Le lendemain après-midi, comme prévu, Quil ramène Claire à la maison. Il prend le temps de décharger les bagages de la petite, mais nos échanges restent brefs. Il m'informe simplement qu'il doit partir en patrouille avec la meute et qu'il reviendra plus tard.
Un simple hochement de tête, un sourire en coin, et il est déjà reparti. Une fois seule avec Claire, je m'efforce de chasser les pensées qui me perturbent. Je dois avant tout m'occuper de ma fille, avant de penser à mes petits soucis.
Je m'attèle à lui préparer un goûter et une fois qu'elle a terminé de manger, elle va s'occuper en dessinant. Je décide alors de me retrousser les manches pour faire un bon coup de ménage. J'allume ma chaîne hi-fi à triple emplacement pour y insérer trois compilations qui me mettront de bonne humeur. Les premiers accords commencent à s'échapper des haut-parleurs.
En premier lieu, je m'occupe de nettoyer toute la cuisine de fond en combles. Après le départ de mes copines, j'avoue que je ne me suis pas vraiment préoccupée de la vaisselle... Je récure la vaisselle qui s'est accumulée, la sèche et la range. Je fredonne quelques paroles, me laissant transporter par le rythme.
Bientôt, je m'arme d'un plumeau pour faire la poussière. Plus ça va et plus je me laisse aller à quelques pas de danse pour accompagner ma prestation de chant. Je me sert bien volontiers de mon plumeau tantôt comme un micro, tantôt comme une guitare.
Claire est vite attirée par mes pitreries et commence à danser et à sautiller avec enthousiasme. Nous voilà toutes les deux en train de danser et nous amuser comme des folles dans le salon sur des rythmes pop, rock ou RnB. Je me fais la réflexion que ma fille m'a terriblement manqué pendant sa courte absence !
Profitant d'une petite accalmie, je passe l'aspirateur. Claire est toujours aussi enthousiaste, mais le bruit de la musique est temporairement couvert par le moteur de l'appareil. Elle m'observe simplement, attendant que je reviennent m'amuser avec elle.
Je délaisse rapidement l'aspirateur, trop heureuse de retrouver la complicité de ma fille. Claire recommence à sautiller et à agiter les bras, imitant maladroitement les mouvements de danse que j'ai effectués plus tôt. Je ne peux m'empêcher de rire en la voyant si joyeuse et insouciante. Je la fais tournoyer sur elle-même, elle rit, elle crie, elle bafouille quelques mots, tentant de chanter les paroles qu'elle ne comprend pas.
Très vite, je l'accompagne, chantant à tue-tête et me déhanchant au rythme de la musique. Je ne vois pas le temps passer, je ne sais pas depuis combien de temps nous faisons les folles, mais je n'ai pas envie que ça s'arrête.
Soudain, au milieu de nos éclats de rire, Claire s'arrête pour regarder en direction de la porte d'entrée. Elle s'écrit alors :
— Puiiiil !
Je m'arrête net.
Claire court dans la direction du garçon, qui se tient derrière moi. Je me retourne lentement – très lentement – pour découvrir Quil, qui se tient négligemment appuyé contre l'encadrement de la porte, les bras croisés sur son torse. En prime, il porte un sourire malicieux sur ses lèvres et semble admirer la vue. J'écarquille les yeux.
Oh misère !
— Tu es là depuis combien de temps ?, couiné-je, morte de honte.
Quil rit doucement, baissant le regard brièvement avant de le reporter sur moi.
— Oh, juste assez longtemps pour écouter ton joli brin de voix et admirer ton petit déhanché parfait, dit-il, son sourire toujours accroché sur le visage.
A cet instant, mon cerveau freeze complètement. J'ai bien entendu ?
Joli brin de voix.
Déhanché parfait.
Mon cerveau commence instantanément à s'imaginer que le garçon s'approche de moi pour m'embrasser.
Mais comme il n'en n'est rien, je dégluti pour reprendre contenance. Il se tient toujours dans l'encadrement de la porte, alors Claire se poste à ses pieds et réclame son attention. Ma fille m'offre une diversion parfaite et je me précipite sur la chaîne hifi pour l'éteindre à tout hâte. Je viens de me donner en spectacle devant Quil... La honte !
Pour tenter de masquer mon embarras, je me retourne rapidement vers mon ménage, reprenant là où je m'étais arrêtée, le cœur battant encore un peu trop vite. Quil, toujours aussi attentif, remarque mon agitation mais ne dit rien. Il se met à son tour à la tâche, ramassant les jouets de Claire éparpillés un peu partout dans le salon.
Je le remercie du regard, même si je ne suis pas sûre qu'il ait remarqué. Je m'efforce de paraître calme en continuant de ranger, mais l'agitation intérieure ne cesse de grandir. Mon esprit tourbillonne encore autour de la remarque de Quil, de son sourire amusé et de la gêne qui me serre la gorge. Je jette un coup d'œil furtif dans sa direction.
Après avoir ramassé tous les jouets de ma fille, il s'accroupit à côté de Claire et s'occupe de construire avec elle une maison en Lego-Duplo, comme si de rien n'était.
Je soupire discrètement. Heureusement pour moi, Claire attire maintenant toute son attention. Je les observe un instant, un sourire aux lèvres en voyant ensemble. Ce moment entre eux où plus rien n'existe autour d'eux.
En le regardant avec Claire, je remarque alors un changement dans son expression. Le sourire taquin qu'il arborait a disparu, remplacé par quelque chose de plus tendre, plus profond. Il semble absorbé, complètement pris par ma petite fille qui s'applique minutieusement à construire une maison haute en couleur. Claire lui a donné des briques vertes, mais Quil est d'humeur taquin alors il s'entête à lui tendre d'autres couleurs, ce qui agace ma fille.
— Non Puil, pas celui-là ! Toi c'est le vert, déclare soudain Claire d'un ton sévère.
Je ris doucement, ce qui attire l'attention de Quil, qui m'offre une grimace complice. Nous savons tous les deux que Claire peut être un vrai tirant ! Quand elle a décidé quelque chose, il ne faut pas la contrarier ! Au bout du compte, Quil, lasse de se faire disputer par l'urbaniste en chef, abandonne Claire à sa construction et prend place sur le canapé.
Assis là, il regarde Claire jouer avec ses Lego-Duplo avec une admiration sans faille. Elle est tellement concentrée, les sourcils froncés, comme si elle bâtissait un véritable chef-d'œuvre. Quil, quant à lui, semble fier d'elle. Il est si admiratif que s'en est presque caricatural. Parfois, j'aimerais échanger de place avec lui pour pouvoir vivre l'imprégnation et comprendre ce qu'il peut ressentir.
Tout m'a déjà été expliqué au sujet de l'imprégnation, mais ça reste quand même assez flou dans ma tête. C'est censé être un lien indéfectible, une attraction irrépressible qui unit deux âmes. Un amour si fort qu'il transcende tout. Mais pour moi, tout ce que je vois, c'est un père avec sa fille.
Lorsque je les regarde, la façon dont Quil la contemple, dont il rit à ses blagues, dont il s'émerveille à chaque geste, ça me rappelle le genre d'amour qu'un parent ressent – enfin, dans la plupart des cas – pour son enfant. Quand il naît, on ne le connaît pas et, pourtant, on l'aime d'un amour inconditionnel et instantané. Un lien si fort qu'il nous submerge et nous bouleverse, nous ancre dans une réalité nouvelle où notre existence ne tourne plus qu'autour de ce petit être fragile que nous devons protéger coûte que coûte.
Je me demande si Quil comprend réellement ce que je ressens en tant que mère, s'il réalise à quel point nous partageons plus de points communs que nous ne le pensons.
Point de vue Quil
Alors que je ramasse les jouets de Claire éparpillés dans le salon, mon regard ne peut s'empêcher de revenir à Skyler. Elle s'agite nerveusement dans la pièce, tentant de cacher son embarras. Mais je l'ai bien vue rougir à mon compliment et ça m'amuse. Elle semble tellement absorbée par ce qu'elle fait qu'elle ne remarque même pas que je la regarde encore.
Elle semble soudain soucieuse, ce qui me chagrine un peu. Je l'observe encore un moment, mais cette fois avec une certaine tendresse, déstabilisé par ce que je ressens. Troublé, je reporte mon attention sur Claire, concentrée par la construction de sa maison en Lego-Duplo.
Ma fille... enfin, presque.
Je m'accroupis à côté d'elle pour l'aider. Elle a soigneusement trié les briques par couleur et me cède quelques pièces, toutes vertes. Je remarque qu'elle suit un ordre précis pour les assembler. Pour l'embêter un peu, je lui tends des briques d'une autre couleur que celles qu'elle m'a attribuées.
— Non Puil, pas celui-là ! Toi c'est le vert, déclare Claire d'un ton ferme et sans appel.
Derrière moi, j'entends Skyler rire. C'est un rire léger, doux et un brin moqueur. Je me tourne vers elle et grimace exagérément, faisant semblant de souffrir le martyr sous le joug de la mini dictatrice assise à côté de moi. Elle rit d'autant plus et une petite étincelle au fond des yeux fait pétiller son regard, puis elle reprend son ménage.
J'adore son sourire. Je trouve qu'il illumine tout autour d'elle.
Je pourrais continuer de l'observer à la dérobée, mais je me force à me détourner, pour continuer ma construction avec Claire. A force de me gronder, ma petite chérie commence à s'agacer, alors je la laisse à sa création et m'installe sur le canapé. Comme toujours, mon attention reste focalisée sur elle. Un sourire attendri s'étire sur mes lèvres sans que je m'en rende compte.
Claire est tellement absorbée par ce qu'elle fait, les sourcils froncés, comme si elle bâtissait la plus belle maison du monde. Mon cœur se gonfle de fierté en la regardant. C'est ça, l'imprégnation : cet amour indéfinissable et indestructible, cet instinct fraternel ou paternel qui me pousse à vouloir la chérir, la protéger ou l'admirer dans ses moindres faits et gestes.
Imprégnation…
Ce mot résonne sans cesse dans mon esprit. Je suis imprégné de Claire et c'est comme si le reste du monde disparaissait lorsque je la regarde. Elle est tout pour moi, le centre de mon univers, la raison pour laquelle je me lève chaque jour. Rien d'autre n'a d'importance. Je serais toujours là pour elle, quoi qu'il arrive.
— Merde…, entends-je au loin.
Ce n'est qu'un murmure, mais je l'entend comme si j'étais à côté de Skyler. Elle vient de se tâcher et s'emploie à nettoyer son t-shirt. Je souris en la regardant faire et ne peux m'empêcher de la trouver belle, avec ses cheveux désordonnés et son petit air renfrogné. A cet instant, elle ressemble à Claire. Elles portent la même expression concentrée sur le visage.
Elles ne sont pas mère et fille pour rien !, pensé-je mon sourire toujours accroché aux lèvres.
Je réprime un soupir. Le fait est que la présence de Skyler à mes côtés complique tout. Elle a pris une place dans ma vie que je n'avais pas anticipée. Je ne suis pas imprégné d'elle, mais il n'empêche que je ressens quelque chose pour elle.
Quelque chose qui me serre la poitrine chaque fois que je la regarde.
Chaque jour qui passe, je m'attache un peu plus à elle et une chose est sûre : ce n'est pas censé être comme ça. Mon lien avec Claire est censé être simple : la protéger, veiller sur elle. Mais avec Skyler, tout devient compliqué.
Skyler finit par abandonner la bataille contre son t-shirt et vient s'asseoir à côté de moi, épuisée. Je l'observe du coin de l'œil et je remarque qu'elle semble toujours préoccupée par quelque chose. Elle jette des coups d'œil furtifs entre Claire et moi, comme si elle hésitait à dire quelque chose.
— Quil, est-ce que je peux te demander quelque chose ?, lâche-t-elle enfin.
Je hoche la tête et elle continue :
— Aujourd'hui, l'imprégnation, ça te fait quoi exactement ?, demande-t-elle avec un léger malaise dans la voix. A moins que ça te dérange d'en parler avec moi… vu que je suis la maman de Claire… enfin, tu vois quoi…
Je me redresse, légèrement surpris. Je savais que ce sujet reviendrait sur le tapis un jour, mais pas aujourd'hui. Tout d'un coup, ça me rend nerveux, alors je soupire doucement. Pas parce que je ne veux pas en parler, mais parce que c'est difficile d'expliquer l'inexplicable.
En théorie, Skyler connaît déjà tout de l'imprégnation. Nous en avons déjà discuté quand je me suis imprégné de Claire cet été. Alors qu'attend-elle de moi ? Et comment mettre des mots sur ce lien ? Je baisse les yeux un instant, cherchant mes mots, puis je la regarde à nouveau.
— Non, ça ne me dérange pas d'en parler avec toi. C'est juste… complexe, murmuré-je en passant une main nerveuse dans mes cheveux. Quand je me suis imprégné de Claire, c'était comme si tout s'était aligné, comme si c'était là que je devais être. Depuis cet instant, tout ce qui compte, c'est elle.
Je sens mon cœur se serrer en prononçant ces mots. Pas parce que c'est difficile à accepter, mais parce que Claire n'est plus la seule à occuper mes pensées. Skyler compte aussi, bien plus que je ne voudrais l'admettre. Ma place ici, avec elles deux, est tellement naturelle et je redoute plus que tout le moment où l'imprégnation va de nouveau tout chambouler…
— Comme on te l'a déjà expliqué, je ne suis pas amoureux de Claire. Ce n'est encore qu'une enfant et ce serait vraiment ignoble…, je frissonne et je ressens une sorte de malaise à l'idée de devoir préciser tout ça, mais c'est nécessaire. Disons que l'imprégnation avec elle c'est plus comme... un instinct protecteur, comme un grand frère… ou un père. Mon rôle, c'est de veiller sur elle, de m'assurer qu'elle est heureuse et en sécurité. Je l'aime, oui, mais d'une manière très pure, que je ne saurais même pas expliquer totalement… C'est comme une force qui me pousse à agir ainsi et si je ne le fais pas, ça me tue.
Je marque une pause. Un père et sa fille, c'est ainsi que je perçois ma relation avec Claire. Si seulement il pouvait en rester ainsi… Skyler me fixe, mais ne semble pas me voir. Elle est perdue dans ses pensées, comme si elle tentait de comprendre.
Que pense-t-elle de moi, de cette situation ? Elle est loin d'imaginer ce qu'il se passe dans ma tête, qu'il y a plus que ce lien avec Claire… Et en même temps, je ne peux pas lui dire que je me sens piégé entre deux émotions contradictoires. D'un côté, il y a Claire, cette petite fille que je dois protéger jusqu'à la fin de mes jours et de l'autre, il y a Skyler, cette femme que je commence à voir différemment, malgré moi…
— Et pour les autres, Sam et Emily par exemple ?
Je penche la tête d'un côté puis de l'autre, comme pour remettre de l'ordre dans les pensées. Sam et Emily, c'est un exemple parfait, mais aussi terrifiant. L'imprégnation est si puissante qu'elle détruit tout ce qui existait avant. Je pense à ce qu'il s'est passé pour Sam, à ce qu'il a perdu et ce qu'il a dû sacrifier. Et moi ? Est-ce que je serais capable de laisser tomber tout ça ? Je n'en suis pas certain…
— Oui, à la différence que lorsque Sam s'est imprégné d'Emily, c'était comme un coup de foudre. Il l'aime d'un amour total, inconditionnel, puissant. Le genre d'amour qui te change pour toujours.
Je continue de lui expliquer que l'imprégnation est une connexion plus profonde que tout ce qu'elle peut imaginer. Qu'il s'agit d'une attraction qui va au-delà de l'attirance physique qui ne peut pas être ignorée par le loup. Pour Sam, le monde ne tourne plus qu'autour d'Emily, et c'est exactement pareil pour Jared avec Kim ou Paul avec Rachel.
— Claire est tout autant mon monde, mais là où Jared voue une adoration sans faille à Kim, moi, je réponds aux besoins de Claire. Je dois être là pour elle, quoi qu'il arrive… Je dois être celui dont elle a besoin, terminé-je.
En disant ces mots, je me rends compte que je suis tendu. J'observe Skyler. Elle reste silencieuse, mais je peux voir ses pensées s'agiter. Je ne sais pas si elle essaie de comprendre ou de faire le point sur la situation. Je sais simplement que c'est difficile de prendre la pleine mesure de ce qu'est l'imprégnation.
Je me demande souvent comment tout cela se passera pour moi quand Claire grandira. Est-ce que je vais ressentir ce coup de foudre dévastateur ? Ou est-ce que ce sera plus progressif, plus insidieux ?
Skyler reste silencieuse, les yeux rivés sur moi. Craint-elle que sa présence complique les choses pour moi et qu'elle devienne un obstacle dans l'évolution de ma relation avec Claire ?
Je ne sais pas pour elle, mais pour moi il est clair que oui. Mais pas pour les mêmes raisons. J'imagine aisément que Skyler songe à la meilleure manière de soustraire Claire de cette malédiction, alors que moi, je cherche à comprendre vivre avec l'imprégnation sans la subir.
Seulement, comment est-ce que l'imprégnation pourrait ne pas détruire tout ce que j'ai actuellement ?
Je ne pense pas que Skyler a conscience que je suis pris dans un conflit intérieur… Peut-être qu'il faudrait que j'en parle à quelqu'un ? Mais qui ? Jake ? Embry ? Le problème c'est que si je leur en parle, toute la meute va être au courant et c'est déjà assez difficile comme ça de camoufler tous mes doutes…
Emily ? Elle ne partage pas nos pensées et c'est celle qui s'y connaît le mieux sur le sujet. Seulement, si je lui parle seul à seule, tout le monde comprendra que je cherche à leur dissimuler quelque chose ou que je me pose des questions.
— Claire va grandir et elle va finir par comprendre ce qu'est vraiment l'imprégnation…, déclaré-je presque malgré moi. Aujourd'hui tu es mon amie, on va vivre une partie de notre vie ensemble… Je vais te voir vieillir et toi tu vas me voir rester le même… Je voudrais te poser une question à mon tour… Est-ce que ça ne risque pas de devenir bizarre entre nous, est-ce que notre relation va changer ?
Je me sens tellement vulnérable en disant ça à voix haute et en même temps ça me fend le cœur. Jamais je n'aurais le droit de vivre pleinement ma vie, pas tant que Claire ne sera pas en âge de la vivre avec moi. Je vais devoir la mettre sur pause, voir les autres autour de moi évoluer, fonder une famille, vieillir… et moi, je ferai quoi pendant ce temps là ?
C'est bien la première fois que j'admets ces peurs que j'ai enfouies depuis des semaines…
J'entends le cœur de Skyler s'emballer violemment dans sa poitrine. Elle ne répond pas tout de suite prenant le temps de soupeser ma question et se mordille légèrement sa lèvre. Enfin, elle ferme les yeux comme pour reprendre le contrôle de son rythme cardiaque avant de murmurer :
— Non, ça ne changera pas, je te promets qu'on sera toujours amis.
Le silence s'installe à nouveau. Cette fois, j'ai l'impression qu'il est lourd et chargé de non-dits. Claire continue de jouer, ses rires résonnent dans la pièce. Je la regarde et mon coeur se serre douloureusement.
Pourrais-je un jour choisir entre mon devoir envers Claire et les sentiments que je ne peux nier pour Skyler ? Ai-je vraiment envie de perdre cet équilibre que nous avons, cette normalité ?
J'aime Claire, c'est indéniable et c'est pour elle que je me retiens de franchir la ligne rouge avec Skyler. Mais la vérité, c'est que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Pas si les choses continuent à se compliquer.
Point de vue Skyler
Amis… ces mots me blessent terriblement. J'essaie de sourire, de cacher la douleur qui me déchire à l'intérieur. Une amie, c'est tout ce que je représente pour lui.
Juste une amie.
Je me répète ces mots pour essayer de les accepter, mais ils sonnent faux, douloureux. Comment en suis-je arrivée là ? À espérer un signe, un regard, une attention particulière, pour finalement n'obtenir que ce rôle de confidente. Une amie qui, au fond, souffre en silence.
Je voudrais lui dire la vérité, que mes sentiments pour lui dépassent largement l'amitié. Mais à quoi bon ? L'imprégnation est un mur que je ne pourrai jamais franchir. Il a cette responsabilité envers Claire, cet amour si pur et si fort que rien ni personne ne pourra jamais briser.
Je m'efforce de garder la tête haute et de ne rien laisser paraître, mais intérieurement, je suis en train de liquéfier. Il m'a dit qu'il resterait le même, qu'il veillerait sur Claire, et que moi, je vieillirai. Ces mots résonnent en boucle dans mon esprit, comme une condamnation à vivre une vie que je ne veux pas, à être témoin de son éternelle jeunesse, à le regarder de loin, sans jamais pouvoir espérer plus.
Il est tout ce que je pourrais espérer. Mais il ne le voit pas. Il ne le verra jamais. Pas avec moi. Pas tant que Claire sera là. C'est injuste. Je suis là, à côté de lui, et pourtant je ne suis qu'une figurante. Je sais que ce lien qui l'unit à Claire est au-dessus de tout, mais est-ce que je pourrais vraiment supporter ça ? Est-ce que je pourrais continuer à l'aimer en silence, à le regarder s'occuper de Claire, année après année, sans jamais lui avouer ce que je ressens ? Est-ce que je vais supporter de les voir tomber amoureux l'un de l'autre et partager ce que je ne pourrais jamais avoir ?
Malheureusement pour moi, mon rôle est clair, je suis la mère de Claire, une amie pour lui. Alors, je dois continuer à jouer le jeu, à sourire, à écouter, à le soutenir, même si cela me coûte. Parce que c'est tout ce que je peux espérer avoir de lui. L'imprégnation est là, indéniable, et elle ne disparaîtra jamais.
— Maman !, m'appelle Claire, me sortant de mes pensées sombres. On peut remett' la musique et danser encorrre ?
— Bien sûr ma chérie, autorisé-je avec un sourire, que j'espère convainquant.
Claire délaisse ses briques de construction et se faufile vers la chaîne hi-fi tout en tirant la petite chaise où elle était assise. Grimpant sur sa chaise, elle remet la musique en route. Les premières notes résonnent à nouveau dans la pièce. Claire retourne au milieu du salon pour se dandiner sur place.
Très vite, elle entraîne Quil dans une danse improvisée. Fidèle à lui-même, il se laisse faire, un sourire amusé sur les lèvres. Il se mettent à danser ensemble et rapidement les éclats de rire de ma fille emplissent la pièce. Enfin, Claire me lance un regard pétillant, avant de lâcher Quil pour se précipiter vers moi.
Elle me tire par la main, insistant pour que je me joigne à eux. Je fais mine d'être trop fatiguée pour la suivre, mais dans le fond comment refuser ? Je soupire, faussement résignée, et me laisse entraîner dans la danse, formant une ronde avec Quil et elle. Nous tournons en cercle, riant et oubliant tout le reste.
Puis, Claire s'éloigne de nous pour récupérer sa poupée afin de la faire danser, nous laissant, Quil et moi, au centre de la pièce. Nous continuons de danser ensemble, encouragé par Claire qui prend exemple sur nous pour danser avec sa poupée. J'avoue que cette situation m'embarrasse, mais je m'empêche de stopper ce moment : il aurait été trop bête de ne pas profiter de cet instant pour être dans les bras de Quil. Non ?
Et lui non plus ne semble pas perturbé, alors nous continuons donc de danser, laissant la musique nous emporter. Je lui explique quelques pas de danse de salon, qu'il reproduit à la perfection.
Alors que je m'égare dans mes pensées, le Quileute baisse légèrement la tête pour croiser mon regard. Il a ce sourire en coin que je lui connais si bien, mais cette fois, il semble légèrement différent. Ou est-ce simplement mon imagination un peu trop fertile ?
— D'habitude je suis mauvais danseur, mais avec toi, c'est simple !, déclare-t-il.
Son commentaire me fait sourire et rougir. Est-ce que c'est un simple compliment ou est-ce qu'il essaie de me dire autre chose ? Mon cœur se serre un peu à cette pensée, il faut vraiment que j'arrête de me faire des idées !
— Ravie de pouvoir t'aider !, déclaré-je d'une voix, que j'espère être, blanche.
Mais, invariablement, une partie de moi ne peut s'empêcher de chercher des indices sur ce qu'il pourrait penser de moi. Ne suis-je vraiment que la mère de Claire ou y a-t-il une chance, infime soit-elle, pour quelque chose de plus ? Est-ce que son sourire est simplement amical ou est-ce qu'il pourrait signifier autre chose ?
Putain, Skyler arrête tes conneries !, me réprimandé-je.
— Tu sais, quand je suis avec toi, tout me semble plus facile, reprend-il et, cette fois, il y a une chaleur dans sa voix qui me fait presque vaciller. Tu rends tout ça… facile.
Il resserre légèrement sa prise sur ma taille, un geste qui pourrait passer pour anodin, mais qui me trouble profondément. Je cherche à comprendre, à deviner si ces mots signifient ce que j'espère, mais je n'ose pas l'interroger plus en détail. Je ris nerveusement.
— C'est Claire qui rend ça facile, murmuré-je, essayant de cacher mon trouble, même si mon cœur menace d'exploser dans ma poitrine.
Nous continuons de danser quelques minutes et l'échange reste suspendu entre nous, ambigu et chargé de sous-entendus. Soudain, Quil relève la tête précipitamment.
— Je vais devoir y retourner Sky, m'apprend-il. Merci pour la danse.
Rapidement, il dépose un baiser sur ma joue, puis sur celle de Claire avant de quitter la maison à toute hâte. Décidément, je ne sais pas si je vais pouvoir continuer comme ça. Vivre en compagnie de Quil, c'est comme jouer avec le feu…
