Chapitre 3 - Sensei ou pas sensei

Sakura flânait dans les rues de son village natal. Son regard nostalgique s'attardait sur de petits détails, des fanions fièrement dressés célébrant le printemps, jusqu'aux devantures des petites boutiques débordant sur la rue. Elle observait le bruissement du vent dans les feuilles des arbres, laissant ses mèches roses lui piquer les yeux. Elle fut surprise par de probables jeunes recrues de l'académie crier et courir autour d'elle à contre-sens, probablement en retard. Il y avait de la vie, et elle aimait s'imprégner de cette ambiance joyeuse et bon enfant.

Alors qu'elle se dirigeait mollement vers l'hôpital, un peu à contre-courant des cris et de l'excitation qui l'entourait, son esprit la ramena à la conversation qu'elle venait d'écourter avec Naruto.

«Tu as le droit aussi d'être heureuse, non ?»

Elle serra les dents. Mais pourquoi personne ne semblait heureuse pour elle? Tout le monde savait que c'était l'amour de sa vie, elle l'avait attendu si longtemps! Ses amis l'avaient tant réconfortée quand il était parti… Avaient-ils oublié à quel point elle avait souffert? Bon sang, pourquoi ne se réjouissaient-ils pas pour elle? Bien sûr qu'elle avait le droit d'être heureuse, et justement, cette fois, elle n'avait plus d'excuses pour ne pas l'être!

- Dis donc ma belle, où vas-tu comme cela de bon matin? Tu as un rendez-vous galant?

La rose se figea, stoppant sa marche. Est-ce vraiment à elle qu'on s'adressait? Elle se retourna, dans le doute.

- … Pardon?

- Une tenue pareille, ça attire forcément l'attention, rajouta l'inconnu d'un ton sarcastique

Elle se mit à observer le jeune homme qui venait de l'aborder avec si peu de délicatesse. Du même âge, les yeux clairs, des cheveux blonds comme les blés tombant en épi sur son visage aux traits fins mais marqué par une cicatrice volumineuse au niveau du menton. Il ne portait pas de bandeau frontal. Un civil donc, probablement… Elle ne l'avait jamais vu auparavant dans le village. Peut-être était-il originaire d'un autre pays? Depuis la fin de la grande guerre, les populations se mélangeaient bien plus qu'auparavant. La paix et les routes commerciales qui se construisaient petit à petit, plus praticables et plus sûres, encourageaient ce mélange de population, et Konoha accueillait de plus en plus d'étrangers.

Sakura était devenue une belle femme. Son rôle et son courage pendant la guerre, sa réputation de médecin talentueuse, et peut-être la couleur loufoque de ses cheveux avaient créé une petite cour d'hommes autour d'elle en permanence. Cela l'avait toujours rendue mal à l'aise, et elle essayait d'éviter autant que faire se peut les bains de foule. Cependant, elle n'avait jamais été abordée de manière aussi grossière.

- On peut savoir qui vous êtes? s'agaça-t-elle

- Je m'appelle Haruko. Je ne suis que de passage ici.

Le dénommé Haruko s'approcha de Sakura. Trop proche, elle recula par réflexe, brusquement sur le qui-vive.

- Eh bien je ne connais pas les coutumes de ton pays, .ko-san, mais sache qu'ici à Konoha les femmes s'habillent comme elles l'entendent, n'importe quand et n'importe où! dit-elle, se décidant naturellement à le tutoyer étant donné la familiarité avec laquelle il s'était permis de l'aborder

- le regard brusquement sévère Chez moi aussi. Je ne vois pas pourquoi tu es si agressive, c'était un compliment…

- Restons-en là.

Alors qu'elle allait se retourner et poursuivre son chemin jusqu'à l'hôpital, elle fut stoppée par une main puissante agrippant son bras. Le jeune homme l'attira brusquement à lui, son souffle beaucoup trop proche de son propre visage. Son regard était perçant, sa bouche grimaçait de fureur.

- C'est bien ce qui m'insupporte ici à Konoha, gronda-t-il d'un ton rauque, c'est le ton hautain que vous utilisez envers les personnes des autres villages!

- Quoi? Mais n'importe quoi… Lâche-moi tout de suite.

- Toujours agressif et sans lâcher son étreinte Tu n'apprécies pas les étrangers, c'est ça?

- Je n'aime pas qu'on me parle mal et qu'on me menace, que tu sois un étranger ou non je m'en moque! répliqua-t-elle sèchement

Elle essayait de se dégager discrètement de la main puissante de Haruko, en vain. Un shinobi en fait, probablement. Elle réalisa que les passants commençaient à remarquer l'altercation et se retournaient avec des regards interrogatifs. Elle fronça les sourcils d'agacement.

- Ton comportement et tes paroles transpirent la suffisance, insista le blond qui ne semblait pas convaincu

- C'est bien mal me connaître. S'agaçant franchement, lui lançant un regard noir, son losange frontal scintillant de fureur Je te demande une dernière fois de me lâcher.

Au contraire, la main libre de l'inconnu se posa sur la taille de la jeune kunoichi, à mi-chemin entre douceur et fermeté. Elle tressaillit. Alors qu'elle s'était retenue jusque-là d'utiliser sa force colossale pour lui écraser un poing sur son visage et lui rajouter une cicatrice supplémentaire, elle entendit au loin une voix grave mais assurée surgir d'un restaurant juste à côté d'eux.

- Ah, Sakura-chan! Tu as mis du temps à arriver, tu te fais toujours attendre! Je m'inquiétais!

Sakura et le jeune homme sursautèrent d'un bond, tournant la tête d'un mouvement commun vers la source de cette voix.

A la vue de la personne en question, la fleur de cerisier crut se tromper. Elle jeta un coup d'oeil à droite, à gauche, dedans, dehors, mais non: elle ne voyait que lui. Il s'était retourné vers elle et lui souriait du regard, les jambes croisées, un livre orange du bout de la main gauche, assis de manière flegmatique au bord du comptoir d'un restaurant dont elle n'avait jamais remarqué jusqu'à ce jour ne serait-ce que l'enseigne. Devait-elle s'inquiéter de sa monomanie de ne manger que dans un seul et unique restaurant depuis qu'elle est en âge d'en fréquenter? Le fils du 4ème Hokage déteignait décidément beaucoup trop sur elle, et c'était un sujet qu'elle allait devoir traiter rapidement.

- Ka… Kakashisensei ? balbutia-t-elle, retrouvant ses esprits et réalisant enfin sa présence

- Je peux enfin te commander une tasse de thémaintenant que tu es là ? continua l'argenté tout en fermant son livre d'un geste brusque, défiant du regard l'inconnu dont la main était toujours posée autour de la taille de la rose

- Je… Oui bien sûr.

Le stratagème marchait. Elle sentit la main du jeune homme la lâcher dans le calme, sans altercation. Il se recula d'elle dans une moue réprobatrice, lançant un regard noir au fauteur de trouble.

- On se recroisera, lâcha ce dernier à la jeune femme d'un air menaçant

Leurs visages se frôlèrent comme au ralenti, jusqu'à ce que Sakura l'observe s'éloigner et disparaitre dans la foule de passants pressés. La vision de Sakura resta fixée quelques secondes sur le dernier endroit où elle l'avait aperçu, troublée.

- Maa, Sakura-san. Tu t'attires des ennuis, on dirait?

La jeune femme se retourna vers le Jonin. Elle le dévisagea de ses orteils jusqu'à la pointe de ses cheveux blancs hirsutes avec lenteur. Un index accusateur monta alors progressivement jusqu'au visage de Kakashi, ce qui fit rapidement apparaître une goutte de sueur le long du front de ce dernier. Les lèvres de Sakura semblaient trembler de colère.

- … Kakashi sensei! vociféra-t-elle cette fois franchement

Le Jonin sembla confus et monta les deux mains devant le visage en signe d'apaisement, son dos s'écrasant contre le comptoir alors que Sakura s'approchait dangereusement de lui, des flammes destructrices dans les pupilles.

- Ou vous cachiez-vous ces dernières semaines? lâcha-t-elle avec véhémence. Tsunade-sama m'a fait encore faire des heures supplémentaires à cause de vous!

- Sakura-san, balbutia-t-il en se grattant la nuque nerveusement c'est comme ça que tu remercies ton vieux sensei de te sortir d'une situation délicate?...

- Furieuse J'allais me débarrasser de lui moi-même.

- La violence ne peut pas toujours tout résoudre, Sakura…

- Il le méritait.

- … Oui. Oui, sans aucun doute.

- C'est VOUS qui m'avez attiré le plus d'ennui ces derniers mois, Kakashi sensei! Vous êtes une calamité!

Malgré son statut d'Hokage temporaire, elle n'avait jamais réussi à l'appeler «sama», sans qu'elle ne se l'explique. Ce fut la même chose pour Naruto, qui de toute façon n'avait jamais réussi à placer «sama» après aucun prénom. Cela n'avait jamais semblé déranger Kakashi qui de toute façon semblait autant allergique aux bondieuseries et aux privilèges que Naruto était allergique à toute autre nourriture qu'un bol de ramen bien chaud.

- Tu es dure avec moi, se plaignit l'ancien ninja copieur.

- Et comment osez-vous vous montrer à mon nez et à ma barbe aujourd'hui comme ça, après avoir tout fait pour m'éviter tout ce temps?

- C'est vrai que c'était amusant.

- Amusant de vous jouer de Tsunade-sama et de moi-même?

Il ne répondit pas, l'anneau de l'innocence flottant au-dessus de ses épis, le regard penaud. Au lieu de s'acharner à lui jeter à la figure tout ce qu'elle avait pensé de lui ces derniers mois, elle se recula brusquement, un soupir d'exaspération se frayant un chemin à travers ses lèvres. Elle passa machinalement une main sur sa robe, défroissant un pli imaginaire d'un geste brusque pour calmer ses nerfs.

- Je crois qu'il n'y a pas une personne sur cette Terre capable de vous supporter, vous savez?

- Soupirant d'un air las Probablement.

Elle s'assit à ses côtés, la tension en elle redescendant à cette réponse. C'est qu'une grande partie de ses missions ces derniers mois - avant sa dernière longue mission à l'étranger - consistait à chercher Kakashi Hatake, ancien Hokage 6ème du nom pour le faire soigner contre son gré, à la demande de Tsunade, ancienne Hokage 5ème du nom, qui ne voulait manquait aucune occasion de l'emmerder depuis qu'il avait démissionné et laissé son ancien élève Naruto Uzumaki, actuel Hokage donc, 7ème du nom, prendre les commandes du village, bien avant la date prévue.

Mal de tête assuré.

Et il osait se tenir ici désormais à ses côtés, à son nez et à sa barbe. Elle jurerait qu'il le narguait.

- Soupirant d'exaspération, préoccupée Vous croyez vraiment que je n'ai pas autre chose à faire que de vous courir après? J'ai du travail à l'hôpital moi!

- Mais je n'ai jamais demandé à être recherché.

- Le regard noir Chaque rapport de mission vous décrit blessé et vous ne venez jamais vous faire soigner. A quoi jouez-vous?

- J'ai trop fréquenté les hôpitaux. Je suis en stress post traumatique, tu sais.

- Eh bien cela se soigne aussi, figurez-vous!

L'argenté ne répondit pas, détournant le regard vers l'atmosphère agitée du restaurant. Elle le vit commander d'un geste vague un deuxième thé, probablement pour elle. Cet instant de silence laissa l'occasion à Sakura d'observer plus attentivement celui qu'elle avait cherché vainement durant des mois. A la réflexion, leur dernière discussion lui semblait remonter à une éternité. Il n'avait que quatre ans de plus depuis la grande guerre, où ils avaient partagé ce dernier combat ensemble, aux côtés de Sasuke et Naruto. Qu'un an de plus depuis qu'il avait laissé à Naruto la lourde tâche de devenir Hokage à sa place, après 3 ans seulement de bons et loyaux services envers Konoha. Pourtant, son visage lui semblait marqué. Il n'avait pas encore de rides (mais quel âge avait cet homme, finalement?), mais son regard respirait l'inquiétude au-delà de ses propos faussement légers.

- Pourquoi avoir abandonné le poste de Hokage aussi tôt?

Elle voulait savoir. Tout le monde voulait comprendre. Cette passation avait tellement étonné, non pas par sa nature: tout le monde savait qui allait succéder à Kakashi Hatake. L'étonnement avait résidé dans sa temporalité: aussi rapidement? Pourquoi? Elle avait posé la question brûlante de manière frontale, et il y répondit de la même manière, mais avec simplicité et apaisement.

- Ce n'était pas mon rêve.

- … Quoi? s'étonna-t-elle

- C'est le rêve de beaucoup de shinobi. Une sorte de… quête ultime. Ce n'était pas mon cas.

- … Mais enfin!...

- Cette fonction revenait de droit à Naruto. Il le méritait bien plus que moi, tout comme d'autres shinobis qui auraient pu être à ma place. C'est son rêve à lui.

- Se frappant le front de désespoir … Kakashi sensei, vous connaissez votre valeur. Vous savez que vous méritiez ce posteautant que tout ceux qui l'ont eu avant vous!

- Je ne l'ai accepté que pour attendre que Naruto soit prêt à en prendre les responsabilités. Le village attendait cela depuis la fin de la guerre, c'est un véritable héros pour les habitants… Il fallait juste attendre qu'il soit un peu plus mature, c'est tout.

- Vous auriez pu attendre encore un peu, alors… grimaça-t-elle

Il lui offrit un sourire du regard, visiblement amusé. Une tasse de thé chaude atterrit devant Sakura dans un clinquement métallique, et il ne fallut que quelques secondes d'effluves de pêche dans ses narines pour que cette dernière sente les dernières crispations de ses muscles se relâcher définitivement. Elle balbutia un remerciement maladroit et inaudible, puis porta le récipient à ses lèvres, entourant de ses doigts longs et fins la céramique, s'imprégnant de sa chaleur réconfortante.

- Personne n'a compris… insista-t-elle cependant, l'observant plus intensément que d'habitude Vous savez, Tsunade-sama vous en veut encore.

- Je sais, lâcha-t-il, le regard détourné, recherchant visiblement un point à observer autre que le livre orange qui dépassait de sa veste verte

- … Vous savez, si je vous avais trouvé et ramené à l'hôpital, je suis sûre qu'elle vous aurait utilisé comme cobaye pour n'importe laquelle de ses ninjutsu médical en cours d'étude.

- Hé, pourquoi crois-tu que tu n'es jamais arrivée à me retrouver? Je sais cela.

- … Pourquoi vous montrer aussi facilement aujourd'hui alors?

- Eh bien, je ne vais pas laisser mon ancienne élève se faire agresser non?

- … Kakashi sensei, encore une fois et avec tout le respect que je vous dois, je…

- Oui je sais. Tu n'as plus besoin de moi.

- Rabaissant sa tasse, brusquement embarrassée Non, ce n'est pas ce que…

- Riant sincèrement Mais si, tu as raison. D'ailleurs, tu n'es pas obligée de m'appeler sensei en permanence! Nous sommes sur un pied d'égalité depuis longtemps, désormais.

Elle se sentit brusquement mal à l'aise, complètement en décalage par rapport à son interlocuteur, qui finit par attraper son livre orange pour se réfugier dans une lecture peu orthodoxe, son corps s'affaissant légèrement contre le dossier de sa petite chaise en bois. Elle l'observa ainsi quelques secondes, un peu hébétée.

- Je ne suis pas à égalité avec un Hokage, Kakashi sensei.

- EX Hokage, répondit le Jonin en insistant sur le premier mot

- Mais enfin, s'agaça-t-elle, vous n'êtes jamais satisfait de vous-même? Vous n'étiez pas heureux d'être Hokage?

- Toujours plongé dans son livre, tournant une page Non.

Elle prit le temps d'intégrer cette réponse. C'était direct, mais cela en disait tellement long… Elle ne s'attendait pas à cela, et cela augmenta encore la curiosité qu'elle ressentait depuis quelque temps le concernant. Mais trop pudique, elle préféra poursuivre la conversation sous la forme de l'humour, peu habituée aux rares confidences de l'ancien Ninja copieur.

- … Le porno est beaucoup plus intéressant en effet que de diriger un pays, je n'en doute pas.

- Sortant à nouveau la tête de son livre, le regard à nouveau souriant Oui.

- Soufflant d'exaspération Vous êtes vraiment irrécupérable.

- Oui j'ai souvent entendu cela.

- Vous n'aviez donc aucune fierté pour vous-même? Aucune ambition?... Et puis ce n'est pas comme si vos intérêts étaient ailleurs, qui vous attend chez vous le soiren rentrant? Que faites-vous alors de votre vie privée?

Il sortit le nez de son livre, le regard cette fois étonné plongé dans celui de son ancienne élève. Celle-ci se mit à rougir brusquement, prenant conscience de la portée de ses paroles. Qu'est ce qui lui prenait?

- Ex… Excusez-moi je ne voulais pas être blessante... Ce n'était pas ce que je voulais dire.

- Ce n'est rien.

- Nerveuse, se cachant de son regard dans son thé à la pêche Vos actions ne sont toujours dictées que pour aider les autres. Il faut toujours que vous fassiez passer l'intérêt des autres avant vous-même…

Elle avait essayé de se rattraper en lâchant un pseudo compliment - qu'elle pensait totalement, mais le malaise sembla s'intensifier malgré tout et elle se sentit obligée de continuer de se justifier.

- Que faites-vous depuis que vous n'êtes plus Hokage alors, Kakashi sensei?

Trop intrusif, se dit-elle brusquement.

- Tu le sais bien. Je repars régulièrement en mission, et je me cache de toi en rentrant pour éviter les expériences douteuses de ma prédécesseure sur moi-même.

- Le regard noir Vous n'êtes jamais sérieux.

- Je suis toujours sérieux.

- J'aimerais voir quand vous ne l'êtes pas! lâcha-t-elle en riant sincèrement

Elle sentit un regard inhabituel de sa part mais n'y prêta pas attention, brusquement curieuse et plus entreprenante qu'elle ne l'aurait cru.

- Qu'est-ce qui vous a incité à démissionner? Ne me dites pas que ce n'est que pour Naruto, pour l'intérêt du village… Dites-moi la vérité!

Elle ne reçut pas une énième plaisanterie de sa part et fut étonnée de son silence et du regard qu'il lui lança. Ses deux yeux noirs onyx la transpercèrent brusquement et elle ressentit comme un frisson inattendu lui parcourir l'échine. Son cœur se mit à battre inexplicablement plus fort, ses mains serrant sa tasse de thé désormais froide. Eh bien, qu'est-ce que c'était que cet air énigmatique, soudainement?

L'étonnement qu'elle lisait en lui fit place presque instantanément à une mélancolie et à une tristesse. Sakura s'étonna de lire ses émotions aussi facilement sur le peu de visage qu'elle voyait de lui. Trop intrusive, encore une fois.

- Pardonnez-moi, s'excusa-t-elle à nouveau nerveusement. Vraiment, vous n'avez pas à me répondre.

Cette excuse sembla radoucir le visage du Jonin qui lui sourit alors à nouveau, l'esprit taquin reprenant rapidement le dessus.

- C'est gentil de te soucier de moi ainsi, Sakura.

- Je m'inquiète pour vous, figurez-vous!

Est-ce que c'était vrai? Oui, assurément.

- Et je ne suis pas la seule. Maître Gaï, Yamato-san… Vos amis ne vous voient presque plus. Vous semblez être seul en permanence.

- Je ne le suis pas, souria-t-il d'un air faussement assuré tout en se réfugiant à nouveau derrière son livre. Mais je te remercie de t'en préoccuper.

C'était faux. Elle le savait, elle le connaissait. Elle le connaissait, à ce point?

- Et toi Sakura, comment s'est passé ta mission? demanda-t-il tout en parcourant les lignes de son livre des yeux Je sais que toi, tu n'es plus seule. Relevant le regard vers elle Sasuke a dû trouver le temps long.

Elle ne comprit pas pourquoi, mais cette remarque réveilla une sensation désagréable dans sa poitrine et dans son ventre. Sa gorge se serra instantanément et ses lèvres eurent à peine le temps de s'entreouvrir que Kakashi enchaina, s'amusant de ses joues probablement en feu et de son regard désespéré.

- Tu vois, même un ermite comme moi est au courant!

- Terriblement mal à l'aise La… la mission s'est bien passée oui, j'ai mis plus de temps que prévu, mais… Sasuke…

- Maa, Sakura, c'est à moi de m'excuser, cela ne me regarde pas, coupa-t-il d'un air presque joyeux, fermant à nouveau son livre d'un geste brusque. Je voulais juste te dire que je suis heureux pour vous. Sasuke… Cela ne va pas être facile pour lui de revenir à une vie normale. Mais il n'aura pas meilleure compagne que toi pour l'y aider, n'est-ce pas?

Les femmes et leur paradoxes... Enfin quelqu'un qui s'enthousiasmait pour elle. C'était tellement bienveillant. Et pourtant, c'était inexplicable mais... elle réalisa qu'elle ne voulait pas entendre cela. Elle aurait voulu se volatiliser et se téléporter loin de cette conversation malaisante. De cette conversation, ou de Kakashi lui-même, ou des deux?

- C'est heureux qu'il t'ait enfin vue, ajouta-t-il, son regard mi-clos ancré dans le sien. Enfin. Après tout ce que tu as fait pour lui…

"Après tout ce que tu as fait pour lui..." La mémoire de Sakura bouillonna et ces paroles se superposèrent à celles de Naruto, Hinata, Ino, Kiba, Shikamaru, et tant d'autres... Cette remarque pouvait être interprétée dans un sens ou dans un autre, se disait-elle. Elle avait toujours botté en touche, gênée, ne sachant comment réagir.

Mais cette fois, c'était tellement plus intense. Son cœur semblait sortir de sa poitrine, une enclume lui écrasait les poumons, son souffle semblait s'accélérer sans raison.

Jusqu'à ce que Kakashi se lève brusquement, la tirant de ses pensées en écho dans son cerveau et du poids qui lui serrait les entrailles.

- Je dois te laisser Sakura, jeta-t-il d'un air léger tout en se relevant. Je dois apporter un rapport de mission à Naruto… On doit t'attendre à l'hôpital également, j'imagine?

- Troublée Je… C'est… Oui, en effet.

- Le regard souriant Alors à bientôt, Sakura-san. Salue Sasuke pour moi.

Elle sentit la main gantée de Kakashi se poser sur sa chevelure rose avec bienveillance en l'ébouriffant légèrement, comme il l'avait fait régulièrement pendant des années. La félicitant pour son contrôle du chakra. Pour ses premiers lancers de shuriken. Pour ses premières marches sur l'eau sans se noyer lamentablement. Pour son premier Genjutsu réussi. Pour l'esprit d'équipe qu'elle avait tenu le plus souvent à mettre en avant, même dans les situations les plus difficiles.

Sa main sembla se retirer au ralenti, son regard souriant se détacha d'elle et elle l'observa disparaître dans la foule, tout comme l'inconnu peu de temps auparavant. La fleur de cerisier resta quelques instants silencieuse, le regard perdu dans le vague là où la silhouette de Kakashi avait disparu.

Sans qu'elle ne se l'explique, elle eut brusquement froid.

Qu'est-ce que c'était que?...

- Hum hum…

Le serveur qui s'était approché d'elle la tira de son état second, reniflant un peu bruyamment dans sa barbe broussailleuse. Sa posture laissa penser à la rose qu'il attendait quelque chose d'elle, ses bras croisés lui donnant un air un peu contrarié et autoritaire.

- Désolé, mais aujourd'hui la victime c'est vous…

Jetant un œil sur les deux tasses de thé vides, elle comprit et sentit le rouge lui monter soudainement à la tête, furieuse.

- Quel…!

Elle finit ses jurons intérieurement, sentant sa Sakura intérieure fulminer et pulvériser l'image de son sensei de son poing meurtrier. Elle jeta quasiment les pièces de monnaie au pauvre serveur innocent, et finit par se lever à son tour pour partir dans la direction opposée de cet homme impossible. Elle devait se reconcentrer sur l'objet de sa mission mais ses pensées s'éparpillaient malgré elle. Cette rencontre inattendue l'avait troublée, et les paroles de son ancien sensei résonnèrent en écho dans son cerveau jusqu'à ce qu'elle atteigne l'entrée de l'hôpital. Elle s'y engouffra, réfléchissant tout de même à une vengeance digne de ce nom.