Note de l'auteur :

Comme indiqué à l'Epilogue de Power of The Past, voici la 2ème partie de mon récit "Caught in The Middle", qui se déroule juste après Breath of The Wild.

Je conseille à tout nouveau lecteur de lire la première partie :)

Merci à ceux qui me suivront dans cette nouvelle (et plus longue) aventure en compagnie de Link et Zelda.

Enjoy!

PROLOGUE

Expulsé des entrailles de la terre, un souffle chaud et ardent se propulsa dans l'air glacial depuis un amas de roche rougeâtre recouvert de neige. Filant vers le ciel, le formidable courant ascendant ignora totalement la silhouette de la guerrière de pierre attenante, et contourna ses mains vides pour rejoindre le sommet des Montagnes Gerudos. Promptement refroidi par les températures négatives qui y régnaient, le souffle terrestre se transforma en vent, puis le vent se transforma en brise. Savourant sa liberté glacée depuis les hautes cimes, elle dansa quelques temps autour du pommeau d'une gigantesque épée de pierre abandonnée là, brisée, incongrue. Puis elle se lassa. Attirée par l'aura de chaleur qui s'en dégageait en un voile trouble sur l'horizon, elle s'en alla gaiement vers le sud, soulevant quelques flocons blancs dans son sillage, .

Le petit vent montagnard descendit donc les pentes de roche rouge, délaissant peu à peu le manteau neigeux pour de la pierre sèche et aride. Exaltée par la chaleur qui lui rappelait d'où elle venait, la brise se jeta finalement sur le sable comme un voyageur assoiffé, et s'enveloppa de milliers de petits grains abrasifs, brûlant et doux à la fois, comme une coquette courtisane se parant à l'approche du crépuscule.

De nouveau ardent comme du temps de sa première jeunesse, le vent caracola sur les dunes désertiques. Il y rencontra de nouveaux courants plus chauds, plus violents, et venus de plus loin encore que lui. Certains lui parlèrent de grandes plaines verdoyantes où de l'eau tombait du ciel, d'autres de ruisseaux si larges qu'ils creusaient la roche pour mieux s'y engouffrer dans des gorges monstrueuses. D'autres encore, évoquèrent une pierre rouge et liquide charriant avec eux des senteurs de souffre et d'air ardent. Ces odeurs-là, la petite brise les reconnut. Galvanisée par le souvenir de son antre nourricière, elle se mêla étroitement à ses cousins pour ne plus faire qu'un. Ensemble, ils tourbillonnèrent avec frénésie, et contournèrent impudemment l'édifice de pierre étrange qui se dressait au milieu du désert. Au passage, ils en arrachèrent quelques éclats de voix, de rires, ainsi que des chants, et les emportèrent jalousement avec eux comme un talisman.

Debout près de la fontaine qui lui garantissait quelque fraîcheur, une hylienne richement vêtue savoura un instant l'ardeur de cette brise joueuse qui s'emmêla dans sa longue chevelure d'or. Bien à l'abri au cœur du Palais, elle n'était pas impactée par les températures écrasantes émanant du désert, faisant de cette caresse chaude un moment plutôt agréable, tout compte fait.

Elle réarrangea sa tenue bleutée faite de voiles et de soie, puis reporta son attention sur les acrobaties de l'enfant devant elle. Une petite fille à peine âgée de cinq ans riait aux éclats à l'ombre de la Cité, tandis qu'un bébé morse brun la tractait dans tous les sens sur le sable chaud. L'enfant avait une peau blanche comme le lait et était vêtue à la mode du pays. Ses longs cheveux, aussi blond que les blés au printemps, formaient comme un étendard derrière son visage que le plaisir rosissait.

« Maman ! Maman ! s'exclamait-elle. Regarde ! J'y arrive toute seule !

— Je te vois, ma fille ! la rassura la riche hylienne en caressant son ventre rebondi d'un geste tendre. Tu es très douée ! Continue ! »

Un cri suraigu lorsque le morse fit une embardée imprévue lui arracha un léger ricanement. Au même instant, son oreille en pointe cilla à la résonance des talons sur le sol du palais derrière elle, mais l'hylienne ne se détourna pas ni ne cessa de sourire. Franchement amusée, elle ne lâchait pas du regard l'enfant qui venait d'atterrir tête la première dans le sable. Téméraire, la fillette se releva immédiatement, et partit à toutes jambes derrière son morse joueur pour le rattraper, poussant des cris d'orfraie. Dans son insouciance, elle ne semblait pas se préoccuper des quatre guerrières voilées de leur traditionnel lah'djar qui la surveillaient comme le lait sur le feu. Pourtant, leur position en carré délimitait clairement le terrain de jeu de la petite fille et de son animal.

« Il y a encore du travail, mais elle se débrouille plutôt bien », retentit une voix de femme grave et envoûtante dans le dos de l'hylienne.

S'arrachant à la contemplation de sa fille, celle-ci se saisit du verre rempli d'un liquide ambré que lui tendait la grande gerudo. Dessus, la condensation qui se dessinait était une véritable ode à la fraîcheur.

« Elle est encore si jeune, sourit l'hylienne en trempant les lèvres dans son verre. Hmm, un nouveau cocktail ?

— Juste du jus de durian pressé et de la glace.

— C'est un vrai délice, Urbosa. Merci. »

Les deux femmes reprirent leur contemplation des prouesses de la fillette dans un silence confortable né d'une longue amitié. Le port droit et altier, la reine Urbosa faisait aisément deux têtes de plus que sa compagne. Sa peau sombre et sa longue chevelure rousse qui lui battait les chevilles ne faisaient que mettre en exergue ces extraordinaires yeux verts en forme d'amande. Elle avait les traits fins et anguleux qui seyaient à une dirigeante, son nez pointu la dotant d'un profil d'oiseau de proie vaguement menaçant, et autoritaire lorsqu'il le fallait. Pour l'heure, l'expression avec laquelle elle scrutait le lent va-et-vient de la main de sa compagne sur son ventre rond reflétait davantage un sentiment d'inquiétude.

« Tu as mal ? s'enquit-elle d'une voix douce en posant une main dans le dos de la future mère. Nos guérisseuses peuvent te soulager, tu sais. Tu n'as qu'un mot à dire.

— Non, rassure-toi mon amie. Je vais très bien. Cet enfant est juste très actif dès qu'il entend sa sœur rire. »

Elle abandonna un ricanement ravi tout en continuant de caresser son ventre d'un absent.

« Une fois réunis, ces deux-là vont nous mettre le château sens dessus dessous ! »

La grande gerudo pouffa un peu à cette idée, imaginant aisément deux petites têtes blondes et espiègles faire tourner chèvre la moitié des domestiques, mais surtout la grande majorité des ronds de cuir d'Hyrule. Cela posé, elle n'était pas sûre que ce soit une si mauvaise perspective.

« Je ne te remercierais jamais assez pour ta générosité, Urbosa, reprit l'hylienne à côté d'elle. Tu n'imagines pas ce que ce moment représente pour nous.

— Ce n'est rien, Eliana, écarta la reine gerudo. Tu sais que les portes de la Cité te seront toujours ouvertes, à toi comme à ta fille.

— Il n'empêche… Si nous n'avions pas ces instants si paisibles, je ne sais pas comment nous ferions Zelda et moi. La Cour est si… pesante, en ce moment… et Rhoam est si… »

Refusant de poursuivre sa pensée, la reine d'Hyrule secoua légèrement la tête de dépit, les saphirs tapis dans ses cheveux s'entrechoquant en une douce musique.

« Le roi est si quoi ? la poussa Urbosa en fronçant les sourcils. Tu sais que tu peux tout me dire, Eliana. Je croyais que votre couple était solide…

— Il l'est, confirma prestement son amie, désireuse de lever tout doute à ce sujet. Mais… Tu le sais aussi bien que moi, Urbosa. Les signes se multiplient. Le risque que le Fléau réapparaisse pendant le règne de Rhoam ne fait que s'affirmer jour après jour. C'est un homme bon, et il s'efforce d'être un roi juste. Ce qui est plus que beaucoup de ses prédécesseurs. Mais personne ne peut endurer une telle pression sans s'y perdre un peu soi-même. »

La reine étouffa soudain une légère toux et porta prestement un mouchoir à ses lèvres, comme si elle s'y attendait. Lorsqu'elle le retira, Urbosa eut le temps d'apercevoir une tâche rosée sur le tissu blanc avant que son amie ne le dissimule.

« Que disent tes guérisseurs ? » s'enquit la guerrière, non sans inquiétude, tout en tendant un nouveau verre à son homologue.

Eliana la remercia d'un souple mouvement de tête puis apaisa sa gorge irritée avec le doux nectar. La main qui serrait le verre était plus fine, plus décharnée que dans le souvenir de la dirigeante gerudo. Si la reine avait toujours eu le teint clair, Urbosa lui trouvait à présent une pâleur maladive accentuée par les pommettes saillantes sur ses joues.

Visiblement, le mal qui rongeait la reine continuait son entreprise mortifère.

« Ils ne s'avancent pas, répondit Eliana en lui rendant le verre vide, hormis pour dire que la maladie semble ne pas évoluer plus que ça. Ils s'inquiètent davantage de ma grossesse, en ce moment. Par Hylia, il est vrai que cet enfant semble vouloir absorber la moindre goutte d'énergie que je peux lui fournir ! »

Elle abandonna un nouveau petit rire las sur ces dernières paroles, mais Urbosa, elle, ne parvint à s'arracher qu'un sourire pincé.

« Était-ce vraiment raisonnable, Eliana ? interrogea-t-elle sans parvenir à dissimuler une forme de réprimande dans son ton. Ta première grossesse a déjà été un pari risqué. La seconde pourrait t'être fatale, tu le sais. »

Habituée à la tendance surprotectrice de la fière guerrière, Eliana ne releva pas le léger reproche. Elle savait bien que seule la peur poussait son amie à s'exprimer de la sorte. Elle avait l'impression que ce ton un peu moralisateur s'épanouissait de plus en plus au fil des ans dans son entourage, comme si elle ne prenait pas suffisamment soin d'elle.

Elle ne leur en voulait pas. Aucun d'entre eux n'était prêt à accepter la réalité en face.

« Ce n'était pas prévu, Urbosa, répondit-elle patiemment. Mais la déesse semble en avoir décidé autrement. Et puis, avec deux enfants, la descendance du royaume sera consolidée, et Rhoam sera plus serein face aux épreuves qui l'attendent.

— C'est ce qu'il t'a dit ? »

Urbosa appréciait Rhoam, pourtant. Pour un voï, le roi paraissait être un minimum réfléchi et vouait un véritable culte à sa fragile épouse. Mais l'idée qu'il mette en péril la vie de sa femme pour se rassurer lui était intolérable. La douce, si douce Eliana, ne méritait pas ce fardeau supplémentaire.

« Non, lui répondit la reine avec dans la voix une note attristée, il n'a rien dit, bien sûr. Il l'ignore peut-être lui-même, mais je connais mon mari. Et puis… »

Eliana poussa un profond soupir en reportant son attention sur son enfant qui se battait comme une chiffonnière avec son morse en projetant des gerbes de sable à tout va. Autour d'elle, les quatre guerrières au visage impassible scrutaient le désert, statues immobiles et vigilantes.

« Rhoam a de plus en plus de mal à se rappeler que Zelda n'est encore qu'une enfant, avoua finalement la reine en reprenant la douce caresse sur son ventre. Je sais qu'il a désespérément besoin que le Pouvoir du Sceau se manifeste chez elle, mais elle est encore si jeune… Je ne veux pas lui voler cette enfance à laquelle elle a le droit, mais j'ai de plus en plus de difficulté à différer ses études sous la pression de son père.

— Tu détiens le Pouvoir du Sceau, mon amie. Ta fille a encore le temps d'être une enfant. Elle s'éveillera à la déesse sous ton égide, mais ce n'est pas encore son heure.

— Ce n'est pas si simple, Urbosa. Même s'il ne le dit pas, ma santé fragile ne rassure pas Rhoam. Le mari en lui souhaite me garder encore longtemps, mais le roi est assez lucide pour savoir que je risque de mourir avant que le Fléau ne se réveille, ou que je serai trop faible pour l'affronter. Alors, mon fardeau sera celui de Zelda, et il faudra qu'elle soit prête. C'est pour cette raison qu'il me presse pour la former malgré son jeune âge.

— Mais ce n'est encore qu'une enfant, Eliana, répéta Urbosa de sa voix douce et chaude. Tu dois aussi protéger son innocence et la pureté de son cœur si tu veux qu'elle s'éveille à la déesse un jour. Tu le sais aussi bien que moi.

— Je le sais, mon amie. Et c'est là tout le dilemme de mon existence. Voilà pourquoi ces moments de répit que tu nous offres dans ta cité nous sont si précieux, Urbosa. Pour Zelda, comme pour moi.

— Mais ne serait-il pas temps pour toi de rentrer ? s'inquiéta la dirigeante des femmes guerrières, son regard perçant scrutant le profil marqué par la grossesse. Ce n'est pas que je veuille te voir partir, mais ton terme approche et ton ventre est bas. Tu dois donner naissance à ton enfant à la Citadelle, auprès de ton mari, et la route est longue pour une femme à terme jusqu'à la Plaine d'Hyrule. »

S'arrachant un nouveau soupir, la future mère observa le sable du Désert Gerudo qui brillait d'un blanc presque aveuglant sous les rayons du soleil méridional. Les ombres de l'imposante cité des femmes guerrières se réduisant à vue d'œil informaient de l'éminence des heures les plus chaudes, et de la nécessité de se mettre à l'abri de la fournaise à venir. L'enfant dans son ventre s'agita d'un coup de pied puissant qui lui arracha une grimace, et elle posa sa paume pour le caresser en un geste apaisant. Aussitôt, elle sentit le nourrisson tendre son dos à la rencontre de sa main, cherchant le contact maternel à travers la frêle enveloppe qui le portait.

« Zelda ! appela Eliana en mettant son autre main en porte-voix. Rentre-vite, ma chérie, c'est bientôt l'heure du repas !

— Youpiii ! s'exclama la fillette en se relevant du sable où elle était allongée, époussetant sa tenue avec maladresse de ses petites mains potelées. Y aura du risotto de légumes, dis ?

— Si tu rentres vite, peut-être. »

Eliana se détourna de Zelda dans un sourire, les mains toujours posées sur son ventre. Lorsqu'elle leva son regard d'un vert identique à celui de sa fille sur la dirigeante du peuple gerudo, la lueur farouche qui y brillait démentait la fragile apparence de son corps.

« J'ai promis à Rhoam de commencer à former Zelda une fois que notre enfant sera venu au monde, murmura-t-elle à Urbosa d'une voix douce. En attendant, je veux juste offrir encore quelques souvenirs d'une enfance libre et heureuse à ma fille… Quelques souvenirs, juste d'elle et moi, avant que… »

Une tornade blonde se rua avec force dans les jambes de sa mère très à propos, les enlaçant dans une étreinte folle et trépignante.

« Maman, maman ! Tu as vu comment j'ai réussi à le manœuvrer ? L'année prochaine, je suis sûre que je pourrais assister à la course des sables, pas vrai, Urbosa ? »

La grande guerrière éclata d'un rire rauque sous l'ardeur de la fillette, passant sa main dans les cheveux d'or en une douce caresse.

« Nous verrons cela, mais tu seras toujours un peu trop jeune pour concourir, petit oiseau.

— Et en attendant, le petit oiseau va vite aller se laver pour retirer tout ce sable avant de manger », rétorqua sa mère avec tendresse.

Main dans la main, Eliana et sa fille s'enfoncèrent dans les ombres du Palais Gerudo sous le regard attendri de la grande Urbosa. Zelda babillait de sa voix un peu trop aiguë, certaine d'avoir toute l'attention de sa mère rien que pour elle. De fait, Eliana, penchée en avant, l'écoutait calmement d'un air patient et tout maternel.

Inspirant profondément, le visage de la dirigeante gerudo s'assombrit peu à peu, et son regard pétillant se para d'un voile de tristesse. Peu importait les propos rassurants qu'elle pouvait tenir, Urbosa avait bien remarqué la démarche mal assurée de la reine, et cette nouvelle habitude de revêtir des vêtements trop évasés pour dissimuler sa maigreur.

À moyen terme, au mieux, il était évident que la reine se mourait.

« Je veillerais sur elle, mon amie, murmura Urbosa à la frêle silhouette, se remémorant ainsi une promesse faite à une jeune mère cinq ans plus tôt. Si tu n'es plus là pour le faire, je promets de veiller sur elle comme sur ma propre enfant, et de la protéger jusqu'à ce qu'elle soit prête. Y compris de son père, s'il le faut. »

Elle baissa la tête avec mélancolie et reporta son attention sur le désert qui s'étendait devant elle, par delà l'horizon voilé de chaleur.

« La déesse fasse que ce jour arrive le plus tard possible… »

Mais au fond d'elle-même, la guerrière savait qu'elle se leurrait.

Un souffle de vent chaud s'engouffra soudain depuis les portes du palais, et traversa la salle du trône de part en part. Il s'emmêla dans les lourds cheveux roux et dans la jupe en biseau de la chef de tribu, et s'empara de son vœu pieu pour l'emmener loin, très loin vers le sud.