu voulais juste manger au calme dans ton bureau. Il est où ton super repas préparé par ton fils?"
Le ton sec du capitaine interpella la commandante. Elle le fixa en silence, son expression, pour une fois, indéchiffrable.
"Qu'est-ce qu'il se passe? Tu sautes des repas, tu nous mens pour ne pas manger avec nous. Tu es malade?"
"Mais non, enfin."
"Ah, donc il y a quelque chose." Antoine croisa les bras en fixant sa cheffe de groupe, l'ombre d'un sourire triomphant au coin des lèvres.
"Non, Antoine, il n'y a rien. Je n'avais juste pas faim ce midi, c'est tout."
Elle détourna le regard en se levant, mais ne put s'empêcher de rentrer son ventre. Candice saisit un dossier et se rassit aussi vite qu'elle s'était levée en marmonnant quelque chose qu'Antoine ne comprit pas.
"Tu disais?" Fit-il lorsque l'estomac de Candice gargouilla de nouveau, plus fort. Elle retint un soupir mais laissa échapper une grimace que, cette fois, son subordonné ne manqua pas.
"Depuis que je suis arrivée, tu ne te gênes pas pour dire ce que tu penses, on est d'accord." Il ouvrit la bouche pour protester.
"Non, c'est pas une question, Antoine, c'est un fait. Et j'apprécie ton honnêteté. Alors tu vas bien me regarder," lâcha la mère de famille en se relevant et en contournant son bureau, "et tu vas me répondre avec toute l'honnêteté qui te caractérise. Est-ce que je suis grosse?"
Le silence plana dans le bureau.
"Quoi? Mais qu'est-ce que tu racontes, enfin? C'est pour ça que tu sautes des repas? Tu t'es remise au régime?" Antoine secoua la tête, incrédule.
"Réponds-moi, Antoine."
"Candice, sérieusement…"
Elle hocha la tête brièvement, blessée.
"Si tu t'inquiètes des conséquences de ta réponse, je te rassure, je ne compte pas faire un rapport parce que tu m'auras donné une réponse objective à la question que je te pose."
"Mais c'est pas ça, Candice, tu te rends compte de ce que tu me demandes, là?"
"Je te demande une réponse claire. T'as pas de mal à me répondre d'habitude, alors pourquoi tu hésites?"
"Mais parce que si je te dis vraiment ce que je pense, ça va changer les choses entre nous." claqua le capitaine avec un mouvement d'humeur.
"Quoi? Tu crois que je les entends pas, les remarques autour de moi? Les critiques, les sous-entendus. Et je te parle pas des insultes, ça tu les entends comme moi."
Elle croisa les bras autour de sa taille et détourna le regard pour la deuxième fois depuis le début de leur conversation. Sans réfléchir, Antoine s'approcha d'elle et passa ses mains sur ses hanches.
"Mais c'est rien, ça, c'est des pauvres abrutis qui savent pas de quoi ils parlent! Non t'es pas grosse. Tu es même super belle! " rétorqua-t-il en soulevant son menton.
Elle le fixa, les yeux écarquillés, choquée.
"Qu-quoi?"
"Tu es une femme superbe, Candice…" murmura-t-il d'un ton séducteur. La commandante ne put éviter le rouge qui lui monta aux joues tant au regard qu'à la voix de son adjoint.
"Antoine… Te fous pas de ma gueule!" Elle le repoussa d'un geste ferme en ignorant la douleur cuisante qui lui étreignait le cœur.
"Je suis sérieux, Candice. T'es pas une taille mannequin, et alors? C'est pas ça qui m'empêche de te trouver sexy quand tu mets une robe, ou de te regarder quand tu te penches et que ton jean te moule juste là où il faut…" souffla-t-il à son oreille, lui tirant un frisson. Ils restèrent immobiles, proches. Peut-être trop. Mais pour la première fois depuis un sacré bout de temps, Candice se sentait désirable, et désirée. Et même si elle savait, au plus profond d'elle-même, qu'elle se faisait certainement des illusions, elle ne put s'empêcher de rentrer dans le jeu de son adjoint.
"Donc comme ça, tu reluques ta supérieure?" murmura-t-elle sur le même ton, posant ses mains à plat sur son torse musclé.
"Coupable, ma commandante."
Il effleura son cou de ses lèvres, sans la toucher vraiment, et sentit une pointe de satisfaction à la chair de poule qui recouvrit sa peau. Ils se fixèrent en silence, longuement, et puis finalement, les barrières sautèrent. Antoine captura les lèvres charnues de Candice sans sommation, la plaquant contre lui en passant un bras autour de sa taille. Elle soupira contre sa bouche en s'accrochant à lui, lui rendit son baiser avec autant de passion.
Ils se séparèrent, à bout de souffle, le cœur battant à tout rompre.
"Excuse-moi… Je sais pas ce qui m'a pris…" Antoine recula d'un pas en la lâchant, évitant son regard. Candice baissa la tête, le cœur brisé. Ça, c'était à prévoir.
"Non, non, c'est rien. Oublie, c'était stupide de te demander ça…"
Elle savait qu'elle devait remettre de la distance, mais n'y arrivait pas. Il avait éveillé quelque chose en elle, et Candice le savait, elle venait de se foutre dans une sacrée pagaille, encore une fois.
Le moment fut brisé par la sonnerie du portable d'Antoine. Il ne bougea pourtant pas, restant tout aussi près d'elle, allant jusqu'à effleurer sa taille du bout des doigts en décrochant. Et l'enquête reprit, grâce au témoignage d'un voisin de leur victime, sortant le capitaine et la commandante de leur bulle.
Candice laissa échapper un long soupir en sortant une bouteille de rouge. Son bain n'avait pas eu l'effet escompté, et, ses enfants éparpillés chez leurs amis pour le week-end, elle se retrouvait seule avec ses pensées. Les 3 derniers jours avaient été tendus. Elle ressassait, encore et encore, ce qu'il s'était passé dans son bureau, cherchant à comprendre, à analyser. Elle se servit un verre, jeta un regard à la bouteille, puis au frigo, et haussa les épaules en gardant verre et bouteille en main tandis qu'elle rejoignait son jardin. Elle se laissa tomber sur le banc, posa son bazar sur la table basse et sortit un paquet de cigarettes de la poche de son kimono. Exhalant une première bouffée, elle leva les yeux vers le ciel étoilé et se perdit dans ses doutes.
Du bruit près de son portail la tira de sa rêverie et elle sentit le sang quitter son visage en découvrant son adjoint juste devant chez elle.
"Bonsoir. Je peux?" Elle hocha simplement la tête, toujours figée sur place.
"Qu'est-ce que tu fais là aussi tard?"
Antoine haussa les épaules en se laissant tomber à ses côtés. Il sortit une bouteille de blanc de son blouson en offrande de paix.
"C'était tendu, cette semaine…" fit-il en avisant la bouteille de rouge entamée.
"Ouais… Je vais chercher le tire-bouchon et je te ramène un verre."
Elle se rassit sur le banc une fois les objets ramenés, finit son verre d'une traite et le tendit vers lui. Le silence reprit ses droits. Chacun savait qu'une conversation devait avoir lieu, mais aucun ne savait comment l'amorcer. Ils trinquèrent sans grande conviction, et toujours sans un mot. Puis finalement, la conversation démarra sur des banalités, sur le travail, sur leur dernière affaire. De regards volés en sourires timides, et le vin aidant, ils finirent par se détendre et partager des anecdotes, riant de bon cœur aux mésaventures de l'un et de l'autre.
La soirée était bien avancée, la bouteille de blanc vidée, la bouteille de rouge bien entamée, le paquet de cigarettes, moins une, gisant oublié sur la table basse. Les rires s'étaient tus, le silence régnait, l'atmosphère n'était plus aux anecdotes, mais propice aux confessions d'un autre genre.
Candice fixait son verre, le coude contre le dossier du banc, elle avait replié ses jambes vers elle, tandis qu'Antoine, à demi-tourné vers sa cheffe de groupe, reposait sa cheville sur son genou.
"Je pensais pas que ça t'atteignait autant." Souffla doucement Antoine en prenant la main de Candice. Elle sourit à peine, passant son pouce sur le dos de sa main.
"En même temps, c'est pas faux. J'ai des vergetures, des bourrelets…"
"T'as mis 4 enfants au monde, t'as plus 20 ans non plus. Je te l'ai dit, moi je les trouve sexy, tes formes."
Leurs regards s'accrochèrent, comme trois jours plus tôt. Comme trois jours plus tôt, la tension était palpable entre les deux policiers. Mais contrairement à ce moment volé dans le bureau de la commandante, c'est elle qui fit le premier pas, lentement, sans précipitation. Ils échangèrent un long et tendre baiser qui avait le goût de l'interdit et du vin, la saveur de la complicité et du désir.
"Viens…" murmura Candice en se levant. Antoine la suivit sans un mot, et, dans la pénombre de la maison, elle le guida jusqu'à sa chambre. Ils échangèrent un nouveau baiser, impatient, ardent. Elle défit la fermeture de son blouson, il dénoua la ceinture de son kimono. Vêtement après vêtement, ils se rapprochaient du lit, se découvraient. Il la fit basculer sur le dos en accompagnant sa chute, parsemant chaque centimètre de sa peau laiteuse de baisers tantôt doux tantôt impatients.
Elle glissa ses bras autour de son cou lorsqu'il captura de nouveau sa bouche tandis qu'il effleurait sa cuisse, remontant vers sa hanche, son ventre, sa poitrine qui se soulevait au rythme de leurs respirations saccadées. Il entrelaça leurs mains et les amena au-dessus de sa tête, traça une ligne de baisers le long de son cou. Candice n'était pas en reste, malgré ses mains prisonnières de celles de son amant, elle referma ses jambes autour de la taille d'Antoine et le fit basculer sur le dos, prenant le contrôle de leur étreinte.
"Fini de jouer, capitaine!" Murmura-t-elle contre son oreille, lui tirant un frisson.
Le silence de la maison fut bientôt brisé par des soupirs et des gémissements tandis que le couple laissait libre cours au désir qu'ils entretenaient sans vraiment s'en rendre compte depuis près de 2 ans.
Candice ouvrit les yeux avec difficulté et les referma aussitôt en gémissant de douleur. Elle avait l'impression d'avoir une caisse de résonance dans la tête et un tambourinement persistait derrière ses tempes. Elle remonta le drap sur son visage avant de rouvrir brusquement les yeux. Un coup d'œil lui confirma ce que la commandante suspectait. Elle était totalement nue sous son drap. Un sombre pressentiment lui comprimant la poitrine, elle se retourna et laissa échapper un cri de surprise en avisant la silhouette masculine à ses côtés. L'homme, allongé sur le ventre et le visage à moitié enfoncé dans son oreiller, se redressa brusquement en ouvrant les yeux.
"Antoine?!" Candice, par réflexe, plaqua le drap contre elle en se reculant.
"Candice?" Le capitaine la dévisagea en fronçant les sourcils, visiblement victime du même phénomène que sa supérieure.
"On a…" commença-t-elle.
Il avisa leur situation avant qu'une partie de la soirée ne lui revienne en mémoire.
"On a, oui." Sourit-il tout bas en se calant plus confortablement. Il posa un regard tendre sur elle tandis qu'elle persistait à se dérober à son regard.
"Merde…" La soirée lui revint en mémoire à son tour, puis la nuit qui avait suivi. "Merde… Je suis désolée, j'étais pas dans mon état normal hier soir, je…"
Un vilain sentiment de déjà-vu s'empara de Candice qui en perdit ses mots sous le regard d'Antoine, se perdant dans ses yeux verts. Elle aurait voulu protester, lui dire que c'était une erreur, qu'ils n'auraient pas dû… Mais une petite voix dans sa tête lui soufflait le contraire. Lui disait qu'au contraire, elle avait passé une merveilleuse soirée avec son adjoint, que la nuit qu'ils venaient de partager, même ivres, avait été plus qu'agréable, et qu'elle voulait recommencer mais en étant sobre cette fois.
"Tu regrettes?"
Ce fut la seule question qu'Antoine lui posa. Si elle répondait par l'affirmative, alors il rangerait cette nuit dans un coin de sa tête et reprendrait une relation strictement professionnelle avec Candice. Mais s'il y avait la moindre chance qu'elle veuille retenter l'expérience, sans alcool, cette fois, alors il s'accrocherait. Il était tombé amoureux de cette femme au caractère bien trempé, et à la mauvaise foi parfois à la limite du supportable. Et il comptait bien saisir sa chance si elle lui en donnait la possibilité.
"Oui, enfin non… Je, je sais pas… On bosse ensemble, Antoine…" Candice bafouillait, cherchait une excuse, une raison de le repousser. Et puis merde. Songea-t-elle finalement en se glissant vers lui. Sans un mot de plus, elle captura ses lèvres. Il lui rendit son baiser en glissant ses bras autour d'elle, une main sur sa nuque, l'autre dans le bas de son dos. De son côté, Candice avait glissé une main dans le cou de son adjoint et l'autre dans ses cheveux. Antoine la fit basculer au-dessus de lui et elle se cala à califourchon sur ses hanches. À bout de souffle, ils se séparèrent, souriants.
"Bonjour…" finit-il par chuchoter en caressant son menton.
"Bonjour…"
"Bien dormi?" Elle hocha la tête avec un petit rire avant de grimacer en sentant sa gueule de bois se réveiller.
"Plus jamais je picole comme ça…" marmonna la commandante en reposant son front contre l'épaule de son amant.
"Tu veux une aspirine?" proposa doucement Antoine en caressant le dos de son amante du bout des doigts. Candice marmonna quelque chose d'inintelligible avant de se replacer à ses côtés. Il passa un bras autour de son épaule et glissa son autre main dans la sienne. Et c'est ainsi qu'ils finirent par se rendormir, tandis que les premiers rayons de soleil baignaient la maison d'une douce chaleur.
Antoine s'étira en quittant finalement les limbes du sommeil, et le soulagement le gagna en réalisant que sa tête ne résonnait plus. Les yeux clos, il glissa son bras à côté de lui et soupira en sentant la place vide et froide. Il était vraiment une cause perdue. Même le vin ne parvenait pas à lui sortir sa supérieure de l'esprit. Il ouvrit les yeux, prêt à retrouver la solitude de son appartement, et découvrit une chambre qu'il ne connaissait pas, ou tout du moins, qu'il aurait dû ne pas connaître, mais dont il avait rêvé la nuit précédente. Était-ce un rêve ou bien avait-il enfin franchi cette ligne avec la femme qu'il aimait?
Il se leva et remarqua ses vêtements soigneusement pliés sur la commode, ainsi que le drap de bain posé à côté, et la petite note. Il sourit en attrapant le post-it rose et le lut. 'Partie courir un peu, le café t'attend dans la cuisine.' Un petit cœur complétait le mot, et le policier sentit son propre cœur louper un battement. Ouais, il était vraiment mordu de sa supérieure.
