La vie, Stiles ne l'avait jamais considérée comme quelque chose d'uniforme. Elle avait son lot de bons et de mauvais moments, d'incidents bénéfiques ou tragiques. Il ne la considérait pas toute noire ou toute blanche, juste grise avec, parfois, des assombrissements auxquels succédaient des éclaircies… Un peu comme ce ciel qu'il regardait chaque jour qui passait. Ce même ciel qui ne cessait de changer au gré de la météo. Soleil et intempéries se succédaient inlassablement depuis des siècles et il arrivait que l'on doive faire face à des tempêtes.
Aujourd'hui était un jour gris, aussi bien au niveau du temps que de son humeur à lui. Stiles était encore dans son lit. Il zieuta sa fenêtre sans volets, qui laissait percer les faibles rayons que diffusait timidement le soleil de ce matin. Le bougre se cachait derrière ses amis les nuages, comme s'il avait peur de se montrer au monde. Enfin, il s'agissait là de l'interprétation que se faisait le jeune homme. Ça l'amusait, le faisait penser. Se créer des petites histoires du genre, il le faisait depuis tout petit. Un moyen de combattre l'ennui ou certaines pensées intrusives qui, selon lui, n'avaient pas leur place dans sa tête. Et comme il ne supportait pas le vide, autant le combler avec quelque chose d'absurde – il adorait ça. Puis c'était d'une simplicité enfantine – parfait, puisqu'en ce moment, Stiles avait tout, sauf besoin de se compliquer la vie.
Malgré sa motivation proche de zéro, il se redressa, repoussa ses draps et se frotta les yeux. Son alarme avait sonné dans le vide une bonne vingtaine de minutes plus tôt. Il l'avait entendue, mais ignorée sciemment, se cramponnant presque aux draps pour faire comme si elle n'existait pas. C'était dingue comment quelque chose censé le sortir du lit l'avait poussé à y rester, en agissant comme un élément contrant directement sa faible détermination. Un bruit presque soporifique, en somme. Pourtant, il s'agissait d'une musique entraînante qu'il aimait beaucoup : September. Elle l'accompagnait dans ses écouteurs, pour aller au travail – pour en revenir aussi – s'accordant avec des morceaux d'autres styles. Son préféré restait la funk. Ça lui donnait la pêche et l'envie de non pas affronter sa journée, mais bien de la vivre.
Pas aujourd'hui toutefois. Pas depuis quelques semaines, en fait.
L'homme qu'il était devenu caressa sa courte barbe de trois jours – ne devait-il pas la raser hier ? Manque de chance, il avait oublié. Zieutant l'heure sur son téléphone, il constata qu'il frisait le retard. En d'autres termes, il allait lui falloir se préparer rapidement s'il ne voulait pas se faire taper sur les doigts. Pas que ses collègues soient méchants, mais dans son boulot, la ponctualité était de rigueur. Alors tant pis pour la barbe qui, accompagnée par sa comparse la moustache, devrait prolonger son séjour d'une journée supplémentaire. Ainsi, Stiles se fit une toilette sommaire, enfila son uniforme. Il sortit de son petit appartement d'un pas rapide, une madeleine dans la main, qu'il mangea sur le chemin qui menait au parking souterrain de son immeuble. Lorsqu'il s'installa au poste de conduite, son petit-déjeuner n'était plus que de l'ordre du souvenir. Stiles n'en avait pas laissé une miette.
Comme tous les jours depuis un moment, l'hyperactif qu'il était toujours pesta contre l'étroitesse du parking souterrain, dans lequel il manœuvrait pourtant sans grand effort. Il faut dire qu'il avait passé des années à conduire une voiture pas facile du tout et qu'à côté, sa Mini, c'était du beurre. D'autant plus que sa petite taille l'avantageait dans bien des endroits. Une fois libéré de cet endroit clos qui l'angoissait parfois le soir, Stiles se saisit de son téléphone et, tout en faisant attention à la route, sélectionna l'un de ses contacts.
Normalement, il passait toujours cet appel avant de partir mais son retard l'obligeait à changer quelque peu sa façon de faire. Aussi, il colla son téléphone à son oreille, histoire de ne pas manquer le moment où l'on décrocherait.
La voix quelque peu ensommeillée de son meilleur ami, Scott McCall, lui parvint après trois tonalités. Un record par rapport à d'habitude. Après des salutations de convenances, Stiles lui demanda des nouvelles de la meute, de tout le monde. C'était ce qu'il faisait d'ailleurs aussi souvent que possible. Parfois, il n'avait pas le temps et ces fois-là, il se sentait misérable. Une personne sensée lui dirait qu'il n'avait pas à s'en vouloir d'être absent, parce qu'il travaillait et qu'il sauvait des vies – autant qu'il le pouvait, en tout cas. Mais Stiles aurait répondu que ce n'était pas suffisant et qu'il réfléchissait sérieusement à tout lâcher pour retourner à Beacon Hills et retrouver ceux qui comptaient vraiment pour lui.
Cette famille non pas de sang, mais de cœur.
Et en même temps, le rythme effréné que lui imposait le FBI prenait la forme d'une routine qu'il appréciait. Elle était rassurante et combattait efficacement ses angoisses et travers les plus récurrents. Difficile donc pour Stiles de prendre une décision, surtout en ce moment. Qu'est-ce qu'il y pouvait ? Ça n'allait pas fort et l'humain réfléchi qu'il était partait du principe qu'il valait mieux prendre une décision importante lorsque l'on était capable de penser de façon objective. Avec cette espèce de déprime qui, ces derniers temps, alourdissait son crâne un peu plus que de raison, il voyait tout avec un filtre grisâtre.
Ce phénomène-là durait depuis un moment mais son importance avait drastiquement augmenté dès lors que Scott lui avait appris ce qu'il s'était récemment passé à Beacon Hills.
- On a tous un peu le moral dans les chaussettes. On guérit doucement, entendit l'hyperactif.
Il ne contesta pas verbalement ce fait même s'il restait quelque peu sceptique. De cette histoire, il ne savait que ce qu'on avait bien voulu lui raconter et manque de chance pour Scott, Lydia s'était montrée un petit peu plus bavarde que lui. Avec Stiles, elle l'avait toujours été.
Stiles se rendit compte qu'il roulait dix bornes en-dessous de la limite de vitesse autorisée : il accéléra un peu. Téléphoner lui faisait véritablement penser à autre chose… Ainsi, il se jura de ne pas faire durer l'appel plus que de raison et s'attela à se concentrer sur la route.
- Et Derek ? Demanda-t-il un peu distraitement.
- Comme tout le monde, répondit simplement Scott.
Stiles sentit une forme d'agacement le gagner – il faillit d'ailleurs ne pas s'arrêter au feu rouge, si bien qu'il pila. Par chance, aucune voiture ne se trouvait derrière la sienne. Le cas contraire, elle lui serait purement et simplement rentrée dedans.
- Je ne pense pas que Derek ait juste le moral dans les chaussettes, reprit Stiles, le regard un peu froid.
Disons que s'il avait posé la question, ce n'était pas pour rien. Elle avait un sens précis à ne pas négliger. Et le pire, c'est qu'il s'attendait bien à ce genre de réponses, à cette fausse ignorance qui servait juste à berner les naïfs. Scott ne le faisait pas à mauvais escient : il n'avait juste pas envie de se mouiller, de parler de cette histoire plus que nécessaire. Elle l'avait traumatisé, Stiles l'entendait.
Mais la rancœur qu'il entretenait à son égard concernant ce sujet le poussait à ne pas le ménager.
- Le sentiment qu'on ressent n'est pas si différent, rétorqua son meilleur ami d'une voix fatiguée.
- C'est vrai que voir un de tes amis brûler sur place est tout à fait comparable au fait d'être l'ami en question et de brûler vif sans que personne ne lève le petit doigt pour t'aider, ironisa gravement Stiles.
Au bout du fil, un soupir. Puis, le silence. Stiles se fichait éperdument du fait qu'il ait pu blesser Scott. Alpha ou non, il restait l'homme qui avait transformé cette situation en un véritable cauchemar. Alors même s'il l'adorait, il lui en voulait.
Voyant que Scott ne répondait pas – sans doute son sarcasme l'avait-il vexé, Stiles décida de raccrocher sans prévenir. Le feu passa au vert, il redémarra. Le jour où ce loup idiot reconnaîtrait son erreur, peut-être qu'il lui pardonnerait le fait de ne jamais l'avoir appelé.
