Chapitre 9
« On dit souvent que le temps guérit les blessures. Les blessures demeurent intactes. Avec le temps, notre esprit recouvre ces blessures de bandages afin de mieux nous protéger. La douleur diminue, mais elle ne disparaît jamais »
Le soleil déclinait à l'horizon, ses derniers rayons passant à travers la fenêtre de la chambre pour venir taper dans le miroir qui me faisait face. La journée avait été longue, je m'étais isolée dans notre chambre afin d'échapper aux préparatifs de la cérémonie qui allait se tenir dans une heure.
Debout face à la glace, je fixais mon reflet. J'avais passé la tenue de cérémonie qui convenait, et cette dernière donnait à mes traits une gravité sans précédent. La noirceur de la tenue mettait en évidence la pâleur de mon visage. Le chemisier, la jupe et les bottes montantes que j'avais dû passer donnait une sévérité à ma posture rigide. Conformément au règlement, j'avais noué mes longs cheveux en un chignon serré et mon maquillage cachait à peine les cernes sous mes yeux.
Ecartant une mèche de mes cheveux de devant mes yeux avec l'une de mes mains gantées, je jetais un dernier coup d'œil à mon reflet avant de me tourner vers Nyota qui m'attendait silencieusement devant la porte. Nous y étions.
Tu es prête ? me demanda mon amie en analysant mon visage.
Non, répondis-je lentement en attrapant mon écharpe.
Avais-je vraiment le choix de toute façon ? Nyota hocha doucement la tête avant d'ouvrir la porte, et je la suivis dehors.
Je n'étais pas la seule à avoir perdue quelqu'un ce jour-là, et l'ambiance déjà sombre s'alourdit quand tout le monde se réunit dans la cour principale.
Adressant un sourire encourageant à Nyota, je partis me placer à la droite de Spock et à la gauche de Sulu. Jim, qui était pour une fois bien en avance, croisa mon regard, et j'y lu le même désarroi et la même peine.
Le reste de l'équipage nous rejoignis, se mettant en rang tel que le protocole l'exigeait. Je regardais d'un regard vide Nyota prendre place aux côtés de Tchekov, Bones et Scotty quelques rangs derrière nous.
Quelques instants plus tard, la musique si funeste dédiée aux cérémonies d'hommage retentit dans la cour et je vis l'amiral Marcus gagner l'estrade face à nous.
Bienvenus à tous, débuta-t-il d'une voix grave, et je frémis quand le vent se leva, balayant mon visage. En ce jour, nous rendons hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont donnés leurs vies au nom de la liberté et de la paix. Tous leurs noms vont être énoncés les uns après les autres, à chaque fois, un drapeau de la Fédération sera offert à un membre de la famille du défunt afin d'honorer sa mémoire.
J'avalais difficilement ma salive.
Avant cela, le capitaine de l'U.S.S Enterprise, souhaiterait dire quelques mots.
Je fus à peine surprise. Jim avait beau avoir beaucoup de défauts, il n'en restait pas moins un homme intègre. Nous avions été le seul vaisseau à sortir de cet enfer. Il souhaitait rendre hommage à ceux qui y avait laissé la vie.
Mon frère quitta sa place et monta les escaliers pour gagner l'estrade face à nous.
Un vieil ami m'a un jour dit que dans la vie, il fallait prendre des risques, sinon on ne vivait pas vraiment, commença-t-il. En nous engageant dans Starfleet, nous le faisons afin de participer à une mission bien plus grande que nous. Certains le font par rêve ou vocation, d'autres par défaut. Mais peu importe, une fois engagé, chacun d'entre nous entre dans cette grande famille qui nous définit. Et c'est cette famille qui a été touché il y a de cela plusieurs jours. Cette famille qui a perdu de nombreux membres, et qui souffre aujourd'hui de ce deuil.
Son regard fit un tour dans l'assemblée avant de se poser sur moi.
Nous avons tous perdus des personnes en qui nous tenions. Elles se sont éteintes avec courage et bravoure, entraînées par la rage et la soif de sang d'un homme de façon brutale. Quand nous partons en mission, nous savons que nous pouvons ne pas en revenir, mais nous sommes avant tout des explorateurs.
Je décrochais mes yeux de Jim pour regarder autour de moi. Chaque visage dans l'assemblée était grave. Certains pleuraient, d'autres avaient les yeux remplis de souffrance. D'autres encore étaient captivés par le discours de mon frère, s'accrochant à ses mots comme un naufragé à une bouée de sauvetage.
Les visages des nouveaux venus dans Starfleet étaient également solennels, mais je savais qu'ils ne pouvaient pas encore saisir l'étendue des propos de Jim. Le sacrifice et la perte d'un être cher étaient encore des sentiments qui leur étaient étrangers.
Mon regard dévia sur mes amis.
Nyota fixait droit devant elle, le regard vide. Elle écoutait sans doute les propos de Jim, mais je savais que ses pensées étaient en tout premier lieu destinées à Héléna, Gaïa et Adrian.
Le visage de Bones n'avait jamais été aussi sérieux qu'à cet instant précis. Tout comme moi, son regard se baladait sur l'assemblée, tentant d'échapper à l'émotion qui devait sans nul doute le toucher. Il était proche de Jim, mais il l'avait également été de Adrian.
Sentant mon cœur se serrer, je laissais mon regard se poser sur Scotty, et nos yeux se croisèrent. Pendant quelques instants, j'oubliais où je me trouvais et pour quelle raison. J'oubliais la douleur et la peine.
Malgré la douleur et la colère, nous ne devons pas oublier que Starfleet est avant tout un endroit de paix et de découverte. Le sacrifice de nos frères et sœurs ne doit pas être oublié, mais nous nous devons de leur rendre hommage en continuant notre mission. En continuant de propager les amitiés entre nos peuples. C'est ce qui fait notre force. C'est ce qui la fera toujours…
Scotty ne me quittait pas des yeux, et je me forçais à détourner les miens, sentant la colère me prendre à la gorge.
Je n'avais pas le droit de me laisser aller à de tels sentiments envers un membre de l'équipage. Envers un membre de Starfleet tout simplement. J'avais encaissé bien trop de pertes pour accepter de risquer de perdre la personne à qui je donnerais mon cœur.
D'autant plus que je ne connaissais rien de Scotty. Depuis le départ, il était amical et plutôt marrant, mais je ne savais rien de sa vie. Me laisser aller à avoir des sentiments pour lui revenait à risquer de souffrir sciemment. C'était hors de question.
Merci Capitaine Kirk, lança soudainement l'amiral Marcus, me faisant rebasculer violemment dans la réalité.
Ma colère redoubla quand je constatais que je n'avais quasiment rien écouté du discours de mon frère. Adrian était mort bon sang. C'était tout sauf le moment de rêver.
Renfermant mes sentiments et mes émotions derrière un masque d'indifférence, je regardais en silence Jim regagner sa place et l'amiral Marcus remonter sur l'estrade.
Bien que la liste de nos héros morts soit longue, reprit Marcus. Il est du devoir de Starfleet de leur rendre hommage correctement. En conséquent, chaque agent décédé sera cité, et un drapeau plié sera remis à l'un de ses proches.
Un lourd silence s'abattit sur la foule quand l'amiral Marcus déplia le long document qu'il tenait entre ses mains. Deux membres de la haute direction de Starfleet s'avancèrent. Puis Marcus commença sa longue énumération.
Abadi Lyam, 29 ans, agent de sécurité à bord de l'U.S.S. Faragut.
Une jeune femme blonde quitta les rangs du public, le visage marqué par les larmes. Mais elle resta digne pendant toute sa progression pour récupérer l'hommage à son époux. Elle regagna sa place sous les applaudissements respectueux de l'assemblée.
Adon Peyton, 20 ans, technicienne en communication, U.S.S Antarès.
Cette fois-ci, ce fut un couple qui s'avança. Sans doute les parents de la jeune femme. Tous les deux se montrèrent également très dignes, mais la femme s'effondra dans les bras de son époux quand ils eurent regagné leurs places.
L'amiral Marcus continua sa longue liste, et je regardais défiler en silence les familles des défunts. Certains pleuraient, d'autres semblaient s'être renfermés dans une résignation funeste.
Brown Gaïa, 26 ans, technicienne informatique, U.S.S Truman.
Mes yeux tombèrent sur la foule. Gaïa n'avait pas de famille, c'était d'ailleurs pour cela qu'elle s'était engagée dans Starfleet. Afin d'en avoir une. Personne ne viendrait chercher son drapeau.
Et cela, je ne pouvais pas le permettre.
Inconsciemment, je m'avançais, et un mouvement sur ma droite m'indiqua que Nyota en avait fait de même. Ensemble, on monta les marches menant à l'amiral Marcus et on se positionna face à lui. Contrairement aux familles, on ne lui serra pas la main, on inclina la tête en signe de respect.
Puis la femme qui tenait le drapeau plié le tendit à Nyota. Cette dernière le prit lentement, et on regagna en silence notre place.
Carter Héléna, 24 ans, infirmière à bord de l'U.S.S Antarès.
Je frémis et ne pu m'empêcher de croiser le regard de Nyota. Son visage ruisselait de larmes, et je fermais un instant les yeux avant de les poser sur le jeune homme qui s'avança solenement vers l'estrade. Son fiancé.
Logan récupéra le drapeau plié et serra la main de l'agent de Starfleet qui le lui remit avant de se détourner pour descendre de l'estrade. Il paraissait déterminé, mais je savais que derrière ce visage neutre se cachait une grande souffrance.
La liste continua, interminable. Je voyais défiler les uns après les autres les proches des différentes victimes des vaisseaux qui étaient arrivés juste avant nous dans l'espace de Vulcain et qui avaient été pris pour cible par Nero.
Puis, soudainement, comme si je ne m'y attendais pas, vint son tour.
Robau Adrian, 25 ans, pilote sur l'U.S.S Truman.
Je sentis le peu de couleur qu'il me restait quitter mes joues. Entendre l'amiral Marcus prononcer le nom de mon frère était comme une sentence. Comme si j'avais attendu cela pour comprendre que mon jumeau était parti, définitivement. Qu'il ne reviendrait pas.
Je m'avançais en compagnie de Jim de façon inconsciente. Je ne sus pas comment je parvins à atteindre l'estrade et à monter dessus, ni comment je parvins à incliner la tête devant l'amiral Marcus et tendre les mains pour récupérer le drapeau plié de mon frère. Ce fut comme dans un brouillard. J'avançais par automatisme, seulement consciente de la présence de Jim à mes côtés.
L'idée que plusieurs centaines de personnes nous observe ne m'effleura même pas l'esprit. Je n'en n'avais rien à faire des autres.
Je regagnais ma place en silence, serrant le drapeau de mon frère entre mes doigts, et je fixais à nouveau le vide devant moi. Je devais tenir. Les larmes viendraient plus tard.
oOoOo
Starfleet avait organisé une soirée en hommage aux victimes, mais je devais avouer qu'ils avaient bien fait les choses. La fête n'avait pas l'air lugubre à laquelle je m'attendais, même si évidemment, le temps n'était pas à la joie.
Les familles discutaient entre elles, certaines se rencontraient pour la première fois. Il y avait foule sur les lieux, et je n'étais pas à mon aise. Pas quand certaines personnes reconnaissaient mon visage et me pointait du doigt.
Avec toi aussi les gens font preuve d'un manque flagrant de respect, souffla Jim en me rejoignant tandis que je détournais amèrement les yeux d'un couple qui me fixait avec insistance.
Oui, répondis-je en reposant mon verre sur la table. A croire que nous sommes des bêtes de foire. Je devrais être habituée depuis le temps, mais cela me surprend toujours que des personnes puissent faire preuve d'autant de voyeurisme…
Ne faites pas attention, souffla Bones en nous rejoignant, l'air d'aussi mauvaise humeur que nous.
En toute objectivité, quand était-il de bonne humeur ?
Je veux juste sortir d'ici, répondit Jim et je hochais la tête en signe d'accord. Honnêtement, en quoi ont-ils besoin de nous…
Pour la bonne image de Starfleet très certainement.
Je vais tenter de regagner mon dortoir, répondis-je en me redressant. Si quelqu'un n'ai pas d'accord, il aura qu'à venir me chercher.
Je n'écoutais pas la réponse de Bones qui, à son habitude, bougonnait dans sa barbe. Me frayant un chemin à travers la foule, je distinguais vaguement Nyota qui, en compagnie de Spock, m'adressa un regard préoccupé. Lui adressant un signe de la main pour la rassurer, je parvins à gagner la sortie, poussant avec un soulagement non feint la lourde porte de la salle.
Immédiatement, le vent froid me heurta et me fis frissonner. Resserrant ma veste autour de moi, je m'arrêtais dans la cour, profitant du calme ambiant. Fermant les yeux, je m'adossais contre l'un des piliers, respirant profondément.
Mon mal de tête se calma progressivement à mesure que mon énervement se calma.
Vous allez bien ? demanda doucement une voix masculine à ma droite, et je sursautais, rouvrant brutalement les yeux pour les poser sur Scotty qui me fixait d'un air inquiet.
Instantanément, je me redressais, mettant inconsciemment de la distance entre nous deux. Son regard se fit plus interrogateur en me voyant faire, et je tentais de ne pas y faire attention.
Oui, je vais bien, répondis-je en frottant mes mains l'une contre l'autre. Juste fatiguée de toute cette foule. Je vais regagner ma chambre, j'ai besoin de me reposer.
J'esquissais un mouvement pour me remettre en mouvement, mais sa main se refermant sur mon poignet me fit interrompre mon mouvement.
Aussitôt, ce désagréable frisson me reprit, et je pivotais un peu plus vivement que prévu vers Scotty. Ce dernier retira immédiatement ses doigts de mon bras, ses yeux tombant sur mon insigne. Il avait dû interpréter mon mouvement brutal comme une réponse à un acte irrespectueux.
Désolée, fis-je en levant les mains. Je ne supporte pas le contact physique, j'ai tendance à réagir de façon… disproportionnée. Ce n'est pas de votre faute.
Oh…, répondit-il et je lui adressais un sourire désolé. Excusez-moi. Je voulais simplement vous remercier. J'ai reçu mon affectation permanente en tant qu'officier en ingénieurerie au sein de l'U.S.S Enterprise. Je sais que vous y êtes pour quelque chose.
Je n'ai rien fais, fis-je en haussant les épaules. C'est surtout Jim que vous devriez remercier. Mais nous vous comptons avec plaisir parmi nous.
Je lui adressais un nouveau sourire, et nos yeux se croisèrent à nouveau. Le monde sembla à nouveau s'arrêter autour de moi. Je ne ressentais plus la peine ou la douleur, je ne sentais plus le froid de cette nuit d'automne. Je ne voyais plus que ses yeux.
Lui aussi cessa immédiatement de parler. Je vis ses yeux se poser sur mes lèvres avant de remonter sur mes yeux, et j'y lu l'hésitation. Ce fut cela qui me permis de me reprendre.
Je vous souhaite une bonne soirée, lâchais-je un peu brutalement.
Sans attendre de réponse, je tournais les talons. Secouant la tête afin de chasser les pensées qui me heurtaient, je me dépêchais de traverser la cour et de monter dans ma chambre.
Retirant précipitamment mes bottes et ma veste, je jetais mes gants sur le bureau avant de gagner mon lit. Je n'étais pas démaquillée, je n'étais pas non plus déshabillée. Mais peu m'importait. Je voulais juste que cette journée se termine.
