Stiles tournait et retournait l'information dans sa tête, comme si faire cela lui apporterait la plus grande et la plus logique des illuminations. Il ne comprenait pas dans quelle mesure il avait réussi à appeler les urgences dans la mesure où il n'avait aucun souvenir de ce moment. Bien sûr, nombre de facteurs expliquaient ce fait – et il en avait conscience. En plus de subir une agression d'une violence hors du commun, il avait assisté au passage à tabac de son père… Une séance de torture mutuelle: physique pour Noah, psychique pour Stiles. Il était normal que son cerveau ait fini par court-circuiter et s'éteindre… Si bien que le fait qu'il ait réussi à agir et à appeler les urgences avait du sens.

Et pourtant, pour lui, quelque chose n'allait pas dans cette histoire.

Il continuait de l'analyser et de l'envisager sous tous les angles possibles sans se préoccuper du fait que la chose pouvait lui donner la migraine. Il s'en fichait car de toute façon, il était à nouveau sous perfusion et la morphine faisait son effet. C'était tel qu'il devait même lutter pour ne pas céder au sommeil qui le guettait: qu'il ne se soit pas déjà rendormi relevait presque du miracle. La dose qu'on lui avait administrée était très forte et sans doute comptait-on sur elle, en plus de la menotte, pour l'empêcher de tenter de s'enfuir à nouveau. Melissa avait dit de lui à son médecin qu'il était fin, malin et rarement sans ressources. Qu'il détestait ne pas jouir de sa liberté et qu'il ferait tout pour quitter l'hôpital – et elle avait raison.

Sauf qu'en l'état actuel des choses, il ne pouvait rien faire si ce n'est penser, réfléchir, tenter de comprendre. Et cela n'avançait pas. Il lui manquait trop d'éléments, de paramètres pour pouvoir constituer une explication crédible et surtout, valide.

Stiles irait bien marcher pour se changer les idées et réfléchir à l'air libre – le frais lui avait toujours fait du bien. Le problème, c'est qu'il était menotté à son lit et que s'il arrivait – péniblement – à rester éveillé, marcher après s'être libéré serait une toute autre affaire. Il n'avait d'autre choix que d'attendre que les choses changent. Il n'avait pas assez d'énergie pour penser correctement et imaginer un moyen de mettre fin à son immobilité forcée. Il jeta tout de même un coup d'œil rapide autour de lui, juste au cas-où mais ne trouva rien qui pourrait lui servir à ouvrir la menotte. Il allait donc falloir qu'il se montre patient et qu'il se contente de ce qu'il avait.

Puis plus il se montrerait sage, plus on le libèrerait vite. Et Stiles était persuadé que cela ne serait qu'à ce moment-là que les choses se débloqueraient dans sa tête, qu'il réunirait les différentes pièces du puzzle incomplet de cette putain de soirée. Il voulait bien accepter l'idée d'avoir subi un traumatisme important – cette hypothèse restait on ne peut plus plausible, il devait l'avouer – mais était d'avis que seul un environnement qu'il aimait et dans lequel il se sentait en sécurité, protégé, pourrait l'aider.

Alors il se concentra là-dessus en serrant bien faiblement le poing. Il était fatigué, si fatigué de s'efforcer à penser, de tout faire pour rester éveillé, comprendre… Comprendre… Compr…

Son corps avait cédé, fermé ses yeux pour lui. Le voilà endormi. Ce fut lent, progressif à souhait et pourtant, il le ressentit comme une pierre qui lui serait violemment tombée dessus, l'assommant sur le coup au lieu de le tuer. La morphine, qui lui faisait déjà oublier la douleur de ses trop nombreuses contusions, avait finalement eu raison de lui.

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Elle lui manquait déjà, la morphine. On la lui avait laissée pendant trois jours et lorsqu'il l'avait finalement réclamée – alors qu'il pensait pouvoir s'en passer aisément –, on la lui avait finalement refusée. Ce n'était pas tant à cause du risque de dépendance qui existait que le fait qu'on estimait qu'il n'en avait tout simplement plus besoin. A la place, on lui donna un antidouleur simple, des comprimés à prendre trois fois par jour au maximum. On lui avait d'ailleurs dit et répété que ses douleurs s'estomperaient peu à peu et qu'il s'y habituerait. Il les oublierait jusqu'à ce qu'elles disparaissent d'elles-mêmes. C'était à cela que ses cachetons devaient aider.

Stiles se força à attendre le prochain passage du médecin qui lui donnerait le droit de sortir de cette chambre – en fauteuil roulant, certes –, et la possibilité de voir son père. Il vint un bon quart d'heure plus tard et il lui fallut attendre encore un peu pour qu'on vienne le chercher. Alors oui, il était excité comme une puce. Stressé comme jamais. On ne lui avait donné aucune nouvelle. Pour lui, ça n'avait pas de sens et surtout, ça avait tendance à l'énerver. Pourquoi choisissait-on de ne répondre à aucune de ses questions? La seule information que l'on avait daigné lui donner, c'était que la dernière intervention que l'on avait réalisé sur lui était un succès. Que lui avait-on fait? Stiles n'en avait aucune idée, on ne lui avait rien dit à ce sujet. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir demandé. Pourquoi restait-on toujours évasif lorsqu'il osait se renseigner par rapport à l'état de son père? La seule certitude qu'il avait, c'était qu'il était en vie. Autrement, un infirmier ne serait pas en train de pousser son fauteuil dans le couloir des chambres. Il lui avait dit qu'il l'emmènerait à la cinquante-huit selon les directives de son médecin, avec l'appui de Melissa McCall. D'ailleurs, même si Stiles ne l'avait pas vraiment vue ces derniers temps – elle était venue le voir brièvement quelques fois, mais il passait la plupart de son temps à dormir à cause de la morphine. Il était toutefois heureux de savoir qu'elle pensait à lui – l'idée de se savoir apprécié était toujours agréable, même une fois adulte. Puis Melissa, c'était un peu sa deuxième maman, celle des deux qu'il avait le plus connue. Alors oui pour lui, la savoir présente restait très important.

Stiles porta une attention toute particulière aux numéros des chambres, peut-être plus que d'ordinaire, à la fois parce que le besoin de voir son père ne cessait de croître mais également pour penser à autre chose que la douleur de son corps meurtri. Il ne lui semblait pas avoir un endroit, un bout de peau épargné. Par chance, il était toujours sous traitement – encore une fois, bien moins fort que la morphine. Alors il avait quelque chose, oui, mais ne serait vraiment pas contre une aide supplémentaire. Ainsi, il n'avait que sa propre tête pour l'aider et il lui fallait faire avec. Penser, réfléchir, il ne faisait que ça.

Autant dire qu'il lui tardait de sortir de l'hôpital et de bouger un peu. Sans être un fervent adorateur du sport, Stiles lui avait trouvé des bienfaits et pas seulement parce sa formation l'avait aidé à se dessiner une carrure: courir, faire un peu de boxe, soulever de la fonte… Se donner lui permettait de se défouler, d'exprimer ses émotions tout en taisant ce qu'elles signifiaient. Voilà le secret de sa vie normalement si plate, si fade mais si tranquille.

Pourquoi avait-il fallu que d'abominables raclures viennent troubler sa routine? S'en prendreà lui et surtout, à son père? Stiles avait parfaitement conscience des risques de leur métier mais jamais… Jamais il n'aurait pensé qu'une telle chose arriverait. Il avait sa petite idée sur les motivations de ces gens et c'était peut-être ça le plus horrible.

N'y avait-il pas que la vengeance qui comptait pour eux? Etrangement, cette idée-là raisonna en lui, à tel point qu'il la considéra à sa juste valeur, sans savoir qu'il l'avait déjà plus ou moins réalisée.

L'infirmier finit par arrêter son fauteuil devant une porte, celle dont Stiles cherchait désespérément le numéro depuis que cet homme était venu le sortir de son lit. L'étonnement le prit lorsqu'il le vit ouvrir la porte sans toquer. Ses mains regagnèrent leur position sur les poignées du fauteuil. Avant qu'il le fasse avancer, Stiles sut qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce et sa pensée se confirma très vite. Son médecin était là. Le fauteuil s'arrêta à un bon mètre du lit, l'infirmier s'en alla.

Et Stiles se rendit compte que son désir le plus fort avait été réalisé. Mais pourquoi n'avait-il pas déjà posé les yeux sur son père? Pourquoi était-ce le médecin, qu'il avait regardé en premier? La réponse, il la connaissait… Et ne l'accepta pas pour autant. Le cœur battant soudainement la chamade et le souffle court, il s'obligea à diriger son regard vers la bonne direction et à l'y laisser fixé. C'était son père qu'il devait voir, son père à qui il tenait tant.

Et il crut mourir tant l'horreur le heurta avec violence.