Écrit par HateWeasel

403. Le long trajet du retour.

Les énormes portes boisées du manoir s'ouvrirent et plusieurs domestiques en sortirent, ils firent quelques pas avant de jeter la menace blonde hors de la demeure et en pleine nuit, puis ils rentrèrent à l'intérieur. Quelques instants plus tard, ces mêmes portes se refermèrent, interdisant au blond de revenir. Alois était tout seul, seul avec la Mercedes dans laquelle il était arrivé en flamme, clairement inutilisable. Mais cela n'avait pas d'importance. La seule chose qui comptait était que Ciel n'était plus là. Alois l'avait perdu.

Les minutes passaient, et il restait là, anéanti par terre contre la froideur des marches en pierre du manoir. Il ne tenait même pas à bouger, en fait. A quoi bon. A quoi bon quand il ne pouvait même pas sauver celui qu'il aimait ? C'était futile. Il était pathétique, et il méritait de pourrir ici, peut-être qu'il pourrait au moins nourrir les charognards et les mouches.

Il ne ressentait rien. Le choc était trop fort. Il n'avait pas envie de vivre, et il n'avait pas envie de mourir. Alois était juste en train d'exister. Ceci dit, une partie de son instinct lui disait de se lever et il essayait mais il ne faisait que chanceler et tomber plus bas dans les marches. Il tomba lourdement sur le pavé au bout et n'eut aucune réaction.

Toutefois, son instinct continua à lui dire de se lever, et il mit fébrilement un pied devant l'autre en direction de Dieu sait où. Il ne jeta pas un dernier regard au manoir. Il ne regarda pas non plus la Mercedes. Il se contenta de regarder droit devant lui et de marcher péniblement vers le portail pour aller en direction de la ville.

Alois marcha, marcha, marcha, et marcha. Il marcha pendant des heures, mais il ne sentit aucune douleur dans ses pieds. Le garçon était beaucoup trop dérouté pour cela. Son corps et son esprit n'étaient pas en état de fonctionner alors qu'il erra comme un zombie jusqu'au lever du soleil. Il n'avait aucune idée de où il était, il reconnaissait juste Londres.

A l'aube, il finit par sentir à nouveau certaines choses. C'était douloureux. Il sentait l'usure dans ses pieds et ses jambes, et le picotement dans ses yeux qui commençaient à larmoyer. La gorge du blond était sèche alors que toute l'humidité de son corps semblait lentement couler de ses yeux. Il ne s'en rendu compte qu'une fois qu'il vit son reflet en passant devant la vitre d'une boutique.

Les zones autour de ses yeux étaient rouges et gonflées, et le seul endroit de son visage qui était coloré. Le costume onéreux qu'il portait était sale à force de tomber par terre et ses chaussures qui brillaient au départ étaient complètement ruinées. Mais ce qui le perturbait le plus, c'était son visage. C'était le visage de quelqu'un qui avait perdu tout espoir. Lentement, si si lentement, il commençait à comprendre qu'il s'agissait de son visage, et soudainement, il comprit qu'il était toujours en vie.

Il eut un sursaut en sentant le téléphone portable dans sa poche se mettre à vibrer. Apparemment, il avait trouvé du réseau. Après quelques instants passés à se demander comment répondre, il mit lentement une main dans sa poche, puis il plaça l'appareil à son oreille.

- Allô... ? dit faiblement Alois, ayant presque peur de sa propre voix.

- AU RAPPORT ! cria la personne à l'autre bout du fil.

Après un instant, il comprit, il la reconnut. C'était Sir Integra.

- Hein ? demanda-t-il, ne sachant pas trop quoi répondre.

- Pas de ça avec moi, Macken ! cria la Hellsing avec colère. J'ai passé la nuit à essayer de vous contacter tous les deux ! Donnez-moi votre rapport ! Tout de suite !

- Oh... dit le garçon.

Ensuite, il entendit un bruit s'échapper de la gorge de la femme, comme si elle s'apprêtait à dire autre chose, mais elle hésitait. Après une longue pause, Integra reprit la parole.

- Que s'est-il passé ? demanda-t-elle d'un ton plus doux.

Elle avait remarqué le désespoir dans la voix du blond.

- Où êtes-vous ?

- Quelque part à Londres, répondit Alois. Je suis... tout seul.

- Jim, que s'est-il passé ? demanda à nouveau la femme en appelant le garçon par son vrai prénom comme elle le faisait toujours.

Son cœur se serra en l'entendant. Il y avait quelqu'un d'autre qui l'appelait comme ça aussi, non ?

- Où est Ciel ? reprit Integra.

Ciel. C'était un nom familier.

Soudain, tous les souvenirs de la soirée revinrent au blond d'un seul coup. Sa gorge se noua, et après des heures de larmes qui s'étaient arrêtées, elles recommencèrent à la simple mention du nom du bleuté. Un gémissement sortir des lèvres d'Alois, et il se transforma rapidement en sanglot. Il serra les dents tandis que son visage se tordait dans la douleur.

- Ciel... dit-il, parlant entre deux sanglots. Ciel... a été... capturé... Et... et... et c'est ma faute !

- Que s'est-il passé ? demanda Integra, restant patiente avec le garçon.

Elle savait qu'Alois avait eu une rude nuit, et qu'il avait besoin de temps pour continuer.

- Comment a-t-il été capturé ?

- Il... Il a été blessé... répondit le garçon. Ils ont fait exploser la voiture... On ne pouvait pas s'enfuir, alors... alors...

Il déglutit dans l'espoir de se reprendre quelque peu en main.

- ... Alors il a échangé sa liberté contre la mienne... reprit Alois en serrant le poing. Il m'a dit de... revenir le chercher quand je pourrais... pour que je le sauve... mais... mais... je ne peux pas...

- Jim, calmez-vous. Nous allons nous en occuper, répondit la Hellsing. Avez-vous la moindre idée d'où vous êtes ?

Alois cligna des yeux et regarda autour de lui.

- A... Heath Street ? répondit-il en voyant une plaque de rue.

- Très bien. Ne bougez pas. J'envoie quelqu'un vous chercher sur le champ.

Ainsi, la femme raccrocha, laissant le garçon avec ses pensées.

Alois regarda son reflet dans la vitre du magasin une nouvelle fois, se demandant comment ce pauvre et pathétique adolescent pourrait faire quoi que ce soit, encore moins sauver la personne qui se rapprochait le plus d'un James Bond vivant. Il passa une main dans ses cheveux, se rappelant du bleuté qui avait écarté ses mèches de son visage avant qu'ils soient séparés. Le souvenir du toucher du garçon était quelque peu relaxant, mais ce n'était pas suffisant pour ne plus avoir envie de craquer et d'abandonner alors qu'il n'était clairement pas qualifié pour mener un sauvetage.

"... Je sais que tu peux me sauver" avait dit le bleuté.

"Tu es fort...".

Non.

"... Tu es brillant...".

Non.

"Je sais que tu peux le faire".

NON.

Alois se tira les cheveux, mettant ses coudes dans les airs avant de les redescendre alors qu'il se griffait le visage. Il hurlait. Il criait. Il faisait une crise, choisissant de se blesser plutôt que de détruire ce qui l'entourait. Il finit par tomber à genoux, se mettant en boule comme un insecte mort. Dieu merci, il était beaucoup trop tôt dans la journée pour que qui que ce soit soit réveillé pour voir ce spectacle.

Environ une heure plus tard, il fut trouvé par les agents de H.E.L.L.S.I.N.G, au même endroit, dans la même position. Il était conscient, mais ses yeux étaient vides, et la vie n'y revint qu'une fois qu'on l'aida à monter dans le véhicule. Les autres agents lui posèrent des questions sur le trajet jusqu'au quartier général, mais il ne les entendait pas. Il ne savait même pas où ils allaient. Il avait à peine remarqué qu'on l'avait ramassé. Il ressentait juste un vide.

Cela continua même lorsqu'il arriva au manoir H.E.L.L.S.I.N.G. Il fut amené à l'infirmerie et examiné. Les docteurs essayaient de lui poser des questions, mais il ne pouvait répondre que "oui" ou "non" en hochant ou en secouant la tête. Toute autre questions étaient inutiles alors que le garçon essayait de supporter sa perte.

L'étrange comportement du garçon était noté par ceux qui l'examinaient et on lui demanda de s'allonger et de se reposer. Il ne le fit pas, mais il s'assit tout de même sur le lit. Son dos était vautré et il fixait ses mains. Alois entendait des voix de l'autre côté de la porte, mais il s'en fichait.

Il s'agissait des voix des résidents de la maison Phantomhive qui avaient sans doute été appelés à venir. Luka, Sebastian, et Revy parlaient avec le docteur Ackerman des conditions de la menace blonde. Alois ne supportait pas l'idée de voir l'un d'eux à cet instant. Le garçon enlaça ses jambes et enfonça son visage contre ses genoux, comme s'il se cachait au cas où l'un d'entre eux entrait dans la pièce. Et, évidemment, la porte s'ouvrit effectivement et quelqu'un entra.

C'était Sebastian. Luka était gardé par le docteur alors que la porte se referma. Il avait été décidé qu'il vaudrait mieux pour le garçon qu'il ne voit pas son frère pour le moment, laissant le majordome voir Alois, seul. L'homme traversa la pièce, ses chaussures résonnant contre le sol alors qu'il marchait vers le lit. Il n'était pas du tout surpris de voir que le blond ne bougeait pas et ne faisait aucun effort pour remarquer sa présence, même lorsque l'homme s'assit au bord du lit. Ce ne fut que lorsque son poids fit bouger le matelas que le blond se mouva, seulement pour serrer davantage ses jambes.

- Bonjour, Alois, salua le majordome d'un ton plutôt doux. Comment vous sentez-vous ?

En réponse, le blond se contenta de hausser les épaules, refusant toujours de regarder le démon plus âgé. Sebastian ne savait pas tout à fait comment répondre à cela. Il marqua une pause afin de trouver quelque chose de censé à dire.

- J'ai du mal à imaginer, dit enfin l'homme. Je suis peut-être un excellent majordome, mais comprendre les sentiments des autres est ma seule faiblesse.

Il observa avec confusion le garçon rester de marbre. Peut-être que sa méthode ne fonctionnait pas.

- Le docteur Ackerman nous a dit ce que vous aviez transmis à Sir Hellsing, reprit-il en observant le garçon sursauter légèrement. Monsieur s'est toujours attiré des ennuis, en se faisant capturer facilement. Ce n'est certainement pas la première fois qu'une telle chose s'est produite.

- Est-ce que c'est censé m'aider à me sentir mieux ? demanda enfin le blond, surprenant l'autre démon.

- Aha, alors il parle ! plaisanta l'homme, inclinant la tête d'un air confus alors que le blond grogna.

Les plaisanteries n'étaient-elles pas censées remonter le moral ? Quoi qu'il en soit, il continua.

- J'essaye de vous faire comprendre que ce n'était pas de votre faute. Vous connaissant, vous vous êtes battus avec Monsieur jusqu'au bout concernant sa décision, n'est-ce pas ?

Il sourit quelque peu lorsque le garçon acquiesça.

- J'ai cru comprendre que perdre un être aimé est souvent un événement traumatisant. L'amour semble être un sentiment très puissant, et comme Monsieur avait l'habitude de dire : "une fois que l'on perd véritablement quelque chose, on ne peut plus espérer le retrouver", dit l'homme.

Ses paroles ne semblaient que davantage contrarier le garçon, ce dernier se mettant à trembler. Il pouvait seulement imaginer que le garçon essayait désespérément de réprimer des larmes, mais son visage était toujours caché.

- Cependant, vous n'avez pas vraiment "perdu" Monsieur, je me trompe ? demanda Sebastian. Il attends simplement que vous veniez le chercher.

- Comment tu sais ça ? demanda le blond, se laissant enfin relever la tête pour regarder le majordome.

- Parce qu'il vous a choisi, non ? répondit l'homme en pointant ses lèvres avec un sourire.

Un rougissement apparut sur le visage d'Alois à ces mots et il toucha ses lèvres du bout de ses doigts, se rappelant du bleuté. Il sentait encore le sang de l'autre garçon sur sa langue, et il frissonna au toucher des mains de Ciel passant dans ses cheveux. Sebastian avait raison. Ciel avait choisi la menace pour qu'il le ramène sain et sauf chez eux. Lorsque c'était arrivé, le Phantomhive n'avait pas dit à Alois de chercher de l'aide. Il ne lui avait pas dit d'aller chercher Sebastian, ou H.E.L.L.S.I.N.G ; ou qui que ce soit d'autre. Ciel avait spécifiquement dit à Alois qu'il serait celui qui sauverait le bleuté et personne d'autre. Le Phantomhive avait mit sa confiance entre les mains de Jim Macken, et le dernier baiser qu'ils avaient échangé en était la preuve.

Alois regarda Sebastian, lui faisant savoir qu'il comprenait. Le majordome ricana et se leva. Il demanda :

- Alors, qu'allez-vous faire ? Est-ce que celui connu sous le nom de "Alois Trancy" a fini par choisir d'abandonner face à l'adversité ?

En réponse, la menace relâcha ses jambes. Il s'assit normalement, serrant les draps du lit dans ses poings tout en serrant les dents. Il avait peur ; très peur ; mais cela ne l'avait jamais arrêté par le passé.

- Je... commença-t-il, essayant de se retrouver. Je veux ramener Ciel.

Sebastian sourit.

- Alors vous y arriverez, dit-il. Vous avez fait des choses bien plus improbables dans votre vie, et à ce moment-là, vous n'étiez qu'un simple humain.

- Et tu m'encourages quand même ?

- Bien sûr, répondit Sebastian. Monsieur est votre partenaire, et vous êtes le partenaire de Monsieur. J'ai depuis longtemps oublié nos différents, monsieur, et je suis plutôt content d'avoir découvert toutes ces nouvelles choses que je n'aurais jamais connues sans votre interférence. Il est de mon devoir de protéger et de m'occuper des membres de la maison Phantomhive, vous inclus. De ce fait, je serai avec vous pour chaque étape, monsieur Trancy.

- Même si je t'ai enchaîné ? demanda le blond.

Alors, le majordome sourit et se courba légèrement.

- Yes, my lord.