Note de l'auteure : Le grand soir arrive ! Shota survivra-t-il ?

Bonne lecture,

Lili.


~ 4. Soir de pleine lune.~

Un lourd silence s'abattit sur le groupe, pourtant composé de vingt deux personnes, dont vingt fantômes, réuni dans la cour avant de la demeure.

- Satan ? Carrément ? s'horrifia finalement Kyoka.

- Un temple satanique, corrigea Naomasa. Ce type de temples peut servir à invoquer n'importe quel démon. C'est le rituel qui importe.

- D'accord, souffla Keigo. Et ce temple satanique, il se trouverait où exactement ?

- Sous la maison, assura Naomasa.

- La cave, intervint Shota. Il y a un trou dans le sol du couloir et, sous la chape de béton, il y a quelque chose d'autre, en pierre, avec des gravures.

- Ça pourrait être ça. Il faudrait vérifier, admit Naomasa.

Shota s'apprêta à proposer d'y aller immédiatement, mais Tenya lui coupa l'herbe sous le pied, posant une toute autre question :

- Et le rituel ? A-t-on la moindre idée de quel rituel a été utilisé ?

- Oui, sourit Naomasa, grâce à Shota et ses rêves... étranges. Tout indique qu'il s'agit du démon Annonoth. Il prend possession de ses victimes à l'approche de la pleine lune d'Halloween et les pousse à commettre des atrocités. Si la seule personne accessible est le possédé lui-même, le démon le pousse au suicide. Je pense que c'est à cause de lui qu'il y a eu tant de drames dans cette maison.

- Mon père n'a jamais eu besoin d'une influence démoniaque pour être un enfoiré, grogna Touya.

- Je sais que ma question est indiscrète, avoua Naomasa, mais que s'est-il passé le soir de votre... mort ?

- Ce connard avait des vues sur Shoto depuis quelques mois, répondit Touya d'un ton rageur. J'ai réussi à protéger Shoto de lui. Mais ce soir-là, cet enfoiré a tenté de me buter. On s'est battus et il est tombé dans la cheminée allumée. Il s'est relevé et nous a couru après dans toute la maison. Et comme il était couvert de flammes, il a mis le feu à toute la maison. Je l'ai achevé en lui plantant un couteau en plein cœur, mais il était trop tard pour nous aussi. L'incendie était trop important, on n'a pas pu sortir à temps de la maison et on est mort ce soir-là.

- Je vois, réfléchit Naomasa. Votre père était donc le vaisseau. Et, en tuant le vaisseau, vous avez renvoyé Annonoth dans une espèce d'entre-deux. Pas vraiment ici, et pas vraiment en enfer non plus. Il attend une ouverture, une âme à prendre, ce qu'il ne peut faire qu'à cette période précise grâce aux forces mystiques liées à la pleine lune conjuguées à celles liées à la nuit d'Halloween.

- Pour nous, c'est la directrice de l'orphelinat, Chiyo Shuzenji, qui a déclenché l'incendie, intervint Keigo. Elle n'y a pas survécu elle non plus. D'après ce que j'ai vu, elle est morte la tête écrasée par des pierres quand la maison s'est écroulée.

- On l'a vue, juste avant qu'elle nous brûle, renchérit Katsuki. Elle était couverte de flammes et on avait l'impression qu'elle les contrôlait.

Tout en prenant frénétiquement des notes, se servant du capot de sa voiture comme support pour écrire, Naomasa hocha la tête, marmonnant que tout ceci était très intéressant et correspondait parfaitement à ce qu'il pensait. Debout, un peu en retrait, adossé contre l'arrière de la citadine bleue de son invité, Shota écouta attentivement, luttant contre des sentiments mitigés. Une part de lui se réjouissait de la collaboration entre Naomasa et les fantômes, espérant que tout cela mènerait à trouver une solution pour éradiquer ce démon qui non seulement le retenait prisonnier sous son propre toit mais se servait de son corps contre son gré.

Mais à l'arrière de son crâne, une voix d'outre tombe lui susurrait que tout ceci était vain, que rien ne pourrait le sauver, que bientôt il lui appartiendrait corps et âme. Et ces pensées effrayaient Shota. Elles étaient la preuve que le démon était là, qu'il écoutait tout, et qu'il ne laisserait rien ni personne se mettre en travers de son chemin. C'était une lutte contre lui-même, mais comment cacher la moindre information à une entité vivant dans sa propre tête ?

Au début, ce n'était que des bouffées de haine, des envies meurtrières, que Shota avait mis sur le compte de la fatigue, du stress, de l'incompréhension, et de ses cauchemars. Mais au fil des jours c'était comme s'il se retrouvait dépossédé de son propre esprit, une entité malveillante prenant de plus en plus de place. Il avait beau lutter contre, cette chose envahissait son âme sans faiblir, les sentiments du parasite prenant régulièrement le pas sur les siens. Les informations données par Naomasa, quelques minutes plus tôt, confirmaient ce qu'il soupçonnait déjà. Shota ne savait pas s'il était rassuré ou au contraire s'il aurait préféré apprendre qu'il était bel et bien fou à lier plutôt que posséder par un foutu démon.

Shota avait finalement découvert comment le trou dans le sol de sa cave était apparu, c'était bel et bien lui qui chaque nuit l'agrandissait. S'il ne souvenait de rien à son réveil, les faits étaient eux bien là, confirmés par les fantômes. Qu'avait-il fait d'autre durant ses crises de somnambulisme ? Avait-il fait plus grave que décapiter un innocent canari avec les dents ? Il était incapable de le savoir et ses colocataires ectoplasmiques n'avaient eux rien constatés d'autres.

Mais, de leurs propres aveux, ils préféraient rester dans leurs chambres, craignant de croiser Shota en pleine crise. Et Shota ne pouvait pas leur en vouloir. Pas alors qu'il ressentait la haine viscérale qu'inspiraient les jeunes fantômes au démon vivant en lui. Ce dernier haïssait les gosses ectoplasmiques avec une ferveur terrifiante. C'était à cause d'eux que ses plans avaient toujours échoués jusque là.

Touya, cet emmerdeur, avait osé tué son vaisseau alors qu'il était à deux doigts de réussir à en prendre totalement possession pour régner sur le monde. Touya n'avait pas non plus laissé les orphelins loqueteux être gentiment égorgés dans leurs sommeils comme il avait prévu de le faire initialement à travers cette vieille peau tenant ce refuge pour gamins délaissés. Et depuis, ces résidus de pourritures s'échinaient à essayer de faire fuir les occupants de la maison avant la date fatidique.

Il aurait pu régner sur ce monde depuis bien longtemps si le couple Aizawa n'avaient pas été une véritable horreur pour lui. Outre d'être de vrais bigots, accrochant ces merdes de crucifix dans toute la maison, ils s'étaient pris d'affection pour ces fils de putains restés dans ce monde malgré leurs morts. Mais cette année, ce serait différent. Cette année, il sortirait définitivement des limbes pour régner sur ce monde. Et rien de ce que tenterait la petite assemblée actuellement en plein conciliabule dans cette cour ne parviendrait à contrer ses plans.

La présence de Naomasa le ravissait. Il ferait un très bon sacrifice. Ce serait tellement facile de l'entraîner dans la cave pour lui montrer les restes du fameux temple. Tellement simple de l'inciter à se pencher au-dessus du trou creusé par ses soins. Un tel jeu d'enfant de l'égorger comme un porc pour faire couler son sang. Son sang empreint de la magie de ses ancêtres, ce sang qui le renforcerait et lui permettrait de sortir enfin au grand jour et d'asservir cette Terre n'attendant que lui, le Dieu de tous les vices !

Shota secoua violemment la tête, chassant les idées sanglantes qui le hantaient. Non, il ne tuerait pas Naomasa ! Non, il ne détestait pas les fantômes, bien au contraire. Il refusait de laisser ce démon prendre le dessus sur lui ! Il se battrait jusqu'au bout. Serrant les poings et les dents, Shota s'obligea à concentrer toute son attention sur son invité qui expliquait, grosso modo, le rituel d'invocation à ses fantomatiques colocataires attentifs.

- Le vaisseau est donc l'humain possédé ? C'est bien ça ? demanda Momo les sourcils froncés.

- Oui, confirma Naomasa. Je suppose qu'Enji Todoroki était le vaisseau, tout comme Chiyo Shuzenji, Me Toga et Seki Monoma.

- Et Jin était le vaisseau lui aussi, ajouta Keigo. Mais il a préféré se pendre que de faire du mal à quiconque. Enfin, c'est ce que je croyais, mais visiblement, c'est pas si simple.

- Il est plus probable qu'il y ait été poussé au suicide par le démon, admit Naomasa.

- Et donc, Touya, Shoto, Himiko, Neito et nous même étions les sacrifices ? s'enquit Tenya en remontant ses lunettes sur son nez d'un geste nerveux.

- C'est ça, répondit Naomasa avec un sourire d'excuse. Mais la plupart d'entre vous sont morts par le feu. Or le démon a besoin de sang, de beaucoup de sang pour passer totalement dans notre monde. Vos morts n'ont donc pas permis au démon de s'ancrer totalement dans son vaisseau et la mort, ou le départ de la propriété, de ce dernier l'a renvoyé dans les limbes. Tant qu'il n'a pas totalement pris possession de son vaisseau, il est lui aussi cantonné entre ses murs.

- Donc, il suffirait d'être sûr qu'il n'y ai personne pouvant saigner ce soir là dans la maison, non ? proposa Ochaco d'une petite voix.

- Ça pourrait fonctionner ? se réjouit d'avance Denki.

- Il y a deux problèmes par rapport à ça, avoua Naomasa. Le premier, c'est la quantité de sang versé dans cette maison au fil des ans. Le démon s'en est nourri, même s'il ne pouvait pas se manifester. Chaque goutte de sang versée dans cette demeure l'a renforcé. J'ai bien peur qu'il ne lui manque plus grand chose pour avoir la dose voulue qui lui permettrait de quitter définitivement les limbes en possédant quelqu'un pour de bon. Et Shota est coincé ici.

Les plus jeunes frissonnèrent d'effroi pendant que les plus âgés se rembrunirent, faisant ricaner le démon tapis dans l'esprit du propriétaire des lieux. Ce Tsukauchi était finalement mieux renseigné qu'il ne l'avait cru au premier abord. Son sacrifice n'en serait que plus parfait.

- Le second, intervint alors Shota en secouant la tête pour chasser les pensées parasites. C'est qu'au vu de l'évolution de vos corps de ces derniers jours, le soir de la pleine lune, vous serez pratiquement vivants et vous pourrez tous saigner abondamment.

- C'est vrai, se catastropha Eijiro. Denki s'est écorché l'autre jour et il a saigné !

Le vent de terreur pure qui souffla sur la petite assemblée fit hurler de plaisir le démon enfoui au fin fond de l'esprit de Shota. Sa délivrance était proche ! Si proche ! Il se délecterait de leur peur, de leur mort... Enfin, il serait débarrassé de cette insupportable marmaille.

- J'ai peur, avoua Eri en se blottissant dans les bras d'Hanta. Je ne veux pas mourir encore une fois !

- On va tout faire pour que ça n'arrive pas, promit Naomasa d'un ton empreint de certitudes. Avec toutes les informations que j'ai, je pense pouvoir trouver comment contrer le démon et cette fois le renvoyer en enfer, loin d'ici, une bonne fois pour toute.

Quand Naomasa quitta la maison une bonne demi-heure plus tard, non sans avoir visionné les photos de la cave, prise par Shota, pour voir le fameux trou et les pierres gravées dedans, il était aussi inquiet que ravi. Ravi, parce qu'il avait pu largement avancer dans ses recherches grâce à l'aide des fantômes et quitter la propriété sans encombre. Inquiet, parce que Shota Aizawa n'était plus vraiment lui-même et que même lui pouvait le voir.

Un peu plus tôt, il avait vu les longs cheveux bruns de Shota se dresser sur sa tête telles des flammes noires d'une manière tout sauf naturelle. Et ses iris, aussi sombres qu'une nuit sans lune, étaient parfois habités de lueurs rougeoyantes de bien mauvais augure. Si le démon était déjà ancré dans Shota, alors le contrer serait bien plus difficile. Comment monter un plan pour abattre un ennemi qui connaissait déjà ledit plan ?

~oOo~

- Il creuse encore, souffla Keigo en jetant un œil dans l'escalier descendant vers la cave.

- A ce rythme, il déterrera le temple à temps, grogna Touya tendu.

Keigo se passa une main tremblante sur le visage, essayant de faire abstraction des bruits de pioches montant du sous-sol. Même s'il refusait de l'admettre à voix haute, il avait un très mauvais pressentiment. Le démon semblait bien plus fort cette année que les fois précédentes.

Ses comparses et lui avaient toujours tenté d'éviter les drames aux occupants de la maison lors des pleines lunes d'Halloween précédentes. Si la famille Monoma avait simplement hurlé en voyant un fantôme apparaître devant eux, restant sourds à toute tentative de discussion, leur jardinier, Chiba Yuko, avait lui pris très au sérieux les avertissements de Keigo et Tenya. C'était lui qui avait arrêté le massacre débuté par l'aîné de la fratrie, Seki. Neito avait été son unique victime.

Seyama Toga avait été bien plus difficile à convaincre, finissant par croire, non sans réticences, les recommandations inlassablement répétées par Eri et Eijiro. Il avait réussi à maîtriser sa femme, mais pas avant qu'elle n'assassine leur fille unique. Keigo avait énormément craint la réaction du couple Aizawa à leur présence dans leur maison, surtout après les avoir vu accrocher des crucifixs partout dans la demeure. Ça avait été un réel soulagement que le couple, très pieux, les acceptent sans broncher et suivent sans discuter leurs suggestions de quitter leur foyer durant un mois entier les années fatidiques.

L'arrivée de Shota ne s'était pas déroulée sans heurt, Katsuki sautant à la gorge du nouveau venu pour une sombre histoire de rideaux. Mais, malgré une première rencontre mouvementée, Shota avait finalement plutôt bien pris la chose, et la cohabitation se passait très bien. Du moins, jusqu'à maintenant.

- Qu'en dit Twice ? demanda Tenya sortant Keigo de ses pensées.

- Il sent le démon tout proche, soupira Eijiro. Rien de bon quoi…

Les quatre fantômes échangèrent un regard entendu. Oui, Shota était de moins en moins lui-même ces derniers temps, sujet à des crises de violence où il pouvait tout casser autour de lui, êtres vivants ou non. La veille, après le départ de Naomasa, il avait dévasté la véranda, jetant les pots de plantes contre le sol et les piétinant en riant comme un dément. Hitoshi était inconsolable, aucune plante ou fleur n'ayant survécu au massacre.

Et Shota était de plus en plus sujet à des crises de somnambulisme inquiétantes. Les croix de Léviathan et autres symboles mystiques se répandaient dans toute la maison, gravés à même le bois, peints sur la pierre avec la peinture de Momo ou du sang dont personne ne voulait connaitre la provenance. Et chaque nuit, il descendait à la cave, agrandir l'accès aux restes du temple satanique. Qu'il ne se souvienne jamais de ce qu'il faisait dans ces moments-là ne changeait rien aux faits.

- Vous croyez vraiment qu'il existe un moyen de se débarrasser du démon ? reprit Eijiro d'un ton défaitiste.

- Allez, sourit Keigo. On en a plus appris sur tout ce bordel en quelques jours qu'en plus d'un siècle. Je suis certain que Naomasa trouvera une solution.

Un silence dubitatif suivit sa déclaration, tous conscients que tous leurs espoirs reposaient sur les épaules du botaniste, Shota ne pouvant plus être d'un grand secours dans l'état actuel des choses.

Tous avaient remarqué les lueurs d'un rouge infernal dans les yeux noirs du propriétaire des lieux. Tous avaient aussi remarqué ces moments où les cheveux noirs se dressaient vers le ciel, comme animés d'une volonté propre. Et personne n'avait de doute quant à la cause de tout ceci : Shota était habité par le démon Annonoth et ce dernier avait de plus en plus d'emprise sur son vaisseau.

- Le vrai problème c'est comment faire pour que Shota ne connaisse pas cette solution ? grogna Touya. S'il le sait, c'est foutu !

- Idéalement, il faudrait pouvoir parler à Naomasa sans que Shota ait le moindre moyen de nous écouter, fit remarquer Tenya.

- J'ai une idée ! sourit Eijiro. Pour une fois, Himiko et Neito pourraient être utiles !

~oOo~

Naomasa sonna au portail, réfléchissant encore et encore aux résultats de ses recherches acharnées. Il y avait passé ses journées et ses nuits, sacrifiant son sommeil, dans l'unique but de chercher comment vaincre Annonoth une bonne fois pour toutes. Il avait découvert que sa grand-mère avait tenté de trouver une solution pour se débarrasser du démon sans faire disparaître les petits fantômes, probablement suite à sa dispute avec son amie, Rita Aizawa. Il avait finalement réussi à établir un rituel, en se basant sur les recherches de son ancêtre. C'était complexe et ne lui plaisait que moyennement. Mais le temps était compté et il en avait parfaitement conscience.

On était le vingt-neuf octobre. Il ne restait donc que deux jours avant la date fatidique. Il n'avait plus le temps de trouver autre chose. Il fallait que ça marche ! C'était leur seule solution. Le portail s'ouvrit et il fit avancer sa voiture dans la cour gravillonnée, non sans une certaine appréhension. Il se gara devant le garage et sortit de sa petite citadine bleue. Naomasa ouvrit le coffre pour en sortir sa valise, ayant prévu de rester dans la demeure jusqu'au jour J, avec l'accord de Shota. Il savait qu'il se jetait dans la gueule du loup et espérait juste ressortir vivant de tout ceci.

Même sans être présent dans la demeure et en n'ayant que des échanges téléphoniques, par appel ou pas SMS, avec Shota, Naomasa avait senti le démon prendre de plus en plus le pas sur l'homme calme et posé qu'il avait rencontré dans sa boutique. Et les rares moments où il avait pu parler avec les fantômes lui laissait supposer que l'ambiance à la maison était devenue pesante et mortifère. Ce n'était donc pas sans de nombreuses inquiétudes qu'il venait ce soir.

Bien conscient des risques qu'il prenait, le démon pouvait s'en prendre à lui et le sacrifier si le rituel d'exorcisme échouait, il avait élaboré un plan B lui permettant de fuir la bâtisse en cas de problème. Il avait aussi pris toutes les précautions nécessaires dans sa vie privée, anticipant une possible mort prématurée. Sa mère n'avait d'ailleurs pas été ravie qu'il se mette ainsi en danger, son neveu non plus. Mais Naomasa avait promis à sa grand-mère agonisante d'aider quiconque viendrait le solliciter pour la maison située au bout de la rue des jonquilles. Cette même demeure qui serait peut-être son tombeau. Il espérait vraiment que son rituel fonctionne.

Shota s'avança vers lui, un sourire mauvais étirant ses lèvres, le saluant d'une voix suave et dangereuse. Naomasa frissonna mais se garda bien de montrer quoique ce soit, saluant son hôte comme si de rien n'était. Comme il s'en doutait, le démon avait de plus en plus d'emprise sur son vaisseau. Keigo l'avait rapidement appelé la veille pour le prévenir de l'évolution des choses au sein de la demeure, confirmant ses craintes, mais le jeune homme de vingt ans n'avait pas pu s'attarder, Shota arrivant alors pour lui arracher le téléphone des mains.

D'après ce qu'il avait entendu de son côté de la ligne, Keigo avait dû prendre quelques coups avant que le téléphone ne décède en un sifflement strident qui avait quasiment percé le tympan de Naomasa. Il espéra que Keigo allait bien, mais n'osa pas poser la question quand Shota l'accompagna dans la maison. Naomasa ne put retenir une grimace tant l'ambiance de la maison était malaisante, et dut se retenir de toutes ses forces pour ne pas fuir en courant.

- Keigo te laisse sa chambre, l'informa Shota en le précédant dans l'escalier.

- Oh ! C'est très gentil merci, sourit Naomasa, en essayant de ne pas paraître trop crispé. Mais il va dormir où ?

- Avec Touya et Shoto, répondit platement Shota.

Naomasa hocha simplement la tête, troublé par le silence pesant de la demeure. Aucun bruit, aucune présence... Comme si tous les occupants des lieux l'avaient déserté. Seul le tic-tac de l'antique horloge trônant fièrement dans le couloir central de la maison résonnait dans cette atmosphère digne d'un caveau mortuaire.

- Où sont tes colocataires d'ailleurs ? finit-il par demander en arrivant au second étage.

- Dans leurs chambres, grogna Shota, un air de satisfaction sadique illuminant son visage. Ils sont consignés. Ils ne font que des conneries en ce moment, c'est insupportable ! Et après, ils se plaignent que je les corrige ! Bande de sales gosses !

Le ton et le discours correspondaient si peu à Shota Aizawa que Naomasa n'eut pas besoin de voir la longue chevelure brune se dresser vers le ciel et les yeux noirs virer au rouge pour savoir que c'était le démon qui parlait. S'il n'avait pas vraiment eu l'occasion de le voir de ses propres yeux, Naomasa était sûr que Shota était très attaché à toute cette marmaille fantomatique. Lui-même les trouvait très attachant tous ces mômes, ayant pu faire un peu plus ample connaissance avec eux lors de sa visite précédente. Après tout, ce n'était que des gamins, fantomatiques certes, mais des gamins quand même.

Laissé seul dans la petite chambre mansardée, Naomasa posa sa valise sur le lit étroit installé dans la pièce, l'ouvrant pour en sortir quelques affaires, tout en réfléchissant. Que les fantômes soient consignés dans leurs chambres ne l'arrangeait pas du tout. Il devait trouver un moyen de leur parler sans que Shota ne soit présent. Il était primordial que ce dernier ne sache pas tout du rituel, le démon en aurait alors forcément connaissance et le ferait capoter. Mais comment faire pour communiquer avec les ectoplasmes qui auraient tous un rôle capital dans ledit rituel ?

- Pssst !

Le sifflement le fit sursauter et Naomasa se retourna vers la porte ouverte de sa chambre.

- Pssst !

- Hey ! Le vieux !

- Chuuuttt ! Kacchan !

- Quoi ?! Il n'entend pas !

Devinant sans mal l'identité des deux gamins l'appelant, Naomasa sortit de sa chambre, s'assurant d'un rapide coup d'œil que Shota n'était pas dans les environs. Mais il n'y avait personne sur le palier. Juste des portes closes et ce silence pesant.

- Pssst ! Ici ! En face !

- Il peut pas te voir, crétin !

- Je sais Kacchan, c'est pour ça que...

- Katsuki ? Izuku ? chuchota Naomasa coupant court au début de dispute.

D'un pas prudent, tout en s'assurant que Shota n'arrivait pas pour x ou y raisons, il s'avança jusqu'à la porte d'où provenaient ces appels.

- Ouais, ici !

- Tiens !

Un papier plié glissa jusqu'à ses pieds et il s'empressa de le ramasser et de l'ouvrir.

Le code du placard d'Himiko c'est 071708. Ouvre lui.
Va dans la véranda et restes y !

Naomasa sourit, sentant le poids de ses inquiétudes diminuer un peu. Visiblement les petits fantômes avaient eux aussi conscience de la nécessité de tenir Shota le plus possible dans l'ignorance. Et ils avaient un plan. Ledit plan avait cependant une faille de taille, que Naomasa s'empressa de signaler en un chuchotis qu'il espéra discret.

- Ok, mais où est le placard d'Himiko ?

- Derrière toi, répondit Izuku à travers la porte close.

- Sur le palier, ajouta Katsuki.

Se tournant, Naomasa remarqua alors le digicode posé sur une porte discrètement intégrée dans le mur du fond du palier où il se trouvait. C'était du bel ouvrage, le digicode et la porte qu'il scellait se fondant parfaitement dans le mur.

- Maintenant ? demanda-t-il à ses deux complices.

- Oui !

- On gère la suite, t'inquiète ! Mais magne toi de descendre après avoir ouvert !

- Ok.

Jetant un coup d'œil par-dessus la rampe de l'un des escaliers, Naomasa s'assura que Shota ne montait pas, avant de taper rapidement le code donné. Le déclic de la porte lui indiqua la réussite de sa manœuvre et il s'empressa de descendre, comptant sur Himiko pour sortir seule de son placard. Arrivé au rez de chaussée, il se dirigea vers la véranda, jetant frénétiquement des coups d'œil soucieux tout autour de lui, ne pouvant s'empêcher de craindre qu'un démon surgisse de chaque recoin sombre qu'il croisa.

Il trouva finalement Shota dans la véranda avec Keigo et Touya. Prenant sur lui pour avoir l'air le plus naturel et détendu possible, Naomasa salua joyeusement les deux jeunes hommes, retenant à la dernière seconde un hoquet d'horreur en découvrant le visage couvert de bleus du plus blond.

- Keigo ? s'affola-t-il. Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

- Je suis tombé dans les escaliers, lui assura Keigo avec une moue désolée qui se transforma en un tic douloureux.

La pointe de culpabilité que Naomasa perçut dans les yeux noirs de Shota le rassura un peu. Le démon n'avait pas encore une emprise totale sur lui si Shota culpabilisait. Il allait ouvrir la bouche pour parler quand une voix criarde résonna dans toute la demeure, chantant à pleins poumons :

- Libérée ! Délivrée ! Désormais, plus rien ne m'arrête ! Libérée ! Délivrée ! C'est décidé je vais vous faire votre fête !

Les cheveux de Shota se dressèrent brusquement sur sa tête, ses yeux noirs virant au rouge sang, et il rugit :

- Tu ne vas tuer personne, sale petite pétasse !

Il s'élança hors de la véranda, visiblement bien décidé à attraper la blonde psychopathe. Un rire démentiel rejoignit le chant d'Himiko et Shota rugit un "Neito, espèce de sale petite merde".

- Vite, souffla Keigo précipitamment, on a pas beaucoup de temps avant qu'il revienne.

- Tu as trouvé une solution ? le pressa Touya.

- Oui, confirma Naomasa en sortant de la poche arrière de son pantalon un papier soigneusement plié, conscient que le temps leur était compté. C'est pas l'idéal mais je pense que ça sera faisable.

Heureusement qu'il avait pensé à tout mettre par écrit, il n'avait clairement pas le temps de tout expliquer aux deux fantômes les plus âgés avant que Shota ne revienne.

- C'est quoi pas idéal ? demanda Touya pendant que Keigo prenait le papier et le cachait précipitamment dans l'une de ses poches.

- Il faudra sacrifier Himiko et Neito, et je ne pense pas que cela posera problème à Shota. Mais... commença à expliquer rapidement Naomasa.

- Mais c'est surtout pour les emmener sur les lieux, comprit Touya. Ça, t'inquiète on s'en chargera. Autre chose ?

- J'ai tout noté et expliqué au mieux à l'écrit, souffla Naomasa. Lisez ça rapidement pour qu'on puisse en discuter. Je ferai diversion pour que vous puissiez tout expliquer aux autres, sans que Shota le sache. Vous avez tous un rôle à jouer.

- Ok, assura Keigo. Tu es bien dans ma chambre, hein ?

- Oui.

- Parfait, on pourra facilement s'y retrouver le soir. Shota passe ses nuits à creuser dans la cave, il ne se rendra compte de rien, affirma Keigo.

- Et Twice le surveillera pour nous, ajouta Touya. Si Twice hurle, c'est que Shota remonte de la cave.

Les cris d'Himiko et de Neito se turent, signe que Shota les avait à nouveau enfermés. Naomasa posa alors son cahier vert sur la table où trônait précédemment des plantes, l'ouvrant à la page voulue. D'un regard, il fit comprendre à ses deux complices que tout ce qui suivrait ne serait que de la comédie, et ceux-ci hochèrent la tête en signe d'accord. Shota revint et demanda immédiatement au botaniste où il en était de ses recherches. Naomasa sourit et se lança dans des explications alambiquées et surtout totalement fausses. Pourvu que la duperie fonctionne !

~oOo~

Denki frissonna d'angoisse, tendant l'oreille pour percevoir les coups de pioche résonnant dans toute la demeure depuis le sous-sol.

- Ça va marcher, hein ? souffla-t-il, inquiet.

- Les ténèbres sont difficiles à vaincre, répondit Fumikage. Mais la lumière en vient toujours à bout.

- C'est pas rassurant du tout ça, geignit Denki.

- C'est prêt, annonça Koda d'une voix timide.

Les trois garçons échangèrent un regard effrayé mais déterminé, puis s'installèrent chacun à la pointe du symbole triangulaire tracé à la craie sur le parquet.

- On arrivera à faire disparaître ça avant demain matin ? s'inquiéta Denki en désignant du menton les traits blancs.

- Momo m'a donné ce qu'il faut, lui assura Koda.

Un lourd silence s'abattit dans la pièce, les fantômes, devenus tangibles, attendant l'heure fatidique. Enfin, l'antique horloge du salon sonna, chaque coup semblant résonner dans chaque mur de la demeure.

Un...

Denki s'entailla la paume gauche.

Deux...

Fumikage l'imita.

Trois...

Ce fut au tour de Koda.

Quatre...

Ils joignirent leurs mains ensanglantées au-dessus du bol en argent posé au centre du symbole.

Cinq...

Leurs sangs mêlés tombèrent sur les cheveux noirs tâchés d'hémoglobine déjà présents dans le bol.

Six...

Ils scandèrent en chœur la phrase latine que Naomasa leur avait soigneusement écrite sur un bout de papier.

Sept...

Ils répétèrent la formule, leurs sangs tombant toujours de leurs mains liées.

Huit...

Une lumière grossit depuis le cœur de leurs paumes réunies.

Neuf...

La lumière se divisa en trois faisceaux d'une blancheur pure.

Dix...

Les jets lumineux atteignirent les trois garçons en plein cœur.

Onze...

Un dôme de lumière se forma autour de Denki, Koda et Fumikage.

Douze...

Le dôme rétrécit pour disparaître dans le bol.

Puis tout s'arrêta.

Le silence reprit ses droits, seulement entrecoupé des coups de pioches provenant du sous-sol et par les respirations haletantes des trois garçons.

- Ça a marché, vous croyez ? souffla Fumikage d'un ton inquiet.

- J'espère, soupira Denki. J'ai mal à la main maintenant.

- On saura ça la nuit prochaine, répondit Koda, sa voix tremblante d'émotions.

- Il faut que ça ait marché ! pleurnicha Denki. Je veux pas que ça marche pas !

- Nous non plus, admit Fumikage.

Pendant que Koda, le plus discret des trois, sortait de la chambre pour aller donner le bol d'argent et son contenant à Naomasa, Denki et Fumikage s'attelèrent à faire disparaître au plus vite toutes les traces de leur rituel. Si Shota voyait quoi que ce soit d'anormal quand il viendrait les voir le lendemain matin, ils auraient de sérieux ennuis avec le démon hantant le propriétaire des lieux.

Dans chaque chambre, la même scène s'était produite au même moment. Par groupes de trois, les petits fantômes avaient tous fait le même rituel, les mêmes gestes, dit les mêmes mots, tous, exactement au même moment. Seuls Touya et Keigo n'avaient volontairement pas participé, n'en restant que spectateurs, veillant à ce que le trio formé par Katsuki, Izuku et Shoto, suive bien les consignes données. Dans sa chambre, Naomasa revoyait encore et encore les derniers détails de son plan, priant intérieurement pour que tout se passe bien. Au sous-sol, ses longs cheveux noirs volant tels des flammes autour de son visage couvert de sueur, Shota creusait inlassablement le sol, finissant de dégager les restes de la table sacrificielle qui y avait été profondément enfouie.

~oOo~

C'était horrible de ne plus se sentir soi-même. Shota se débattit encore une fois contre le démon, celui-ci ayant de plus en plus d'emprise sur son esprit. Il avait beau le repousser, il était toujours là, prenant de plus en plus de place, repoussant son âme harassée au fin fond des ténèbres, le rendant spectateur silencieux des vices perpétrés par l'immonde engeance qui prenait sa place. Shota jeta un regard épuisé vers la fenêtre, voyant la lune commençant à pointer le bout de son nez. Elle était pleine. On était le trente et un octobre. Ce soir... Ce soir, ce serait la fin... pour lui... ou pour l'autre.

Il était fatigué, tellement fatigué. Il avait l'impression de lutter chaque seconde depuis des semaines maintenant, son esprit ne prenant jamais de véritable repos. Ce serait si simple de faire cesser cette torture, si simple... Il n'avait qu'à s'abandonner à lui, le laisser prendre sa place... Il pourrait alors dormir tout son saoul, sans jamais être réveillé par un cauchemar. Shota se rebella contre la voix sirupeuse qui lui soufflait que se battre ainsi était vain. Non ! Il devait tenir encore un peu... Si seulement il pouvait dormir... rien qu'un chouia.

- Tout va bien Shota ?

La voix de Naomasa attira son attention sur son parfait sacrifice. Le parfait vaisseau... et le parfait sacrifice ! Cette nuit serait SA nuit ! Cette lune serait celle éclairant enfin son ascension !

- Tout va bien, sourit machiavéliquement Shota.

- Tu te souviens de ce que tu dois faire, hein ? s'inquiéta Naomasa, les sourcils froncés par l'inquiétude.

Annonoth éclata de rire. Oh que oui ! Il s'en souvenait ! Si ce petit exorciste en herbe savait à quel point son plan arrangeait le sien ! Ce pauvre type n'avait visiblement pas hérité des connaissances de sa grand-mère. La vieille peau aurait pu le chasser définitivement. Par chance, Rita Aizawa était trop attachée aux gamins ectoplasmiques pour accepter leur disparition. Par chance, pour lui ! Ces gosses ne lui étaient d'aucune utilité ! Ils ne l'avaient jamais été de toute façon, juste des sales gamins insupportables qui étaient morts en son nom ! Leurs âmes lui appartenaient depuis longtemps déjà.

- La nuit tombe, annonça Touya d'un ton sombre. Il va falloir bientôt commencer.

- Oui, soupira Naomasa en se redressant. Je vais chercher mes affaires.

Shota observa avec un sourire satisfait le botaniste quitter la cuisine d'une démarche raide pour monter dans sa chambre. C'était parfait. Rien ne pourrait contrecarrer ses plans. A minuit, il serait enfin en pleine possession de son vaisseau et pourrait enfin répandre son emprise sur le monde.

- Je descends m'assurer que tout est en ordre, annonça-t-il, très satisfait de la tournure des choses.

Sans attendre de réponse, Shota quitta à son tour la cuisine, ignorant les regards soupçonneux de Keigo et Touya.

- Tu ouvriras à Twice, lui rappela le blond avec un sourire faussement enjoué.

D'un simple hochement de tête, Shota fit comprendre qu'il avait entendu.

Twice... Cet empêcheur de tourner en rond ! Shota se serait bien débarrassé de lui depuis longtemps, mais cet enquiquineur était toujours là. Enfin, ce soir, il le ferait disparaître comme tous les autres, absorbant leurs âmes volages pour de bon. Ces foutues âmes qu'il n'avait pas pu ingérer comme il le devait à cause des tentatives de sabotages de ses plans par cette bande de sales gosses. Mais Twice était le pire de tous ! Au moins, Enji Todoroki et Chiyo Shuzenji avaient-ils eu l'excuse de mourir contre leurs grés. Twice s'était suicidé lui ! Ce minable, ce faible !

Seki Monoma avait été parfait de bout en bout. Et s'il n'avait pas été arrêté par le jardinier, d'un grand coup de pelle derrière la tête, et emmené loin de cette maison par son père, il aurait pu mener à bien ses desseins. Il en avait été de même avec Usui Toga. Sans l'intervention musclée de son mari et son internement dans un asile, nul doute qu'elle aurait pu le faire revenir. Mais finalement, ces contretemps avaient été une bonne chose. Aujourd'hui, il aurait plus d'âmes à absorber... Il serait plus fort encore ! Et cerise sur le gâteau, il se débarrasserait enfin et une bonne fois pour toute des emmerdeurs ectoplasmiques. C'était parfait !

Arrivé dans le couloir du sous-sol, Shota jeta un regard hautement suffisant au trou dévoilant le dessus de la table sacrificielle. Il contourna soigneusement le cercle tracé à la craie tout autour, avec divers symboles à sa gloire, et parsemé de pierres énergétiques. Avec empressement, il défit les verrous et ouvrit la porte derrière laquelle se terrait Twice.

- Ça va être l'heure ! claqua-t-il, pressé d'en finir.

Il avait tout un monde à asservir, et plus tôt il commencerait, plus vite ce serait fait.

- Bien, souffla doucement Twice en se redressant du sol où il était assis, un drap à la blancheur douteuse le recouvrant.

Shota sortit un briquet de sa poche et entreprit d'allumer les bougies savamment disséminées tout autour du cercle au centre du couloir de la cave.

- Rends toi utile et mets toi au milieu, ordonna Shota d'un ton sec en voyant que Twice se tenait bêtement et inutilement sur le pas de la porte de ce qui lui servait de chambre.

En silence, Twice alla se placer au centre du cercle, au milieu de la table sacrificielle, se tenant debout, immobile et silencieux.

- Tu comptes garder ton foutu drap ? s'agaça Shota en allumant les dernières bougies.

- Je me sens mieux avec, répondit posément Twice.

- Ridicule, se moqua l'homme possédé.

Twice ne répondit rien, restant immobile tout en observant le démon œuvrant autour de lui. Parce que ce n'était plus Shota Aizawa qui se tenait près de lui, mais bel et bien le démon. Jamais Shota n'aurait frappé qui que ce soit, surtout pas au point de presque le défigurer comme il l'avait fait quelques jours plus tôt avec Keigo. Jamais Shota n'aurait enfermé les gamins dans leurs chambres, leur interdisant de sortir et les frappant durement s'ils désobéissaient. Non, Shota Aizawa était un homme bon et d'une patience infinie. Pas ce monstre d'autorité et de violence qui n'avait cessé de croître en son sein.

Des pas résonnèrent dans les escaliers et Twice vit arriver les autres occupants de la demeure, suivis de Naomasa. Tous portaient des capes rouges, toutes cousues par Momo et Tsuyu dans les antiques rideaux en velours retrouvés dans une malle du grenier. Tous, non... Neito et Himiko n'en portaient pas. Ils s'agitaient dans les bras de Keigo et Touya, des cordes solides les entravant efficacement et des baillons couvrant leurs cris de protestations. Twice ne frissonna pas, restant impassible.

Il était mort depuis longtemps et avait toujours eu conscience qu'il était en sursis. Si de son vivant, il avait écouté Keigo qui avait essayé de le prévenir, il ne serait pas là aujourd'hui. Rester enfermé dans la cave était autant sa pénitence que sa punition pour avoir laissé ce monstre le posséder. Il n'avait pas eu la force de le combattre, pas réellement eu l'envie non plus. Le démon lui promettait monts et merveilles, pourquoi aurait-il refusé ? Il avait fallu que le démon se retourne contre lui pour qu'il prenne conscience de la duplicité d'Annonoth.

Savoir que le couple Aizawa avaient, eux, pris très au sérieux la situation, désertant leur demeure pour ne laisser aucune marge de manœuvre au démon, l'avait profondément soulagé. Mais tout ceci allait prendre fin ce soir. Ce soir, il allait quitter définitivement ce monde. Il le savait parfaitement et il l'acceptait totalement. Toutes ces années n'étaient qu'un sursis. Il était temps que ça se termine et qu'il paye enfin pour sa faute. Il n'en serait pas là s' il avait su résister au démon et ne pas se laisser charmer par ses fausses promesses. Il était indéniablement responsable des forfaits que l'être démoniaque avait perpétré pendant qu'il le possédait.

Shota sentit une joie intense monter en lui en voyant arriver tout le monde, frisson presque jouissif lui hérissant l'échine à la simple pensée de ce qu'il allait advenir d'eux. Tous ces ectoplasmes inutiles disparaîtraient bientôt, pour que lui devienne enfin le Dieu de ce monde qui l'attendait depuis tant d'années ! D'un pas solennel, il s'avança jusqu'au centre du cercle, prenant place à côté de Twice en réceptionnant Neito que Touya lui balança sans douceur pendant que Twice récupérait Himiko. A l'extérieur des symboles écrits au sol, les vingt esprits se positionnèrent en cercle, leurs yeux enfantins brillants d'appréhension et de larmes plus ou moins contenues.

Pleurez pauvres gosses, songea Shota avec un ricanement mauvais. Vous avez eu un sursis dont vous avez suffisamment profité ! Ce soir... Ce sera votre fin ! Il les haïssait tellement ces mômes loqueteux, pauvres miséreux qui avaient plus leurs places dans le caniveau qu'au paradis. Ce soir, il les enverrait directement en enfer et rien que d'y penser, cela le faisait frémir d'un plaisir sadique.

Cachant ses sentiments jubilatoires, Shota se positionna face à Naomasa, lequel tenait dans ses mains un bol d'étain. Un peu en retrait du cercle formé par les fantômes, le botaniste demanda d'une voix grave :

- Tu es prêt ?

- Oui ! confirma Shota, non sans retenir un rire dément.

Il était plus que prêt ! Tout était parfait ! Il avait plus que hâte que le rituel commence ! Du coin de l'œil, il vit les autres se prendre par les mains, formant une ronde fermée. Dans son dos, il sentit Twice s'agiter, mais ne s'en formalisa pas, attendant le premier mot de Naomasa. Le mot qui signerait le début de son règne.

- A cælo usque ad centrum...

Deux bras puissants l'enserrèrent brusquement. Shota se débattit immédiatement en hurlant :

- NOOOOOOONNNNNN !

Ce n'était pas les bons mots ! Ce n'était pas le bon rituel ! Du coin de l'œil, il vit les enfants avancer leurs pieds gauches, masquant chacun un symbole précis du cercle.

- A mari usque ad mare...

Ces enfoirés ! Ils s'étaient joués de lui ! Ils voulaient le chasser définitivement de ce monde ! Le renvoyer en enfer ! Mais il ne se laisserait pas faire ! Hors de question ! Il se débattit autant contre Twice que contre l'esprit de son vaisseau qui se rebellait.

- Comment oses-tu me trahir encore une fois ? cracha-t-il à celui qui le retenait prisonnier dans ses bras. J'aurais pu tout t'offrir !

Twice ne répondit rien, se contentant de resserrer l'emprise de ses bras autour du corps de Shota. Il savait que c'était un mensonge de la part du démon. Tout lui offrir ? Mais il n'avait plus besoin de rien depuis longtemps. Il avait été trop faible pour résister face à Annonoth de son vivant. Mais ce soir, il ne faiblirait pas. Ce serait sa rédemption pour avoir laissé le monstre agir à sa guise. Il allait en enfer, ça il le savait déjà, mais il emporterait le démon avec lui. Il s'en était fait la promesse.

Shota était fatigué, épuisé de lutter encore et toujours contre l'emprise d'Annonoth sur son esprit. Il avait beau lutter, la puissance démoniaque était écrasante, monstrueuse, infaillible. Pourquoi lutter ? S'il cédait.. il pourrait dormir. Il n'aspirait qu'à ça, du repos. Un sanglot enfantin attira son attention et il frémit d'horreur en voyant Mina pleurer, un filet de sang coulant de son nez, ses mains s'accrochant désespérément à celles de Tenya et Ochaco, dans le même état qu'elle. Non, il ne pouvait pas abandonner ces gamins !

- Vous vous croyez malins, hein ? Cracha le démon en continuant à se débattre dans l'étreinte de Twice, sentant son vaisseau reprendre du poil de la bête. Mais êtes-vous prêts à payer le prix de votre rituel ?

Le prix ? Quel prix ? De quoi parlait Annonoth ? Jamais Naomasa n'avait parlé d'un prix à payer, s'affola intérieurement Shota.

- A divinis... A capite ad calcem...

- Oui ! assurèrent deux voix fortes et déterminées.

Sidéré, Shota tourna la tête, voyant Keigo et Touya quitter le cercle pour le rejoindre au centre. Les deux jeunes hommes aidèrent Twice à le maintenir et à garder Himiko et Neito eux-aussi au centre du cercle, les deux prisonniers tentant de ramper pour se sauver.

Non ! Non ! hurla intérieurement Shota. Pas Keigo ! Pas Touya ! Il était d'accord pour Himiko et Neito, Twice était volontaire ! Mais pas eux ! Il n'avait jamais été question d'eux ! Naomasa l'avait trahi, lui promettant qu'il pourrait garder ses enfants. Mensonge ! Quels autres mensonges le botaniste avait-il proféré ? Et dire qu'il lui avait fait totalement confiance, pauvre naïf qu'il était.

- Tou... Touya... pleura Shoto.

- Tu vas vraiment abandonner ton petit frère ? ricana Shota, voyant là une faille dans le plan de ses opposants dans laquelle il pourrait s'engouffrer pour leur échapper.

- Je sais qu'il sera entre de bonnes mains, assura Touya sans faiblir.

Oui, Touya acceptait de se sacrifier si cela permettait à son petit frère de rester en paix, loin de ce démon qui leur avait pourri l'existence au moins autant que leur ordure de père. Touya avait tout fait de son vivant pour préserver l'innocence de son cadet, culpabilisant de n'avoir pu sauver sa mère et sa sœur des immondes vices du chef de famille. Shoto était un petit ange, innocent de tout crime. Il méritait d'avoir enfin une vie paisible, bien qu'il soit mort. Et Touya faisait confiance à Shota pour prendre soin du petit garçon de six ans.

Au fil du temps, il avait appris à connaître et apprécier le propriétaire des lieux. Il l'avait vu jouer avec Eri, consoler Katsuki, rassurer Izuku, encourager Momo, rire avec Denki, discuter de tout et n'importe quoi avec Tsuyu. Il avait vu les petites attentions que Shota avait en permanence pour eux. Que ce soit les câlins de Mina, les extravagances de Yuga, les blagues d'Hanta, les doutes de Jiro, les discours sur la virilité d'Eijiro, ou les questions existentielles de Fumikage; Shota acceptait leurs particularités et gérait tout cela avec patience et douceur. Il achetait toujours tout ce dont Rikido avait besoin, remerciait toujours Tenya pour l'entretien de la cour, demandait toujours conseil à Hitoshi pour le jardinage. Il pouvait passer toute une nuit dehors, dans le froid, pour montrer les étoiles à Ochaco. Il soupirait lourdement après les animaux recueillis par Koda mais en prenait pourtant soin avec la plus grande attention.

Et Shoto n'échappait pas à la règle. Malgré les réticences de Touya et la nature craintive du garçonnet, Shota avait réussi à apprivoiser le plus jeune des deux frères, lui offrant des livres de contes et des jouets. Il n'avait rien forcé, laissant Shoto venir vers lui à son rythme, lui souriant doucement à chaque fois que le petit bonhomme lui parlait ou l'approchait de lui-même. Oui, son petit frère serait entre de bonnes mains avec Shota Aizawa.

- A falsis principiis proficisci...

Naomasa jeta le contenu du bol en étain vers lui, et Annonoth rugit, une vague de souffrance déferlant sur lui. Il avait l'impression qu'on lui arrachait les entrailles ! Bien malgré lui, son âme était aspirée hors du corps de son vaisseau, chassée par celles contenues dans ce foutu bol ! Les âmes des gamins ! C'était les âmes de ses victimes qui le chassaient ! C'était leurs souffrances qu'il endurait soudain !

Il s'accrocha de toutes ses forces, profitant sans vergogne des doutes de son vaisseau. Regarde-le cet exorciste de pacotille ! Il t'a menti ! Regarde les gamins autour de toi ! Ils vont tous mourir ce soir parce qu'il t'a dupé !

Si fatigué... Il était si fatigué de lutter... Pourquoi luttait-il encore ? Il allait tout perdre de toute façon. Naomasa lui avait menti... Il allait perdre ces gosses qu'il affectionnait tant... Voulait-il vraiment vivre dans cette grande maison vide de toute présence enfantine ? Voulait-il vraiment ne plus entendre leurs cris, leurs rires, leurs disputes, leurs chuchotements ? Comment allait-il faire pour supporter le silence, la solitude, la culpabilité... C'était sa faute ! C'était lui qui les avait menés à leur perte en faisant confiance à cet homme.

Non ! Ils resteront avec toi !

Shota ! Reste avec nous !

Ne le laisse pas gagner, putain !

Mensonge ! Mensonge !

C'est lui le menteur !

Ne l'écoute pas ! Ecoute nous !

Shota... je veux pas mourir !

Il ne comprenait plus les mots scandés de plus en plus fort par Naomasa et les enfants. Il n'entendait que le chant entêtant des flammes voulant le dévorer, les cris de ses congénères le rappelant à eux. Il sentit la fournaise infernale de son enfer natal, l'odeur de soufre de cet abîme dont il avait si difficilement réussi à s'extraire. NON ! NON ! Il refusait d'y retourner ! Il allait tuer tous ces impies qui osaient se croire plus forts que lui ! Il allait les égorger un à un comme des porcs !

Shota... Bats-toi !

Shota... Aide-nous !

Shota... Sauve-nous !

SHOTA !

Les voix enfantines firent vibrer son âme, la réveillant, la renforçant. Non ! Il ne laisserait pas le démon l'emporter ! NON ! Il n'allait perdre aucun de ses enfants ! Il devait lutter ! Malgré la fatigue ! Malgré la rage du démon lui griffant l'esprit et lui brûlant les entrailles. Keigo... Touya... Non ! Il ne devait pas baisser les bras ! Il devait y croire ! Croire qu'un avenir sans Annonoth était possible.

- Va-t-en !

L'injonction résonna dans son crâne tandis qu'une violente poussée le chassa un peu plus fort vers le trou béant du Tartare. Jamais ! Il s'accrocha plus fort à son vaisseau, hurlant de douleur quand l'amour liant ce dernier aux fantômes irradia de l'âme de cet homme qu'il possédait.

- VADE RETRO ANNONOTH !

Le rugissement le fit frémir d'horreur et il lutta contre les âmes enfantines et celle de son vaisseau. Ces putains de gamins ! Encore et toujours là pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ils le poussaient de toutes leurs forces vers les flammes infernales. Mais c'était son moment ! A LUI ! Il allait vaincre et tous les dévorer !

Il sentit plus qu'il ne vit les âmes d'Himiko et Neito disparaître. Maintenant ! Il tenait sa chance ! Quand Twice, Keigo et Touya seraient emportés à leur tour, il pourrait s'en défaire et prendre le dessus ! C'était encore possible ! Il planta plus fortement ses griffes dans l'esprit de son vaisseau, luttant contre lui et ces foutus gamins. Il n'avait qu'à s'accrocher assez longtemps et pousser les âmes enfantines à la suite de leurs aînés. Une fois toutes les âmes aspirées, les portes de l'enfer se refermeraient et il aurait gagné.

- On est prêt à payer le prix ! rugit Keigo alors que son corps tangible s'illuminait.

- Ils seront en paix ! Loin de toi ! tonna Touya devenu tout aussi lumineux.

- Tu pars avec nous ! En enfer ! vociféra Twice, éblouissant de luminosité.

Maintenant ! Usant de toutes ses forces, Annonoth tenta de pousser les âmes luttant contre lui dans le feu infernal.

Un rire sadique lui échappa quand l'un des gosse poussa un hurlement terrifié.

SHOTAAAAAAAAAA !

Non ! Pas question ! Shota répondit immédiatement à l'appel désespéré de Yuga, agrippant mentalement l'âme de l'adolescent pour le ramener dans ses bras. Sans réfléchir, il engloba toutes les âmes enfantines, les protégeant farouchement avec la sienne, tel un père prenant ses enfants dans ses bras pour les rassurer.

Le démon n'hésita pas une seconde, plantant sauvagement et profondément ses griffes acérées dans les bras de son vaisseau, le tirant vers lui de toutes ses forces. Non ! Il ne le laisserait pas lui échapper ! Avec une satisfaction intense, il sentit Shota venir vers lui, résistant mais approchant malgré tout. Il allait réussir ! Il allait contrer ce foutu rituel !

NON ! ON TE LAISSERA PAS NOUS LE PRENDRE !

Des petites mains s'agrippèrent à lui, le tirant vers l'arrière, loin de ce monstrueux démon. Shota usa de toutes ses forces pour résister à l'attraction d'Annonoth, ancrant ses deux pieds dans le sol et aidant les enfants ectoplasmiques accrochés de toutes leurs âmes à lui. Mais ça ne suffisait pas, malgré toute leur farouche volonté, il avançait vers l'être surnaturel et ses funestes desseins. Moins vite, mais il avançait quand même.

VADE RETRO ANNONOTH !

VA EN ENFER POURRITURE !

VA-T-EN !

LAISSE NOUS EN PAIX !

Les suppliques vociférées par ces foutus gamins ne l'amusèrent qu'un peu plus. Comment espèraient-ils vaincre avec si peu de forces ? Il se gorgeait du sang versé entre les murs de cette maison depuis presque deux siècles maintenant. Il était invincible ! Ce n'était pas un pseudo-exorciste de pacotille et quelques morveux en guenilles qui le renverrait dans les profondeurs des enfers. Les portes se refermeraient bientôt, le laissant enfin prendre possession du monde des hommes.

Un rire d'euphorie sadique sortit de sa bouche quand il vit Naomasa, transpirant, tremblant, toujours debout à l'extérieur de ce cercle infernal, du sang coulant de son nez et de sa bouche. Ce sang magique hérité de sa sorcière d'ancêtre ! Ce sang qui allait venir le renforcer un peu plus, comme chaque goutte carmine coulant des nez et des bouches des fantômes devenus tangibles.

Six mains lumineuses se posèrent sur les siennes, et son rire s'accentua. On venait l'aider ! La victoire était...

Son rire s'étrangla quand il vit les doigts éclatant de lumière forcer sur les siens pour l'obliger à lâcher Shota. Une brûlure insoutenable remonta de ses griffes, puis courut le long de ses bras jusqu'à sa gorge, l'étouffant sous le pire sentiment qui soit pour un démon : l'altruisme.

Annonoth hurla et se débattit, s'accrochant autant qu'il le pouvait, et de toutes ses forces démoniaques au corps de son vaisseau. Mais ce dernier batailla lui-aussi contre lui, soutenu par les âmes de tous ces gosses que le démon exécrait, leurs âmes s'unissant pour le chasser toujours plus loin dans les flammes méphistophéliques.

Shota les reconnut, ces mains s'activant à le délivrer de l'emprise du démon. C'étaient celles de Twice, de Keigo, de Touya. Dans le dos d'Annonoth hurlant de rage et de désespoir, il vit les visages des trois sacrifices volontaires, leurs regards croisant le sien.

Tou...ya...

Tout ira bien Shoto... Shota prendra soin de toi...

On te confie la suite, Shota...

Je n'oublierai jamais...

Shota sentit son âme cesser d'aller vers le démon, puis revenir vers celles des enfants l'agrippant toujours.

SOYEZ MAUDITS ! HUMAINS PATHÉTIQUES !

Sur ces derniers mots enragés, Annonoth sentit que bien malgré lui, peu à peu, il lâchait prise et était définitivement attiré vers le trou béant du Tartare par les trois sacrifiés. Non ! C'était impossible ! Il ne pouvait pas... ça ne pouvait pas se finir comme ça ! Il continua de lutter contre l'irrésistible attraction de son foyer natal qu'il ne tenait absolument pas à retrouver.

- AMEN ! clama Naomasa, avec toute l'énergie qu'il lui restait.

- AMEN ! hurlèrent en chœur tous les autres.

En un ultime rugissement, Annonoth se sentit finalement partir, basculant définitivement dans le tourbillon infernal qui le reconduirait en enfer, poussé par Shota et les mioches, irrémédiablement entraîné par Keigo, Touya et Twice qui avaient férocement agrippé son âme diabolique, l'emmenant avec eux.

Non ! Non ! Non ! Anonoth étendit les bras, ses griffes effleurant l'âme de son vaisseau. Mais le poids des âmes des trois autres chevillés à la sienne joua contre lui. Le tourbillon s'accentua, l'aspirant toujours plus vite, plus fort, malgré toutes ses protestations démoniaques, ses jurons et ses imprécations pour maudire tous les êtres vivants de cette misérable planète dont il aurait dû être le ROI. Mais les portes du Tartare firent la sourde oreille et se refermèrent définitivement sur lui, le condamnant à une éternité pandémoniaque, loin du monde des hommes.

Shota tomba lourdement au sol, haletant et couvert de sueur, ayant l'impression de respirer pleinement pour la première fois depuis des jours. Le combat n'avait pas été physique. Il n'avait eu lieu que dans sa tête, dans son esprit, dans son âme. Cela avait été aussi éprouvant qu'épuisant. Les bruits sourds autour de lui lui firent relever rapidement la tête, son regard lessivé trouvant tous les gamins dans le même état que lui. Lentement, il réalisa ce qui venait d'arriver : ça avait fonctionné. Le démon était… vaincu... définitivement vaincu !

Mais à quel prix ? Affolé, Shota chercha du regard les fantômes les plus âgés, sans les trouver.

- Je suis désolé, Shota, souffla Naomasa, lui aussi à genoux, essoufflé et suant à grosses gouttes, du sang séchant sur son visage éprouvé.

- Keigo ? Touya ? haleta Shota.

- Je te jure que j'ignorais qu'ils feraient ça, assura Naomasa. Je n'avais prévu que le sacrifice de Neito et d'Himiko. Twice s'est porté volontaire, pensant que le rituel serait plus puissant si lui aussi se sacrifiait.

Un sanglot étouffé brisa le cœur de Shota qui abandonna l'idée d'avoir plus d'explications pour l'instant. Sans un mot, il prit un Shoto éploré dans ses bras.

- Je suis désolé Shoto, soupira-t-il. Je ne voulais pas ça...

- On sait, le rassura Eijiro, un pâle sourire étirant ses lèvres.

- Mais ça a marché, sourit Tenya. Tu es de retour parmi nous. Et Annonoth est définitivement parti.

Shota se retrouva soudainement avec dix-huit gamins dans les bras, tous pleurant autant la perte des deux jeunes hommes ayant fait office de figures parentales durant des siècles que la joie de retrouver celui qu'ils avaient tous appris à aimer. Submergé par tant d'affection, de soulagement et de tristesse, Shota serra comme il put tous les gamins blottis contre lui, échangeant un regard empli de reconnaissance avec Naomasa, bafouillant des "ça ira, promis, ça ira" qu'il espérait rassurant.

- J'ai faim ! s'exclama soudainement Denki, mettant un terme à l'ambiance de câlin général.

- Sérieusement ! Tu penses qu'à bouffer ! s'offusqua Hanta.

- Une fois tous les dix-neuf ans ! protesta Denki. C'est pas tout le temps !

- Mais on a rien préparé, se désola Eri.

- C'est pas grave, assura Rikido. Shota a acheté tout ce qu'il fallait. On a toute la nuit pour tout préparer et manger !

Shota et Naomasa se firent traîner hors du sous-sol par la marmaille affamée, se disputant déjà pour savoir ce qu'il fallait préparer en premier, chacun y allant de son avis. Juste avant de fermer la porte, Shota jeta un regard grave au couloir en bas de l'escalier. C'était fini... Il était enfin libéré de ce monstre... Sa maison et ses occupants pourraient à l'avenir vivre en paix.

~oOo~

- Donc... Ce n'était pas du tout prévu... insista Shota en sirotant du thé bien chaud que Momo avait préparé.

- Absolument pas, promit Naomasa en se délectant d'une part de gâteau fait par Rikido. Je n'étais pas au courant des projets de Touya et Keigo. Je suppose qu'ils ont pensé comme Twice : que le rituel serait plus puissant avec eux.

- Un sacrifice de chaque époque, soupira Shota. C'est logique quand on y pense de cette façon...

Naomasa posa sa cuillère et observa attentivement celui qu'il avait libéré d'un démon. Ce dernier, assis à la table de la salle à manger, observait avec une tendresse non dissimulée le tas humain endormi dans le salon, ses traits tirés par la fatigue du combat s'éclairant d'un discret sourire. Les gamins s'étaient finalement tous endormis, blottis les uns contre les autres, voire les uns sur les autres pour certains, sur le tapis du salon.

- Je sais que tu es très attaché à eux, reprit doucement Naomasa. Quand j'ai compris qu'ils étaient eux même liés à Annonoth, j'ai essayé de trouver un moyen de les libérer sans les faire disparaître.

- Tu as visiblement trouvé, sourit Shota.

- Grâce à ma grand-mère. Elle avait visiblement cherché comment garder les enfants dans ce monde. Il leur fallait une attache, expliqua Naomasa avant de planter un regard sérieux dans les yeux noirs de Shota. Je les ai attachés à toi, Shota Aizawa.

- Moi ? s'étonna Shota.

- C'était le plus logique, sourit Naomasa. Ils t'adorent tous et tu le leur rend bien. Il n'y a que deux inconvénients à ça.

- Lesquels ?

- Si un jour tu décides de déménager, tu les emmèneras avec toi. En fait, même quand tu partiras en vacances, ils viendront avec toi. Maintenant, ils sont liés à toi, pas à la maison. Ils peuvent rester quelques heures, éventuellement quelques jours loin de toi, mais pas plus d'une semaine.

- Heureusement que ce sont des fantômes alors, grogna Aizawa. Le prix de mes vacances aurait explosé sinon !

- L'avantage c'est que là, ils tiennent tous dans un sac, rigola Naomasa. Je te graverai un rituel sur une plaque en cuir, tu la mettras dans un sac et ils pourront tous tenir le sac sans problème.

- Ce sera pratique oui. Mais je sens que les destinations de vacances seront sujettes à d'interminables disputes, se désola Shota.

Les deux hommes rirent discrètement, ne voulant pas réveiller la marmaille assoupie.

Le ciel nocturne commençait à s'éclaircir, annonçant une nouvelle journée. D'où il était, Shota vit parfaitement les visages de Yuga et d'Ochaco perdre peu à peu de leur tangibilité, preuve qu'ils retournaient à leur état de fantômes habituel.

- Et le deuxième inconvénient ? demanda-t-il.

- Quand tu mourras, ils disparaîtront, avoua Naomasa. Avant que tu ne dises quoi que ce soit, ils sont au courant et ont accepté ce fait. Ils espèrent d'ailleurs que tu vivras très vieux.

- Je vais tout faire pour alors, sourit Shota.

Oui, il allait tout faire pour vivre le plus longtemps possible. Et il emmènerait ces enfants partout avec lui, il leur ferait découvrir le monde, à eux pauvres orphelins, fauchés trop tôt pour avoir connu autre chose que les immuables murs de cette antique demeure.

- Au fait, je sais que tu m'as déjà beaucoup aidé, Naomasa, mais j'aurai un dernier service à te demander, dit-il.

- Lequel ? s'enquit l'intéressé.

- Il faut refleurir la véranda, soupira Shota. Je te laisserai voir ça avec Hitoshi. Vous avez carte blanche.

- Tu dois bien avoir un budget à respecter non ? s'étonna Naomasa.

- Je ne suis pas très dépensier, donc l'héritage de ma grand-mère est presque intact. Autant qu'il serve à faire plaisir à cette bande de gosses à problèmes.

Naomasa rit du ton faussement dramatique utilisé par Shota, heureux d'avoir une excuse toute trouvée pour revenir dans cette maison et cultiver les liens qu'il avait noués avec ses occupants. Les morts comme le plus vivant.

A suivre...


Commentaire de l'auteure :

Et voilà ! Cette histoire touche à sa fin. Encore un chapitre, qui est un épilogue, et ce sera fini. Tout est bien qui finit bien, vous voyez !


Bureau des plaintes et réclamations des personnages martyrisés :

- Tu... tu... TU NOUS A TUÉS ! rugit Dabi en se jetant sur Lili.

- Non, contre Lili, nullement perturbée par la colère du jeune homme. Techniquement, vous étiez déjà morts depuis longtemps. J'ai juste libéré vos âmes et ça vous a fait disparaître.

- Donc, tu nous a tués, confirme Hawks, les sourcils froncés. Je croyais que tu nous aimais bien.

- Mais, je vous aime bien ! assure Lili. D'ailleurs, vous avez une "mort" super classe ! Vous vous sacrifiez VOLONTAIREMENT pour vaincre un démon ! C'est vachement classe ! C'est... Héroïque !

- Je suis pas un putain de héro de merde ! vocifère Dabi.

Twice et Hawks sautent en choeur sur le criminel pour l'empêcher de trucider l'auteure.

Pendant ce temps, toujours coincé dans le sac de couchage avec Aizawa qui dort, Izuku s'agite sous les mains de Katsuki lui bloquant toujours la vue.

- Kacchan ! C'est fini maintenant, non ?!

- On sait jamais ! décrète le blond. Avec elle, faut toujours envisager le pire !


Dans le prochain chapitre, Chapitre 5 : Et ils vécurent heureux.

- Il était enfin temps que tu pendes ta crémaillère.

- Y'a quelque chose qui m'a attrapé par derrière !

- T'as pas pris de pop-corn !