Chapitre 2 - Le temps qu'il faut
Une chaleur douce enveloppait le visage de Sakura, inondée par les premières lueurs du matin. A peine réveillée, les yeux encore mi-clos, elle poussa un léger grognement tout en ramenant un bout de couette jusqu'à ses cheveux, prolongeant son sommeil de quelques précieuses minutes supplémentaires. Le brouillard du sommeil peinait à s'éloigner, jusqu'à ce que la chambre baigne dans une lumière telle qu'elle n'eut d'autre choix que de se réveiller totalement.
Elle se tourna d'un geste vif pour s'allonger sur le dos, s'étirant sans gêne, ses poings dépassant de chaque côté de son lit. Elle relâcha la tension de ses muscles brusquement, s'arrachant un bâillement sonore. Elle se laissa envelopper par l'odeur de sa lessive florale et par le parfum des hortensias de son salon. Elle ferma les yeux pour entendre la trotteuse de l'horloge de son petit vestibule, cadeau de Naruto – mais non, elle ne fait pas de bruit! se souvint-elle en souriant.
Son chez soi. Après avoir parcouru le monde pendant un mois, elle profitait de ce moment de plénitude simple où les objets, odeurs et ambiances familières la rassuraient.
Pourtant, son sourire se transforma rapidement en une grimace, déformant son visage d'un rictus tendu qu'elle cacha rapidement de son bras gauche.
Pourtant.
Trois mois plus tôt
Sakura se tenait là, assise sur la tête du Sandaime. Ses bras entouraient ses genoux et son regard rêveur balayait son village bien aimé avec apaisement. Elle percevait de son promontoire l'excitation des villageois découvrant les premiers flocons de neige de la saison. Elle souriait de voir les enfants tendre les bras en l'air, essayant d'attraper maladroitement ces fragiles cristaux de givre. Elle avait réagi de la même manière aux premières couleurs rouges orangées de l'automne habillant magnifiquement toute la végétation de Konoha. Ce moment de quasi méditation que Sakura s'accordait chaque soir depuis maintenant des années était devenu un rituel incontournable. Elle y avait parfois entrainé Ino et Hinata, et même occasionnellement Shikamaru et Temari.
Mais ce soir-là, elle était seule.
C'était une soirée identique à toutes les autres, mais le froid commençait à lui glacer littéralement les os. Non pas qu'elle ne savait pas se débarrasser facilement d'un simple rhume, mais elle voulait tout de même s'éviter les premiers désagréments de la sortie d'incubation.
C'est plongée dans ces pensées très terre à terre qu'elle n'entendit pas l'approche d'un homme mystérieux dans son dos.
- Je ne te savais pas fascinée par Konoha à ce point…
Elle releva brusquement le menton de ses genoux pour se retourner vers l'inconnu. Le brouillard du soir l'empêchait de distinguer clairement son visage, mais le timbre de sa voix et la nature du chakra qu'elle percevait ne lui laissait aucun doute. Elle resta pourtant silencieuse, incapable de croire en ce qu'elle ressentait.
Elle le laissa donc approcher d'elle, observant sa silhouette noire s'agrandir jusqu'à apparaître juste devant ses yeux. Ceux-ci s'écarquillèrent et la bouche de la rose s'entre ouvrit de surprise.
- Le village est désormais paisible… continua-t-il. On dirait que la guerre n'est jamais venue jusqu'ici.
- Sa… Sasuke? souffla-t-elle, abasourdie
Il ne répondit évidemment rien, ses yeux hétérochromes fixés sur Konoha. Le cœur de celle-ci s'emballa, et elle eut toutes les peines du monde à faire redescendre le bouillonnement intérieur qui l'avait envahie quelques secondes auparavant. Elle le toisait de haut en bas, remarquant sa tenue toujours aussi sombre, sa lourde cape virevoltant par-dessus un épais manteau assorti, des bottes et un pantalon aussi noirs que ses cheveux corbeaux. Quelques mèches voletaient autour de son visage pâle et fin.
Les années avaient passé mais ne semblaient avoir eu aucune prise sur l'allure du dernier Uchiwa. A peine était-il apparu que le moment sembla plus grave. Les alentours plus ténébreux. C'était comme une apparition mystique.
- Pourquoi es-tu ici? osa Sakura d'une voix presque inaudible Depuis quand?
- ... Quelques semaines.
- ... Mais où étais-tu avant? Que faisais-tu?
- Peu importe.
Elle n'insista pas. Elle avait peur que la moindre phrase de travers puisse le faire repartir aussi vite qu'il était apparu… Les minutes défilèrent dans un malaise palpable. Sakura sentait les battements de son cœur taper jusque dans sa gorge et son sang pulser avec force dans ses tempes. Elle s'étonna de le voir finalement s'approcher d'elle, son regard toujours fuyant vers Konoha. Il se stoppa à proximité de la jeune femme, et elle aurait pu tendre le bras pour attraper sa cape et l'attirer vers elle, le serrant dans ses bras pour bien vérifier que son apparition n'était pas un mirage. Mais elle ne le fit pas.
- Je suis venu…. Discuter un peu.
- Quoi? Qui ça? A qui?
- Je t'ai observée venir ici tous les soirs. Je devais… venir te parler.
Avait-elle vraiment eu froid, tout à l'heure? A l'instant, elle avait l'impression qu'elle allait exploser comme si elle se situait au cœur d'un volcan en éruption. Elle le laissa ainsi s'asseoir à ses côtés à même le sol, prenant à peu de chose près la même position que la sienne.
- Me parler?... répéta Sakura, le regard fixé sur le brun
- Je voulais venir m'excuser.
Silence.
- Je suis désolé, Sakura.
Elle entrouvrit la bouche de surprise, muette d'étonnement. Ses bras se crispèrent autour de ses genoux. La phrase résonna en écho dans sa tête plusieurs fois.
"Je suis désolé"
Elle observa incrédule son teint pâle, ses yeux perçants, recherchant sur son visage n'importe quel rictus de moquerie. Elle n'en trouva aucun. Il semblait calme et sincère. Quand elle lui répondit, elle se rendit compte qu'elle avait oublié de respirer depuis un temps certain.
- Désolé, pourquoi?
- … C'est une vraie question?
Ses yeux émeraudes écarquillés de surprise rencontrèrent enfin les siens, et cet échange de regard si proche, si inattendu, fit resurgir un passé lointain comme un véritable flash-back.
S'excusait-il pour la fois, toute jeune, où elle avait essayé de le retenir de quitter le village et où il l'avait neutralisée en la remerciant, se jetant dans les bras d'Orochimaru?
Pour avoir maintes fois mis leurs vies en danger, à elle et à tous ses compagnons, alors qu'ils essayaient de le secourir?
Pour ne jamais l'avoir regardée même lorsqu'elle avait progressé et qu'elle contribuait aux victoires les plus importantes?
… Pour avoir tenté de l'assassiner?
Plusieurs fois?...
- Oui. Pour tout ça, lâcha Saskue d'un air évasif, devinant par son silence prolongé ce qui se jouait dans la tête de son ancienne coéquipière
Elle esquissa un faible sourire tout en détournant son regard sur le village. Saï aurait reconnu immédiatement la fausseté de celui-ci. Elle se surprit à se demander comment son amour pour lui avait pu survivre à autant de douleurs, autant de trahison.
Survivre… Elle ne savait plus. Elle se rappela avec amertume cette ultime humiliation, alors que Sasuke l'avait rejetée une nouvelle fois à la fin de la guerre. Encore une fois. Elle se revit le regarder s'éloigner, maussade et sombre, toujours vêtu de noir, amputé d'un bras, s'éloigner vers un endroit inconnu. Rejetant la main tendue de Naruto, encore une fois.
Encore une fois. La fois de trop?
- J'ai conscience de ce que je t'ai fait subir, ajouta le brun
- Pourquoi venir me voir moi? lâcha-t-elle brusquement. Tout le monde t'a tendu la main. Tout le monde a cherché à t'aider. Tu devrais retourner voir Naruto…
- C'est toi que je voulais venir voir.
- …
- Acceptes-tu mes excuses?
Etait-elle en train de rêver? Est-ce un Genjutsu, quelqu'un caché dans un buisson était-il en train de la tester? Pourtant, le chakra qui émanait de Sasuke était authentique. Réel.
- … Je comprends que tu m'en veuilles. C'est un peu trop facile après tout, j'imagine.
Sa réponse la tira de ses pensées lointaines. Elle le regarda lentement des pieds à la tête, prenant le temps d'observer chaque détail de son visage, de sa silhouette. De ses yeux atypiques jusqu'aux détails de ses traits de visage figés et soucieux. De la pointe de ses cheveux noirs jusqu'à sa main pendante, le coude posé sur son genou. Quel effort cela avait-il pu représenter de venir ici l'air de rien, des années après, lui présenter ses excuses?
- Tu n'as pas à t'excuser, s'entendit-elle répondre malgré son tiraillement intérieur.
- …
- C'était ton chemin. Tu as fait comme tu as pu, avec ce qu'on t'a fait subir… Tu es une victime aussi, tu sais.
Le jeune homme sortit de son air impassible légendaire et haussa un sourcil de surprise. Il n'était pas dans ses habitudes de recevoir de la compassion, et encore moins une timide forme de compréhension. Il sembla baisser un peu la garde, se raclant la gorge avec maladresse tout en maintenant son regard dans le sien.
- … J'imagine.
Sasuke ne la regardait pas: il la fixait avec intensité. Elle se sentait incroyablement mal à l'aise, et son cœur était toujours au galop. Du plus lointain souvenir qui lui revenait en mémoire, aucun instant similaire n'avait existé. Aucun regard. Aucune attention. Sa vie et son existence n'était dirigée que dans un seul but: se venger de son frère. Venger son clan. Devenir puissant. Détruire Konoha. Il n'y avait jamais eu la moindre place pour elle. La moindre place pour personne.
- Et du coup… Que viens-tu faire ici tous les soirs? engagea timidement Sasuke
- Je… hésitante Je viens me ressourcer.
- … Te ressourcer?
- Oui. Le travail à l'hôpital est épuisant…
- Depuis quand travailles-tu à l'hôpital?
- … Depuis plusieurs années. Tsunade-sama m'a demandé de la seconder assez rapidement une fois l'hôpital reconstruit. Au début je ne voulais pas, et puis finalement cela m'a beaucoup aidé à… à…
«à oublier ton départ et à arrêter de te pleurer et de t'attendre comme une idiote»
- ….. à me sentir utile. A donner du sens à mon rôle de shinobi. Il fallait que j'aide les autres.
- … Je comprends.
Il la lâcha des yeux, probablement gêné lui aussi par le poids des non-dits et des sous-entendus. Elle respecta son silence, et se rendit compte qu'il lui posait des questions. Qu'il s'intéressait à elle? Sa gorge se serrait.
- Sasuke…
Elle inspira profondément, sentant qu'elle devait être directe. Il n'était pas homme à tergiverser.
- … Pourquoi as-tu besoin de mes excuses aujourd'hui? Quelle importance, après tout ce temps ?
- C'est… devenu important.
- Insistante Quoi? Pourquoi?
- Poussant un soupir inhabituellement dépité Parce que… Je ne suis qu'un être humain après tout, j'imagine.
- …
- Après quelques secondes de silence, visiblement tourmenté J'ai peut-être pris conscience, après ces quelques années de calme, que je m'étais souvent trompé. Et que j'ai souvent fait souffrir les gens autour de moi, alors qu'ils étaient là pour moi… ricanant d'un ton amer J'ai souvent fait fausse route.
Elle accusa le coup de cet aveu. Evidemment qu'il avait fait souffrir tout le monde. Elle, Naruto, Kakashi sensei, et bien d'autres personnes encore. Elle préféra détourner la conversation, ne sachant finalement que répondre.
- Tu as fait des rencontres, ces dernières années? Où étais-tu?...
- … J'étais au service de ceux qui pouvait avoir besoin de quelqu'un comme moi…
- … Je ne comprends pas ce que…
- la coupant … Mais j'ai surtout réalisé que je ne m'étais jamais senti aussi seul. L'observant à nouveau Plus personne ne me cherchait. Plus personne n'essayait de me raisonner. Plus personne pour me ramener à la raison…
Sakura brûlait littéralement de l'intérieur alors que son enveloppe corporelle frissonnait, privée des dernières lueurs du soleil qui venait de se coucher en arrière des lointaines collines. Sa bouche s'asséchait d'entendre ce qu'il était en train de lui faire comprendre.
- Sasuke… Qu'essaies-tu de me dire?
Elle savait à quel point il était taiseux. A quel point cela devait lui coûter de s'ouvrir ainsi à elle. A quel point, du coup, cela devait être important pour lui de le faire. Cette gravité lui donnait le vertige, et elle avait peur d'entendre la réponse à sa question. D'une certaine façon, elle sentait que plus rien ne serait simple à partir de sa réponse – si tant est que sa vie ait été simple à un moment donné…
- … Je crois que j'ai besoin de quelqu'un qui me comprenne… et qui ne me juge pas, malgré tout ce qui a pu se passer.
Le coup de massue s'abattit sur le crâne de la rose et elle lui répondit à moitié sonnée.
- … Et ce quelqu'un, ce serait?...
- Toi. Oui. Enfin je crois.
Brûlante. Elle suffoquait. Le vertige continuait et les frissons commençaient à secouer son corps. Elle essayait de dissimuler son mal-être, mais l'Uchiwa n'était pas dupe.
- Tu veux rentrer ? Tu as froid ?
- Non! Non, non, tout va bien.
Elle vit les traits de Sasuke s'adoucir dans un sourire inattendu. Sourire? Des années s'étaient passées. Connaissait-elle encore l'homme qui se tenait à ses côtés? En quoi avait-il pu changer, loin de ses tourments, sans plus de vengeance à assouvir? Elle le vit enchainer quelques mudra de sa main unique, semblant parvenir tout de même à lancer une flamme expirée entre ses lèvres dans une technique Katon de son répertoire, agitant la petite flamme rouge à côté de Sakura. Elle sentit sa chaleur apaiser ses propres frissons et bientôt son corps stoppa ses soubresauts intempestifs.
- Ça va mieux?
- Oui… Oui je te remercie.
Il poursuivit, comme si les efforts déployés pour se dévoiler étaient si lourds qu'il valait mieux tout déposer en une seule fois.
- Tu… m'as toujours dit que tu m'aimais. Que tu voulais être là pour moi… riant d'une voix un peu rauque, le regard fixé sur la boule de feu qui flottait près d'eux Et moi, je t'ai toujours rejetée.
- répondant précipitamment, les joues en feu Tu avais trop de démons à régler, Sasuke… J'étais oppressante. Tu n'as pas à…
- Crois-tu que mes démons aient vraiment disparus?
Elle l'observa à nouveau avec étonnement. Assis ainsi à ses côtés de manière presque désinvolte, il avait posé cette question d'un air triste. Le naturel empathique de la jeune femme prit rapidement le dessus, touchée par ses confidences. Sa température intérieure redescendit très légèrement.
- Oui, Sasuke. Soutenant son regard tourné vers elle Oui, ils ont disparu. Sinon, pourrais-tu venir me dire tout cela aujourd'hui?
- … Non, j'imagine.
Il ne quitta pas son regard. Elle recommença à respirer de manière superficielle, sentant une chaleur remonter dans sa poitrine.
- Je n'ai jamais réalisé la chance que j'avais de t'avoir à mes côtés durant ces années, Sakura… Je venais aussi te remercier.
Ce n'était pas possible. Juste, impossible.
- … C'est un peu trop facile après toutes ces années, j'en ai conscience. Et c'est un peu brutal. Mais je ne sais pas comment te dire cela autrement.
Depuis combien d'années attendait-elle ce moment? Combien de fois avait-elle fantasmé cette conversation? C'était un rêve éveillé. Etait-il vraiment en train de lui dire ce qu'elle était en train de comprendre? Elle observa à nouveau ses traits avec attention, son nez un peu retroussé, ses lèvres fines et froides, ses yeux… Ce regard était si étrange. Ce rinnegan… elle ne saurait expliquer pourquoi, mais cet œil la perturbait. Il y avait quelque chose dans ce regard, qu'elle n'arriver pas à cerner…
Une chaleur enveloppa brusquement sa main gauche, et elle tressaillit.
La main de Sasuke venait d'envelopper la sienne.
- … Je sais que je t'ai fait beaucoup de mal. Je comprendrais que tu me rejettes, tu aurais mille raisons de le faire. Mais sache juste que… Je tiens bien plus à toi que ce que je ne le pensais moi-même.
La main se serra sur la sienne, et elle sentit le pouce de l'Uchiwa la caresser timidement. Les vertiges la reprirent, et elle sentit à nouveau les flammes de l'excitation brûler ses entrailles. D'excitation ? De surprise ? De gêne ? Elle ne savait plus décoder les signaux de son corps, complètement perturbée par la situation.
- Tu es la seule personne qui ne m'a jamais abandonné. Qui a toujours cru en moi, quoi que j'aie pu faire.
- Tu oublies Naruto, lâcha Sakura d'une voix étranglée, ne dégageant pas sa main
- Non, je ne l'oublie pas. Mais nous nous sommes déjà expliqué entre nous. Pas avec toi.
- … le cœur dans la gorge Sasuke, je…
Bon sang, elle était perdue. Mais pourquoi ne bondissait-elle pas de joie, tout simplement ? Pourquoi son cœur n'explosait-il pas juste d'amour ? Pourquoi restait-elle là aussi stoïquement ? Elle devrait prendre sa main et la serrer à son tour. Le rassurer de son amour intact et profond pour lui.
Bon sang, elle avait attendu ça depuis TOUJOURS.
Elle le sentit brusquement hésitant, sentant son tourment intérieur. Il retira sa main, interprétant mal son silence.
- J'arrive peut-être un peu tard… lâcha-t-il dans une brusque lueur de lucidité. J'imagine qu'il n'y a pas que l'hôpital non plus dans ta vie, depuis toutes ces années…
- Oh! Euh, eh bien…
A cette phrase, deux visages apparurent dans son esprit.
Un autre brun ténébreux d'abord. Cheveux mi longs, les yeux aussi sombres que la nuit noire, un fin tatouage dans le cou autour d'une cicatrice d'un vieil accident d'enfance. Surnommé «le géant» par les infirmières de part sa grande taille – il devait faire plus d'un mètre quatre-vingt dix - elle s'était sentie en sécurité avec lui, lovée contre son large torse, ses bras immenses la serrant comme on serrerait un chaton blessé. C'était après un an de pleurs. Un an après le départ de Sasuke. Il lui ressemblait terriblement, et elle lui plaisait, c'était évident. Elle n'était pas forcément fière d'elle, mais avec le recul, elle savait qu'il n'avait été qu'une relation «pansement». Elle lui avait tout de même donné sa virginité, et beaucoup de sincérité. Mais le fantôme de Sasuke était encore trop présent, et leur séparation avait été inévitable, après plusieurs mois de relation. Elle avait changé de service pour ne plus avoir à le croiser au quotidien, et elle était retournée à ses tourments intérieurs et à sa solitude habituelle. Elle savait qu'il avait été très affecté par son départ, mais il ne lui avait jamais fait de scène. Il avait senti son mal-être, et probablement, avait compris.
Le deuxième visage qui lui vint à l'esprit était celui d'un homme aux cheveux aussi sombre que le premier – elle se méfiait désormais des bruns ténébreux, ils semblaient être son type – mais aux yeux bleu clair comme un ciel d'été. Elle entendait encore son rire communicatif et ses blagues parfois un peu lourdes, le soir, assis au coin du feu. C'était un compagnon de mission, et c'était deux ans cette fois après le départ de Sasuke. Elle se souvient qu'il la faisait rire, et elle avait aimé ça. Il lui avait tellement fait du rentre-dedans lors de cette mission qu'elle avait fini par se laisser convaincre, se remémorant les remontrances récurrentes de son ami Ino qui désespérait de la voir seule et hantée par le fantôme de Sasuke. Ils avaient eu une aventure. C'était purement sexuel, et après tout, elle ne pouvait pas dire que cela n'avait pas été déplaisant. Ils avaient renouvelé l'expérience plusieurs fois au retour de la mission, mais comme pour la première relation, Sakura y mit un terme rapidement. Elle avait fait l'amer constat une deuxième fois de quelque chose qu'elle essayait de se cacher, en vain.
Si elle n'était pas amoureuse… Tout était fade. Les discussions. Les repas en tête à tête. Les entrainements au shuriken… Même le sexe. Elle s'était agacée de se trouver ainsi trop sentimentale. Trop fleur bleue. Bon sang, elle avait envie de se frapper elle-même de se trouver aussi bêtement romantique. Mais quoi qu'elle en dise, elle ne pouvait pas se mentir à elle-même.
Il lui avait toujours manqué quelque chose.
- Sakura?
Elle revint brusquement à la réalité, les joues rouges de gêne.
Une pseudo relation romantique qui n'en était pas une, puis une relation purement physique. C'était tout. A cause de quoi? A cause de qui? De cet homme en face d'elle qui la regardait désormais, ENFIN. Quatre années d'absence, et il lui exprimait sa reconnaissance… et peut-être plus.
Elle imaginait que c'était l'émotion et la surprise qui l'empêchait de se jeter sur lui, ce devait être trop pour elle. Probablement.
- J'ai… Non, je suis seule. Je vis toujours au même endroit. Rien de palpitant, ria-t-elle sans rire
- Ah.
Il y avait dans ce «ah» un soulagement non feint. Elle vit se dessiner à nouveau un sourire sur son visage -était-ce possible?- et celui-ci s'approcha d'elle à nouveau, reprenant sa main dans la sienne avec moins d'hésitation que la première fois. Peut-être que le fait que rien n'ait changé pour Sakura l'avait rassuré, comme s'il revenait juste après être parti. Comme si ces quatre dernières années n'avaient pas existées. Il devait s'être senti brusquement à l'aise, ou brusquement soulagé.
C'est ainsi que Sakura l'interpréta, alors qu'elle sentit brusquement les lèvres fines et froides de Sasuke sur les siennes. L'unique main de l'Uchiwa serrait celle de la jeune femme alors qu'il l'embrassait timidement.
C'était encore tellement improbable que la jeune femme n'eut pas le temps de réagir. Elle resta là, un peu passive, réalisant ce qui se passait alors que Sasuke s'éloignait déjà d'elle.
- Je ne sais pas comment dire les choses… C'est peut-être plus simple si j'agis.
- … Sa… Sasuke…
- Prend le temps qu'il te faut. Je sais que c'est brutal… J'avais ça sur le cœur. Je suis désolé.
Elle ne sut quoi répondre, et devant son silence, il se leva tout en époussetant sa lourde cape noire d'un air un peu embarrassé.
- Si tu souhaites me revoir… Rejoins-moi ici demain à la même heure. Si tu ne préfères pas, ne viens pas… Je comprendrai. Ne t'embarrasse pas d'un fardeau inutile. Je serais bien mal placé pour t'en vouloir…
Ses yeux dépareillés lui lancèrent un regard indéchiffrable, et avant que Sakura n'eut le temps de répondre quoi que ce soit, il avait déjà disparu dans un souffle de vent qui lui glaça les os. La petite boule de feu s'éteignit alors, la plongeant dans une quasi obscurité. Le martèlement de son cœur était tel qu'il couvrait désormais tous les bruits alentour, du village en contrebas jusqu'au vent soufflant dans les arbres.
Ses yeux écarquillés se noyait dans l'obscurité tel un aveugle essayant d'entrapercevoir la lumière. Elle effleurait ses lèvres du bout de ses doigts, profondément perturbée. Il lui fallut un temps non négligeable pour se relever et daigner retrouver son appartement, marchant comme une automate. Elle aurait été incapable de dire par quel chemin elle était passée.
Retour au présent, appartement de Sakura
Toujours allongée sur le dos dans son lit, elle continuait d'effleurer ses lèvres au simple souvenir de cette scène qui remontait à trois mois en arrière, déjà.
Elle se remémora l'angoisse qui lui avait broyé les entrailles toute la journée du lendemain, étonnée elle-même de ne pas savoir quelle décision prendre. Pourquoi avait-elle autant hésité? En y repensant, elle avait été plus perturbée qu'heureuse de le retrouver. Il lui avait fallu réaliser sa présence. Intégrer sa réapparition. Elle n'était pas préparée.
C'est qu'elle ne le cherchait plus. Aussi incroyable que cela lui paraissait, à posteriori, elle ne pensait plus à Sasuke, ces derniers temps. Elle avait été tellement blessée. Tellement humiliée... Combien de soirées avait-elle passé à pleurer, il y a quatre ans? Et même ces dernières années? A cause de lui? Elle devait l'admettre: il lui avait fallu encore une bonne année de pleurs et de quasi dépression pour se faire une raison et arriver à ne plus penser à lui.
Etait-elle en fait passée à autre chose? Tout cela était flou dans sa tête. Cependant, il lui avait paru impensable de l'éconduire le lendemain. Impensable de l'imaginer l'attendre le soir, seul, sans la voir arriver. Elle était donc retournée le retrouver au même endroit, à la même heure, comme prévu. Son malaise avait grandi de voir la réaction de l'Uchiwa à son arrivée. Elle avait vu se dessiner sur son visage un sentiment qu'elle ne lui avait JAMAIS connu. Un visage heureux. C'était à la fois touchant, réconfortant, et à la fois… Elle ne saurait le dire. Elle avait senti ce jour-là son cœur battre plus fort, son corps se réchauffer, ses tensions internes s'apaiser légèrement. Mais le malaise était latent, et elle ne l'expliquait pas. Ce devait être le coup de l'émotion. La surprise de le retrouver.
Mais trois mois après, dans cette chambre, la jambe flottant en l'air, le regard dans le vague fixé sur une toile d'araignée qui s'était bien développée en son absence entre un meuble et un mur adjacent…
Elle était toujours aussi perdue que trois mois auparavant.
Un rayon de soleil perça un nuage pour éblouir franchement la jeune kunoichi. Elle cligna des yeux, tirée loin de ses souvenirs confus. Semblant brusquement réaliser l'heure, elle se releva d'un bond sur ses avant-bras et jeta un coup d'œil horrifié à son réveil. Jamais elle ne s'était levée aussi tard.
Elle se jeta hors du lit et s'engouffra dans sa petite salle de bain, retrouvant ses odeurs réconfortantes de savon et de shampoing à la fraise. La jeune femme s'accorda une douche rapide et attrapa à la hâte une petite tenue de civil confortable qu'elle adorait, une petite robe couleur émeraude que lui avait offert Ino quelques mois auparavant – il fallait passer au stade supérieur, avait-elle ordonné.
Elle devrait rester en tenue de shinobi pour faire son rapport à Naruto, mais elle savait qu'il allait lui imposer de se reposer aujourd'hui. Après un mois de pantalon sombre et de gilet kaki, de rubans blancs lui serrant les mollets, elle voulait juste une demi-journée retrouver une once de féminité salvatrice. La petite robe lui arrivait à mi-cuisse, mettant en valeur ses jolies jambes fines mais musclées. Elle cachait sa poitrine qu'elle avait toujours désespéré de voir se développer plus un jour, mais soulignait subliment son dos par une ouverture généreuse sur l'arrière. Elle accrocha ses cheveux roses par deux bâtons assortis mettant en valeur sa nuque fine et gracieuse. Cela laissait son grand front nu et visible de tous, mais qu'importe: elle avait réussi à dépasser ce complexe d'enfance qui lui avait tant gâché la vie.
Etre un shinobi, c'était d'abord être au service d'une cause plus grande que soi-même. Se battre au dépend parfois de sa propre vie afin de protéger ce qui devait l'être. C'était aussi pour Sakura secourir, soigner, guérir son prochain. Être une femme ou un homme n'avait aucune sorte d'importance. Ainsi elle s'oubliait totalement, faisant toujours passer la réussite de ses missions et la santé de ses patients avant elle-même.
C'était futile, mais cette petite robe lui permettait de se rappeler de qui elle était, peut-être.
Elle claqua la porte de son appartement après avoir avalé à la hâte une petite soupe miso instantanée qui lui restait au fond de sa cuisine. Elle partait faire son rapport au nouvel Hokage tout récemment désigné, qui n'était donc autre que son ancien co-équipier et meilleur ami Naruto. Un sourire se dessina sur son visage. Elle était si heureuse pour son ami, si fière de lui en repensant à son parcours si difficile. Il avait réalisé son rêve.
- Ohayô Hokage-sama, salua-t-elle, enfin arrivée dans le bureau de Naruto tout en s'inclinant respectueusement
Naruto sursauta brusquement de son siège comme un enfant pris en train de faire une bêtise. Il sembla ranger machinalement quelque chose dans un tiroir, et se gratta l'arrière du crâne d'un air faussement agacé.
- Sakura-chan, quand est-ce que tu vas arrêter de m'appeler comme ça ? ronchonna-t-il J'ai pas 80 ans, Dattebayo !
- Je t'appelle comme ton titre le demande, HOKAGE SAMA, répliqua-t-elle avec un malin plaisir
Après un échange de regards faussement outrés ils éclatèrent de rire de bon cœur. Cette légèreté gonflait le cœur de la jeune femme. Elle aimait retrouver Naruto et le voir heureux ainsi, malgré les nombreuses piles de paperasses qui s'accumulaient sur son bureau et qui semblaient plus épaisses de semaines en semaines. Il était solaire, et son regard azur toujours aussi perçant. Elle se demandait s'il n'était pas en lui-même un remède aux dépressions, à la tristesse et au malheur. Elle avait oublié en un instant ses tourments précédents, et parvint à se reconcentrer sur le but de sa présence ici.
- Tu es sûr que tu n'as pas besoin d'un peu d'aide? s'inquiéta-t-elle en observant les piles de paperasse qui entouraient le blond
- Ne t'inquiète pas pour moi Sakura, sourit-il le pouce en l'air, sûr de lui, dans une de ses poses si caractéristique Fais-moi plutôt ton rapport alors, comment s'est passée ta mission?
- Aucune encombre. Naruto l'écoutait en s'appuyant mollement d'une main sur sa joue J'ai pu récupérer les cinq éléments demandés par Tsunade Sama dans les cinq lieux différents qui étaient prévus. Je n'ai rencontré aucun danger particulier mais j'ai pris énormément de temps à en trouver certains…
- Se redressant brusquement Effectivement, j'ai failli envoyer des renforts pour te rechercher! Un mois… Je me suis vraiment inquiété, dattebayo !
- Oui, Shikamaru me l'a dit…
- Il faudra que tu sois accompagnée la prochaine fois, c'était une erreur de te faire partir seule !
- Hokage-sama s'inquiétait donc pour moi personnellement? ronronna-t-elle, touchée par ses paroles mais préférant jouer la carte de l'humour
- Evidemment! scanda-t-il en croisant les bras. Bon. Y a-t-il eu des évènements particuliers à me signaler? Des imprévus?
- Non. Enfin si, j'ai dû informer la Mizukage de certains détails de la mission. Je n'ai pas eu le choix pour accéder à l'élément de l'eau...
Elle préféra éviter d'en dire d'avantage. Après tout, elle allait surtout devoir en parler avec Tsunade.
- Mmh… soupira-t-il, peu inquiet Je ne pense pas que cela soit vraiment problématique… Quoi d'autre?
- Euh… elle réfléchit Non, rien. J'ai pu récupérer les autres éléments sans avoir à dévoiler quoi que ce soit.
- Très bien. Eh bien… ça me va, souria-t-il, Tu peux disposer!
- Qu… Quoi? bredouilla-t-elle C'est ça pour toi un rapport? Tu ne veux pas plus de détails?!
- C'est une mission commandée par Tsunade-Sama, ce sera surtout à elle qu'il faudra faire ton rapport détaillé. Et puis, il s'étendit dans son fauteuil, bras croisés derrière la tête, si c'est trop intellectuel et qu'il n'y a pas d'action, ça ne vaut pas la peine de connaître les détails. Ça va me prendre la tête.
- Baka, souffla-t-elle Est-ce vraiment digne d'un Hokage?
- Je crois que c'est le moment où je te dis: tu peux prendre quelques jours de congés bien mérités Sakura chan! souria-t-il
- L'hôpital a besoin de moi, reprit-elle plus sérieusement J'y retournerai vite, je me suis absentée trop longtemps.
- Ne sois pas aussi sérieuse... souffla-t-il d'un air désabusé Ils t'attendront bien quelques jours de plus ! Et puis, tu n'es pas en tenue pour aller à l'hôpital aujourd'hui que je sache ?
Elle rougit à sa remarque, ses mains se tordant dans son dos.
- Je... Oui, j'ai peut-être besoin de souffler un peu aujourd'hui, avoua la rose
- C'est pour Sasuke que tu t'es habillée ainsi ? Vous avez rendez-vous ensemble ?
Si elle avait apprécié la discrétion de Shikamaru la veille, elle se trouva embarrassée par le franc-parler de Naruto. Non seulement parce qu'elle avait oublié qu'il parlait sans filtre, mais aussi et peut-être surtout parce qu'elle se rendit compte que son choix de tenue n'avait rien à voir avec son compagnon.
- N... Non.
- Il ne t'attendait pas chez toi ?
- Il... est encore trop tôt pour lui pour revenir à Konoha tu sais.
Elle le vit hausser les yeux au ciel, comme d'habitude. Comme souvent lorsque la conversation dérivait sur Sasuke. Comme trop souvent, en fait. Elle ne voulut pas entendre sa réponse et enchaina avant même que Naruto ne puisse ouvrir la bouche.
- Il a besoin de temps. C'est tout frais, tu sais.
- Tu lui trouves toujours des excuses.
- Il en a.
Elle ne savait pas si le sujet de Sasuke était à chaque fois épineux en raison des sentiments qu'avait pu éprouver Naruto envers elle, ou s'il s'inquiétait vraiment pour elle. Connaissant la relation que le blond partageait depuis deux ans avec Hinata, elle penchait pour la deuxième option. Elle enchaina du tac au tac, les bras désormais croisés et les sourcils froncés.
- Et c'est toi qui me dit ça, Naruto... C'est un peu fort, tu ne crois pas ?
- C'est pas pareil.
- Ah oui ? Et pourquoi ?
- agacé ... Je ne sais pas moi. C'était moi qui voulait le ramener. Moi qui voulait être son ami ! Toi, c'est pas pareil, tu ne choisis pas trop. Tu subis, et tu souffres !
Elle resta figée, ses yeux s'écarquillant légèrement d'étonnement. Naruto se mit à attraper un document d'un air absent, visiblement embarrassé.
- Enfin après, ça ne me regarde pas. Si tu es heureuse comme ça...
- agacée malgré elle contre son ami un peu trop clairvoyant Je suis patiente et je lui laisse du temps. Il en a besoin, et après ce qu'il a vécu, c'est la moindre des choses.
Elle comprit aux traits grimaçants de son ancien coéquipier qu'il ne partageait pas son point de vue. Les deux années passées auprès d'Hinata avaient fait leur effet : il sembla préférer couper court à la conversation plutôt que de poursuivre et de risquer de dire des choses peut-être difficiles. Blessantes ? Sakura déglutit, la gorge asséchée, pour tourner brusquement le dos à Naruto et se faufiler dans l'embrasure de la porte restée entre ouverte. Alors qu'elle allait disparaître de la vue de Naruto, elle l'entendit l'appeler et elle se retourna, la main sur la porte.
- Sakura... Tu as le droit aussi d'être heureuse, non ?
- envoyant un faux sourire dont elle commençait à en être la spécialiste Je le suis, Naruto. Ne t'inquiète pas.
- ...
- Embrasse Hinata pour moi.
Elle n'attendit aucune réponse et s'engagea cette fois dans le couloir, laissant un Naruto dubitatif et soupirant.
