Titre : La pleine lune d'Halloween.
Disclaimer : Les personnages de My Hero Academia appartiennent à Kõhei Horikoshi.
Pairing : Shota Aizawa/Naomasa Tsukauchi.
Résumé : Aizawa vit seul dans la vieille maison héritée de ses grands-parents. Seul ? Pas exactement. Mais il a l'habitude et la colocation se passe plutôt bien. Jusqu'à ce mois d'octobre où des évènements étranges vont perturber son quotidien.
Note de l'auteure : Ceux qui me suivent depuis longtemps le savent déjà, je peux, occasionnellement, faire des tentatives dans des genres bien différents de mes romances humoristiques adorées.
Avec cette nouvelle histoire, je me frotte à un genre dont je n'ai clairement pas l'habitude. Bon, il y aura forcément un peu d'humour (on ne se refait pas hein), mais aussi du suspense, du paranormal, du malsain, voire très malsain, et du glauque.
Un immense merci Baronne-Buhdussy et Yzanmyo pour leurs avis et conseils qui m'ont beaucoup aidé.
J'espère que c'est pas trop raté et que ça vous plaira.
Bonne lecture,
Lili.
La pleine lune d'Halloween.
1 - Colocation paisible.
Avec un soupir, Aizawa éteignit son ordinateur, satisfait que la semaine se termine enfin. Il réunit ses affaires, s'assurant de ne rien oublier, et quitta son bureau, fermant la porte derrière lui.
- Hé ! Shota ! Tu viens boire un coup avec nous ? l'interpella son collègue dans le couloir.
- Désolé Mic, s'excusa Shota, mais j'ai des projets pour ce soir.
- Oh ? Un rencard ? demanda Mic avec un sourire malicieux en lui emboîtant le pas.
- Pas vraiment non, soupira Aizawa.
Il fut reconnaissant à son collègue de ne pas insister, se contentant de lui parler de ses propres projets du week-end en passant son badge devant le scan ouvrant les portes de l'entreprise.
- Faudra qu'on se fasse une bouffe tous ensemble, un de ces quatre ! décida Mic en se dirigeant vers sa voiture. On a toujours pas pendu ta crémaillère !
- J'y penserai, promit Shota en saluant le blond d'un geste de la main. À lundi !
Tout en s'installant au volant de sa petite citadine grise, Shota soupira lourdement. Sa crémaillère... Tous ses amis le tannaient régulièrement avec ça, et lui ne faisait qu'éluder la question encore et encore. Peut-être pourrait-il organiser un barbecue dans son jardin, profitant des beaux jours estivaux. Mais il y avait de fortes chances pour que ses invités veuillent aussi visiter sa maison, et ça, Shota n'y tenait pas particulièrement.
Tout en quittant le parking de l'entreprise pour s'engager sur la route menant au centre ville, il réfléchit pour la énième fois au problème. Depuis qu'il avait déménagé, un an auparavant, il n'avait plus invité personne chez lui. Il n'avait jamais particulièrement apprécié organiser des soirées sous son toit, n'aimant ni les heures de préparation avant, ni les heures de ménage après. Mais cela lui arrivait, malgré tout, occasionnellement. Plus depuis qu'il vivait dans la maison dont il avait hérité de ses grands-parents.
Elle était pourtant immense cette maison. Une grande maison à l'ancienne, avec un vaste jardin arboré à l'arrière, une large cour entourée de hauts murs à l'avant, un plancher qui craquait sans raison apparente et des portes grinçantes. C'était bien trop grand pour lui seul, c'était d'ailleurs pour cette raison qu'il n'y avait pas vécu avant l'année dernière. Il n'y venait que de temps en temps pour s'assurer que rien ne nécessitait de réparations urgentes, en profitant pour refaire petit à petit la décoration vieillotte et rénover ce qui devait l'être.
Il avait finalement rendu les clés de son appartement au propriétaire et s'était définitivement installé dans la demeure quand il avait enfin signé son CDI dans l'entreprise où il n'avait longtemps était qu'intérimaire. Certes, le CDI lui apportait une situation professionnelle plus stable et sécurisée, mais son salaire en avait pâti, n'ayant plus toutes les indemnités liées à la précarité des contrats intérimaires. Il s'était alors dit que s'épargner un loyer à payer chaque mois ne serait pas négligeable et il avait donc mis fin au bail de son appartement. Depuis, ses amis le harcelaient pour qu'il pende sa crémaillère, chose qu'il repoussait tout le temps sous divers prétextes plus ou moins douteux.
Arrivé au centre ville, Shota se gara sur un parking gratuit et sortit de sa voiture, prenant dans son coffre les sacs dont il aurait besoin pour ramener ses achats. D'un pas tranquille, il se dirigea vers l'épicerie, fouillant dans ses poches pour retrouver sa liste de courses. Il salua d'un signe de tête l'épicier avant de s'engouffrer dans les rayons qu'il connaissait par cœur. Il parcourut le magasin, emplissant ses sacs au fur et à mesure, plissant les yeux pour lire les pattes de mouches sur sa liste d'achats.
Tout en posant ses articles sur le tapis roulant, Aizawa discuta tranquillement avec Gran Torino, l'antique caissier. D'aussi loin qu'il se souvienne, Shota avait toujours vu le vieil homme à cette place, fidèle au poste alors qu'il avait largement dépassé l'âge de la retraite. Et Shota venait dans cette épicerie depuis toujours, y accompagnant sa grand-mère quand, enfant, il était en vacances chez elle. Shota n'avait jamais connu son grand-père décédé avant sa naissance.
- Tiens, on a reçu ça aujourd'hui, dit Gran Torino en lui montrant un magazine sur les étoiles. Je me suis dit que ça t'intéresserait, je te l'ai mis de côté.
- Merci, sourit Shota avant de poser le feuillet relié avec le reste de ses achats.
- Tout va bien à la maison ? s'enquit le caissier en finissant de passer les articles devant son scanner.
- Comme d'habitude, soupira Aizawa avec lassitude.
Gran Torino lui fit un sourire entendu en lui annonçant le montant de ses courses. Aizawa paya le tout en se faisant la remarque que le vieux caissier en savait probablement plus qu'il ne le laissait penser sur la particularité de sa demeure. Alors qu'il finissait de récupérer ses sacs, le vieil homme lui lança subitement :
- Au fait, c'est bientôt Halloween tu sais ?
- Dans deux mois, répondit Shota un peu surpris.
- Ce sera la pleine lune aussi, ajouta Gran Torino en fronçant les sourcils l'air soucieux.
- Euh... d'accord... Bonne soirée, Gran Torino.
- Fais attention à toi Shota !
Saluant le caissier d'un geste de la tête, ses deux mains étant occupées, Shota sortit de la mini supérette tout en se demandant ce qu'il prenait à Gran Torino tout à coup. Oui, ce serait bientôt Halloween, mais on n'était que début août, il avait encore le temps avant de s'inquiéter de voir débarquer une horde de gamins farceurs à sa porte. Et il ne voyait pas le rapport avec la pleine lune. Gran Torino commencerait-il à devenir sénile ? Chassant ces interrogations loin de son esprit, Shota posa ses sacs dans son coffre avant de se réinstaller au volant de sa voiture et quitter le parking, bien décidé à rentrer chez lui.
Après quelques minutes de route, il vit se profiler les hauts murs en pierres clairs entourant sa demeure. D'une pression sur la télécommande, il ouvrit le lourd portail en fer forgé entièrement noir et dont l'opacité empêchait quiconque de voir ce qui se trouvait derrière. La citadine pénétra dans la grande cour où des parterres fleuris et verdoyants étaient disséminés ici et là, rompant la monotonie du gravier clair.
La maison se tenait là, imposante mais chaleureuse. Ses hauts murs s'ornaient de lierre ici et là, la verdure luxuriante dépassant parfois les fenêtres du premier étage. La porte d'entrée en bois, assombrie par les ans et les intempéries, attendait sagement qu'on veuille bien la passer du haut du petit escalier évasé menant jusqu'à elle. A sa gauche, une cloche servait de sonnette, sa chaîne pendouillant tranquillement le long du mur. Le toit d'ardoise laissait deviner un second étage, grâce aux deux fenêtres en chien-assis et à la lucarne en œil de bœuf.
La demeure, prolongée d'un garage d'une hauteur bien moindre, ne laissait rien deviner de ce qu'il y avait derrière. De l'autre côté de la maison se trouvait un magnifique jardin arboré, bordé de haies si hautes qu'aucun vis-à-vis n'était possible. L'habitation principale se prolongeait d'une véranda ouvrant sur une terrasse surplombant de quelques marches le jardin lui-même. A l'arrière du garage, une remise avait été pensée pour ranger à l'abri tout le nécessaire pour s'occuper du jardin.
Arrêtant sa voiture dans l'allée, peu après le portail, Shota en sortit et, tout en surveillant la fermeture du portail, il vérifia le contenu de sa boîte aux lettres. Un petit colis l'y attendait, le faisant sourire. Enfin, sa commande était arrivée. Tout en jetant un œil rapide aux deux enveloppes déposées par le facteur plus tôt dans la journée, Shota se réinstalla au volant de sa voiture. C'était l'un des inconvénients de sa maison : la boîte aux lettres était loin de l'entrée. Aussi préférait-il s'y arrêter en passant plutôt que de devoir retraverser l'immense cour pour aller récupérer son courrier.
Arrivé au bout de l'allée, il tourna à gauche, longeant la façade claire. Ouvrant la porte du garage, attenant à la maison, avec la télécommande dédiée, il alla garer sa voiture. Quand il avait emménagé, automatiser le portail et la porte du garage avait été l'une des premières choses qu'il avait faites, s'évitant ainsi de sortir de sa voiture pour ouvrir et fermer les portes à chaque fois qu'il sortait ou rentrait chez lui. C'était un confort non négligeable quand il faisait froid ou qu'il pleuvait des cordes.
Enfin garé, Shota sortit de sa voiture et alluma le plafonnier du garage avant que la porte de ce dernier ne se referme le laissant dans le noir. Puis, il sortit ses affaires, sa besace de boulot, dans laquelle il fourra les lettres reçues, les sacs de courses ainsi que le colis. Chargé comme une mule, il ouvrit la porte menant à un petit vestibule, éteignant le plafonnier au passage.
La pièce dans laquelle il arriva était toute en longueur, avec comme unique fenêtre celle se trouvant sur la porte menant au garage. Shota l'avait aménagée en petit vestiaire, avec un meuble pour les chaussures, des patères pour les manteaux et un placard pour les sacs et autres choses diverses et variées. Il se délesta de sa veste et de ses chaussures, enfilant ses pantoufles avec un soupir satisfait. Enfin, il était chez lui.
Enfant, il adorait cette immense maison pleine de coins et recoins, avec ses larges couloirs carrelés où il pouvait courir et faire des glissades, ses rampes d'escaliers qu'il avait souvent descendues à califourchon au grand damne de sa grand-mère. Elle l'y accueillait à chaque vacances scolaires, le couple Aizawa travaillant beaucoup. Shota avait exploré la maison de la cave au grenier, se cachant dans les placards, cherchant un trésor dans chaque repli des murs et s'étonnant des étranges manies de sa mamie. Mais que la vieille dame parle toute seule ou dépose des objets bizarres dans des pièces vides amusait beaucoup plus Shota que ça ne l'inquiétait. Sa grand mère avait d'ailleurs bien conscience de la bizarrerie de ses propres manies, soufflant régulièrement à son petit fils :
- Tu diras rien, hein ? Mon petit Shota. Ce sera notre petit secret.
Aussi Shota n'avait-il jamais parlé des habitudes étranges de son aïeule à ses parents. Elle ne faisait rien de mal de toute façon, alors pourquoi s'en faire ? Elle vivait seule dans cette immense demeure depuis la mort de son époux, quelques années avant la naissance de son petit-fils. Elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait chez elle. Et puis ce petit secret, Shota y tenait. C'était leur secret, à lui et à sa mamie. C'était quelque chose qu'enfant, il trouvait précieux.
Devenu adolescent, il avait passé bien moins de temps dans cette maison, pourtant si chaleureuse, trop occupé à sortir avec ses amis et à faire des petits boulots à droite et à gauche pour payer ses sorties entre potes, délaissant sa grand-mère. La vieille dame était morte alors qu'il fêtait tout juste ses dix-sept ans. Il avait beaucoup pleuré, regrettant de ne pas avoir profité plus longuement de l'infinie gentillesse de sa mamie.
A vingt ans, il avait appris par ses parents qu'il avait hérité de la maison de sa grand-mère. Elle lui avait même laissé une lettre. Shota avait lu la lettre, déçu de n'y rien comprendre, soucieux de s'apercevoir que la vieille dame ne semblait plus avoir toute sa tête sur la fin de ses vieux jours. La lettre avait été rangée avec l'acte de propriété et les clés, et oubliée là durant de longues années.
Trop pris dans ses études de comptabilité, puis sa vie de jeune adulte indépendant, Shota n'avait pas remis les pieds dans la maison avant son vingt-cinquième anniversaire. Huit ans sans que personne n'y vienne, forcément la poussière s'y était accumulée. Shota s'était alors lancé dans un grand ménage, puis dans des réparations et un peu de décoration, mettant à profit son salaire et ses congés pour le faire, réveillant peu à peu la bâtisse endormie.
Il avait plus d'une fois pesté contre la demeure qui semblait n'en faire qu'à sa tête. Entre les papiers peints qui, une fois enlevés, dévoilaient d'autres papiers peints encore plus anciens, les murs pas droit, les angles bizarres, la plomberie antique et l'électricité douteuse, Shota avait passé de nombreuses heures à s'arracher les cheveux sur des travaux qu'il n'avait pas imaginé si laborieux. Mais impossible de faire appel à des professionnels, alors il s'était démerdé seul.
La seule fois où il avait laissé un étranger rentrer chez lui, c'était pour s'assurer que ses travaux pour mettre l'électricité aux normes étaient corrects et faire installer la fibre. Le technicien était resté deux heures et ce fut deux heures de stress pour Shota qui ne cessait de regarder par dessus son épaule, craignant un incident qui finalement n'arriva pas, pour son plus grand soulagement.
Parmi les nombreux changements qu'il avait effectués au sein de la maison, il y avait le vestiaire, dans lequel il se trouvait actuellement, qui était à la base un simple couloir, menant de l'arrière cuisine au garage. C'était Shota qui l'avait entièrement réaménagé, songeant que c'était plus simple de faire ainsi que de traverser toute la maison pour enlever son manteau et ses chaussures quand il venait. De ce fait, il n'utilisait que rarement le hall d'entrée principal, à part pour le traverser afin d'aller d'une pièce à l'autre.
Poussant le battant le séparant encore de l'arrière cuisine, Shota pénétra dans la pièce où se trouvait le grand congélateur et des étagères chargées de conserves et bocaux en tout genre. Un jour, il ferait le tri dans tout ça. Certaines boîtes dataient de l'époque de sa grand-mère ! Mais il n'avait pas encore trouvé la motivation pour le faire, les laissant donc prendre la poussière, n'osant pas y toucher tant il était persuadé qu'il s'empoisonnerait avec.
Enfin, il passa la porte menant à sa cuisine, vaste pièce éclairée par de grandes fenêtres dépourvues de rideau, laissant voir la cour gravillonée à l'avant de la demeure. La lumière de cette fin de journée estivale éclairait les meubles en bois clair courant le long des murs et le plan de travail en bois plus foncé. Posant ses sacs de courses sur la table trônant au centre de la pièce, Shota salua Keigo, assis sur l'un des tabourets entourant l'îlot central, qui le regardait en souriant.
- Tu as passé une bonne journée ? s'enquit Keigo.
- Normale, soupira Shota en commençant à ranger ses courses dans les placards et le frigidaire. Et ici ?
- Hmm... fit semblant de réfléchir Keigo. Jiro et Mina ont réussi à enrôler Katsuki dans leur groupe de musique.
- Oh ? Il joue quoi ? s'enquit Shota en examinant de plus près la date de péremption d'un yaourt esseulé dans son frigo.
- De la batterie, répondit son interlocuteur. Mais ils n'ont pas beaucoup répété parce qu'ils ont longuement débattu du nom du groupe. Jiro et Mina voulaient s'appeler "Jimi Band", mais Eijiro ne trouvait pas ça assez viril et a proposé "Red Riot". Les filles ont refusé, Eijiro a boudé, Hanta a suggéré "Exotic Band", Katsuki : "Dynamight". Bref, ça a fini, comme tu t'en doutes, avec des cris et des engueulades.
Shota leva les yeux au ciel en refermant son frigidaire et jeta le yaourt, définitivement périmé, à la poubelle.
- Je vois, soupira-t-il. Quoi d'autre ?
- Ochaco et Tsuyu ont passé la journée à encourager Tenya avec Izuku. Eri et Koda ont réussi à embarquer Shoto dans un jeu de cache-cache colin-maillard. Me demande pas comment ça se joue, j'ai pas compris ! Et les autres ont été sages.
- SHOTA ! s'exclama joyeusement une voix enfantine.
L'interpellé eut juste le temps de tourner la tête avant de se retrouver avec une petite fille aux longs cheveux blancs accrochée à la jambe.
- Tu a ramené de quoi faire un gâteau ? Hein ! Dis ! Tu as...
- Oui, Eri, j'ai ramené de quoi faire un gâteau, répondit Shota en passant une main légère dans la fine chevelure de la fillette de six ans.
Une sensation étrange fit fourmiller sa paume, mais Shota ne s'en formalisa pas, ayant l'habitude depuis le temps. Sa réponse enthousiasma Eri qui sautilla sur place en tapant des mains sous le regard amusé des plus âgés, avant de partir en courant, appelant Rikido, ses cris joyeux résonnant dans toute la bâtisse. Shota eut tout juste le temps d'accrocher ses sacs vides à la poignée de la porte menant à l'arrière cuisine, avant qu'elle ne revienne, un adolescent brun sur ses talons.
Ce dernier s'empressa de sortir tout le nécessaire pour cuisiner, saluant rapidement Shota.
- N'en fait pas un trop gros, s'il-te-plait, répondit l'adulte brun. La dernière fois, j'en ai mangé pendant une semaine.
- Tu pourras en amener à tes collègues, contra l'adolescent de treize ans en sortant le plus gros moule disponible.
Préférant ne pas chercher à argumenter, Shota quitta la cuisine, arrivant dans l'immense couloir traversant la demeure dans toute sa largeur, depuis la porte d'entrée jusqu'à la véranda. Ignorant l'escalier menant à l'étage et les bruits de dispute qui en provenaient, il se dirigea vers son bureau, au fond à droite de la maison.
- Bonjour Koda, salua-t-il en apercevant le jeune adolescent allongé sur le tapis près de la baie vitrée éclairant la pièce tout en boiserie foncée et ouvrant sur le jardin arborée à l'arrière de la bâtisse.
- Bonjour Shota, souffla timidement le garçon au visage déformé et sans cheveux.
Sans poser plus de questions, sachant Koda maladivement timide, Shota s'assit à son bureau, posant sur le bois laqué les deux enveloppes, le colis, le magazine acheté plus tôt et sa besace. Il sortit de cette dernière un épais dossier avant de la jeter négligemment au sol. Dire qu'il était en week-end et qu'il avait encore ce dossier comptable à boucler pour lundi. Il détestait ceux qui débarquaient affolés dans son bureau à moins de deux semaines de la date d'échéance. Surtout quand il les avait harcelé de mails et d'appels pour la leur rappeler, cette foutue échéance !
Décidant que le dossier attendrait un peu, Shota ouvrit son courrier. Une facture d'électricité, rien de bien transcendant, et une publicité pour un magasin de bricolage ouvrant prochainement dans la ville voisine. Formidable, songea-t-il ironiquement. Pourquoi irait-il jusqu'à la ville voisine, à trente kilomètres de chez lui, quand il avait tout ce qu'il fallait à moins de dix minutes de chez lui ? Ridicule.
- Shota ? l'interpella timidement Koda.
- Hm ? répondit Shota en jetant la publicité.
- Je crois que Madame Terreur attend des petits.
Un lourd soupir échappa à l'adulte qui se leva pour aller examiner lui-même la chatte, grise et blanche, se prélassant sur le parquet. Il lui palpa doucement le ventre, constatant qu'effectivement, elle semblait bel et bien pleine.
- Je vais demander autour de moi si quelqu'un veut un chaton, souffla-t-il. Et après, je la ferai stériliser.
- On... On peut pas les garder ? s'enquit Koda, déçu. Au moins un ?
- Koda, le sermonna Aizawa. On a déjà trois chats, un canari, trois poules et deux oies, sans compter la dizaine de bestioles errantes que tu nourris et soigne en permanence. Tu ne crois pas que c'est assez ?
Les yeux humides du garçon de onze ans lui fit rendre les armes et il accepta de garder l'un des futurs chatons, illuminant de joie le visage déformé de Koda.
- Mais un seul ! prévint-il en se relevant. Je trouverai de bonnes familles pour les autres.
Il retourna à son bureau et alluma son ordinateur, bien décidé à payer cette facture dès ce soir, histoire d'être débarrassé.
Le temps que son PC ne s'allume et ne se connecte, Shota ouvrit le petit colis, sortant de celui-ci une petite lanterne tournante en forme d'oiseau. Fumikage serait ravi de ce petit présent. Poussant ledit présent sur le côté, Shota sourit en voyant Koda caresser la chatte grise et blanche, aussi douce qu'adorable, à mille lieux de son nom. Koda n'ayant aucune imagination pour les noms d'animaux c'était Mina et Shoto qui l'avaient nommé ainsi. Madame venait de Shoto, à l'imagination limitée lui aussi visiblement, et Terreur de Mina qui trouvait l'idée hilarante.
Shota finissait de payer sa facture en ligne quand une jeune fille brune surgit dans son bureau un cahier dans les mains.
- Oh ! Bonjour Shota ! salua-t-elle en se dirigeant vers la grande bibliothèque occupant l'intégralité du mur le plus éloigné de la porte.
- Bonjour Jiro, répondit Aizawa avec un sourire. Keigo m'a parlé du groupe de musique. Vous êtes finalement tombés d'accord sur un nom ?
- Non, les gars sont pénibles avec leurs noms débiles, râla Jiro. Nous sommes un groupe de musique, pas des combattants de MMA !
Shota ne put retenir un léger rire, s'attirant un regard boudeur de Jiro qui sortit un lourd dictionnaire de la bibliothèque.
- Tu cherches quelque chose ? demanda-t-il en la voyant feuilleter nerveusement le livre.
- Une rime en "elle", soupira Jiro. Qui ne soit ni belle, ni poubelle !
- Ensorcelle ? proposa Shota, peu convaincu.
- Mouais...
Devant la réponse dubitative de la jeune fille, il tapa sur son clavier, l'invitant à le rejoindre.
- Voilà, dit-il en désignant son écran d'ordinateur. Un dictionnaire de rimes. Tu devrais y trouver ton bonheur.
- Oh ! Super ! Merci Shota !
Laissant sa place à Jiro, il s'apprêta à monter dans sa chambre quand son téléphone bipa, l'informant de l'arrivée d'un message. Il soupira lourdement en lisant le message de Mic lui rappelant qu'il devait fixer une date pour sa crémaillère. Ignorant finalement le message, Shota bougonna, réfléchissant à la chose. Faire sa crémaillère... oui, il était d'accord sur le principe. Mais, le problème c'était ses colocataires. Parce que si officiellement Shota vivait seul, célibataire et sans enfants, en pratique c'était une tout autre histoire.
Une histoire dont il avait, là encore, hérité de sa grand-mère. Si, quand Shota avait lu la lettre laissée par son aïeulle, il avait cru qu'elle délirait, il avait changé d'avis en se retrouvant nez à nez avec un gamin blond, enragé et, surtout, translucide et lévitant à plusieurs centimètres au dessus du sol. Shota n'avait jamais cru aux fantômes, jusqu'à ce qu'il se fasse hurler dessus par l'un d'eux pour avoir osé changer les rideaux de leur chambre, pour les remplacer par des "trucs affreux qui font peur à Deku" dixit ledit gamin fantomatique.
Katsuki... Dans toute sa splendeur intangible... Comme première rencontre, Shota aurait largement préféré plus calme et moins bruyant. Choqué au delà des mots, Shota n'avait pu que subir le courroux du blondinet derrière lequel se cachait un autre gamin, tout aussi translucide, aux grands yeux verts rougis de larmes. Katsuki et Izuku donc... Alias Kacchan et Deku, comme Shota l'avait vite compris.
Enfin, il l'avait compris quand il avait eu le courage de revenir dans la maison, ayant fui à toutes jambes après cette rencontre imprévue. De retour dans son appartement, il s'était jeté sur la lettre de sa grand-mère, mettant à sac son propre logement pour la retrouver, la relisant avec soin, et plusieurs fois, pour bien comprendre le bordel dans lequel il venait de foutre les pieds.
Mon petit Shota,
Si tu lis cette lettre, c'est que je ne suis plus de ce monde et que tu as accepté la maison. Je te la lègue avec la certitude que tu en prendras soin.
Tu étais trop petit pour t'en souvenir, mais il y a un secret dans cette maison. Un secret que je te confie en toute sérénité, sachant déjà que tu le garderas précieusement. Je ne doute pas que tu découvriras bien vite de quoi il s'agit, mais je me permet de te donner quelques petits conseils pour te faciliter la tâche.
Ne cherche jamais à éloigner Shoto de Touya. Touya peut devenir particulièrement violent s'il ne sait pas où est Shoto. Le seul à qui Touya fait confiance pour s'occuper de son petit frère, c'est Eijiro.
Izuku et Katsuki sont inséparables aussi. Ne t'étonnes pas de les entendre s'appeler Kacchan et Deku, mais n'utilise jamais ces surnoms pour les nommer. Seuls eux peuvent le faire. Katsuki est un malicieux, il te jouera surement des tours pendables, mais compte sur Izuku pour le calmer et le canaliser. Et Katsuki protégera et défendra Izuku contre absolument tout. Prends en note.
Laisse toujours les ingrédients de base pour faire un gâteau posés sur la table de cuisine, Rikido adore cuisiner.
Ne t'étonnes pas de voir tous les animaux errants du quartier dans le jardin, ne t'en préoccupe pas non plus, Koda s'en occupera.
Pense a bien astiquer les bibelots dans la chambre jaune, Yuga adore les choses qui brillent.
Assure toi que la bassine d'eau dans la chambre bleue est toujours pleine, Tsuyu est malheureuse sans eau.
Tenya court tout le temps, rappelle-lui de ratisser la cour régulièrement pour remettre les graviers en place.
Ne t'assoie pas dans le fauteuil mauve pour regarder la télé, c'est la place d'Eijiro.
Fumikage, Eri et Momo ne devraient pas te poser trop de soucis. Mais ne sois pas surpris si tu vois des ombres bouger sur les murs le soir.
Sois gentil de ne pas te débarrasser de mes plantes, Hitoshi les aime bien.
Ceux qui risquent de te jouer des tours, jamais bien méchants rassure toi, mis à part Katsuki, sont Denki, Hanta, Mina et Ochaco. Ne compte pas sur Kyoka pour t'aider, elle s'amusera beaucoup à tes dépends.
En revanche, garde bien tous les couteaux et autres objets tranchants sous clé et garde les clés sur toi. Himiko aime un peu trop jouer avec et peut faire du mal aux autres.
Méfie toi de Neito aussi. Il aime bien semer la zizanie. Veille à le garder enfermé dans le placard sous l'escalier.
Je t'avoue que je ne comprends pas moi-même comment c'est possible, mais fermer une pièce à clé les emprisonne. Veille donc à ce qu'il n'y ait plus personne dans une pièce, si tu la verrouille.
Twice reste en permanence dans la cave. Il a parfois des crises violentes, alors garde la cave fermée et tout ira bien. Il préfère rester loin des autres de toute façon.
Ne t'inquiète pas, mon petit Shota, tout ira bien, j'en suis sûre. Et Keigo t'aidera avec tout ce petit monde.
Je t'aime très fort et je veillerai sur toi d'où je serai. Et si tu décides de vendre la maison, passe voir Maître Nezu, il connaît bien cette maison et saura trouver des acheteurs adaptés.
Affectueusement
Ta mamie qui t'aime très fort.
En relisant cette missive pour la millième fois, Shota avait finalement compris les petites habitudes bizarres de sa grand-mère, qui veillait donc sur toute une palanquée de fantômes. Malgré toute la confiance que la vieille dame mettait en lui, Shota était retourné à la maison avec bien des appréhensions. A peine avait-il franchi le seuil qu'une masse de tissus lui était tombée dessus : les fameux rideaux qu'il avait changés, au grand déplaisir des occupants de la chambre concernée.
Décidé à ne pas se laisser faire par un sale gosse fantomatique, Shota avait poussé une gueulante phénoménale, exigeant au passage que tous les occupants de la maison se montrent. Ils avaient surgi d'un peu partout, certains plus craintifs que d'autres, se rassemblant dans le hall. Shota s'était alors retrouvé face à une vingtaine de personnes, toutes ayant la particularité de ne pas toucher le sol, flottant à quelques centimètres au-dessus, et toutes légèrement transparentes. Toutes jeunes aussi... très jeunes même pour certaines.
Vingt fantômes, sans compter les trois que sa grand-mère gardait enfermés et dont Shota décida de s'occuper plus tard. Mis à part Touya et Keigo qui avaient vingt ans, les autres avaient entre six et quatorze ans. Shota avait donc improvisé une sorte d'assemblée générale où, après des discussions houleuses, ils étaient finalement arrivés à un accord commun. Shota laissait les fantômes vivre dans la maison, s'assurait aussi de leur fournir de quoi s'occuper, et leur demandait leurs avis sur les nouvelles décorations dans les pièces qu'ils occupaient. En échange de quoi, ces derniers se tenaient tranquilles et ne lui faisaient pas une vie d'enfer.
L'accord passé, Shota avait pu poursuivre ses nombreux travaux de rénovation sans trop d'embêtements, certains venant même lui prêter main forte à l'occasion. Ochaco et Tsuyu avaient visiblement trouvé qu'arracher les papiers peints était très drôle. Eijiro, Hanta et Tenya s'étaient portés volontaires pour tirer les câbles électriques. Et Shota devait admettre qu'avoir des aides pouvant traverser les murs c'était sacrément pratique pour passer les câbles dans lesdits murs.
Momo, Mina et Yuga avaient aidé à repeindre les plafonds, et Katsuki et Izuku à nettoyer les vitres, vérifiant les joints en même temps. Shota avait failli devenir fou malgré toute la bonne volonté de Denki et Fumikage quand il avait refait la cuisine, les deux adolescents n'en faisant qu'à leur tête. Keigo lui avait prêté main forte pour le jardin avec Hitoshi. Bref, Shota avait eu de la main d'œuvre enthousiaste à défaut d'être compétente.
Entre la plomberie antique, la chaudière capricieuse, les tapisseries d'un autre âge et les fenêtres impossibles à ouvrir tant le tour avait mal vieilli, Shota avait eu fort à faire malgré l'aide plus ou moins efficace des petits fantômes. Bien sûr, il avait eu droit à quelques farces, mais rien de bien méchant. Au fil du temps et de ses passages, ses relations avec ses colocataires s'étaient développées, chacun apprenant à se connaître et à s'apprivoiser. Et depuis qu'il vivait ici à temps plein, Shota n'avait jamais eu à réellement se plaindre de la fantomatique marmaille.
Le seul problème que ces colocataires lui posaient réellement concernait la venue d'invités chez lui. Il ne faisait pas du tout confiance à ses colocataires pour se tenir tranquilles durant toute une soirée. Déjà qu'il avait dû négocier âprement pour qu'ils laissent en paix le technicien venu vérifier l'électricité, et ce dernier n'était resté que deux heures ! Non, inviter Mic et Nezumi à venir manger, ça s'annonçait difficile. Décidant qu'il y réfléchirait plus tard, Shota décida d'aller se changer, quittant son bureau pour monter à l'étage via l'énorme escalier longeant le mur du large couloir d'entrée. Il s'étonna du silence régnant dans la maisonnée, seul le parquet vieilli craquant sous ses pas se faisant entendre. Quelques minutes plus tôt, il y avait des cris et des disputes, mais là : plus rien.
Arrivé au premier étage, il poussa la porte de sa chambre, située à droite de l'escalier. C'était la plus grande pièce de l'étage avec sa propre salle de bain et son dressing. C'était d'ailleurs la seule salle de bain de la maison, l'obligeant à la partager, très occasionnellement, avec ses colocataires, quand l'envie leur en prenait. Le soleil déclinant éclairait la pièce de sa lumière pâle par la large fenêtre donnant sur le jardin à l'arrière de la demeure. Shota se glissa sous le jet d'eau tiède de sa douche, appréciant de se délasser sous l'eau chaude après une longue journée de boulot.
De l'eau froide atterrit violemment dans son dos, le faisant glapir sous la désagréable surprise. Un rire moqueur raisonna dans la salle de bain, l'informant de l'identité du blagueur.
- Neito ! rugit Shota en sortant précipitamment de sa douche et enfilant son peignoir. Retourne dans ton placard !
- Noooooon ! répondit le fantôme blond en passant à travers le mur de la salle de bain.
- Mais quel emmerdeur celui-là, grogna Aizawa en se lançant à la poursuite de Neito.
Des cris offusqués l'informèrent que son attaquant devait être dans la chambre que Yuga partageait avec Rikido et Hitoshi.
Poussant brusquement la porte, Shota jeta à peine un oeil aux murs jaunes pâles et à la fenêtre d'où se voyait le portail d'entrée, se concentrant sur la dispute entre trois fantômes. Neito tentait de décrocher la boule à facette du plafond, Yuga essayant de l'en empêcher avec l'aide d'Hitoshi.
- Laisse ma boule à facette ! pleurnicha Yuga.
- Je la veux pour mon placard, décréta Neito en repoussant l'adolescent de treize ans.
- C'est la nôtre ! plaida Hitoshi. Si tu en veux une, demande à Shota !
- Neito, lâche ça ! ordonna Shota d'un ton ne souffrant aucune contestation.
L'interpellé se figea, dardant sur lui un regard évaluateur, se demandant s'il avait une marge de manœuvre, ou s'il pouvait encore pousser le bouchon un peu plus loin. Décidant que la seconde option était la bonne, il lâcha la boule à facette pour se saisir de l'un des nombreux bibelots scintillants présents dans la pièce.
- Je veux ça, décréta-t-il avant de se précipiter vers le mur pour le franchir.
Mais Shota connaissait bien Neito et anticipa sa fuite, lui attrapant le poignet pour le ramener vers lui.
- Tu rends sa boule en cristal à Yuga, soupira-t-il en reprenant le bibelot des mains du voleur. Et tu retournes dans ton placard.
- J'ai pas envie ! ricana Neito en tentant de s'enfuir.
Mais Shota resserra sa prise sur le poignet du fantôme, l'entraînant hors de la chambre.
- T'es pas drôle ! bouda Neito quand Shota le poussa dans le placard sous l'escalier au rez-de-chaussée.
- Et toi, tu es pénible, soupira Shota. Si tu as besoin de quelque chose, demande le moi au lieu de le voler aux autres.
- Je préfère voler, répondit Neito avec un rictus mauvais.
- C'est bien ce que je te reproche, claqua Aizawa en refermant la porte, la cadenassant solidement.
Il ne comprenait pas plus que sa grand-mère comment le cadenas fermant la porte suffisait à retenir Neito qui, comme tous les autres fantômes de la maison, pouvait traverser les murs. Mais étrangement, cela fonctionnait. Neito passait donc plus de temps dans son placard qu'en dehors, pour le plus grand soulagement d'Aizawa, ne s'en échappant qu'en soudoyant l'un de ses comparses pour qu'il lui ouvre le cadenas. Neito était un ectoplasme particulièrement con, voleur, perturbateur et un vil manipulateur. Moins il sortait, mieux Shota se portait.
Il remonta dans sa chambre et troqua son peignoir contre une tenue plus décente : pantalon souple noir et sweet large de la même couleur. Avant de sortir à nouveau dans le couloir, il reprit le magazine et la lanterne déposés sur sa commode en arrivant. Traversant le palier, il emprunta le couloir à gauche de l'escalier. Il passa par la chambre jaune, s'assurant que Yuga et Hitoshi allaient bien, rassuré de les voir discuter ensemble d'une émission de décoration quelconque. Visiblement, l'intervention de Neito n'avait pas perturbé plus que ça les deux adolescents de treize ans.
De derrière la porte suivante, Shota entendit de la musique sourdre doucement et sourit. Il poussa doucement le battant, son sourire s'agrandissant en voyant Mina danser au milieu de la pièce la plus colorée de la maison. Mina et Jiro, toutes deux âgées de onze ans, adoraient la musique, Jiro pour chanter et Mina pour danser. Elles partageaient leur chambre avec Momo, de deux ans leur aînée, artiste elle aussi, mais préférant la peinture à la musique. Shota avait d'ailleurs repeint les murs de la pièce en blanc, laissant à Momo la liberté de s'exprimer sur ceux-ci. La jeune femme avait reproduit, sur l'un des murs, à l'identique la vue depuis la fenêtre de sa chambre, qui donnait que les trois autres chambres de ce couloir, sur l'avant de la maison.
L'apercevant, Mina insista pour lui montrer son nouveau pas de danse, tournoyant au sol sur la tête, les jambes largement écartées. Shota applaudit la prestation avant de rassurer Momo sur la qualité de l'aquarelle qu'elle lui montra.
- C'est très beau, lui assura-t-il. Tu as su parfaitement saisir la lumière.
Momo sembla soulagée, faisant râler Mina qui lui avait déjà dit que c'était magnifique.
- Mais tu préfères croire Shota que nous ! pesta la demoiselle.
- Vous êtes mes amies, plaida Momo. Shota est plus objectif...
Laissant les deux demoiselles à leur débat, Shota passa devant la troisième chambre dont la porte entrouverte laissait apercevoir un hamac tressé accroché dans un angle de la pièce. C'était la chambre que se partageaient Eijiro et Tenya, chacun d'eux âgé de quatorze ans, et leur cadet d'un an Hanta, les trois adolescents s'entendant très bien. Le plus jeune avait une passion pour tout ce qui était exotique et évoquant les îles tropicales. Aussi la décoration de la pièce était-elle sur ce thème là, les deux autres cédant volontiers les caprices décoratifs de leur ami. Le lierre à l'extérieur, visible au bas de la fenêtre, apportait une petite touche de verdure se mariant étonnamment bien avec la décoration générale de la chambre.
Il salua d'un geste de la main Hanta se prélassant dans le hamac, attirant ainsi l'attention de Tenya qui releva alors les yeux du livre qu'il lisait.
- Bonjour Shota !
- Bonjour Tenya.
- J'ai ratissé la cour tout à l'heure, l'informa l'adolescent brun en désignant du doigt la fenêtre de sa chambre. Et j'y ai même arraché les mauvaises herbes.
- Parfait, merci, lui sourit Shota avant de poursuivre son chemin.
Arrivé devant la dernière porte, Shota prit la peine de toquer avant d'entrer. Dans la pièce aux tons clairs, il trouva Denki et Fumikage en plein débat, Denki affirmant du haut de ses onze ans que Fumikage n'était pas du tout à la mode, appuyant ses propos avec un magazine qu'il agitait sous le nez de son ami. Ledit Fumikage écoutait son aîné d'un an sans rien dire, mais visiblement peu convaincu.
- Shota ! s'exclama Denki en le voyant. Tu sais où est Koda ? Il a oublié de nourrir Sucre d'Orage. Mais, je m'en suis occupé, hein !
- Il est dans le bureau avec Madame Terreur, répondit Shota.
- Super ! s'exclama Denki, quittant la pièce en courant quelques centimètres au-dessus du sol.
- Tu trouves que mon look est démodé ? s'enquit Fumikage avec une inquiétude visible.
- Je trouve ton look parfait, le rassura Shota. Tiens, j'ai reçu ça pour toi.
En voyant la lanterne dans la main de Shota, le visage sombre du garçon brun aux yeux noirs s'illumina d'un coup.
- Oh super ! Merci Shota !
Puis, avec empressement, Fumikage ferma les rideaux, cachant la vue de la cour à l'avant de la maison, plongeant la pièce dans la pénombre. Il alluma la lanterne, après l'avoir branchée, et tomba en extase sur l'ombre de l'oiseau se mouvant sur le mur au rythme du tourbillon de la lampe. Sucre d'Orage, le canari blessé adopté par Koda et baptisé ainsi après une longue discussion entre les trois colocataires, salua son homologue obscur avec des sifflements joyeux.
Amusé, Shota quitta la pièce pour rejoindre le deuxième étage. Le large escalier emprunté plus tôt s'arrêtait au palier du premier étage, deux escaliers jumeaux partant vers le second de chaque côté du premier qu'ils encadraient. Plus étroits, plus grinçants, mais menant au même petit hall biscornu. Sur sa droite, il y avait deux portes. L'une d'elle ouvrait sur la chambre de Keigo, la seconde sur la chambre que se partageaient Ochaco, Tsuyu et Eri. Les deux donnaient sur l'arrière de la maison et le jardin arboré.
Il allait frapper à la porte de la chambre des filles quand un reniflement discret attira son attention. De l'autre côté du palier, en face de la pièce à laquelle il allait frapper, quelques marches menaient au grenier où Touya et Shoto avaient élu domicile. Et plus bas dans ce petit escalier, avec comme seul seuil une marche bizarrement foutue, la porte de la chambre de Katsuki et Izuku. Voyant le battant entrouvert, Shota s'y dirigea. Il fut surpris de voir la silhouette de Katsuki, recroquevillée sur lui-même dans un coin de la pièce orange et verte.
- Katsuki ? appela doucement Shota.
Son cœur se pinça quand il vit les yeux écarlates noyés de larmes que leva vers lui le blondinet. Katsuki était un râleur, une grande gueule, plus prompt à insulter la terre entière qu'à faire des déclarations d'amour. Il adorait faire tourner en bourrique les autres et s'amusait comme le gamin de dix ans qu'il serait éternellement.
Mais sous tout ça, il y avait aussi un petit garçon sensible et anxieux. Shota avait mis du temps à le comprendre, mais il avait fini par percevoir ce que Katsuki cachait si bien. S'asseyant en silence par terre, dans l'angle du mur le plus éloigné de la porte, près du blond larmoyant, il passa finalement une main tendre dans la chevelure ébouriffée en un geste apaisant.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? souffla-t-il finalement.
- Rien... bougonna Katsuki.
Levant les yeux au ciel, Shota reprit :
- Depuis quand tu pleures pour un rien ?
- Depuis aujourd'hui ! décréta le sale gosse.
La semaine dernière, Mic avait demandé à Shota s'il voulait avoir des enfants, insistant tout particulièrement sur le fait que s'il en voulait, il allait falloir qu'il se dépêche de se caser pour pouvoir adopter avant sa retraite. Shota n'avait rien dit... Mais, des enfants, il en avait déjà... Et un paquet même. Parce qu'au fil du temps, il s' était attaché à ces fantômes aux histoires qu'il soupçonnait tragiques et aux morts bien trop prématurées. Même s'il y avait encore des choses qu'il ne comprenait pas complètement dans la condition particulière de ses colocataires.
Ils flottaient au-dessus du sol, passant même à travers les murs. Pourtant, ils pouvaient toucher les choses et être touchés aussi. Ainsi, Shota pouvait les prendre dans ses bras ou leur caresser les cheveux sans problèmes. Et si la sensation était plus diffuse qu'avec des êtres humains bien vivants, elle était pourtant là, bien présente. Ils étaient presque transparents, mais pourtant ils avaient des couleurs. Que ce soient leurs peaux, leurs cheveux ou même leurs yeux, leurs corps avaient gardé leurs nuances d'origine. Et ils pouvaient changer de vêtements. Vêtements qui, s'ils cachaient le corps de leur porteur, devenaient aussi translucides que ce dernier dès qu'ils étaient enfilés. Autant de contradictions que Shota ne comprenait pas. Mais il n'avait jamais vraiment cherché à comprendre non plus, prenant les choses telles qu'elles étaient.
- Katsuki, souffla-t-il en attirant le jeune garçon vers lui pour passer son bras autour de ses épaules tremblantes de sanglots retenus. Dis moi... Qu'est-ce qu'il se passe ?
Un gémissement larmoyant lui répondit, les tremblements du corps fin dans ses bras s'accentuant.
- De... Deku... il me... déteste... sanglota Katsuki éperdu.
Resserrant son étreinte, Shota entreprit de consoler Katsuki.
- Mais non, il t'adore.
- Non... il a dit... et... il.. a... née... ocha... et... moi... seul...
Les pleurs rendirent les phrases difficiles à comprendre, mais Shota comprit l'essentiel. Il aurait dû s'en douter que ça finirait ainsi quand Keigo lui avait dit qu'Izuku avait passé la journée avec Ochaco et Tsuyu.
De longues minutes durant, il réconforta le petit bonhomme de dix ans, lui assurant que non, Izuku ne le détestait pas. Non, il ne préférait pas non plus Ochaco et Tsuyu à lui. Et bien sûr qu'il allait revenir et qu'il ne le laisserai pas seul. Mais malgré ses mots et ses promesses, quand Katsuki se détacha de lui, il avait encore les larmes aux yeux et la mine triste, preuves de ses doutes sur la question.
Déterminé à arranger les choses, Shota quitta la pièce pour se diriger vers celle qu'il visait en premier lieu. Il frappa à la porte, trouvant sans surprise Ochaco, Tsuyu et Ejiro dans la chambre. Et avec elles... Izuku. Ce dernier souriait largement devant les bêtises d'Ochaco, neuf ans, les blagues de Tsuyu, sept ans, et les éclats de rire d'Eijiro, quatorze ans. Shota tendit à Ochaco le magazine sur les étoiles, acheté à la supérette, ravissant immédiatement la fillette qui promit à ses amis et à sa colocataire de leur montrer telle et telle étoile depuis le velux et le téléscope installé par Shota dans le plafond de la chambre.
- Izuku, je peux te parler ? demanda Shota.
Hochant la tête, Izuku suivit l'adulte sur le palier, un éternel sourire éclairant son visage parsemé de tâches de rousseurs.
- Tu t'es disputé avec Katsuki ? s'enquit Shota dès qu'ils furent sur le palier.
- Oui, confirma Izuku avec une moue boudeuse. Il a dit des trucs méchants sur Ochaco et Tsuyu.
- Tu crois qu'il les pensait vraiment ces choses méchantes ? reprit Shota.
La moue d'Izuku s'accentua avant qu'il ne secoue négativement la tête.
- Pourquoi il a dit ça d'après toi ? reprit Shota.
- J'en sais rien moi, pesta Izuku. Parce que ça l'amuse ?
- Tu crois pas que c'est pour autre chose ? insista Shota.
Voyant à l'expression d'incompréhension d'Izuku qu'il ne voyait pas où Shota voulait en venir, ce dernier se décida à expliquer.
- Keigo m'a dit que tu avais passé la journée avec Ochaco et Tsuyu.
- Oui, mais Kacchan a passé sa journée avec Jiro et Mina ! protesta Izuku.
- Donc vous avez passé la journée séparés, conclut Shota. Izuku, tu sais que Katsuki n'aime pas que vous soyez séparés trop longtemps.
- J'aime pas ça non plus, assura Izuku. Mais Ochaco et Tsuyu voulaient que je vienne avec elles.
- Et pas Katsuki ?
- Si, aussi, admit Izuku.
- Tu sais, je crois que Katsuki a été jaloux que tu préfères passer du temps avec les filles plutôt qu'avec lui. Et, il a dit des choses méchantes parce qu'il était vexé.
- Oh... souffla Izuku, semblant soudainement comprendre.
- Je viens de le voir, avoua Shota en baissant d'un ton pour n'être entendu que de son interlocuteur. Il pleure et il pense que tu le déteste.
A peine eut-il fini sa phrase qu'Izuku décampa, se précipitant dans sa chambre en criant un "Kacchan !" éperdu d'affolement. Depuis le palier, Shota sourit en entendant les deux garçons se réconcilier, dans la pièce juste derrière lui, l'un promettant à l'autre qu'il ne le détestait pas et l'autre s'excusant de s'être moqué des filles. Tout s'arrangeait. Un rire mauvais perça à travers le mur du palier du second étage dans lequel était encastré un placard.
Fronçant les sourcils, il donna un léger coup sur le mur, grognant un "Tiens toi tranquille !" autoritaire. Seul le silence lui répondit et Shota soupira, soulagé. Himiko ne semblait pas vouloir faire des siennes. Il pouvait peut-être espérer passer un week-end paisible. Enfin aussi paisible que pouvaient l'être des journées passées dans une maison hantée par une vingtaine de gamins. Surtout qu'il devait absolument s'occuper de dégripper les volets de la salle à manger, ceux-ci devenant de plus en plus difficiles à fermer et ouvrir.
A suivre...
Commentaire de Lili :
Alors voilà, j'ai posé le décor de cette petite histoire d'Halloween.
J'espère que ça vous plait.
Bureau des plaintes et réclamations des personnages martyrisés :
Dépité, Aizawa soupire lourdement.
- Tu sais, ça me convenait très bien de n'être qu'un personnage secondaire dans tes histoires, hein ?
- Je t'adore, explique Lili. Évidemment qu'un jour, j'allais te mettre dans le rôle principal !
- Je ne suis pas sûr d'être fan de l'idée, se désole Aizawa. Je sens que je vais être épuisé.
- Je ne vois absolument pas pourquoi tu dis ça, riposte Lili avec un air empreint d'innocence.
- Parce que tu m'as collé dans les pattes une vingtaine de gamins fantomatiques ? suggère Aizawa.
- Oh... si c'est que ça qui t'inquiète... ça ira, rassure toi, sourit machiavéliquement Lili.
Prudemment, Aizawa décide d'effectuer une retraite stratégique. Voyant Dabi avec un livre dans les mains, il lui souffle :
- Tu sais où elle a eu cette idée d'histoire ?
- En lisant ce bouquin, marmonne Dabi en agitant son roman.
- Et ? s'enquit Aizawa.
- J'ai peur, avoua Dabi.
Décidant que si même un psychopathe comme Dabi en avait peur, il est donc préférable pour lui de ne rien savoir de la suite de cette aventure. Aizawa sort son sac de couchage jaune et s'y faufile, bien décidé à dormir jusqu'à ce que Lili ait posé le point final de sa fic. Et il se jure bien qu'il n'en lira pas un mot, pas un.
Dans le prochain chapitre, Chapitre 2 : Plonger en eaux troubles.
- Pourquoi tu as un plaid ?
- Je disais que ce serait sympa d'aller boire un verre ensemble en sortant du boulot.
- Je me suis pété le nez sur la porte.
