Nous revoilà sur Beurk, destination que je ne vous recommande pas au vue de l'ambiance morbide qui y règne. Et une certaine personne donnerait n'importe quoi pour échapper à la colère de son chef.
Chapitre 15: Colère
L'ambiance n'est pas au beau fixe sur Beurk: l'enfant unique de Stoïck, l'héritier de la tribu, est parti vers un endroit inconnu des mortels. Cependant, un seul viking voudrait être aussi petit qu'une souris. Il craint par-dessus tout la colère de son chef.
- Olaf, qu'as-tu fait? Pourquoi as-tu voté contre mon fils?
- J'ai voté en mon âme et conscience Stoïck. J'ai voté pour le bien de la tribu, mais surtout pour le sien.
- Comment ça pour son bien? C'est pitoyable comme excuse. Si je m'amusais moi aussi à mettre en prison ton fils Varek pendant toute une année uniquement pour son bien parce qu'il a plus de graisse que de muscles, qu'en penses-tu?
- Je réponds que tu n'as aucune raison valable de faire ceci; cela entraînera un désaccord profond de la plupart des Beurkiens.
- Mais leur sentiment de culpabilité est beaucoup plus grand que tu ne le pense. Parce que si Harold n'avait pas été jugé apte à partir, un autre enfant de la tribu serait parti à sa place. Et ça aurait été le tien.
- ça aurait été le mien ou un autre de la tribu, j'aurais voté «non».
- Alors quelle est la différence avec Harold?
- À cause du jugement de Gothi.
D'abord abasourdi par cette déclaration, Stoïck se tourna vers la guérisseuse. Celle-ci se tenait debout devant lui, un regard de défi dans ces yeux. La guérisseuse fait signe à Gueulfor d'approcher, et traça un message dans la terre.
- Elle dit qu'elle n'a pas à justifier ses choix devant toi, qu'elle ne répondra à aucune de tes questions. Et que….
- Mais pourquoi avoir voté contre mon fils?
- Calme-toi Stoïck, répond Gueulfor. La vieille bique doit avoir ses raisons, je te rappelle qu'avec toi, Valka, Old Wrinkly et moi, elle a pris en charge l'éducation d'Harold. Elle n'aurait jamais voté contre lui si elle était sûre qu'elle ne le reverrait pas.
Gothi lui lança un sourire, effaça son message, et gribouille de nouveaux symboles. Gueulfor attendit patiemment et hoqueata de surprise, mais lit à haute voix devant l'air insistant de la vieille chouette.
- Elle dit également qu'elle n'aurait pas hésité à envoyer un autre jeune à la place d'Harold.
Le reste de la tribu s'indigna et des murmures fusent.
- Silence. Arrêtez de vous voiler la face. Vous avez juste soutenu le chef parce que vous avez peur de sa colère. Vous êtes bien content de vous débarrasser d'Harold parce qu'il est différent de la norme viking et qu'il n'a aucune chance d'atteindre sa taille et son âge d'adulte.
Devant cette accusation, Stoïck s'attendait à ce que certains se défendent. Mais il n'en est rien. Harold avait raison, ils tolèrent sa présence parce qu'il est son fils et personne ne veut subir la colère du chef. Stoïck a honte tout d'un coup, il a fallu attendre la disparition de son fils pour voir qu'il avait raison.
- Rentrez chez vous, tous.
- Mais Stoïck, …..
- RENTREZ CHEZ VOUS!
Toute la place centrale se vida en un temps record, les seules personnes restantes sont Stoïck, Valka, Gothi, Gueulfor et Mastok.
- Mastok, ton demi-frère a ordonné de ….
- Je me moque des représailles pour ne pas avoir suivi cet ordre. Il a perdu son fils, et a besoin du plus grand nombre de soutien. On a divergé sur de nombreux sujets, mais jamais je n'aurais souhaité ça. J'ai réagi en tant que père et non en humain.
- Si tu espères avoir….
- Rien du tout. Je n'espère rien en tirer. Parce que si c'est mon Rustik qui était parti, j'aurai encore ma petite Finna. Mais là, la situation est très grave: parce que Stoïck a perdu son seul enfant et Valka ne peut plus en avoir. Donc, en tant que père de famille, je me dois de porter mon soutien à mon chef.
- J'appelle ça jouer les suces boules et retourner sa veste.
- Appelle ça comme tu veux. Je n'ai pas à me justifier.
Un long silence s'installa, et malgré les pleurs de Valka, personne n'osa parler. Finalement, une voix étrangère finit par s'entendre.
- Chef Stoïck, je vous présente mes excuses. Je n'ai pas réussi à vous prévenir à temps.
- Ne te sens pas coupable Johann, tu as fait ton maximum pour me prévenir. Tu es toujours le bienvenu ici, n'hésite pas à te ravitailler.
- Sans vouloir vous manquez de respect, comment voulez-vous que je puisse manger après avoir assisté à une telle scène? J'aurais de la chance si j'arrive à dormir cette nuit, j'ai assisté à deux scènes déchirantes auquel aucun viking ne souhaite voir. Donc, avec votre permission, je vais m'éclipser et me lamenter seul dans mon coin.
- Bonne idée Johann, je vais faire de même dans ma forge.
Johann et Gueulfor quittèrent donc le groupe dans des directions opposées. Peu de temps après, Stoïck et Valka remontaient vers leur maison accompagnés par Mastok et Gothi. C'est seulement lorsque le couple a franchi la porte que les deux accompagnateurs rentrent dans leur maison respective.
- Oh mon dieu Stoïck, qu'est-ce qui s'est passé? Pourquoi s'est tombé sur nous et notre petit Harold?
- Je ne sais pas. Je suis aussi abasourdi que toi.
- Mais c'est quoi cette tradition Maudite? Hein répond moi.
- Calme-toi Valka. Je …...
- Pourquoi tu ne me réponds pas?
- Parce que tu ne me laisses pas le temps de te répondre.
Valka se tut par surprise, Stoïck ne lui avait encore jamais haussé le ton.
- Valka, je suis aussi désemparé que toi. Je ne comprends toujours pas pourquoi s'est tombé sur notre Harold. Ça aurait pu être moi ou mon père, mais le destin a voulu que ce soit lui.
- Alors pourquoi Gothi l'a laissé faire? Pourquoi elle n'a pas bougé le petit doigt?
- Je pense qu'elle en sait plus qu'elle veut le dire. Si elle était sûre qu'Harold ne reviendrait pas, elle se serait opposée à son départ. Je suis quasiment certain qu'Harold reviendra sur Beurk.
- Mais quand alors?
- Je ne le sais pas, et je pense que Gothi ignore cela également.
- Laisse-moi seule, j'ai besoin de m'isoler.
- Je ne pense pas que ce soit la meilleure des idées.
- S'il te plaît, ….
Devant l'air insistant de sa femme, Stoïck n'a d'autres choix que de capituler. Valka part dans la chambre et s'y enferma, Stoïck pouvait entendre les pleurs de sa femme. Il s'affaisse sur sa chaise et repensa à ce qui s'est passé: Johann, les messagers, la tradition de l'Expiation, les adieux, Harold… Stoïck se demande dans quel état se trouve son fils à l'heure actuelle: qu'est-ce qu'il doit ressentir? Mais surtout, pourquoi ne l'a-t-il pas écouté plus souvent? Il a fallu attendre sa disparition pour voir le vrai visage de ses concitoyens, lui qui pensait que tout allait bien. Stoïck se prend la tête et se refait les événements encore, et encore, et encore, jusqu'à ce que le sommeil le gagne et ne s'endorme. C'est Gueulfor qui le réveilla le matin suivant.
- Eh ben, je pensais trouver mon bon chef avachi dans son lit et ne voulant plus le quitter.
- Si c'est pour te plaindre des actions des villageois, je ne suis pas d'humeur. Je trancherai moi-même le premier qui viendra me confier ses plaintes.
- Surtout qu'en plus c'est le Jour des plaintes. Cela dit, ta mauvaise humeur très massacrante s'applique-t-elle également sur Mildew?
- Lui en particulier. Je ne veux voir personne, je me moque de ce que pensent les gens. J'ai perdu mon fils, une partie de ma famille. Il m'a été arraché de force, et le peuple pense que je vais faire comme si de rien ne s'était passé? Le premier qui ose me dire ça finira au pilori.
- Bon, je vais m'éclipser alors. Et je vais informer le Conseil de ta décision, je ne pense pas qu'il s'y opposera.
Gueulfor ouvra la porte, et se retourna.
- Tu sais, tu n'es pas le seul à souffrir. Je ne me suis jamais marié, jamais eu d'enfant. Et surveiller Harold m'a convaincu de ces décisions. Mais le voir grandir, et lui inculquer mon savoir, ça n'avait pas de prix. C'est une véritable bénédiction des dieux ce gamin, il n'en existe qu'un seul tous les 1000 ans. Je souhaite juste que Gothi ait raison et qu'il nous revienne sain et sauf.
Et sur ces paroles, Gueulfor ferme la porte et laissa le Chef seul. C'est le moment choisi par Valka pour sortir de sa chambre.
- J'ignorai qu'il s'est tant attaché à lui, j'avais l'impression qu'Harold le dérangeait plus qu'autre chose.
- Il ne faut pas toujours croire ce qu'il dit ou ce qu'il laisse croire. Il veut paraître fort mais je pense qu'Harold lui manque beaucoup. Il aime son titre de parrain, et il y tient.
- C'est vrai. Il s'en est bien occupé.
Soudain, des coups retentissent au niveau de la porte.
- Stoïck, c'est Mastok. Ouvre-moi, c'est urgent.
Stoïck s'exécuta et est surpris de voir son demi-frère alarmé.
- Mastok, que se passe-t-il?
- C'est Mildew, il hurle devant la porte du Grand Hall. Il a eu vent des événements d'hier et réclame à te voir. On a essayé de l'arrêter mais il a rappelé que c'est le jour des plaintes et nul Chef ne doit déroger à la règle.
- Soit, mais ça va être expéditif.
Stoïck sort donc de sa maison, suivi de près par son demi-frère, et se dirigea vers le lieu-dit. Le chef est surpris de voir la moitié de la population réunie devant les portes.
- Ah, Stoïck. Aurais-tu oublié quel jour sommes-nous aujourd'hui?
- Oh que non Mildew. Mais que viens-tu faire ici?
- J'ai appris la nouvelle, Beurk a perdu son héritier. Pour le bien de la tribu, tu dois choisir un nouvel héritier.
Des cris s'élèvent pour manifester leur soutien au vieux barbu.
- SILENCE! Mildew, de quel droit exiges-tu ceci?
- Harold est trop faible, tu aurais dû le noyer à sa naissance. De plus, aucun héritier n'a survécu à cette tradition. Il ne reviendra pas. Une tribu sans héritier, c'est comme une avarie sur un bateau, c'est un désastre imminent.
Stoïck fumait devant ces accusations, heureusement, et contre toutes attentes, Mastok intervient.
- Mildew, comment oses-tu dire cela? Et vous, comment osez-vous venir ici pour faire écouter vos plaintes? Notre chef a perdu son fils, et vous ne pensez qu'à votre bien être. Et si c'était votre fils qui se trouve à la place d'Harold, quelle serait votre situation? Faire comme si de rien ne s'était passé, ou bien vous serez enfermé dans votre maison pour pleurer la perte de votre enfant?
Le discours de Mastok fait réfléchir la populace, et personne n'osa parler.
- Ne l'écoutez pas, il veut vous embrouiller l'esprit.
- Oh que non. Mildew, tu me défies en me donnant des ordres. J'appelle ça une révolte.
- Pas du tout Stoïck, je …
- Tais-toi. J'ai écouté ta plainte, maintenant, je déclare la journée des plaintes officiellement fermée jusqu'à la prochaine fois. Maintenant, dispersez-vous.
Une fois les Beurkiens partis, Stoïck interpella Mildew.
- Quand à toi, je n'en ai pas fini. Surveille tes arrières vieux bouc, je ne te louperai pas la prochaine fois.
L'Ancien ne répond pas et part aussi vite qu'il le peut.
- Il va revenir à la charge, Stoïck; il n'hésitera pas à te rappeler de désigner un remplaçant à ton fils.
- Je sais.
- Ce qu'il ne sait pas, et je l'espère, est la raison pour laquelle Gothi a voté contre ton fils.
- Oui, je l'espère. Mais il me tarde de revoir Harold, déclara-t-il le regard pensif vers l'horizon.
